verselle. Si nous commentons par les produits de la typographie, c’est qu’ils sç>nl, à cette heure, tous arrivés et tous mis à leur place, et qu’il n’y a pas, dans l’immense super
ficie du palais et de ses annexes, une seule classe d’objets manufacturés sur laquelle il soit plus possible de se fixer définitivement et immédiatement.
Nous avons promis à nos lecteurs impartialité et exactiludc; nous devons ajouter qu’ils ne trouveront, dans les (Hudes qu’on nous a fait l’honneur de nous confier, rien qui s’écarte des règles d’une critique sérieuse, honnête et vigi
lante, Itère de constater ce qui est beau et ce qui est utile, dédaigneuse de ce qui est superflu, médiocre ou de mauvais goût; mais rien non plus qui indique un parti pris d’é
cole, une complaisance quelconque pour les individualités ou une concession aux habitudes banales de réclame qui ont gâté tant d’industriels et faussé, on la déshonorant, la mission inspectrice de la presse. Nous voudrions, — si notre voix avait quelque portée et notre exemple quelque valeur, — rompre avec cette vieille routine de comptes rendus,
stéréotypés d’avance et qu’on dirait calqués les uns sur les autres, tant leur mode de fabrication est uniforme, vulgaire et accessible à la plume la moins compétente. On dé
bute par un historique de la profession ou de l’art dont on s occupe, emprunté aux ouvrages techniques et aux rap
ports des jurys officiels de 1849 et de 1851 (il y en a qui remontent jusqu’à ceux de 1844) ; on énumère, en les blâ
mant ou en les comblant d’éloges, selon qu’ils sont ou ne sont pas de vos amis, les divers noms représentatifs de telle uo telle industrie. On saupoudre de lermes professionnels,— quelquefois, hélas! bien singulièrement amenés, — un lan
gage dont l’assurance incroyable ne déguise pas toujours l ignorance profonde, et pour le plaisir stérile do faire croire aux sots que, de littérateur amusant, on est devenu tout d’un coup savant plein d’autorité, on ne s’aperçoit pas que les. gens sérieux haussent les épaules, que. les artistes s’in
dignent et que les industriels demandent en vain à la presse autre chose que ce qu’ils ont lu dans les manuels de Roret, les dictionnaires technologiques oulestravaux des commissaires des différentes expositions. Cette esthétique réim
primée ferait injure au bon sens de nos lecteurs, et nous leur promettons qu’autant par mauvaise volonté que par manque de temps et d’espace, nous ne leur donnerons ni théories, ni histoires de l’art, ni apologies individuelles,
Un autre écueil sur lequel nous nous efforcerons de ne pas sombrer, c’est l’assimilation, malheureusement trop admise dans notre pays, entre la spéculation intelligente du
marchand ou de l’éditeur qui se contente de vulgariser et de vendre, et le talent consciencieux et dévoué du fabricant et de l’ouvrier, qui invente, ou perfectionne. L’art, assuré
ment, ne saurait se passer du commerce, et le commerce a droit à la même justice et aux mêmes sollicitudes que l’art, dont, à Paris surtout, il devient tous les jours plus insépa
rable ; mais il ne faut pas oublier non plus le but et la na
diaires qui ne profitent qu’aux intérêts individuels, que pour constater et récompenser les travaux et les découver
tes qui honorent le pays et contribuent à son bien-être. D’ailleurs, s’il y a des prodiges d’initiative et d’héroïsme au
palais des Champs-Elysées, il y a aussi des chefs-d’œuvre d’exploitation et de calcul; s’il y a des créateurs, il n’y manque pas de copistes, et, comme partout, le charlatanisme y a quelquefois le verbe plus haut, l’allure plus conquérante et la place au soleil plus large que le vrai mérite.
Un mot encore, et nous en finissons avec ces réserves, que nous ne pouvions nous dispenser de poser une fois pour toutes.
