Chronique littéraire.
Si la compagnie des morts illustres est pleine, avec \l. Viennet, d enseignements philosophiques, celle des Morts inconnus, avec M. Pelleta», a aussi sa leçon touchante et onctueuse. Les superbes ne sont plus rien,


Et dans ces grands tombeaux où leurs âmes hautaines


Font encore les vaines,


Ils sont rongés des vers !


Les humbles et les anonymes, couchés sous le commun gazon du cimetière de village, se relèvent, puisque les voilà
les égaux de. qui les dominait et les éclipsait, outre qu’une justice pieuse et tardive peut leur apporter la glorification d une vie obscure et utile.
C’est cette noble tâche qu’a entreprise, pour quelques
uns de ces pauvres morts fauchés comme l herbe banale, M. Eugène Pelletan en un très-beau livre, le Pasteur du désert, premier épisode de la série des Morts inconnus,
auquel nous pensons bien que ne s’arrêtera pas l’auteur de la Profession de foi du dix-neuvième siècle.
On appelait encore pasteurs du désert, à la fin du siècle dernier, ces ministres évangélique? que n’arrêtaient, dans la poursuite de leur sainte vocation, ni la crainte de la prison,
ni celle de l’exil, ni même celle des balles de fusil, voire de la potence, fréquent loyer encore, au commencement du rè
gne de Louis XVI, d’une vie toute d apostolat, de vertu et de sacrifice. C’était en vain que Iticlielieu, en prenant la Rochelle, et en pourchassant dans les Réformés, non le culte, non les religionnaires, mais les rebelles et un reste d’aristocratie factieuse; puis, une ibis vaincus, en les trai
tant avec humanité et justice, en citoyens et en égaux, avait marqué la voie politique et chrétienne où il convenait à la royauté, par lui toute-puissante, de s’avancer désor
mais. C’était en vain que Mazarin, dépositaire, exécuteur testamentaire de sa pensée de tolérance, avait en mourant adressé à Louis XIV,-qu’on l’accuse à tort d’avoir perverti, ces belles et justes paroles : « Quant au petit troupeau,
on ne saurait disconvenir qu il ne broute de fort mauvaises herbes; mais il ne s’écarte jamais. » C’était en vain que le protestantisme avait justifié cet horoscope et fait honneur ;i la caution du feu cardinal-ministre, en donnant constam
ment au roi les sujets les plus soumis, les plus industrieux et les plus paisibles. Les édits de conversion, les dragonna
des, les massacres, les engalèrements, les confiscations, les pillages, les chauffages, les exils, les fuites en masse, avaient
(‘U lieu, ensanglantant, ruinant, déshonorant la France et le déclin d’un grand règne. Voltaire avait paru, Voltaire avait régné, cet athée dont les derniers mots furent : « Dieu et la liberté ! » el malgré Voltaire, lui vivant et lui mort, les persécutions n avaient point cessé. Le pauvre Louis XVI avait, comme son prédécesseur, juré $ extirper l’Iiérésie, sous l’imposition de l’ampoule, et, avec Maiesherbes et Turgot pour minisires, il l’extirpait à sa façon, en ne faisant rien et en laissant tout faire. Selon l’expres
sion vive et juste de M. Eugène Pelletan, il ne donnait rien, il abandonnait tout. L’exécution plus ou moins judaïque, plus ou moins violente, des édits toujours en vigueur, dé
pendait des gouverneurs de province, et, selon l influence qui les circonvenait, les pasteurs du désert étaient souf
ferts, à la condition de se bien cacher, —d’où leur nom, — dans l’instruction de leurs fidèles, ou bien, de temps en temps, on envoyait à eux des détachements de soldats qui, guidés par des espions, surprenaient le petit troupeau, priant Dieu à l’abri des bois, sur la dune sauvage, sur la montagne, dans la gorge ou la clairière lointaine, et, en guise A amens, tiraient sur le pasteur et ses ouailles.
C’est, ainsi que les choses allaient encore, vers 1776, dans ce petit coin de la Saintonge qui confine à l’embouchure de la Gironde, et à Saint-Georges de Didonne, où Jean Jarousseau, le plus humble, le plus simple de cœur, le plus tendre des saints, était pasteur du désert, sous le gouvernement du digne comte de Senneterre, qui laissait le bon
homme prêcher en paix dans ses bois, et, quand on lui faisait d’en haut des remontrances, étant aveugle, répon ­


dait plaisamment « qu’il n’avait rien vu. » Mais, dans une absence, de coi homme honorable, l’intendant Barentin, qui le suppléait, fit du zèle, poussé par l’évêque de Saintes,


et on envoya cerner à l’iraproviste le prêche. Les soldats firent feu sans sommation ni autre forme de procédure,-et le pasteur reçut une. balle à la tête.


