remarquable surtout par son laconisme. Celui de M. Pauseron est remarquable, au contraire, par l’abondance et l’é tendue des développements. On ne verra jamais deux systèmes plus complètement opposés.
Nous ne blâmons ni l’un ni l’autre. It y a des esprits actifs pour lesquels il suffit de poser les prémisses, et qui dé
duisent immédiatement les conséquences. D’autres ont moins d initiative et de logique, et ont besoin d’une main amie et patiente, qui les guide et les soutienne jusqu’au der
nier terme d un raisonnement. Beaucoup d’élèves ont plus d’instinct et de mémoire que d’intelligence. A ceux-là ii faut des détails sans nombre, et des exemples pour tous les cas.
Ils ne, s’inquiéteraient guère de suppléer ce qu’on aurait omis. C’est pour eux surtout qu’a travaillé M. I’anseron.
ils trouveront dans son, ouvrage ce qu’ils chercheraient ou vain partout ailleurs. Non-seulement Ni. Panseron ne donne jamais une règle sans en présenter aussitôt l appli
cation, mais il en présente toutes les applications possibles, et, ce qu’il a montré dans un ton, il le reproduit successi
vement dans tous les autres. Avec lui, l’élève n’a jamais la peine de chercher.
Afin de rendre le travail plus facile, il a écrit tous les exemples pour le piano. 11 a eu grandement raison. Les exemples écrits pour un quatuor vocal selon la méthode ancienne ne se pouvaient lire que des yeux. Est-ce donc pour les yeux que l’on fait de l’harmonie ? Grâce a piano les combinaisons sonores n’ont plus rien d’abstrait, elles prennent un corps, pour ainsi dire, et l’oreille, seul juge naturel et légitime de toute question musicale, peut consta
ter immédiatement l’exisience de chaque fait énoncé, comme la convenance de chaque précepte.
L’ouvrage de M. Panseron est divisé en trois parties. Tous les faits harmoniques sont présentés clans la première, nous c oulons dire tous les accords et la manière de s’en servir. C’est un cours, un cours très-complet d’harmonie et d’ac
compagnement. On y trouve, il est vrai, plus de pratique que de théorie. L’élève qui se sera assimilé, par une étude attentive et patiente, les cent vingt-huit pages dont il se compose, sera peu disposé peut-être à raisonner sur la na
ture et la génération des accords ; mais il en connaîtra par
faitement l’emploi. N’est-ce pas là, en définitive, le but qu’il s’agissait d’atteindre ?
La deuxième partie traite de l’art de moduler, c’est-à-dire de passer d’un ton dans un autre. N!. Panseron enseigne à passer d’un ton donné dans tous les autres, à y passer par le chemin le plus court, et par une marche régulière et cer
taine. L’harmoniste formé à son école, quelque modulation que vous lui demandiez, l’effectuera immédiatement, sans chercher, sans hésiter un seul instant, par l’application d’une règle simple et infaillible. Cette règle, M. Panseron en est l’inventeur. Personne ne lui contestera ce mérite, et, au bout de cinq minutes fil ne faut pas davantage pour l’exposer), fout. Je monde reconnaîtra combien elle est ingénieuse et d’une facile application.
La troisième partie contient cinquante leçons d’harmonie pratique, écrites pour le piano, sur des liasses chiffrées,
quelques autres composées par les meilleurs harmonistes de notre Conservatoire, puis une collection volumineuse de basses chiffrées dont l’élève devra remplir l’harmonie, puis un certain nombre de mélodies dont il devra chercher la basse. Nous ne .connaissons rien de plus complet en ce genre, rien qui rende la lâche d’un professeur plus facile, rien aussi qui soit plus propre à le suppléer.
M. Jules Heinz, éditeur, vient de publier deux morceaux de piano brillants et point trop difficiles, et auxquels, par conséquent, un grand succès est assuré. On y retrouve avec plaisir quelques-uns des thèmes les plus heureux de Jaguarita. M. Ketterer a arrangé, pour l’usage des pianistes, l’air que chante Ni“e Cabel au premier acte : Gentil colibri,
mon doux ami, etc., et en a fait une pièce instrumentale pleine de fantaisie et d’éclat. M. Burgmifller a transcrit et développé le final du premier acte, ce chœur : O nuit tuté
laire, qui fait tant d’effet, et une valse du second acte, avec cette connaissance de l’instrument, cette grâce et cette élé
gance qui sont le cachet de toutes ses compositions. Les
jeunes pianistes que l’été a chassés de Paris et dispersés sur tous les points de la France, nous sauront gré, sans aucun doute, de leur apprendre l’apparition de ces deux nouveautés.