On sait que, sur l’ordre exprès de l’Empereur, la Compagnie a ouvert toutes les portes fermées, et que le public circule aux lieux même où il n’y a encore que des ballots et des rayons vides. L’administration, — c’est une justice à lui rendre, — a déployé une activité prodigieuse et averti les exposants retardataires que leurs places étaient ou allaient être données à d’autres. — U s’est produit à ce pro
pos un incident que nous ne saurions passer sous silence sans manquer à un devoir. Beaucoup d’exposants ont ré
pondu à la sommation in extremis de la Compagnie, en tournant la difficulté et en plaçant préalablement et provi
soirement sur leurs rayons des produits plus qu’ordinaires,
destinés à être remplacés par d’autres plus importants et plus spécialement élaborés en vue de l’Exposition. Des mai
sons fort considérables sont atteintes par ce reproche : on les accuse de manquer de loyauté, de combattre à armes inégales, d attendre sciemment, afin de mettre à profil les faiblesses ou les avantages d’autrui, et de modifier, à l’aide de rapides procédés de fabrication, des imperfections qu’une exhibition immédiate aurait mises dans tout leur jour. Nous ne voulons citer personne; nous n’admettons même qu’une partie de ces récriminations, exagérées sans doute par les jalousies de métier et les dépits de l’amour-propre indus
triel; mais, en principe, n’y a-t-il pas déloyauté envers le pays et manque de confiance envers soi-même à transiger ainsi avec l’honneur commercial, et à répondre par des subterfuges d étalagiste à l’appel du public et de la Commission impériale Y
Les maisons auxquelles nous faisons allusion et qui se seront reconnues dans ces lignes, échos de l’opinion univer
selle et non des commérages de confréries, ne peuvent pas alléguer que le temps leur ait manqué. Elles avaient depuis cinq ans la certitude que leurs produits seraient admis, pour ainsi dire, les yeux fermés, et elles ont pu, en consé
quence, se préparer et se mettre en mesure beaucoup mieux et beaucoup plus vite que les maisons de deuxième ordre, qui ont risqué, sans savoir même si elfes seraient admises, leur temps, leurs fonds et leur intelligence, et sont arri
vées, armées de toutes pièces, avant celles qui, par leur supériorité de fortune, de position, et surtout de renommée, leur devaient au moins l’exemple de l’exactitude; car
succès oblige connue noblesse. La Compagnie fera donc sagement d’exiger de tout le monde la liste exacte des produits qu’on expose, et, si ces désertions calculées et par
tielles se prolongent, d’y répondre par un arrêt de déchéance que les acclamations publiques ratifieront. La pro
bité nationale y est engagée, et nos hôtes à l’Exposition nous regardent. D’ailleurs «c’est une bataille,» disait récemment l’Empereur, et dans toute bataille il n’y a que les traîtres qui cherchent à profiter de la victoire des autres. Ceci dit, passons.
La typographie et la librairie, avec les industries diverses qui se rattachent a ces deux grandes instrumentations de l’intelligence humaine, — fonderie, siéréolypie, papeterie, construc
tion de machines, fabrication d’encres, cartonnage, gravure, lithographie, photographie et reliure, — forment la vingtsixième classe du système adopté, par la Commission impé
riale, système très-peu suivi dans l’arrangement des produits, éparpillés un peu partout, sauf les livres reliés ou non et les spécimens de la typographie pure, rassemblés sur un même point dans les divers départements alloués à chaque, nation.
La France domine, par la qualité autant que par le nombre, dans cet ensemble, fort satisfaisant si l’on considère l’imprimerie avec des yeux un peu stationnaires, mais laissant beaucoup à désirer si l’on admet que chaque Exposition doive être la révélation d’un progrès nouveau. Les ma
gnificences abondent; les bons et beaux livres ne font pas plus défaut qu’en 1849 et en 1851; mais ces livres et ces merveilles nous les avons vus à Paris et à Londres, et beaucoup remontent plus haut encore que notre dernière
exposition française. Les améliorations introduites dans les tirages en couleur, la fabrication des papiers et l’emploi des presses mécaniques ne se résolvent encore, bien qu’il y en ait de fort remarquables, par aucune diminution sensible dans les prix de revient; et, quant aux objets de luxe, ils signalent à ne s’y pas tromper, dans la noble et sévère in
dustrie typographique, autant que dans les élégants travaux de la reliure, la tendance fâcheuse que nous avons déjà pu reconnaître ailleurs, à répondre par des exagérations de mauvais goût aux fièvres de luxe intérieur et aux soudaine
tés d’opulence nées avec les rapides fortunes de ces derniers temps. De même qu’il faut aux gens qui n’estiment que ce qui brille, des «objets d’art » à tout prix, fussent-ils en zinc ou en stéarine, de même il leur faut de « beaux livres; »
et Dieu sait à quelles néfastes folies et à quelles prodigalités ridicules nous arriverons peu à peu si les dames de théâtre qui se piquent de littérature, les millionnaires à qui la Bourse n’a pas appris l’orthographe, les prétendus amateurs qui collectionnent pour revendre, et les Mécènes qui procuraient des annonces avant d’inspirer des feuilletons, per
sistent à se composer des bibliothèques et à encourager les gens de lettres.
L’Autriche, représentée,par son Imprimerie Impériale, vient en première ligne après la France; l’Angleterre, la Belgique, la Saxe, la Sardaigne, la Toscane, et enfin l’Aus
tralie, qui expose des livres et des journaux fort curieux, se. classent naturellement à la suite. Une rapide revue nous permettra de confirmer cet ordre de placement.
