SOMMAIRE.


Histoire de la semaine. — Chronique musicale. — Courrier de Paris. — Chronique littéraire. — Les repiqueuses étude sur l art de se peindre !e visage. —Percement de l’i-thme de Suez. — Exposition universelle de l industrie. Les bronzes (suite). — Beaux-arts; peinture religieuse. — Le secret delà Bianetti (suite et fin). — L île d’Helgoland. — Bibliographie. — Couteau de chasse de Gérard. — Correspondance.
(Iravurcs : La foule des souscripteurs à l’emprunt de 7n0 millions; la nuit; le jour. — Théâtre de la Porte Saint-Martin : Paris , scènes diverses et costumes. — Inondation de San SL-phano, en Toscane. — Carte de l’isthme de Suez; vue panoramique de Suez et du canal des deux mers. — Sa on de 1855; le Jeune fauconnier, par M. Couture; le quart d heure de Rabelais, par M. Vettfci ; Erasme chez Thomas Morus par M. Labouchère; Un enterrement dans les Vosges, par M. Brion. — Couteau de chasse donné à Gérard par l Empereur d’Autriche. — Rébus.


Histoire de la semaine.


Le plus vif intérêt de cette chronique hebdomadaire serait dans le récit du spectacle donné par les souscripteurs à l’emprunt de 750 millions, dont la clôture a eu lieu le 29 juillet. Nous n’avons pu résister à l’envie de représenter, autant que nous le pouvions, dans un cadre où tant d’autres sujets doivent trouver leur place, l’aspect de la multitude stationnant la nuit sous les arcades du ministère des fi
nances, et le jour dans la cour de l’hôtel, pour attendre un numéro d’inscription qui donnait droit à devenir partie pre
nante de l’emprunt. Quoi qu’on ait pu dire de l’abus de ces demandes visant à escompter une chance d admission plutôt qu’à réaliser directement une souscription, toujours est-il que si la province a montré autant d’ardeur que Paris, il ne faut pas s’étonner du chiffre formidable annoncé par M. le ministre des finances, comme montant des offres de sous
cription. Trois milliards six cent millions francs, tel est ce chiffre officiel ! Les petites coupures de 50 francs de rente sont les seules qui ne soient pas sujettes à réduction.
Les nouvelles de Crimée se réduisent, connue la semaine dernière, aux dépêches du général Pélissier, et n’annoncent encore aucun résultat définitif qui puisse intéresser vive
ment le public; cependant tout le monde pressent qu’il se prépare un grand coup, et, quoiqu’il soit impossible de prévoir le point qui sera le théâtre de nos opérations, puis
que le projet définitif n’est peut-être pas encore arrêté par les généraux alliés, on peut espérer que le succès suivra de près la décision de nos généraux.
Depuis l’assaut du 18 juin, il est défendu à qui que ce soit de visiter le côté sud de Sébastopol, même aux militaires qui ne sont pas de service de ce côté. Il est également interdit de passer l’isthme de Pérécop, sans une permission du prince Gortschakoff ou du général Luders. C’est le général Vteluikoff qui est chargé d’organiser la défense intérieure de Sé
bastopol. Le général Todtleben, dont on avait annoncé la mort, n’est que blessé, et sa guérison est annoncée.
Une dépêche de Crimée, en date du 17 juillet, onze heures du soir, annonce au maréchal ministre de la guerre que le Phlégèlon venait d’arriver à Kamiesh, ramenant des pri
sonniers français échangés à Odessa contre des prisonniers russes que ce vapeur était allé prendre à Constantinople. L’échange des prisonniers de guerre va se continuer.
Les officiers français se louent beaucoup de la manière dont ils ont été traités par les Russes.
La dépêche se termine par ces mots : « Rien de nouveau devant la place. »
Une autre dépêche, en date du 25 juillet, à trois heures du soir, porte :
«Après un feu d’artillerie très-vif, l’ennemi a fait vers minuit une sortie par la gauche du petit Redan. Comme nous sommes très-près de lui, il ne lui a fallu qu’un instant pour arriver sur notre gabionnade. Il a été vigoureu
sement reçu par les chasseurs à pied de la garde impériale et par quelques compagnies du 10 régiment d’infanterie de ligne. Les Russes sont rentrés à la hâte, abandonnant quel
ques blessés et huit morts laissés entre nos embuscades et le fossé de la place. Une nuit profonde leur a permis d’en
lever le surplus. Cette affaire fait honneur au lieutenantcolonel de Taxis, de l’infanterie, et au capitaine du génie Lecucq. Le général Bisson était de tranchée. »
On voit par ces dépêches que la situation est à peu près la même que la semaine dernière. Les travaux de Kamiesh marchent toujours avec la même rapidité; à chaque instant on débarque une énorme quantité de munitions qui sont acheminées sans retard sur la ligne d’attaque. Le travail d’approche, du côté de la tour Malakoff, est poursuivi avec intrépidité : nous ne sommes plus qu à 35 ou âo mètres de l’ennemi; aussi est-il excessivement périlleux de se maintenir à pareille distance.
Le Moniteur du 27 donne la notification faite par les amiraux Dundas et Penaud, au nom de leurs souverains respectifs, du blocus des ports russes au nord de Hystadt ainsi que des îles d’Aland et autres.
Le journal des opérations de Crimée, transmis par le général Gortchakoff, ne contient que quelques détails sur les deux sorties déjà annoncées par les dépêches du général Pélissier, et qui ont été exécutées dans la nuit du 7 au 8 juillet.
Les nouvelles de Kars vont jusqu’au 26 juin. A cette date les Russes continuaient à camper à une lieue de distance de cette ville. Les Turcs, de leur côté, se fortifiaient de plus en
plus et avaient des approvisionnements pour deux mois. La veille du départ du courrier, la nouvelle était arrivée qu’une année ennemie de 10,000 hommes avait paru du côté de Chipakli.
Tout l’intérêt de la situation de l’Allemagne se résume en ce moment dans la dernière décision de la Diète de Francfort. Sur l’opposition de la Prusse, le cabinet autri