Un autre éditeur, M. Sylvain Saint-Etienne, a fait paraître un album à deux fins, car le chant et la danse, y ont une part à peu près égale. Un quadrille de M. Musard, une polka de M. l’asdeloup, une série de valses de M. Bousquet, y sont précédés d’une Romance sans paroles, — Ce qui veut dire petit amiante pour le, piano, — de VL Félicien David, d’une chansonnette de Vf. Ad. Adam, et d’un cantique de VI. Halevy, écrit avec toute la distinction habituelle à ce compositeur. Le tout accompagné de jolies lithographies, est intitulé : Album de l’Exposition, ce qui nous fait pré
sumer (pie VL Sylvain Saint-Etienne l’a exposé. Il a bien fait. Cette publication n’est pas seulement remarquable par sa valeur musicale ; elle l’est aussi par l’exécution matérielle, et fait honneur à la gravure française.
G. HÉQUET.
Courrier de Paris.
Notre mois d’août sera bien mémorable. 11 était si joli dans les almanachs du bon vieux temps, alors qu’à Ciioisy mi bien à Trianon un essaim de bergères enguirlandées par W atteau, la rose au sein et la perle au cou,
Dépouillaient à l’envi les guérets,
Et, la laucille en main composant des javelles, Donnaient mil e grâces nouvelles A ces richesses de Gérés.
Soupirer l’idylle à la campagne, ou s en aller faire du sentiment aux eaux, la sensible Climène et Chloris la bucolique
n’y songent plus. Les beautés de ville et les beautés de cour, tout le monde reste à Paris pour faire cortège à sa gracieuse majesté Victoria. On est affamé de voir une reine et d’en cire vu. On se promet toutes les joies de l’hiver en plein été, et d’abord la remonte des atours est générale. Entre ces dames anglo-lrançaises il s’agit d’une lutte intéressante.
Aussi que de belles parures en préparation, et combien de charmants visages en réparation, j’entends ceux qui servent depuis longtemps et qu’on ne saurait abandonner à euxmêmes. De ITui et de l’autre côté du détroit, toutes les épées féminines sont tirées, tous les diamants sortent de leurs écrias, il y eu aura une exposition à faire pâlir celle du palais de Cristal. Delhi, Goleonciè et le Caucase, ces dé
pendances du soleil, ayant livré leurs plus radieux cailloux à l’aristocratie britannique, ce n’est pas sur ce terrain que la France peut se flatter d’éclipser l’Angleterre. Mais trêve à ces pompes de l’avenir, l’heure présente n’est pas moins somplueuse et affairée.
. L’emprunt, avez-vous de l’emprunt? telle est l’interrogation dont on se salue, et qui remplace avantageusement le Bonjour et le Gomment vous portez-vous. Les souscrip
tions demandées, sinon recueillies, s’élèvent, dit-on, au chiffre de trois milliards , mais ce dit-on là est trop mo
deste. Dans ces derniers jours, qu’est-ce qui n’a pas essayé
de prêter de l’argent au gouvernement? Tout le monde s’en, mêle, les grands capitalistes et les petits rentiers, et même ceux qui ne sont ni l’un ni l’autre. Cet emprunt national a reçu Passant de tous les patriotismes et non de toutes les cupidités, comme disent les méchants esprits. Combien de Tantales sans le sou, alléchés par la bonne odeur Avtnanan, ont passé différentes nuits blanches à la queue, dans l’es
poir de céder leur tour au bourgeois? Cette corvée valait bien un courtage sans doute, et pourtant l’industrie de ces vendeurs à prime a élé jugée illégale, et on les a mis à la porte, comme s’ils n’y étaient pas.
Après cela, plus de bruit que de besogne, c’est un peu la devise de notre semaine. On vous parlerait bien d’un mariage singulier, mais il faudrait le mettre au pluriel, et cela nous mènerait trop loin; item d’un duel entre gens illustres..., par bonheur l’affaire est arrangée; d’un bal gigantesque? malheureusement l’affaire est dérangée. Niais les curiosités? nous y viendrons. Et les procès? nous y voilà. Dans quelles régions de la société ne s’est-on pas chamaillé un peu ? On
a plaidé de tous côtés à propos de tout, et principalement à propos de millions à recueillir. Le procès de la succession
Michel offre ce détail curieux, que les collatéraux disputaient au légataire le bénéfice du testament fait en sa faveur, par la raison qu il n’est pas le filleul, mais tout simplement le fils de l’opulent défunt. Et, puisqu’il existe, — de par le code, — certaines circonstances où il est défendu à un père de laisser de quoi vivre à son enfant, c’est par cette brèche que les assaillants voulaient entrer dans l’héritage, dont la justice les a repoussés. Le dénoûment de l’affaire Ridgway n’est pas moins instructif pour les gens trop pressés de se partager la dépouille des morts. En se hâtant de recueillir la succession de la duchesse de Plaisance, deux nobles familles avaient oublié le principal héritier de la ligne pater
nelle. M * de ltldgway ne s’étant pas présentée au partage,
c’est que, par un motif ou l autre, elle ne s’en croyait pas le droit. Ainsi raisonnaient, avec force pièces à l appui de l’ex
clusion demandée, les représentants de la ligne maternelle. Mais leur raisonnement était vicieux, et la justice l’a re
dressé. Il va sans dire que ce démêlé ne saurait nuire à la considération des adversaires, les millions de NI™ de Plai
sance n’étant pas de ceux qu’on est obligé de laver en famille.