L’exposition française gravite autour du sanctuaire que s’est élevé l’Imprimerie Impériale, dont les chefs-d’œuvre,
incontestables comme valeur, eussent gagné peut-être à être moins systématiquement acclamés, et gagneront à coup sûr à être discutés sérieusement. Ce magnifique établissement, dont la place était marquée d’avance en tête du concours de la civilisation moderne, ne peut cependant, par les moyens dont il dispose et par la nature même de son orga
nisation, prendre part à la lutte qu’engagent les industries privées. Comme Sèvres, comme les Gobelins, comme Beau
beaucoup plus comme jury d’encouragement que, comme partie intéressée : reste à savoir si les œuvres qu’elle ap
porte justifient cette mission, si cet encouragement doit être accepté avec l’enthousiasme aveugle d’un fétichisme officiel, ou si, au contraire, il n’y a pas intérêt public à faire, consciencieusement et scrupuleusement, autre chose que l’é numération banale d’un catalogue, rédigé en style d’apothéose.
Une brochure répandue â profusion dans le palais de l’Industrie, rédigée par M. d’Escodeca de Boisse, secrétaire de la direction, etc., « vue et approuvée par M. de Saint« Georges, directeur de l’imprimerie impériale, comman« deur des ordres de la Légion d’honneur et de, Notre-Dame « de la Conception, » apprend au monde que, « sous l’im« pulsion de son intelligent directeur, » l’imprimerie impé
riale « a vaincu toutes les difficultés, » et qu’elle « expose #sês produits avec la conscience de n’avoir reculé devant « aucun obstacle. » Nous n’en disconvenons pas : l’Imprimerie impériale, placée dans l’attribution exclusive du mi
nistère le plus étranger à ses travaux et à sa destination, constituée comme une sorte de pachalik irresponsable, ayant toute liberté d’action, toute facilité de dépenses, pos
sédant le plus splendide matériel et les meilleurs ouvriers du monde, serait bien malheureuse si, au bout de deux ans de préparations, d efforts et de sacrifices, elle n’arrivait pas à l’Exposition les mains pleines de, chefs-d’œuvre, et de
chefs-d’œuvre, inédits surtout. Nous avions bien, en visitant ses vitrines, salué au passage d’anciennes connaissances ; mais, craignant de n’avoir pas tout vu, nous avons demandé tà la brochure directoriale elle-même en quoi consistaient ces triomphes de l’heure actuelle; car enfin, si intelligente que soit une direction, il faut bien admettre que les prédé
cesseurs de M. de Saint-Georges ne lui ont pas laisssé tout à faire, et que « l éminent directeur, » comme l’appelle un journal, n’a pas la prétention d’avoir tout fait.
Or, qu’annonce la brochure, ou plutôt qu’exhibe l’imprimerie impériale?
D’abord sa merveilleuse collection de poinçons, matrices et clichés, en toutes langues, depuis les types de Garamond
et de Savary de Brèves, sous François Ier et Henri IV, jusqu’aux derniers corps de caractère fondus et gravés cette année même. Tout a été dit sur ce musée unique au monde, et la brochure aussi bien que les journaux qui la répéteront, n’ajouteront rien à ce qu’on sait de son histoire, à ce qu’on énumère de sa description, à ce qu’on raconte des divers savants et orientalistes qui, depuis Louis XIII jusqu’à nos jours, ont participé à sa création, à son amélioration et à son application. Tout cela est acquis, comme le sont les merveilles, accepté, comme on accepte le grand salon du
Louvre, et quand nous accumulerions les noms d’idiomes et de dialectes, qu’en résulterait-il pour nos lecteurs, sinon que l’imprimerie impériale possède depuis sa fondation, et
peut exhiber à la gloire, de ses directions passées, la plus magnifique collection de caractères et de types ? G’est^ un monument, voilà tout; on salue et l’on passe. Mais l’architecte, c’est tout le monde.
Nous en pourrons dire autant du spécimen typographique, des cartes géologiques, des modèles d’appareils pour l’impression et le séchage, de la plupart des volumes im
primés, — toutes choses pour lesquelles on a épuisé et
épuisera l’éloge, — mais que nos lecteurs connaissent aussi bien que nous, qu’ils trouveront tout énumérées dans les beaux rapports de M. Firmin Didot sur l’Exposition universelle de Londres, et qui sont, comme, la collection des types, l’œuvre du temps et des générations.