chien avait retiré la demande qu’il avait faite, que la Diète de Francfort acceptât les quatre garanties, et se r endit ainsi solidaire de sa politique. Puis voici que le vole du 26 laisse subsister les anciennes décisions de la Diète, inspirées par l’Autriche. C’est une compensation qui lui est accordée. Ainsi l’Allemagne, suivant les errements con
stants de sa politique, consent d’un côté à se tenir prête pour l’éventualité d’une guerre défensive, et de l’autre, sous l’inspiration de la Prusse, elle refuse de s’engager au delà de ce qu’elle considère comme étant l’intérêt germanique.
C’est, comme on voit, toujours la même politique hésitante et soi-disant habile. Corrigeant aussitôt ce que ses décisions peuvent avoir de trop obligatoire, sa devise est : attendre !
La Gazette de Vienne publie l’ordonnance relative à la convocation des commissions centrales dans le royaume Lombardo-Vénitien, et par laquelle les congrégations centrales pour les provinces sont convoquées et doivent reprendre leurs fonctions, les premières à Milan, les secondes à Ve
nise, à partir du jour fixé par le gouverneur général. Malgré les dénégations du journal officiel de Vienne, les troupes autrichiennes ont reçu l’ordre de retourner en Italie.
Le Vote de la Chambre dès communes, en Angleterre, de l’emprunt turc, a eu pour résultat de donner une plus grande force à la majorité dans le vote définitif, et Rassem
blée en cela n’a fait que suivre l’opinion publique; lord Palmerston pourra donc arriver jusqu’à la prochaine ses
sion, à moins, comme le croient beaucoup de gens, que le cabinet ne s’écroule par le fait des dissensions intérieures, et sans qu’il soit nécessaire de troubler les esprits par une dissolution du Parlement. Il est fortement question du rem
placement du major général Simpson, récemment prpmu au grade de lieutenant général avec le grade de général en Crimée et en Turquie.
Les deux membres du cabinet nouvellement nommés, sir Benjamin Hall et sir William Molesworth, viennent d’être réélus par les collèges de Southvarek et de Marylebone.
Sir Charles Napier s’était présenté comme candidat; il a rappelé dans son discours ses anciennes plaintes contre le gouvernement et surtout contre sir J. Graham.
Le 25 juillet ont eu lieu, à Bristol, les obsèques de lord Raglan. Les journaux expriment le regret que la dépouille du noble lord ne repose pas sous le gazon de la Crimée, auprès des restes du vaillant Cathcart, ce qui eût mieux valu que cette cérémonie insignifiante, pâle copie des obsèques des derniers héros britanniques.
Les nouvelles d Espagne présentent toujours ce malheureux pays comme déchiré par les dissensions qui rendent impossible en ce moment une organisation même précaire,
malgré la bonne volonté des hommes placés à la tête des affaires.
Après les troubles de la Catalogne, on annonce que des mouvements viennent d’éclater à Badajoz. La population se plaignait du rétablissement de certains droits municipaux.
Le choléra fait toujours de grands ravages dans la capitale.
Le prince Napoléon vient d’adresser à MM. les présidents de classe du jury international, au sujet des récompenses, une circulaire pour annoncer que toute considération d’origine ou de nationalité, tout souvenir de récompenses antérieures doivent être écartés par les juges du concours uni
versel ouvert en ce moment. Voici la dénomination de ces récompenses : la médaille d’or prendra le titre de grande médaille d’honneur ; la médaille d’argent prendra le titre de médaille de première classe ; la médaille de bronze pren
dra le titre de médaille de deuxième classe; la mention honorable conservera son nom.
Le Moniteur, auquel nous renvoyons, a publié cette semaine plusieurs rapports ministériels, suivis d’ordonnances impériales, parmi lesquelles on a remarqué comme la plus importante la réunion des compagnies de Gaz en une seule compagnie, et le renouvellement du bail des compagnies fusionnées pour cinquante an?, à la condition d’un abaisse
ment considérable dans le prix du gaz pour la ville et les particuliers. Paulin.
Chronique musicale.
Les concours du Conservatoire ont commencé la semaine dernière, et sont terminés aujourd’hui. En général, ils ont fait un égal honneur aux professeurs et aux élèves. Les classes instrumentales ont soutenu leur vieille réputation. C’est tout ce qu’on peut demander à la plupart d’entre elles,
surtout à celles de violon et de piano. Le premier prix de violon a été partagé entre deux élèves de M. Allard, MM. Martin et Accursi. Tous deux sont dignes de leur maî
tre. Le premier prix de piano a été de même partagé entre deux élèves de M. Marmontel, dont le plus âgé n’a pas treize ans. L’habileté d’exécution étant à peu près égale chez tous les concurrents, les juges, pour sortir d’embarras, avaient imaginé de leur donner un problème à résoudre, — une pièce manuscrite, composée pour la circon
stance, réunissant toutes les difficultés imaginables, et qu’il fallait jouer à première vue devant l’auditoire le plus impo
sant. Les deux bambins en question se sont tirés de cette difficile épreuve, non-seulement sans faire un seul faux pas, mais sans laisser apercevoir la moindre hésitation. Au reste, dans une joute de cette espèce, l’enfance a un immense avantage : elle n’a pas le sentiment du danger.
C’est un élève de M. Révial, M. Cœilte, qui a obtenu le premier prix de chant dans le concours masculin. Ce jeune homme a une voix forte et douce tout à la fois, un timbre flatteur et sympathique, de l’éclat dans le forte, du charme dans le piano, de l’expression et du style. M. Vincens, qui a obtenu le second prix, a une voix de baryton fort agréa
ble , une exécution correcte, de l’entrain et de la gaieté.