Est-ce que cette lune rousse de la chicane exercerait aussi son influence dans les régions autrefois sereines de la littérature et des beaux-arts? Dans ces domaines, soi-disant enchantés, où il y a si peu de chose à se partager, quelques amours-propres sont en train de se prendre aux cheveux. L’une de ces altercations se poursuit même ou se poursuivra en police correctionnelle. Un jeune auteur, bruyam
ment accusé d’avoir mangé l’herbe d’autrui dans un de ses romans, en donnant pour siennes quelques pages dont il
est simplement le traducteur, demande aux \ ris torques qui l’ont si mal mené une réparation ; rien de mieux, si la correction est jugée trop forte pour le délit. Niais réclamer cinq cents francs de dommages et intérêts, voilà qui gâterait tout, et, puisque le jeune auteur se plaint de la violence de ses adversaires, pourquoi laisser échapper l occasion de leur donner un exemple de modération en la prati
quant? Que dites-vous de cette accusation de plagiat par la littérature qui court ? Puisqu’on se plait à lancer la foudre, pourquoi la diriger contre des pécadilles.
Ecce iterùm le docteur Véron, dont on ne parlera plus seulement pour Mémoires ; ce Mécène fonde une nou
velle revue , — par la raison qu’il n’y en a point assez, — et il en sera le principal rédacteur ; il aspire, à des
cendre. La chose sera sonore, s’il faut juger de la fiole d’après son étiquette: l’Intelligence. Nos pères, sur ce point comme sur une infinité d’autres, avaient le goût meilleur, ltenaudot, cet autre docteur, se contentait du mot de Gazette; Prévost faisait le Pour cl le Contre; Fréron,. l’Année littéraire; Laporte, l’Observateur. D’autres encore, le Spectateur, P Eclaireur, le Rôdeur, enseignes modestes qui tenaient parfois tout ce que les modernes ne se lassent point de promettre. 11 est vrai que le Mercure galant, licence poétique de Visé, prêtait le flanc aux rail
leurs à cause de son épithète ; mats, quand la prose l’eu eut délivré, Diderot et les beaux esprits ses collaborateurs ne. voulurent pas accepter cette enseigne prétentieuse et ron
flante, /’Intelligence, un titre tout neuf pour nous autres, à ce qu’il paraît, et déjà usé de leur temps, comme vous voyez.
A propos de la physionomie de plus en plus florissante et encombrée de notre Paris, prenons garde aux redites. Il est à craindre que les chemins de fer, cette grande in
dustrie d’été, qui lui enlève son plus beau mopde, ne lui en amène bientôt plus que son hospitalité n’en saurait héber
ger. Il y a des arrivages de toutes les latitudes et de toutes les couleurs; c’est maintenant qu’on peut dire que l’Exposition est complète. Parmi ces étrangers, la curiosité s’attache de préférence au jeune Chinois, fils ou neveu, et l uni
que héritier du plus riche nabab de l’Orient, un ci-devant marchand de thés. Cet intéressant, Pou-Ili-Lee, — loi est à peu près son nom qu’il est permis d’écorcher tout vif, — n’est pas un hôte de passage, il est venu en France pour s’y établir, on va lui bâtir une demeure gigantesque au clos Saint-Lazare, dont il accapare en ce moment les terrains vagues; les exposants n’ont pas de meilleure clientèle que la sienne, et sa générosité-, qui ne sail pas compter, les délivrera de leurs produits les plus dispendieux et les plus incommodes. Quoique excessivement grisé de notre civilisa
tion dont les élégances l’enchantent, il a toujours le cœur chinois, et il ne cesse de revendiquer très-justement pour son pays l’honneur de ces découvertes dont les Européens se glorifient le plus, car enfin ils n’ont pas inventé la pou
dre, ni l’imprimerie, ni le gaz, ni la boussole, ni le jeu d’é chec, autant d’inventions purement chinoises.