Reste donc l’exposition véritable, sérieuse, c’est-à-dire les livres imprimés, parmi lesquels nous remarquons le tome I V du Livre des Rois d’Abou’lkasim Ferdousi, traduit par M. Mohl, imprimé avec ornements en or et en couleur,
— puis en noir seulement, et digne en tout point par son exécution des trois volumes déjà publiés sous Louis-Phi
lippe;— le tome III du B/idgavata Purâua, traduit par Eugène Burnouf; — la constitution de 1852 ; — les belles publications du ministère de l’instruction publique et les Documents administratifs; le tome XIII de la Statistique de la France, les Mémoires de l’Académie des inscriptions,
elc., etc. Et enfin cette miraculeuse Imitation de Jésus- Christ, de qui l’on peut dire maintenant, au point de vue typographique, ce qu’en disait Fontenelle au point de vue moral : «Voilà le plus beau livre sorti de la main des hom
mes. » Oui, le plus beau. Mais pourquoi et à quel prix? Quand on a poussé des cris d’admiration devant ces enca
drements changeant de dessin à chaque page, devant ces dessins d’un fini si pur, d’un goût si parfait, d’un style si
historique ; quand l’imagination, se rendant compte des tours de force accomplis, des montagnes de difficultés vaincues, des fantasmagories de procédés réalisées, — s’est re
culée effrayée et s’est avouée, confondue, que. reste-t-il? Un chef-d’œuvre, un modèle, un monument? Non, cent fois non. Jl n’y a de chefs-d’œuvre que les œuvres de génie, il n’y a de modèles que ceux qu’on peut imiter, il n’y a rien
de monumental dans les ouvrages de patience. Qu’est-ce, qu’un livre, tiré à cent exemplaires tout au plus, dont cha
cun coûte plus de deux mille, francs, et que, s’il faut en croire les connaisseurs, l’industrie particulière eût exécuté à moitié, prix, en beaucoup moins de temps et avec quelques fautes de moins, — car il y a des fautes. L’art, — que nous croyons comprendre dans son sens patriotique, — n’atta
lité. M. de Saint - Georges sera, peut-être (et dit-on),
nommé, sénateur; mais, au mérite stérile d’avoir produit un spécimen étourdissant de beauté, nous croyons que l’imprimerie impériale préférera toujours la solide gloire de. ses savantes publications orientales, de ses travaux scientifiques, de ses productions courantes si utiles et si correc
tes, et qu’elle se souviendra qu’elle est en France pour instruire et non pour étonner. Ce n’est là sans doute qu’une appréciation toute personnelle; pourtant, nous la croyons partagée par une infinité, de bons esprits et par toutes les spécialités sans exception. On s’étonne que, sous un gou
vernement comme celui-ci, un établissement comme celuilà soit, au rebours des manufactures impériales et des bâ
maintenu sous la juridiction du garde des sceaux, quand sa place naturelle serait, selon quelques-uns, dans les attributions du ministre d’Etat et de la maison impériale, — selon quelques autres, et, selon nous, dans les âttributions du ministre de l’instruction publique, dont il ressort si na
turellement qu’il y aurait niaiserie à le vouloir démontrer.
On dit, pour expliquer celle, anomalie, que l’imprimerie impériale publie le Bulletin des lois, et qu’elle doit être, par ce motif, sous la surveillance spéciale du chef de la magistrature. Pauvre raison ; de ce qu’elle imprime à 40,000 exemplaire le Moniteur des communes pour le mi
nistre de l’intérieur ; de ce qu’elle livre au ministre de la guerre, des quantités fabuleuses d’impressions, songe-t-on à déduire qu’il faut la placer dans la dépendance de quel
qu’un de ces deux hauts fonctionnaires? Nous souhaitons quelle gouvernement accomplisse cette réforme, et de plus, qu’assimilant l’imprimerie impériale à Sèvres et aux Gobe
lins, qui ne valent ni mieux ni moins qu’elle, il mette à sa tête, comme il le fait pour tous ses établissements, des hommes spéciaux au lieu d’hommes politiques, avantage qui, depuis la mort de Marcel, nommé par le premier Na
poléon, a presque toujours manqué à l’imprimerie impériale.
Adossées à la vitrine officielle et placées là par un hasard qui est une. justice, trois maisons de premier ordre, Didof,
Marne et Claye, appellent l’attention la plus charmée et soulèvent l’applaudissement le plus légitime, — M. Claye par la perfection de ses gravures sur bois tirées à la méca
nique, notamment celles qui font partie de l Histoire des Peintres, publiée par MM. Renouard, et des Musées de Rome, in-folio; — M. Marne, d’abord avec ce magnifique ouvrage d’art national sur la Touraine, dont M. l’abbé Bourrasse a écrit le texte, et Karl Girardet dessiné les illustrations, œuvre neuve, inédite, humide encore ; puis et
ficie du palais et de ses annexes, une seule classe d’objets manufacturés sur laquelle il soit plus possible de se fixer définitivement et immédiatement.
