Histoire de la semaine.
« Les travaux d approche se continuent devant Sébastopol sans incident (jui mérite une mention spéciale. » Telle est la teneur des dépêches du général Pélissier. Celle qui porte la date du 8 juillet annonce que les batteries du Carénage avancent, malgré le leu très-vif de l’ennemi. Cette dépêche dément la nouvelle d’une sortie faite par les liasses dans la nuit du 7 au 8. Espérons donc qu’au lieu des détails et des vues du théâtre de la guerre, nous aurons bientôt à présenter à nos lecteurs le tableau d’un triomphe longtemps at
tendu. Le gouvernement n’est pas moins impatient que le public, fl lui tarde d’avoir, outre la fin glorieuse de son entreprise, à répondre officiellement et d’après les étals authentiques à des bruits qui ont pour ell et d’effrayer les po
pulations au sujet des pertes essuyées par l’armée française d Orient depuis le commencement de la guerre. En atten
dant ce compte rendu officiel, le Moniteur a. publié, mardi, une note qui porte à 14,205 le nombre des militaires morts sur le champ de bataille ou décédés dans les ambulances et les hôpitaux par suite de blessures, du choléra ou d’au
tres maladies. Ce chiffre, en effet, reste bien au-dessous des évaluations qui cherchaient à s’insinuer dans le public;


c’est le cas.de rappeler qu’il ne faut jamais croire le quart de ce qu’on dit.


La dernière dépêche est du 10 ; elle annonce que le feu a été très-vif toute la journée entre les Anglais et le grand liedan. Le soir cet ouvrage était assez silencieux, et les alliés espéraient pouvoir reprendre leurs travaux.
Le même numéro du Moniteur (12 juillet), publie un rapport de l amiral Bruat sur les curiosités de Kertcli, et des rapports des amiraux commandant les Hottes alliées dans la Baltique. Ces documents ne sont que la reconnaissance officielle de faits déjà connus.
Nous avons qualifié la semaine dernière la motion de lord GrosVenor au sujet de la prohibition de tout travail le di
manche, de l’interdiction de la vente des comestibles et même de la marche des trains par les chemins de fer. Ce grand homme avait oublié dans sa motion les promenades à cheval et en carrosse dans Uyde Park, ce travail du beau monde auquel il appartient. La multitude blessée de l’ex
ception a sifflé, le dimanche suivant, lord Grosvenor, dans la personne des promeneurs élégants et de leurs cochers poudrés ; dans la personne des cavaliers peints et des amazones étiolées qui cherchaient à gagner des couleurs et de l’appétit à la sueur de leurs chevaux. La multitude a eu tort ; mais lord Grosvenor, qui avait commencé, comme disent les enfants, a retiré sa motion, en homme qui sait reconnaître, après avoir été corrigé, qu’il a fait une sottise. Il n’était donc plus question, dimanche dernier, de la mo
tion de ce lord Grosvenor ; mais l’émotion n’était pas appaisée, et, dans les circonstances où se trouve l’Angleterre, quand tout un grand parti, appuyé par le lion sens univer
sel, commence à reconnaître qu’il ne suffit pas que mylord ait bu pour que tous les Anglais soient désaltérés, une prétention malavisée devait avoir pour effet de reporter les es
prits passionnés vers les questions analogues, déjà résolues et déjà obéies. C’est ce qui est arrivé. Les désordres de la semaine précédente se sont renouvelés avec des in
cidents plus fâcheux. Il s’agissait cette fois de protester contre le bill de l’an dernier, qui défend la vente des spiritueux pendant la durée des offices du dimanche. La police, qu’on avait accusée d’avoir, par son interven
tion violente, amené les désordres du dimanche précédent, s’était abstenue celte fois; un détail de la scène, qui est rapportée par un journal anglais, témoigne de la préoccupation des individus réunis pour la protestation. Un agi
tateur, voulant haranguer cette multitude, ne put parvenir qu’à répondre à des interpellations qui l’accusaient d’être un agent de la police. L’exaspération s’accrut même de cet incident. Après avoir stationné pendant quelque temps dans Uyde Park, la foule s’est portée dans Bclgrave-Squarc
et autres quartiers aristocratiques, et s’est mise à briser les vitres et à démolir les fenêtres des hôtels. On cite, parmi les personnes dont les demeures ont été plus ou moins endommagées, le comte de Kielmansegge, ministre de Hanovre; sir James Graham, ministre de la marine; le duc de Alarlboroug, le comte de Gifford, l’archevêque d’York, le duc de Montrose, lord Charles Wellesley, et beaucoup d’autres. L’amiral Seymour, sorti de son hôtel
pour faire des remontrances à la foule, a été atteint de deux coups de pierre, et s’est retiré avec la figure en sang.