J’arrive, sans transition, au Jardin d’Itiver pour rendre hommage à sa dernière fête avec tous ceux qui ont eu le bonheur de la voir. Quelle affluence et même quelle cohue !
on s’étouffait dehors, on étouffait dedans ; sauf cet effet de serre chaude, la nuit a été délicieuse. Jamais encore plus charmantes constellations n’avaient brillé sous ce ciel en verre poli. La plupart de ces dames (le l’art dramatique étaient là, le sourire aux lèvres et l’éventail eu main, entou
rées, j ai presque dit adorées comme des divinités, par la foule des conviés étrangers et indigènes. Ce n’est que de
vant l’aurore aux doigts de rose et si fatale aux teints les plus authentiques que ces dames ont dû s’enfuir connue de simples mortelles. Ainsi ce Jardin d’Hiver se prête aux plus aimables destinations ; tout y fleurit en même temps, la plante, la musique et la polka. Mais son plus curieux ve
nez-y-voir, c’est encore le panorama de Sébastopol, vaste et magnifique tableau de la ville assiégée, et dont M. Paul Ernest a conçu l’idée et dirigé l’exécution avec un succès complet.
M“e Rachel est décidément partie pour P Amérique, où elle va jouer la tragédie en famille pour assurer la fortune de tous les siens. Son absence durera quinze mois. La caravane se compose de ses sœurs, M es Sarah et Lia Félix, l’une et l’autre engagée à 200 l r. par jour, et nourries ! La plus jeune, NtllcDinah, qui fait encore ses dents tragiques, devra se con
tenter de AO,000 fr. par an. Le reste de la compagnie, aussi généreusement rétribué, consiste en quelques utilités pour donner la réplique. Les avantages assurés à l impré
sario sont en:,ore plus magnifiques, puisque, déduction faite des quatre ou cinq millions que. nécessitent les frais généraux de l entreprise, M. Raphaël Félix en partagera les bé
néfices avec sa sœur. Un incident renouvelé du roman co
mique, c’est qu’au moment du départ, un créancier trop exigeant a retenu la malle du futur millionnaire.
Le Théâtre-Français, un peu pris au dépourvu par le congé que se donne la tragédie, vient d’appeler le drame à remplir l’intérim, et l’on ira voir Misanthropie et Repentir, rajeunie par l’excellente traduction de Gérard de, Nerval. Représentée pour la première fois en Allemagne, vers 1787, et ac
cueillie, avec des transports larmoyants, la pièce de Kolzebue mit quinze, ans à passer le Rhin. Son premier traducteur, qui était une traductrice, n’osa pas risquer sa version au théâtre. Malgré le précédent de. la Mère coupable, Eulalie,
la femme, adultère, eut effarouché un parterre français et révolté la morale du gouvernement : c’était le Directoire. Un peu plus tard cependant, la pièce fut essayée et réussit jus
qu’au scandale. Le drame devint parfois aussi tragique dans la salle, que sur la scène, et plus d’un mari, moins miséri
cordieux que l’époux d’Eulalie, répudia sa femme pour être tombée en syncope. Aujourd’hui ces effets foudroyants ne sont plus à craindre, notre fibre dramatique s’est endurcie,
et, à supposer que la pièce soit un miroir, personne, ne se verra dedans. A défaut des éléments d’un succès de vogue,
rien ne manque au nouveau Misanthropie et Repentir pour figurer dans le répertoire courant ; l’ouvrage en lui-même n’est pas très-littéraire, mais sa traduction l’est beaucoup, et tout le monde l’a bien joué.
Le boulevard du crime mériterait bien un autre nom, c’est le boulevard de toutes les folies ou Folies-Nouvelles,
un petit théâtre qui a grandi vite, car, la mode ayant adopté ce bijou, il n’a rien négligé pour s’en rendre digne. Variété, c’est sa devise. Tous les genres lui sont bons, et il est bon pour tous les genres. D’abord il était muet, il parlait peu ou point, mais le succès lui a délié la langue, et mainte
nant ce mime et ce danseur sans un filet de voix chante comme un rossignol. Il va sur les brisées de la salle Favart et joue l’opérette, c’est presque un quatrième théâtre lyri
que. Un Ténor trop léger est en musique le coup d’essai des Folies-Nouvelles, en attendant un coup de maître. Je ne sais rien de plus gentil et de plus agréable que ce petit air de flûte joué entre deux arlequinades ou pierrotades qui vous font bondir d’hilarité, et qu’on appelle Pierrot peu délicat et les Statues. Dans le voisinage, le Théâtre-National, repentant de son chauvinisme, a encloué ses canons et con
gédié ses grognards; il a maintenant le petit mot pour rire et nous rend les dragées de son baptême, les Pilules du Diable. C’est bien une vingtième reprise et il n’y paraît guère, tant la féerie est chose immortelle, surtout quand elle est amusante et qu’un bon génie l’a douée à sa nais
sance de cet attribut suprême, je veux dire l’esprit qui est la clef d’or du succès.