Nous avons promis à nos lecteurs impartialité et exactiludc; nous devons ajouter qu’ils ne trouveront, dans les (Hudes qu’on nous a fait l’honneur de nous confier, rien qui s’écarte des règles d’une critique sérieuse, honnête et vigi
lante, Itère de constater ce qui est beau et ce qui est utile, dédaigneuse de ce qui est superflu, médiocre ou de mauvais goût; mais rien non plus qui indique un parti pris d’é
cole, une complaisance quelconque pour les individualités ou une concession aux habitudes banales de réclame qui ont gâté tant d’industriels et faussé, on la déshonorant, la mission inspectrice de la presse. Nous voudrions, — si notre voix avait quelque portée et notre exemple quelque valeur, — rompre avec cette vieille routine de comptes rendus,
stéréotypés d’avance et qu’on dirait calqués les uns sur les autres, tant leur mode de fabrication est uniforme, vulgaire et accessible à la plume la moins compétente. On dé
bute par un historique de la profession ou de l’art dont on s occupe, emprunté aux ouvrages techniques et aux rap
ports des jurys officiels de 1849 et de 1851 (il y en a qui remontent jusqu’à ceux de 1844) ; on énumère, en les blâ
mant ou en les comblant d’éloges, selon qu’ils sont ou ne sont pas de vos amis, les divers noms représentatifs de telle uo telle industrie. On saupoudre de lermes professionnels,— quelquefois, hélas! bien singulièrement amenés, — un lan
gage dont l’assurance incroyable ne déguise pas toujours l ignorance profonde, et pour le plaisir stérile do faire croire aux sots que, de littérateur amusant, on est devenu tout d’un coup savant plein d’autorité, on ne s’aperçoit pas que les. gens sérieux haussent les épaules, que. les artistes s’in
dignent et que les industriels demandent en vain à la presse autre chose que ce qu’ils ont lu dans les manuels de Roret, les dictionnaires technologiques oulestravaux des commissaires des différentes expositions. Cette esthétique réim
primée ferait injure au bon sens de nos lecteurs, et nous leur promettons qu’autant par mauvaise volonté que par manque de temps et d’espace, nous ne leur donnerons ni théories, ni histoires de l’art, ni apologies individuelles,
Un autre écueil sur lequel nous nous efforcerons de ne pas sombrer, c’est l’assimilation, malheureusement trop admise dans notre pays, entre la spéculation intelligente du
marchand ou de l’éditeur qui se contente de vulgariser et de vendre, et le talent consciencieux et dévoué du fabricant et de l’ouvrier, qui invente, ou perfectionne. L’art, assuré
ment, ne saurait se passer du commerce, et le commerce a droit à la même justice et aux mêmes sollicitudes que l’art, dont, à Paris surtout, il devient tous les jours plus insépa
rable ; mais il ne faut pas oublier non plus le but et la na
ture de cette Exposition universelle, instituée beaucoup moins pour favoriser ou glorifier des entreprises intermé
diaires qui ne profitent qu’aux intérêts individuels, que pour constater et récompenser les travaux et les découver
tes qui honorent le pays et contribuent à son bien-être. D’ailleurs, s’il y a des prodiges d’initiative et d’héroïsme au
palais des Champs-Elysées, il y a aussi des chefs-d’œuvre d’exploitation et de calcul; s’il y a des créateurs, il n’y manque pas de copistes, et, comme partout, le charlatanisme y a quelquefois le verbe plus haut, l’allure plus conquérante et la place au soleil plus large que le vrai mérite.
Un mot encore, et nous en finissons avec ces réserves, que nous ne pouvions nous dispenser de poser une fois pour toutes.