Sa blessure n’était.pas grave : il guérit bientôt, sous la


garde d’un dragon qui, avec carabiné chargée el apprêtée, devait le suivre partout.
C’est alors que le bon pasteur eut la pensée do s’aller je1er en personne aux pieds de Louis \V1, d’un roi qui, en
ce moment, tendait la main à un peuple opprimé et proiestant, les insurgés américains, et d’aller implorer de lui in liberté de conscience pour le pauvre prédiront et sa petite troupe fidèle. Il exécuta, au prix de ses. dernières ressour
ces, ce lointain voyage sur son cheval Misère, qu’on luj
vola en arrivant ; il vit Malesherbes, il vit Franklin, il vît , le roi h Versailles, n’en obtint rien, hors la permission pré
caire et révocable de reprendre jusqu’à nouvel ordre son prêche ; mais enfin l’édit de tolérance suivit en 1787 (un
peu tard), et le bonhomme Jarousseau put s’endormir dans le Seigneur, plein de jours et de saintes el courageuses œuvres, avec la gloire, et, ce qui vaut mieux, le mérité d’a­
voir été dans sa faiblesse l instrument ferme et l’un des premiers promoteurs de cet heureux résultat.
Voila, avec d’évangéliques épisodes, où l’attendrissement et le sourire alternent, tout le sujet du livre de M. Pelletan.
Ce n’est ni une page, ni un roman historique : ce n’est . qu’une biographie. C’est un mort inconnu que. l’auteur exhume; c’est un grand cœur qu’il fait revivre, une douce
et sainle figure qu’il dégage de son suaire, et à laquelle ii : rend, d’un souille poétique, l’immatérielle existence de la philosophie-et de la foi.
Que ces deux mois ne hurlent point de se trouver accouplés. La Réforme n’est, au vrai, que le commencement d’une philosophie, et de celle de toutes qui réalise le mieux la difficile, et par beaucoup jugée impossible union des forces de l’esprit humain et de son besoin de croyance. Il y a à ce sujet des choses infiniment élevées et infiniment droites dans le livre de M. Eugène Pelletan. L’auteur n
ç .\o mu! •-.qui 7*1 laiseuiê jmît: imcnler l .ie <-rd necessaire de ia force dé tradition, de la force, d évolution, de. la foi ci de la raison, de la religion el de la philosophie. Telle est la doctrine dont M. Eugène Pelletan appuie et éclaire le remarquable morceau de philosophie religieuse en action qu’il vient d’offrir au public, el que celui-ci accueillera avec les empressements dus au talent, à la conscience, à la virilité courageuse, à l’opinion bien connue et à la réputation déjà si grande de l’auteur.
Au protestantisme près, les idées et les principes du pasteur du désert se retrouvent dans le Livre de consolation, de M. Alfred Dumesnil, prédicant inspiré, plein d’elfusion el d’amour, comme le ministre de Saint-George de Didonne.
Son levier est le cœur, initiateur à tout mystère comme à toute science. C’est en ce sens, dit-il, qu’il comprend les paroles de saint Paul,; «LeChrist nous a donné les arrhes de la vie éternelle ; car il a révélé dans l’amour des hom
mes la voie d’une vie sans fin et qui comprend tous les pro
grès ultérieurs. » Donc, le culte lui-même doit suivre cette vie sans /in et ne peut s’immobiliser. C’est la pensée du pasteur. Seulement, ce que celui-ci n’indique qu’en germe et en prémisses, l’auteur du Livre de la consolation, avec une hardiesse que beaucoup taxeront d’impie, et l’écrivain s’y est certainement attendu, en exprime et en déduit tes depiiè!»n«*q......
la fois plus croyantes et moins crédules, partant plus jusles et plus fortes.
I ne autre Consolation est celle que puise l’auteur dans ie sentiment de la solidarité de tous les âges, de tous les êtres, el dans cette autre, foi non moins ardente : « Nous commençons dès celle vie une amitié qui ne finira jamais. »
— « Vienne donc la lutte, dit-il en terminant son livre, vienne la maladie, vienne la mort. A tous ies moments où je surmonterai l’épreuve, j’affirmerai notre foi. J’ai dénoué le nœud de mon âme, elle peut s’envoler, rien ne la retient pins. Je sais qu’elle ira rejoindre ceux que j’ai perdus, qu’elle précédera de bien peu ceux qui me restent, et que ni des uns ni des autres elle ne sera séparée. »
II y avait sans doute dans ces lignes quelque chose de prose,ient et de prophétique. C’est à un petit groupe d’amis que l’auteur adressait naguère ce cordial de Pâme, ci c’est à lui maintenant qu’il faut, pour apaiser un déchirement trop profond, renvoyer ses propres paroles!
Ce sont aussi des morts, hélas! que ces Derniers orateurs dont vient de traiter M. Eugène Loudun (1848-1851). Mais sont-ils bien les derniers? Lu Harpe est-il bien mort? comme disait Chénier. Nous avouons qu’il nous en reste quelques doutes. Mais, que la tribune, française soit ou non relevée jamais, toujours est-il quelle a reçu une leçon dont elle, profilera, degré ou de force. Quoi qu’il arrive, les longues et compendieuses harangues à tout propos, les intem
pérances de langue, les prurits, les flux de paroles resteront et deviendront de plus en plus intolérables. On ne passera plus jamais trois semaines à discuter les quatre paragraphes d’un projet d’Adresse. Trois semaines ! Et pourtant cela se pratiquait, en pleine ère d’activité fiévreuse et universelle,
il n’y a pas huit ans encore. Il esl vrai que les fonctions des députés étaient gratuites ; mais celte gratuité coûtait, comme on sait, assez cher. En procédant de celle sorte, les gros bonnets et les orateurs de la France ressemblaient prodigieuse
ment à cesgens qui, au siècle des chemins de fer, prennent, comme Rossini, les pataches, et mettent une vingtaine de jours à aller de Paris à Lyon, Tout pouvoir périt par l’abus de son principe, et la parole interminable, oui ce destin. On ne conçoit un grand discours que sous l’empire des trèsgrandes situations, crises toujours rares. Mais si la législa
ture, qui, à tout prendre, n’est que le grand Conseil Générai hi pays, use et abuse de l art oratoire en tout temps, le pays se lasse d’elle el la sacrifie, ainsi qu il y parut naguère.
Plus nombreuses, el composées en grande partie d’hommes nouveaux qui avaient leurs preuves d’élocution à faire, les deux Assemblées qui succédèrent à la Chambre des députés dissoute en Février n’évitèrenl pas-cet écueil. Beau
coup parlèrent : pourtant il ne se révéla que peu ou point d’orateurs. Chose caractéristique, entre les nouveaux venus, les plus remarqués, les mieux accueillis, furent ceux qui précisément ne visaient point à remplacer Cicéron ni Déinosthènes. Je promets, s’il va jamais lieu de nos jours, une grande fortune parlementaire à l’homme qui ne dira jajnais que quatre mots, si cinq ne sont pas, nécessaires, car je n’ai pas besoin d’autre preuve pour augurer avec certitude (le la supériorité de cet homme. Une fois l’exemple donné par les sensés et les capables, ce sera à qui s’énoncera en le moins de termes possible, ou se taira spirituellement, comme naguère c’était à celui qui pérorerait le plus d’heu
res. montre en main. Les affaires du pays n’en iront que mieux, et il aimera ses élus, honneur qu il leur a refusé de temps plus qu’immémorial. Mais laissons-là ce. futur, à la place duquel il convient de mettre un condilionnèl, et tenons-nous-en au passé.
J’ai en compagnie de M. Eugène Loudun, dans l’espèce de cage à poules qu’on nommait alors tribune des journalis
tes, assisté à la plupart des grandes séances de la seconde Constituante, celle, par exemple, où M. le général Cavaignac eut à repousser les accusations portées contre lui au sujet des journées de Juin; et celle autre séance nocturne et dramatique du 25 au 26 août, où l’Assemblée commença de se (Jécimer elle-même (carrière où celle qui succéda de
vait rapidement la suivre), en livrant au pouvoir judiciaire deux de ses membres, MM. Louis Blanc et Caussidiôre. Je suis donc bien placé pour apprécier les portraits el juge
ments, tracés par mon confrère et voisin d’alors, sur les principales têtes oratoires de nos deux assemblées républicaines. Ces esquisses, nous devons le dire, sont générale
ment impartiales et justes. Si l’auteur ne se défend pas d’une c.‘Haine prédilection pour les coryphées de la droite, MM. de r alloux, Berryer, Monlalembert, cela se conçoit et s expli