Aussi, trois jours après, le premier prix d’opéra-comique est-il venu doubler sa provision de lauriers.


Le concours féminin a été surtout remarquable. On en voit rarement d’aussi forts. Le jury, très-embarrassé, a dé
cerné trois premiers prix pour se tirer d’affaire, à M “c Rey- Balla, élève de M “ Damoreau, à M cs Dalmont et Caye, qïii ont eu toutes deux M. Masset pour professeur. M‘“ Dalmont,
qui a aussi obtenu le prix d’opéra-comique, sera, pour nos scènes lyriques, une charmante recrue. On comprend tout
l’intérêt de ce concours, où se révèle l’avenir de l’art. Celui de cette année autorise les plus brillantes espérances.
Le petit théâtre dont nous avons raconté naguère les débuts a obtenu un succès qui dépasse toutes les espé
rances. Chaque soir il se trouve trop étroit, et refuse des spectateurs. Dure nécessité pour une administration théâ
trale. En connaissez-vous beaucoup qui soient exposées à cet inconvénient?
Il vient d’augmenter de deux pièces son répertoire naissant. Le rêve d’une nuit d’été, et Pierrot clown ont vu le joui1, en même temps. Pierrot clown est un ballet panto
mime plein de mouvement, de péripéties bizarres, de crocsen-jambes, de chutes, de grilles, de coups de pied où vous savez, tl y en a seulement un peu trop, à notre avis. Pierrot clown amuse un peu trop longtemps de la même ma