On sait que, sur l’ordre exprès de l’Empereur, la Compagnie a ouvert toutes les portes fermées, et que le public circule aux lieux même où il n’y a encore que des ballots et des rayons vides. L’administration, — c’est une justice à lui rendre, — a déployé une activité prodigieuse et averti les exposants retardataires que leurs places étaient ou allaient être données à d’autres. — U s’est produit à ce pro
pos un incident que nous ne saurions passer sous silence sans manquer à un devoir. Beaucoup d’exposants ont ré
pondu à la sommation in extremis de la Compagnie, en tournant la difficulté et en plaçant préalablement et provi
soirement sur leurs rayons des produits plus qu’ordinaires,
destinés à être remplacés par d’autres plus importants et plus spécialement élaborés en vue de l’Exposition. Des mai
sons fort considérables sont atteintes par ce reproche : on les accuse de manquer de loyauté, de combattre à armes inégales, d attendre sciemment, afin de mettre à profil les faiblesses ou les avantages d’autrui, et de modifier, à l’aide de rapides procédés de fabrication, des imperfections qu’une exhibition immédiate aurait mises dans tout leur jour. Nous ne voulons citer personne; nous n’admettons même qu’une partie de ces récriminations, exagérées sans doute par les jalousies de métier et les dépits de l’amour-propre indus
triel; mais, en principe, n’y a-t-il pas déloyauté envers le pays et manque de confiance envers soi-même à transiger ainsi avec l’honneur commercial, et à répondre par des subterfuges d étalagiste à l’appel du public et de la Commission impériale Y
Les maisons auxquelles nous faisons allusion et qui se seront reconnues dans ces lignes, échos de l’opinion univer
selle et non des commérages de confréries, ne peuvent pas alléguer que le temps leur ait manqué. Elles avaient depuis cinq ans la certitude que leurs produits seraient admis, pour ainsi dire, les yeux fermés, et elles ont pu, en consé
quence, se préparer et se mettre en mesure beaucoup mieux et beaucoup plus vite que les maisons de deuxième ordre, qui ont risqué, sans savoir même si elfes seraient admises, leur temps, leurs fonds et leur intelligence, et sont arri
vées, armées de toutes pièces, avant celles qui, par leur supériorité de fortune, de position, et surtout de renommée, leur devaient au moins l’exemple de l’exactitude; car
succès oblige connue noblesse. La Compagnie fera donc sagement d’exiger de tout le monde la liste exacte des produits qu’on expose, et, si ces désertions calculées et par
tielles se prolongent, d’y répondre par un arrêt de déchéance que les acclamations publiques ratifieront. La pro
bité nationale y est engagée, et nos hôtes à l’Exposition nous regardent. D’ailleurs «c’est une bataille,» disait récemment l’Empereur, et dans toute bataille il n’y a que les traîtres qui cherchent à profiter de la victoire des autres. Ceci dit, passons.
La typographie et la librairie, avec les industries diverses qui se rattachent a ces deux grandes instrumentations de l’intelligence humaine, — fonderie, siéréolypie, papeterie, construc
tion de machines, fabrication d’encres, cartonnage, gravure, lithographie, photographie et reliure, — forment la vingtsixième classe du système adopté, par la Commission impé
riale, système très-peu suivi dans l’arrangement des produits, éparpillés un peu partout, sauf les livres reliés ou non et les spécimens de la typographie pure, rassemblés sur un même point dans les divers départements alloués à chaque, nation.
La France domine, par la qualité autant que par le nombre, dans cet ensemble, fort satisfaisant si l’on considère l’imprimerie avec des yeux un peu stationnaires, mais laissant beaucoup à désirer si l’on admet que chaque Exposition doive être la révélation d’un progrès nouveau. Les ma
gnificences abondent; les bons et beaux livres ne font pas plus défaut qu’en 1849 et en 1851; mais ces livres et ces merveilles nous les avons vus à Paris et à Londres, et beaucoup remontent plus haut encore que notre dernière
exposition française. Les améliorations introduites dans les tirages en couleur, la fabrication des papiers et l’emploi des presses mécaniques ne se résolvent encore, bien qu’il y en ait de fort remarquables, par aucune diminution sensible dans les prix de revient; et, quant aux objets de luxe, ils signalent à ne s’y pas tromper, dans la noble et sévère in
dustrie typographique, autant que dans les élégants travaux de la reliure, la tendance fâcheuse que nous avons déjà pu reconnaître ailleurs, à répondre par des exagérations de mauvais goût aux fièvres de luxe intérieur et aux soudaine
tés d’opulence nées avec les rapides fortunes de ces derniers temps. De même qu’il faut aux gens qui n’estiment que ce qui brille, des «objets d’art » à tout prix, fussent-ils en zinc ou en stéarine, de même il leur faut de « beaux livres; »
et Dieu sait à quelles néfastes folies et à quelles prodigalités ridicules nous arriverons peu à peu si les dames de théâtre qui se piquent de littérature, les millionnaires à qui la Bourse n’a pas appris l’orthographe, les prétendus amateurs qui collectionnent pour revendre, et les Mécènes qui procuraient des annonces avant d’inspirer des feuilletons, per
sistent à se composer des bibliothèques et à encourager les gens de lettres.
L’Autriche, représentée,par son Imprimerie Impériale, vient en première ligne après la France; l’Angleterre, la Belgique, la Saxe, la Sardaigne, la Toscane, et enfin l’Aus
tralie, qui expose des livres et des journaux fort curieux, se. classent naturellement à la suite. Une rapide revue nous permettra de confirmer cet ordre de placement.