que par des communautés de tendances, et d’ailleurs nul ne


mge à contester aux trois hommes politiques que nous venons de nommer le. talent de la tribune. Mais nous avons . il aussi avec plaisir que le portraitiste rendait équitable
ment et avec toute la ressemblance qu’il lui fût donné d’y obtenir, les figures des orateurs de principes tout opposés.
Qualités el imperfections, il lésa exprimées avec franchise, pouvant se tromper, mais ne trompant point, et d’une louche qui, dans ses inégalités, se montre souvent fine et juste. Qn sent bien, en parcourant cette galerie, que ces peintures ont été composées d’après nature, sous l’impression des scènes et des personnalités elles-mêmes, sur les lieux, en quelque sorte. Si c’est l’un des mérites de l’œuvre, c’en est aussi l’un des défauts. Il y a des tons vifs et bouillants que le lemps aurait amortis et mis au point de l’histoire, et l’on sent pas
ser là-dedans comme un souffle des rages el des animosités du moment, enterrées aujourd’hui, et pour lesquelles on esl, à sept années de date, disposé à se montrer moins pas
sionné et moins sévère. Du moins le publiciste en agirait ainsi; mais M. Loudun a fait des portraits, et même des da
guerréotypes; Si les uns et les autres sont parfois crispés et grimaçants, c’est que la physionomie du jour prêtait peu à la pose, ou y prêtait trop. Tant pis pour les modèles : c’est ce moment que l’artiste a immobilisé sur ia toile. Il est certain qu’en le lisant nous nous sommes cru reporté à la C.on