Village et glacier de Grindelwald, vers le Vetterhorn.
sieurs jours toutes les imaginations à Unterseen, à Interlaken et à Grindelwald.
On commença l’ascension à huit heures du matin, en escaladan t les premières assises du Mettenherg.
On traversa ensuite la mer de glace, où
périt, en 1821, le pasleur Mouron, et où faillit laisser la vie Christian Boliren, qui depuis cinquante ans parcourait ces gla
ciers. En quittant la merde glfice, on marcha dans la monta
gne jusqu’à onze heu
res du matin, et l’on s’arrêta au bord d’une source. Celte source fournit l’eau néces
saire pour un thé, qui est encore probablement fort peu connu en Russie. Pour rem
placer la précieuse plante qui nous vient du Céleste Empire,
on se servit de roses des Alpes et de petites branches de genévrier. On reprit ensuite la marche jus
qu’à six heures du soir, et l’on passa la nuit dans une grotte située dans les flancs de l’Eiger, montagne qui n’a pas moins de 11,970 mètres.
Cette grotte, qui n’est connue que de dix hommes danstout
Oberland, est d’un aspect tout à la fois sauvage et magnifique. La nature , cette fée qui prodigue les merveilles avec une inépuisable profusion, s’est plu à l’embellir d’ornements de glace qui descendent de la voûte et qui res
semblent aux pendentifs de certaines églises du moyen âge. Comme le froid est très-rigoureux, la nuit, à cette hauteur, on lit un grand feu dans la grotte avec des branches de genévrier. Les guides, cédant à cet entraînement qui accompagne toujours les entreprises aventureuses, ne prirent au
cun sommeil, et firent entendre toute la nuit ces chants alpestres qui ont un caractère, si frappant d’originalité et de simplicité. La princesse, heureuse de voir ces hommes conserver tout le sang-froid et toute la gaieté qui leur étaient
si nécessaires pour la périlleuse journée du lendemain, renonça résolument à un repos qui semblait pourtant si né
cessaire après dix heures d’un voyage dans les montagnes, sous un soleil brûlant.
Cependant les épreuves de celte première journée étaient peu de chose en comparaison de celles qui attendaient, le second jour, la petite caravane. On quitta, à trois heures du matin, la grotte hospitalière. V mesure qu’on s’élevait sur les flancs de l’Eiger, les difficultés devenaient plus considérables. On fut Obligé derrecourir aux échelles pour fran
chir des abîmes dont la seule vue donne le vertige. Quoique ce procédé fût fort étranger aux habitudes de Pétersbourg, la princesse s’en servit (avec une adresse et une fermeté
dont les guides parlent encore avec ad
miration. Au lieu de détourner les yeux des gouffres béants des Alpes, elle en me
sura plus d’une fois d’un regard intrépide l’effrayante profon
deur. Elle traversait avec la même impas
sibilité les plaines de glace où l’on enfonçait jusqu’aux ge
noux, sans se laisser abattre par la soif ni par la douloureuse oppression que pro
duit à celte hauteur la raréfaction de l’atmosphère. Quoiqu’el
le crachât le sang, quoique ses bottines d’uneuirêpaisfussent déchirées parla pointe des rochers, quoi
qu’elle fût obligée de temps en temps de faire faire un trou dans la glace pour s’y reposer, elle montrait une sérénité et un calmequiont été jusqu’à la fin une cause d’é­
tonnement pour les rudes chasseurs qui l’accompagnaient. — Ces hommes, habi
tués aux dangers de ces difficiles excursions , ne compre
naient pas qu’une femme aussi délicate semblât, après deux jours de marche et une nuit sans sommeil, disposée à bra
ver de nouvelles fatigues et de plus grands dangers. Enfin le lundi, à une heure, on arriva aux sommets du Moench,
el on y planta un signal dans des neiges où le pied de l’homme ne s’était jamais posé.
On sait qu’il est aussi difficile de descendre les montagnes que de les escalader. Dans certains endroits, la pente est si rapide, qu’on est obligé de s’asseoir sur la neige durcie et de se laisser glisser ainsi jusqu’au bord des abîmes. Nos voyageurs furent assez heureux pour revenir sans accident le lundi soir à (Irindelwald, et à onze heures la princesse arrivait à Interlaken, où l’on attendait avec anxiété le résultat de sa courageuse‘‘êntreprise.


F. E. C.


L’Eiger, le Moench et la Jungfrau (canton de Berne).