L’exposition française gravite autour du sanctuaire que s’est élevé l’Imprimerie Impériale, dont les chefs-d’œuvre,
incontestables comme valeur, eussent gagné peut-être à être moins systématiquement acclamés, et gagneront à coup sûr à être discutés sérieusement. Ce magnifique établissement, dont la place était marquée d’avance en tête du concours de la civilisation moderne, ne peut cependant, par les moyens dont il dispose et par la nature même de son orga
nisation, prendre part à la lutte qu’engagent les industries privées. Comme Sèvres, comme les Gobelins, comme Beau
vais, l’imprimerie impériale siège à l’Exposition universelle,
beaucoup plus comme jury d’encouragement que, comme partie intéressée : reste à savoir si les œuvres qu’elle ap
porte justifient cette mission, si cet encouragement doit être accepté avec l’enthousiasme aveugle d’un fétichisme officiel, ou si, au contraire, il n’y a pas intérêt public à faire, consciencieusement et scrupuleusement, autre chose que l’é numération banale d’un catalogue, rédigé en style d’apothéose.
Une brochure répandue â profusion dans le palais de l’Industrie, rédigée par M. d’Escodeca de Boisse, secrétaire de la direction, etc., « vue et approuvée par M. de Saint« Georges, directeur de l’imprimerie impériale, comman« deur des ordres de la Légion d’honneur et de, Notre-Dame « de la Conception, » apprend au monde que, « sous l’im« pulsion de son intelligent directeur, » l’imprimerie impé
riale « a vaincu toutes les difficultés, » et qu’elle « expose #sês produits avec la conscience de n’avoir reculé devant « aucun obstacle. » Nous n’en disconvenons pas : l’Imprimerie impériale, placée dans l’attribution exclusive du mi
nistère le plus étranger à ses travaux et à sa destination, constituée comme une sorte de pachalik irresponsable, ayant toute liberté d’action, toute facilité de dépenses, pos
sédant le plus splendide matériel et les meilleurs ouvriers du monde, serait bien malheureuse si, au bout de deux ans de préparations, d efforts et de sacrifices, elle n’arrivait pas à l’Exposition les mains pleines de, chefs-d’œuvre, et de
chefs-d’œuvre, inédits surtout. Nous avions bien, en visitant ses vitrines, salué au passage d’anciennes connaissances ; mais, craignant de n’avoir pas tout vu, nous avons demandé tà la brochure directoriale elle-même en quoi consistaient ces triomphes de l’heure actuelle; car enfin, si intelligente que soit une direction, il faut bien admettre que les prédé
cesseurs de M. de Saint-Georges ne lui ont pas laisssé tout à faire, et que « l éminent directeur, » comme l’appelle un journal, n’a pas la prétention d’avoir tout fait.
Or, qu’annonce la brochure, ou plutôt qu’exhibe l’imprimerie impériale?
D’abord sa merveilleuse collection de poinçons, matrices et clichés, en toutes langues, depuis les types de Garamond
et de Savary de Brèves, sous François Ier et Henri IV, jusqu’aux derniers corps de caractère fondus et gravés cette année même. Tout a été dit sur ce musée unique au monde, et la brochure aussi bien que les journaux qui la répéteront, n’ajouteront rien à ce qu’on sait de son histoire, à ce qu’on énumère de sa description, à ce qu’on raconte des divers savants et orientalistes qui, depuis Louis XIII jusqu’à nos jours, ont participé à sa création, à son amélioration et à son application. Tout cela est acquis, comme le sont les merveilles, accepté, comme on accepte le grand salon du
Louvre, et quand nous accumulerions les noms d’idiomes et de dialectes, qu’en résulterait-il pour nos lecteurs, sinon que l’imprimerie impériale possède depuis sa fondation, et
peut exhiber à la gloire, de ses directions passées, la plus magnifique collection de caractères et de types ? G’est^ un monument, voilà tout; on salue et l’on passe. Mais l’architecte, c’est tout le monde.
Nous en pourrons dire autant du spécimen typographique, des cartes géologiques, des modèles d’appareils pour l’impression et le séchage, de la plupart des volumes im
primés, — toutes choses pour lesquelles on a épuisé et
épuisera l’éloge, — mais que nos lecteurs connaissent aussi bien que nous, qu’ils trouveront tout énumérées dans les beaux rapports de M. Firmin Didot sur l’Exposition universelle de Londres, et qui sont, comme, la collection des types, l’œuvre du temps et des générations.