Après la reprise la surprise, ou le Paris du théâtre de la Porte-Saint-Martin. La pièce, qui a des intentions d’épopée et qui dévie parfois vers le symbole, est une pièce très-vi
vante. C’est une vue à vol d’oiseau des métamorphoses de la grande ville et de ses destinées pendant dix-huit siècles ;
Nous ne blâmons ni l’un ni l’autre. It y a des esprits actifs pour lesquels il suffit de poser les prémisses, et qui dé
duisent immédiatement les conséquences. D’autres ont moins d initiative et de logique, et ont besoin d’une main amie et patiente, qui les guide et les soutienne jusqu’au der
nier terme d un raisonnement. Beaucoup d’élèves ont plus d’instinct et de mémoire que d’intelligence. A ceux-là ii faut des détails sans nombre, et des exemples pour tous les cas.
Ils ne, s’inquiéteraient guère de suppléer ce qu’on aurait omis. C’est pour eux surtout qu’a travaillé M. I’anseron.
ils trouveront dans son, ouvrage ce qu’ils chercheraient ou vain partout ailleurs. Non-seulement Ni. Panseron ne donne jamais une règle sans en présenter aussitôt l appli
cation, mais il en présente toutes les applications possibles, et, ce qu’il a montré dans un ton, il le reproduit successi
vement dans tous les autres. Avec lui, l’élève n’a jamais la peine de chercher.
Afin de rendre le travail plus facile, il a écrit tous les exemples pour le piano. 11 a eu grandement raison. Les exemples écrits pour un quatuor vocal selon la méthode ancienne ne se pouvaient lire que des yeux. Est-ce donc pour les yeux que l’on fait de l’harmonie ? Grâce a piano les combinaisons sonores n’ont plus rien d’abstrait, elles prennent un corps, pour ainsi dire, et l’oreille, seul juge naturel et légitime de toute question musicale, peut consta
ter immédiatement l’exisience de chaque fait énoncé, comme la convenance de chaque précepte.
L’ouvrage de M. Panseron est divisé en trois parties. Tous les faits harmoniques sont présentés clans la première, nous c oulons dire tous les accords et la manière de s’en servir. C’est un cours, un cours très-complet d’harmonie et d’ac
compagnement. On y trouve, il est vrai, plus de pratique que de théorie. L’élève qui se sera assimilé, par une étude attentive et patiente, les cent vingt-huit pages dont il se compose, sera peu disposé peut-être à raisonner sur la na
ture et la génération des accords ; mais il en connaîtra par
faitement l’emploi. N’est-ce pas là, en définitive, le but qu’il s’agissait d’atteindre ?
La deuxième partie traite de l’art de moduler, c’est-à-dire de passer d’un ton dans un autre. N!. Panseron enseigne à passer d’un ton donné dans tous les autres, à y passer par le chemin le plus court, et par une marche régulière et cer
taine. L’harmoniste formé à son école, quelque modulation que vous lui demandiez, l’effectuera immédiatement, sans chercher, sans hésiter un seul instant, par l’application d’une règle simple et infaillible. Cette règle, M. Panseron en est l’inventeur. Personne ne lui contestera ce mérite, et, au bout de cinq minutes fil ne faut pas davantage pour l’exposer), fout. Je monde reconnaîtra combien elle est ingénieuse et d’une facile application.
La troisième partie contient cinquante leçons d’harmonie pratique, écrites pour le piano, sur des liasses chiffrées,
quelques autres composées par les meilleurs harmonistes de notre Conservatoire, puis une collection volumineuse de basses chiffrées dont l’élève devra remplir l’harmonie, puis un certain nombre de mélodies dont il devra chercher la basse. Nous ne .connaissons rien de plus complet en ce genre, rien qui rende la lâche d’un professeur plus facile, rien aussi qui soit plus propre à le suppléer.
M. Jules Heinz, éditeur, vient de publier deux morceaux de piano brillants et point trop difficiles, et auxquels, par conséquent, un grand succès est assuré. On y retrouve avec plaisir quelques-uns des thèmes les plus heureux de Jaguarita. M. Ketterer a arrangé, pour l’usage des pianistes, l’air que chante Ni“e Cabel au premier acte : Gentil colibri,
mon doux ami, etc., et en a fait une pièce instrumentale pleine de fantaisie et d’éclat. M. Burgmifller a transcrit et développé le final du premier acte, ce chœur : O nuit tuté
laire, qui fait tant d’effet, et une valse du second acte, avec cette connaissance de l’instrument, cette grâce et cette élé
gance qui sont le cachet de toutes ses compositions. Les
jeunes pianistes que l’été a chassés de Paris et dispersés sur tous les points de la France, nous sauront gré, sans aucun doute, de leur apprendre l’apparition de ces deux nouveautés.