Il a été question hier de ces désordres à la Chambre des communes, et sir Georges Grey, ministre de l’intérieur, a donné à entendre que des mesures sévères seraient prises dimanche prochain pour empêcher le renouvellement de ces démonstrations. Le Globe, journal ministériel du soir, con
state, du reste, que la plupart de ceux qui ont lancé des pierres étaient des enfants et des adolescents de douze à dix-huit ans;.que les ouvriers n’ont pas pris part au désor
dre, et qu’ils se sont montrés disposés à assister la police quand elle a paru.
Nous espérons que le journal ministériel a été bien informé. Dans un Etat où le. sentiment public a tant de moyens légaux de faire entendre ses légitimes réclamations, il serait déplorable que des hommes utiles et intelligents eussent recours à l’émeute. Ils mériteraient l’injure que la partie la moins utile de la nation leur adresse en les appe


lant gens sans aveu, ce qui veut dire, parmi les gens bien appris : gens sans carosses.


Lord Palmerston a fait savoir hier, à la Chambre des communes, que toutes les pièces relatives aux dernières conférences de Vienne seraient incessamment publiées.
M. Uoebuek a déclaré qu’il développerait le 17 juillet sa motion contre les membres du ministère Aberdeen.
Lord Westmoreland, ambassadeur d Angleterre à Vienne, est arrivé à Londres, en congé.
Barcelone a été le théâtre de graves événements ; on ne
comprend guère le sens de cette révolle qui parait avoir son origine dans une question de salaire et qui se continue aux cris de fine Espariero, avec des circonstances que le caractère loyal et modéré de ce ministre condamne à coup sur, et qui feront comprendre, il faut l’espérer, à la partie honnête du peuple égaré qu’un autre intérêt (pie le sien cherche à ensanglanter des scènes qui ont au moins le tort de venir intempestivement.
Le gouvernement se met en mesure de réprimer ces désordres et de punir sévèrement ces excès. Il a malheurcurcusement affaire avec une assemblée qui passé le temps à présenter et à rejeter des propositions de finances, au lieu de courir au plus pressé en votant même un plan vicieux, comme on dit être, celui de M. Bruil, afin de faire face aux nécessités du jour.
« Délibérez tant qu il vous plaira, leur a dit avec une « souveraine ironie le général O’Donncll, mais sachez une « chose, c’est que, dans très-peu de jours, vous n’aurez « pas de quoi payer la solde de l’armée, ni les traitements « des employés, ni les pensions de retraite des veuves et des « orphelins. »
Souhaitons au gouvernement espagnol des ressources aussi faciles à trouver qu’elles le sont chez nous, et des députés aussi prompts à voler que notre Corps législatif. C’est par là que nous finirons pour annoncer que les lois
de finances, d’impôts et de recrutement ont été votées à l’unanimité la semaine dernière. Paulin.
Courrier de Paris.
L’été s’est enfin prononcé avec énergie; on en savoure les distractions, quitte à en maudire bientôt les supplices. Déjà nos visiteurs, même les plus méridionaux, s’étonnent de trouver le Sénégal à Paris. Il en résulte que, nonobstant l’attrait de l’Exposition, un certain nombre d’arrivés sont partis, laissant le gros de l’armée chercher le frais devant Tortoni ou sur l’asphalte des Champs-Elysées. Sans sortir de la ville on trouvait la campagne du temps de Boileau : que les temps sont changés ! Et la spéculation n’y peut rien.
On lui doit bien la création de quelques enclos, soi-disant jardins, où l’on se promène en cadence, mais on y voit plus de becs de gaz que d’ombrages. Qu’est-ce que le Jardin d’Iliver? Une fournaise; et qu’est-ce que nos autres jardins d’été, sinon des bastringues et des estaminets?Pourtant nos absents ont tort, car l’Exposition est comme le soleil, elle vient d’éclater dans toute sa force, et tant pis pour qui ne la verra pas. Naguère encore on y signalait certains déficit, et maintenant c’est l’encombrement qui se manifeste. Divers intéressés se plaignent même, dans le patois de la cir
culaire, du peu d’espace laissé à divers produits, et sont en quête d’une annexe pour leur étalage. Toutes sortes d’expo
sitions supplémentaires vont donc se greffer sur la grande, et, l’exemple de M. Courbet, le peintre, ayant des imitateurs,
les Champs-Elysées ne seront tantôt plus qu’un champ de foire. On compte sur ces syllabes magiques : Entrée libre,
pour attirer les curieux et en faire autant d’acheteurs. Il y a même, au cours la Reine, un comptoir de vente qui a commencé ses- opérations.