Reste donc l’exposition véritable, sérieuse, c’est-à-dire les livres imprimés, parmi lesquels nous remarquons le tome I V du Livre des Rois d’Abou’lkasim Ferdousi, traduit par M. Mohl, imprimé avec ornements en or et en couleur,
— puis en noir seulement, et digne en tout point par son exécution des trois volumes déjà publiés sous Louis-Phi
lippe;— le tome III du B/idgavata Purâua, traduit par Eugène Burnouf; — la constitution de 1852 ; — les belles publications du ministère de l’instruction publique et les Documents administratifs; le tome XIII de la Statistique de la France, les Mémoires de l’Académie des inscriptions,
elc., etc. Et enfin cette miraculeuse Imitation de Jésus- Christ, de qui l’on peut dire maintenant, au point de vue typographique, ce qu’en disait Fontenelle au point de vue moral : «Voilà le plus beau livre sorti de la main des hom
mes. » Oui, le plus beau. Mais pourquoi et à quel prix? Quand on a poussé des cris d’admiration devant ces enca
drements changeant de dessin à chaque page, devant ces dessins d’un fini si pur, d’un goût si parfait, d’un style si
historique ; quand l’imagination, se rendant compte des tours de force accomplis, des montagnes de difficultés vaincues, des fantasmagories de procédés réalisées, — s’est re
culée effrayée et s’est avouée, confondue, que. reste-t-il? Un chef-d’œuvre, un modèle, un monument? Non, cent fois non. Jl n’y a de chefs-d’œuvre que les œuvres de génie, il n’y a de modèles que ceux qu’on peut imiter, il n’y a rien
de monumental dans les ouvrages de patience. Qu’est-ce, qu’un livre, tiré à cent exemplaires tout au plus, dont cha
cun coûte plus de deux mille, francs, et que, s’il faut en croire les connaisseurs, l’industrie particulière eût exécuté à moitié, prix, en beaucoup moins de temps et avec quelques fautes de moins, — car il y a des fautes. L’art, — que nous croyons comprendre dans son sens patriotique, — n’atta
chera aucune importance nationale à cette fastueuse inuti
lité. M. de Saint - Georges sera, peut-être (et dit-on),
nommé, sénateur; mais, au mérite stérile d’avoir produit un spécimen étourdissant de beauté, nous croyons que l’imprimerie impériale préférera toujours la solide gloire de. ses savantes publications orientales, de ses travaux scientifiques, de ses productions courantes si utiles et si correc
tes, et qu’elle se souviendra qu’elle est en France pour instruire et non pour étonner. Ce n’est là sans doute qu’une appréciation toute personnelle; pourtant, nous la croyons partagée par une infinité, de bons esprits et par toutes les spécialités sans exception. On s’étonne que, sous un gou
vernement comme celui-ci, un établissement comme celuilà soit, au rebours des manufactures impériales et des bâ
timents de la couronne, par exemple, exceptionnellement
maintenu sous la juridiction du garde des sceaux, quand sa place naturelle serait, selon quelques-uns, dans les attributions du ministre d’Etat et de la maison impériale, — selon quelques autres, et, selon nous, dans les âttributions du ministre de l’instruction publique, dont il ressort si na
turellement qu’il y aurait niaiserie à le vouloir démontrer.
On dit, pour expliquer celle, anomalie, que l’imprimerie impériale publie le Bulletin des lois, et qu’elle doit être, par ce motif, sous la surveillance spéciale du chef de la magistrature. Pauvre raison ; de ce qu’elle imprime à 40,000 exemplaire le Moniteur des communes pour le mi
nistre de l’intérieur ; de ce qu’elle livre au ministre de la guerre, des quantités fabuleuses d’impressions, songe-t-on à déduire qu’il faut la placer dans la dépendance de quel
qu’un de ces deux hauts fonctionnaires? Nous souhaitons quelle gouvernement accomplisse cette réforme, et de plus, qu’assimilant l’imprimerie impériale à Sèvres et aux Gobe
lins, qui ne valent ni mieux ni moins qu’elle, il mette à sa tête, comme il le fait pour tous ses établissements, des hommes spéciaux au lieu d’hommes politiques, avantage qui, depuis la mort de Marcel, nommé par le premier Na
poléon, a presque toujours manqué à l’imprimerie impériale.
Adossées à la vitrine officielle et placées là par un hasard qui est une. justice, trois maisons de premier ordre, Didof,
Marne et Claye, appellent l’attention la plus charmée et soulèvent l’applaudissement le plus légitime, — M. Claye par la perfection de ses gravures sur bois tirées à la méca
nique, notamment celles qui font partie de l Histoire des Peintres, publiée par MM. Renouard, et des Musées de Rome, in-folio; — M. Marne, d’abord avec ce magnifique ouvrage d’art national sur la Touraine, dont M. l’abbé Bourrasse a écrit le texte, et Karl Girardet dessiné les illustrations, œuvre neuve, inédite, humide encore ; puis et