Un autre éditeur, M. Sylvain Saint-Etienne, a fait paraître un album à deux fins, car le chant et la danse, y ont une part à peu près égale. Un quadrille de M. Musard, une polka de M. l’asdeloup, une série de valses de M. Bousquet, y sont précédés d’une Romance sans paroles, — Ce qui veut dire petit amiante pour le, piano, — de VL Félicien David, d’une chansonnette de Vf. Ad. Adam, et d’un cantique de VI. Halevy, écrit avec toute la distinction habituelle à ce compositeur. Le tout accompagné de jolies lithographies, est intitulé : Album de l’Exposition, ce qui nous fait pré
sumer (pie VL Sylvain Saint-Etienne l’a exposé. Il a bien fait. Cette publication n’est pas seulement remarquable par sa valeur musicale ; elle l’est aussi par l’exécution matérielle, et fait honneur à la gravure française.
G. HÉQUET.
Courrier de Paris.
Notre mois d’août sera bien mémorable. 11 était si joli dans les almanachs du bon vieux temps, alors qu’à Ciioisy mi bien à Trianon un essaim de bergères enguirlandées par W atteau, la rose au sein et la perle au cou,
Dépouillaient à l’envi les guérets,
Et, la laucille en main composant des javelles, Donnaient mil e grâces nouvelles A ces richesses de Gérés.
Soupirer l’idylle à la campagne, ou s en aller faire du sentiment aux eaux, la sensible Climène et Chloris la bucolique
n’y songent plus. Les beautés de ville et les beautés de cour, tout le monde reste à Paris pour faire cortège à sa gracieuse majesté Victoria. On est affamé de voir une reine et d’en cire vu. On se promet toutes les joies de l’hiver en plein été, et d’abord la remonte des atours est générale. Entre ces dames anglo-lrançaises il s’agit d’une lutte intéressante.
Aussi que de belles parures en préparation, et combien de charmants visages en réparation, j’entends ceux qui servent depuis longtemps et qu’on ne saurait abandonner à euxmêmes. De ITui et de l’autre côté du détroit, toutes les épées féminines sont tirées, tous les diamants sortent de leurs écrias, il y eu aura une exposition à faire pâlir celle du palais de Cristal. Delhi, Goleonciè et le Caucase, ces dé
pendances du soleil, ayant livré leurs plus radieux cailloux à l’aristocratie britannique, ce n’est pas sur ce terrain que la France peut se flatter d’éclipser l’Angleterre. Mais trêve à ces pompes de l’avenir, l’heure présente n’est pas moins somplueuse et affairée.
. L’emprunt, avez-vous de l’emprunt? telle est l’interrogation dont on se salue, et qui remplace avantageusement le Bonjour et le Gomment vous portez-vous. Les souscrip
tions demandées, sinon recueillies, s’élèvent, dit-on, au chiffre de trois milliards , mais ce dit-on là est trop mo
deste. Dans ces derniers jours, qu’est-ce qui n’a pas essayé
de prêter de l’argent au gouvernement? Tout le monde s’en, mêle, les grands capitalistes et les petits rentiers, et même ceux qui ne sont ni l’un ni l’autre. Cet emprunt national a reçu Passant de tous les patriotismes et non de toutes les cupidités, comme disent les méchants esprits. Combien de Tantales sans le sou, alléchés par la bonne odeur Avtnanan, ont passé différentes nuits blanches à la queue, dans l’es
poir de céder leur tour au bourgeois? Cette corvée valait bien un courtage sans doute, et pourtant l’industrie de ces vendeurs à prime a élé jugée illégale, et on les a mis à la porte, comme s’ils n’y étaient pas.
Après cela, plus de bruit que de besogne, c’est un peu la devise de notre semaine. On vous parlerait bien d’un mariage singulier, mais il faudrait le mettre au pluriel, et cela nous mènerait trop loin; item d’un duel entre gens illustres..., par bonheur l’affaire est arrangée; d’un bal gigantesque? malheureusement l’affaire est dérangée. Niais les curiosités? nous y viendrons. Et les procès? nous y voilà. Dans quelles régions de la société ne s’est-on pas chamaillé un peu ? On
a plaidé de tous côtés à propos de tout, et principalement à propos de millions à recueillir. Le procès de la succession
Michel offre ce détail curieux, que les collatéraux disputaient au légataire le bénéfice du testament fait en sa faveur, par la raison qu il n’est pas le filleul, mais tout simplement le fils de l’opulent défunt. Et, puisqu’il existe, — de par le code, — certaines circonstances où il est défendu à un père de laisser de quoi vivre à son enfant, c’est par cette brèche que les assaillants voulaient entrer dans l’héritage, dont la justice les a repoussés. Le dénoûment de l’affaire Ridgway n’est pas moins instructif pour les gens trop pressés de se partager la dépouille des morts. En se hâtant de recueillir la succession de la duchesse de Plaisance, deux nobles familles avaient oublié le principal héritier de la ligne pater
nelle. M * de ltldgway ne s’étant pas présentée au partage,
c’est que, par un motif ou l autre, elle ne s’en croyait pas le droit. Ainsi raisonnaient, avec force pièces à l appui de l’ex
clusion demandée, les représentants de la ligne maternelle. Mais leur raisonnement était vicieux, et la justice l’a re
dressé. Il va sans dire que ce démêlé ne saurait nuire à la considération des adversaires, les millions de NI™ de Plai
sance n’étant pas de ceux qu’on est obligé de laver en famille.