Exposition toujours : Naguère une très-grande dame, faisant sa visite matinale dans la partie la plus ornée du palais, s’arrêta devant l’étalage d’un inventeur en zinc et autres bimbeloteries, pour admirer une petite manivelle dont elle ne s’expliquait pas l’usage. C’est en vain qu’elle interrogea le savant qui l’accompagnait, celui-ci ne put ou ne voulut pas répondre. Monsieur, dit alors la dame en s’adressant à l’industriel, cet objet sert sans doute à prendre le thé? — Non .Madame, ça sert à prendre un... et notre homme arti
cula le mot propre, qui ne s’est jamais dit coram populo, si ce n’esl dans le Malade imaginaire.
Stendliall raconte quelque part comment, se trouvant à Borne avec un M. Clinker, l’un des plus riches citoyens de l’Union, il lui fut impossible d’en tirer aucune parole étran
gère à l’industrie et à l’argent. « Comment augmente-t-on sa fortune ici, quand on a le malheur d’avoir des capitaux inutiles? Quelle est la manière la plus fructueuse de les pla


cer? Comment faut-il s’y prendre pour n’être pas attrapé?))


Telle était sa conversation au milieu des monuments de Home, qu’il examinait d’ailleurs avec le genre d’attention
qu’il eût donné à une lettre de change. Combien cela est cher ou combien cela est bon marché, c’étaient là toutes ses paroles de sentiment. Parcourez notre palais de Cristal, et vous h’y entendrez guère d’autres formules d’admiration, et ce genre d’admiration y est bien à sa place. Mais Paris regorge en ce moment de Clinker, et j’en sais un aussi consi
déré que considérable qui, étant allé voir, on ne sait trop pourquoi, la Vénus de Milo, s’est avisé de dire : A quoi cela sert-il ?
Les merveilles de. l’industrie étant plus que jamais à l’ordre du jour, tout ce qui se fait et même tout ce qui se projette en l’honneur de nos exposants mérile d’être enregis
tré. Il est question de leur élever un Panthéon, sous forme d’ouvrage publié par livraisons. Tous et chacun y aura sa notice biographique et sa statuette ou portrait en pied. Le premier immortel appelé à figurer dans ce musée est fau
teur d’une machine à coudre faisant cinq cents points à la minute. Pour parler sérieusement, l’invention est des plus ingénieuses et même des plus utiles, et d’autres bienfaiteurs de l’Immanité ont été plus pompeusement glorifiés pour beaucoup moins.
Dernièrement, — c’est encore une histoire d’exposant, —l’inventeur de quelque joujou agricole était appelé, comme membre du conseil municipal de sa commune, à voter une somme d’encouragement pour la Société d’horticulture du département, lorsque, se levant avec vivacité de sa chaise curule, ce cultivateur inculte s’écria : « J’ai bien assez d’or
ties dans mon clos, sans voter encore des encouragements pour leur culture. »
Que fera-t-on du palais de l’industrie après la clôture de son spectacle? Grave question qui embarrasse les hommes sérieux, et que les fantaisistes tranchent déjà à leur ma
nière en y mettant la Bourse. A ce compte, les Champs- Elysées deviendraient tout de suite la rye la mieux bâtie et la plus remuante de Paris; çt ces derniers arbres, refoulés au delà du mur d’octroi, iraient se réfugier au bois de Bou
logne. On pourra voir l’obélisque déporté du même coup, et retrouvant le désert qui sied si bien aux monuments du temps passé. Mais la spéculation ne va pas si vite que. l’imagination de nos fantaisistes, et la preuve, c’est que hier encore elle se disputait à Coups de millions différentes masu
res du quartier .Montmartre, tandis que la maison dite de François 1er, cet exemplaire authentique de l’art (1e la lienaissance, se vendait mal et même ne se vendait pas. On remarque d’ailleurs une baisse croissante dans le prix des demeures princières. Le. luxe des habitations commerciales s’est substitué aux habitations de luxe. La vapeur a mobilisé bien des existences autrefois d’une magnificence séden
taire. Il serait facile de citer plus d’un archi-milliottnaire qui loge les siens dans un entresol, qui vit au cercle et n’a pour tout pignon sur rue qu’un bien de campagne. Les plus magnifiques de ces richards, qui sont des richards touristes, se donnent le luxe d’un appartement-wagon ; c’est une mode qui commence, nous en reparlerons.