nière. Mais il amuse beaucoup, et M. Derudder a un en


train, une gaieté, un inattendu, une invraisemblance de mouvements vraiment prodigieux.
Le ltévc d’une nuit d’été est un tableau plutôt qu’une pièce. Deux Anglais, au bal Mabille, se disputant le cœur d’une des divinités du lieu. Voilà tout, et nous ne saurions vous dire lequel, de M. John ou de M. Gray, l’emporte sur son concurrent. Nous croyons même pouvoir affirmer que tous deux échouent, tant la morale, exerce aux Bouffes pa
risiens un despotique empire. Le plus puissant moyen d’effet sur lequel l’auteur paraisse avoir compté est le jargon des deux insulaires. Cela est un peu usé aujourd’hui, et d’ailleurs deux acteurs raides tous deux, ayant tous deux leur chapeau renversé sur l’occiput, parlant avec le même accent, émettant les mêmes inflexions grotesques, et faisant les mêmes coq-â-l’âne, se nuisent nécessairement l’un à l’autre. Il y a dans la partition, qui est de M. Offenbach, comme les précédentes, un air extrêmement plaisant, trèsoriginal, et que VI. Bértelier dit à merveille ; puis un air à trois voix, très-amusant aussi, où l’auteur a tiré, de ces simples mots: Very yood, un effet rhythmique des plus singuliers. Croyez-nous : la musique qui fait rire est fort rare, et n’en écrit pas qui veut.
Il faut mentionner encore l’ouverture, qui est très-courte, et dont la deuxième partie est une valse très-légère et d un laisser-aller charmant. Mais nous voulions parler surtout du début, qui est d’un ingénieux, d’une délicatesse .et d’une élégance remarquables, et auquel on n’a qu’un reproche à faire : celui de finir trop tôt.
Un petit théâtre du boulevard, jusqu’ici exclusivement consacré à la pantomime, vient d’obtenir l’autorisation d’a­
jouter à son répertoire des opérettes à trois personnages, et il en a aussitôt profité. Nous avons assisté, dernièrement à la première représentation d un Ténor très-léger, opéra de grande roule. Cet essai n’est pas aussi heureux que ceux de VI. Offenbach. Cela n’a pas une grande valeur mu
sicale. C’est moins un opéra qu’un vaudeville avec des airs nouveaux, ou qui tâchent de l’être. Mais ces efforts méritent du moins d’être encouragés.
Pelit poisson deviendra grand, Pourvu que Dieu lui prête vie.
Dans une salle aussi jolie que celle des Folies-Nouvelles, une administration intelligente arrivera promptement, nous n’en doutons pas, à des résultats satisfaisants, où l’art trouvera son compte.
A cela près, rien de nouveau dans les théâtres. La canicule • est pour eux la morte-saison. Cependant les Vêpres sicilien
nes fournissent à l’Opéra une glorieuse carrière. Ce théâtre nous prome l pour le mois procl tain la première représentation d’un ouvrage en trois actes, dont l’auteur n’est rien moins qu’un prince souverain, Mgr le duc Ernest de Saxe-Co
bourg-Gotha. L’ouvrage, intitulé Sainte-Claire, a déjà été joué en Allemagne, au théâtre de la cour de Gotha et de Cobourg. Avons-nous besoin d’ajouter qu’il y a complètement réussi ?
M“* Marcolini, qui s’est fait entendre dernièrement dans un concert, est une fort belle personne dont la voix est étendue et très-agile. On pourrait lui souhaiter seulement plus dé timbre et des sons élevés produits avec moins d’ef
fort. Mais elle a des qualités précieuses, de la verve, du brio, comme on dit par delà les monts, et beaucoup d’élé
gance. M“e Valli, qui s’est fait entendre à côté d elle, est un contralto d’une belle étendue et d’une sonorité énergique. Elle a fort bien dit avec la bénéficiaire le duo du pre
mier acte de Semiramidc. VI. Fumagalli, qui a joué à ce concert sa fantaisie sur Norma, pour la main gauche seule, y a recueilli sa part, — une part copieuse, — d’applaudissements et de bravos.
— Nous devons depuis longtemps un compliment à M. O’Kelly, jeune compositeur dont nous avons sous les yeux un recueil intitulé : Album de la Légion d’honneur.
Il est composé de six mélodies, dont la dernière est un joli petit duo. M. O’Kelly est un harmoniste élégant, et sa mé
lodie a beaucoup de grâce. On nous anonce de lui, pour le 2 août prochain, un poème lyrique qui aura nom : Paraguassit, et qui sera exécuté au Théâtre-Lyrique, au béné
fice de l’Association des musiciens. Paraguassù est un titre passablement bizarre : mais nous offrons de parier que la musique de M. O’Kelly sera correcte, facile, et pleine de naturel.
— On imaginerait difficilement une carrière plus laborieuse et mieux remplie que celle de M. Panseron. Après avoir publié une quantité presque innombrable de roman
ces, — plusieurs sont fort distinguées, et personne n’a pu les oublier, — il a consacré à l’enseignement le travail de son âge mûr. Ses solfèges différents sont connus de tout le monde, ainsi que ses méthodes de chant, et nous pouvons nous dispenser d’insister sur leur mérite, qui n’est pas con
testé. M. Panseron vient, il y aquelques mois, d’augmenter son œuvre didactique d’un gros volume intitulé : Traité de l’harmonie pratique et des modulations. Nous annoncions l an passé un ouvrage du même genre de M. Henri Cohen,