Est-ce que cette lune rousse de la chicane exercerait aussi son influence dans les régions autrefois sereines de la littérature et des beaux-arts? Dans ces domaines, soi-disant enchantés, où il y a si peu de chose à se partager, quelques amours-propres sont en train de se prendre aux cheveux. L’une de ces altercations se poursuit même ou se poursuivra en police correctionnelle. Un jeune auteur, bruyam
ment accusé d’avoir mangé l’herbe d’autrui dans un de ses romans, en donnant pour siennes quelques pages dont il
est simplement le traducteur, demande aux \ ris torques qui l’ont si mal mené une réparation ; rien de mieux, si la correction est jugée trop forte pour le délit. Niais réclamer cinq cents francs de dommages et intérêts, voilà qui gâterait tout, et, puisque le jeune auteur se plaint de la violence de ses adversaires, pourquoi laisser échapper l occasion de leur donner un exemple de modération en la prati
quant? Que dites-vous de cette accusation de plagiat par la littérature qui court ? Puisqu’on se plait à lancer la foudre, pourquoi la diriger contre des pécadilles.
Ecce iterùm le docteur Véron, dont on ne parlera plus seulement pour Mémoires ; ce Mécène fonde une nou
velle revue , — par la raison qu’il n’y en a point assez, — et il en sera le principal rédacteur ; il aspire, à des
cendre. La chose sera sonore, s’il faut juger de la fiole d’après son étiquette: l’Intelligence. Nos pères, sur ce point comme sur une infinité d’autres, avaient le goût meilleur, ltenaudot, cet autre docteur, se contentait du mot de Gazette; Prévost faisait le Pour cl le Contre; Fréron,. l’Année littéraire; Laporte, l’Observateur. D’autres encore, le Spectateur, P Eclaireur, le Rôdeur, enseignes modestes qui tenaient parfois tout ce que les modernes ne se lassent point de promettre. 11 est vrai que le Mercure galant, licence poétique de Visé, prêtait le flanc aux rail
leurs à cause de son épithète ; mats, quand la prose l’eu eut délivré, Diderot et les beaux esprits ses collaborateurs ne. voulurent pas accepter cette enseigne prétentieuse et ron
flante, /’Intelligence, un titre tout neuf pour nous autres, à ce qu’il paraît, et déjà usé de leur temps, comme vous voyez.
A propos de la physionomie de plus en plus florissante et encombrée de notre Paris, prenons garde aux redites. Il est à craindre que les chemins de fer, cette grande in
dustrie d’été, qui lui enlève son plus beau mopde, ne lui en amène bientôt plus que son hospitalité n’en saurait héber
ger. Il y a des arrivages de toutes les latitudes et de toutes les couleurs; c’est maintenant qu’on peut dire que l’Exposition est complète. Parmi ces étrangers, la curiosité s’attache de préférence au jeune Chinois, fils ou neveu, et l uni
que héritier du plus riche nabab de l’Orient, un ci-devant marchand de thés. Cet intéressant, Pou-Ili-Lee, — loi est à peu près son nom qu’il est permis d’écorcher tout vif, — n’est pas un hôte de passage, il est venu en France pour s’y établir, on va lui bâtir une demeure gigantesque au clos Saint-Lazare, dont il accapare en ce moment les terrains vagues; les exposants n’ont pas de meilleure clientèle que la sienne, et sa générosité-, qui ne sail pas compter, les délivrera de leurs produits les plus dispendieux et les plus incommodes. Quoique excessivement grisé de notre civilisa
tion dont les élégances l’enchantent, il a toujours le cœur chinois, et il ne cesse de revendiquer très-justement pour son pays l’honneur de ces découvertes dont les Européens se glorifient le plus, car enfin ils n’ont pas inventé la pou
dre, ni l’imprimerie, ni le gaz, ni la boussole, ni le jeu d’é chec, autant d’inventions purement chinoises.