Drivons au monde et à ce qui l’occupe : une dame qui porte un nom historiquement illustré dans les guerres co
loniales, était restée veuve avec trois filles. Quoique supérieurement apparentée, la position de fortune de cette fa
mille était des plus modestes, lorsque, l’année dernière, un inconnu, un étranger lit demander en mariage l’aînée des jeunes personnes, qu’il avait entrevue à l’église ou ailleurs. La main qu’il offrait étant pleine de millions, et l’intermé
diaire, — car l’affaire se négociait par entremise, — faisant du prétendant le portrait le plus flatteur et le plus mérité du l’este, la noble veuve ne put dire non, en laissant à sa fille le soin de dire oui. .Mais, pour en venir là, il fallait une présentation , et cela gâta tout. Le jeune, beau, distin
gué et amoureux vint, on le vit et il ne vainquit pas. C’était un Havanais du plus beau noir, qui fut accueilli par un cri de répugnance tellement accentué que le malheureux s’en
fuit et. court encore. Comment introduire celle peau d’ébène dans une famille d’une blancheur immaculée et aristocrati
que? Le sang du marquis de *** était trop pur pour le mê
ler à celui d’un moricaud, et le mariage serait une tache que ne laveraient pas tous les millions de la Havane. L’his
toriette est commune, peut-être, niais le dénoûment qu elle a eu est des plus rares et des plus touchants. On écrit de l’autre monde que le pauvre noir y est mort de chagrin, instituant pour légataire universelle la famille qui l’a re
poussé, et M“ie la marquise de *** va pouvoir marier ses filles, car cette fortune inattendue leur suscite des préten
dants d’une nuance irréprochable. Pourvu qu’au moment d’entrer au port, tous ces gabions n’aillent pas sombrer dans le détroit de quelque codicille. 11 faut s’attendre aussi à quelque procès, car en général les collatéraux témoignent peu de respect pour les dernières volontés d’un mourant.
C’est ce que prouve l’aventure irlandaise qui tinte depuis huit jours dans les oreilles des lecteurs de journaux. Un amour qui tient bon contre une absence et même contre un oubli de cinquante ans est assurément un amour comme on en voit peu, comme on n’en voit pas. Sans vouloir enle
ver rien à l’auréole de ce digne gentleman dont la con
stance et l’abnégation ont effacé celles des Amadis et des Galaor, quelques particularités de cette histoire mériteraient d’être éclaircies. Amoureux de Catherine Burke, en 1790,
ce digne Anderson cherche inutilement pendant vingt-cinq ans les moyens de se rapprocher d’elle ; il lui envoie des lettres et de l’argent, puis, quand la paix lui ouvre les frontières de la France, il accourt à Nancy ; mais Catherine a disparu, et, pendant vingt autres années, son amour paraît tout à fait calmé. Il ne donne plus aucun signe de vie jusqu’en 1835, où cet amour septuagénaire éclate tout à coup par l’avis au lecteur que tout lecteur connaît et qui se termine par ce post-scriptum étrange dans la bouche d’un amant si délicat et si fidèle: Cette femme doit être indigente. C’est alors que l’appel fut entendu, mais Catherine était devenue M“e de la Neuville, mère et grand’mère. Elle n’avait pas su attendre, comme dit le récit que nous contons, mais elle n’y perdra rien, et si l’admirable gentleman n’a pu laisser son nom à la femme de son choix, il lui a légué toute sa fortune.
Entre autres personnages de distinction dont on ne cesse d’annoncer l’arrivée à Paris, les échos de la presse répétaient le nom d’Abd-el-Kader; mais, à défaut de l’émir, Paris pos
sède ses œuvres. Il a écrit à l’intention de la France un livre précieux, dont le manuscrit est déposé à la Bibliothè
que impériale. D’après le rapport de M. Beinaud, le savant orientaliste qui l’a analysé, l’ouvrage serait une espèce de tableau des principales sciences, pour la composition duquel
l’auteur a combiné ce que lui fournissaient les livres arabes avec ce qu’a pu lui apprendre son contact avec les Euro
péens. C’est à la fois un traité religieux, scientifique et mo
ral. Appuyé sur la Bible, l’émir y passe en revue les trois religions pratiquées par les Européens, et démontre à sa manière qu’au fond ces trois religions n’en font qu’une. Ainsi, cet esprit si éminemment religieux est un libre pen
seur; il serait aussi un très-fin observateur de nos mœurs et un très-sur appréciateur des lumières modernes, s’il est permis d’en juge) d’après les quatre lignes que voici :
« Les savants de France se sont livrés aux recherches les plus ardues et sont arrivés aux résultats les plus étonnants.
S’ils avaient appliqué la même force d’esprit à l’étude de la Divinité et de ses attributs, s’ils avaient fait attention à l’esprit de sagesse qui brille dans la marche des deux et de la terre, ils se seraient élevés à une hauteur sans exemple. Malheureusement c’est là un ordre d’idées qu’ils négligent,
jamais ils n’en parlent dans la conversation, et il n’en est pas fait mention dans leurs livres. »