J’arrive, sans transition, au Jardin d’Itiver pour rendre hommage à sa dernière fête avec tous ceux qui ont eu le bonheur de la voir. Quelle affluence et même quelle cohue !
on s’étouffait dehors, on étouffait dedans ; sauf cet effet de serre chaude, la nuit a été délicieuse. Jamais encore plus charmantes constellations n’avaient brillé sous ce ciel en verre poli. La plupart de ces dames (le l’art dramatique étaient là, le sourire aux lèvres et l’éventail eu main, entou
rées, j ai presque dit adorées comme des divinités, par la foule des conviés étrangers et indigènes. Ce n’est que de
vant l’aurore aux doigts de rose et si fatale aux teints les plus authentiques que ces dames ont dû s’enfuir connue de simples mortelles. Ainsi ce Jardin d’Hiver se prête aux plus aimables destinations ; tout y fleurit en même temps, la plante, la musique et la polka. Mais son plus curieux ve
nez-y-voir, c’est encore le panorama de Sébastopol, vaste et magnifique tableau de la ville assiégée, et dont M. Paul Ernest a conçu l’idée et dirigé l’exécution avec un succès complet.
M“e Rachel est décidément partie pour P Amérique, où elle va jouer la tragédie en famille pour assurer la fortune de tous les siens. Son absence durera quinze mois. La caravane se compose de ses sœurs, M es Sarah et Lia Félix, l’une et l’autre engagée à 200 l r. par jour, et nourries ! La plus jeune, NtllcDinah, qui fait encore ses dents tragiques, devra se con
tenter de AO,000 fr. par an. Le reste de la compagnie, aussi généreusement rétribué, consiste en quelques utilités pour donner la réplique. Les avantages assurés à l impré
sario sont en:,ore plus magnifiques, puisque, déduction faite des quatre ou cinq millions que. nécessitent les frais généraux de l entreprise, M. Raphaël Félix en partagera les bé
néfices avec sa sœur. Un incident renouvelé du roman co
mique, c’est qu’au moment du départ, un créancier trop exigeant a retenu la malle du futur millionnaire.
Le Théâtre-Français, un peu pris au dépourvu par le congé que se donne la tragédie, vient d’appeler le drame à remplir l’intérim, et l’on ira voir Misanthropie et Repentir, rajeunie par l’excellente traduction de Gérard de, Nerval. Représentée pour la première fois en Allemagne, vers 1787, et ac
cueillie, avec des transports larmoyants, la pièce de Kolzebue mit quinze, ans à passer le Rhin. Son premier traducteur, qui était une traductrice, n’osa pas risquer sa version au théâtre. Malgré le précédent de. la Mère coupable, Eulalie,
la femme, adultère, eut effarouché un parterre français et révolté la morale du gouvernement : c’était le Directoire. Un peu plus tard cependant, la pièce fut essayée et réussit jus
qu’au scandale. Le drame devint parfois aussi tragique dans la salle, que sur la scène, et plus d’un mari, moins miséri
cordieux que l’époux d’Eulalie, répudia sa femme pour être tombée en syncope. Aujourd’hui ces effets foudroyants ne sont plus à craindre, notre fibre dramatique s’est endurcie,
et, à supposer que la pièce soit un miroir, personne, ne se verra dedans. A défaut des éléments d’un succès de vogue,
rien ne manque au nouveau Misanthropie et Repentir pour figurer dans le répertoire courant ; l’ouvrage en lui-même n’est pas très-littéraire, mais sa traduction l’est beaucoup, et tout le monde l’a bien joué.
Le boulevard du crime mériterait bien un autre nom, c’est le boulevard de toutes les folies ou Folies-Nouvelles,
un petit théâtre qui a grandi vite, car, la mode ayant adopté ce bijou, il n’a rien négligé pour s’en rendre digne. Variété, c’est sa devise. Tous les genres lui sont bons, et il est bon pour tous les genres. D’abord il était muet, il parlait peu ou point, mais le succès lui a délié la langue, et mainte
nant ce mime et ce danseur sans un filet de voix chante comme un rossignol. Il va sur les brisées de la salle Favart et joue l’opérette, c’est presque un quatrième théâtre lyri
que. Un Ténor trop léger est en musique le coup d’essai des Folies-Nouvelles, en attendant un coup de maître. Je ne sais rien de plus gentil et de plus agréable que ce petit air de flûte joué entre deux arlequinades ou pierrotades qui vous font bondir d’hilarité, et qu’on appelle Pierrot peu délicat et les Statues. Dans le voisinage, le Théâtre-National, repentant de son chauvinisme, a encloué ses canons et con
gédié ses grognards; il a maintenant le petit mot pour rire et nous rend les dragées de son baptême, les Pilules du Diable. C’est bien une vingtième reprise et il n’y paraît guère, tant la féerie est chose immortelle, surtout quand elle est amusante et qu’un bon génie l’a douée à sa nais
sance de cet attribut suprême, je veux dire l’esprit qui est la clef d’or du succès.
Après la reprise la surprise, ou le Paris du théâtre de la Porte-Saint-Martin. La pièce, qui a des intentions d’épopée et qui dévie parfois vers le symbole, est une pièce très-vi
vante. C’est une vue à vol d’oiseau des métamorphoses de la grande ville et de ses destinées pendant dix-huit siècles ;