slituànte, à ses combats, à ses tempêtes, et, comme c’est là l’effet qu’il a voulu produire évidemment, on peut avouer que son livre est parfaitement réussi, et qu’il a atteint tout son but.
11 a notamment rendu à merveille le grand côté du caractère et du talent de M. le général Cavaignac, talent non
cherché et qui empruntait àsa spontanéité même les éléments d’attraction à peu près dictatoriale qu’il exerçait sur l’As
semblée. Zoïle de Louis Blanc, il n’est pas flatteur de M. Jules Favre. Il est sévère, mais juste, pourM. proudhon et M. Odilon-Barrot. Il apprécie assez bien \l. de Lamartine, M. Ledru-Hollin, M. Pierre Leroux et autres. Parmi les orateurs nouveaux en si petit nombre qu’a produits le mouvement de
Février, on s’étonne qu’il ne mentionne pas et ne décrive pas M. Caussidière, le plus original de tous, et, selon nous, la seule individualité qui ait représenté complètement le Peuple dans la nombreuse Assemblée. En revanche, M. Loudun juge avec beaucoup d’équité et de sagacité un homme beaucoup trop décrié au sortir de sa très-courte puissance, par une réaction plus qu’égale à l’action qui l’avait mis en lumière. Nous allons étonner bien des gens en disant qu’il s’agit de M. Flocon, un des hommes réellement modérés et pratiques portés aux affaires par la boule de I8/18. M. Flo
con, (jui est l’auteur du rétablissement des Prudhommes et de plusieurs autres bonnes institutions, comme ministre du Commerce, avait pour très-sage maxime « qu’il faut gouverner sans système, avec un idéal. » L’idéal, nul n’y a sacrifié tant que lui, et de système, il n’en eut pas. Comme, mi
nistre, comme orateur, il avait contre lui des antécédents trop humbles, un physique dénué de représentation, un
certain tic de tête assez peu agréable qu’il prodiguait à la tribune. Mais sa parole était presque toujours marquée au coin du bon sens et de l’expérience, et cet ancien sténographe avait appris les affaires en rendant compte si long
temps des débats législatifs. Il était peu brillant orateur; cependant il s’éleva une fois à la hàute éloquence, et ce fut pour tenter un dernier effort, dans cette solennelle nuit du 25 août, en faveur de son vieil ami Caussidière. Nous l’entendîmes et nous n’oublierons jamais l’accent parti du cœur dont sa courte harangue fut empreinte. On en trouvera la péroraison dans le livre de M. Eugène Loudun. Quant à nous, nous n’avions pas besoin de la relire, et chaque mot nous en était resté en mémoire, depuis cette triste et déjà lointaine séance.
Après avoir passé en revue les divers orateurs que nous venons de nommer, plus MM. Victor Hugo, Thiers et Dufaure, M. Loudun a un chapitre pour les Eschines et les Mirabeaux minores, au nombre desquels on s’étonnerait de trouver M. Dupin, si ce président immuable de l’Assemblée, législative avait signalé son passage aux chambres républi
caines, autrement que par des boutades et des bons mots , les meilleurs de sa carrière parlementaire. L’ne certaine haine l’inspirait, sans nul doute, et l’inspirait heureuse


ment. Il n’y a rien de plus joli en ce genre que sa réplique à M. Schœlcher qui parlait « du bonheur de vivre en répu


blique.»—«On ne conteste pas qu’on soit en république, dit M. Dupin, on ne conteste que le bonheur! » Et à M. l’évêque de Langres, interrompu à la tribune par des vociférations passablement furieuses: «Pardonnez-leur, Monseigneur...»
Et chacun d’achever la phrase. Mais, si bons que soient les mots, ils ne font pas toujours un grand politique, un grand citoyen, ni un grand caractère, et... je fais comme M. Dupin, je n’achève point ma sentence.
Il y a quelque chose qui me choque extrêmement dans le livre de M. Loudun, et je le lui dis sans détour. C’est un
portrait qu’il fait de l homme de lettres, au début de la monographie de M. Proudhon. Ce portrait est injuste, il est tout d’une pièce; il n’admet point d’exception. Qui dit homme de lettres de profession, dit tout ce qu’il y a de plus vil, de plus orgueilleux, de plus insensé, de plus
égoïste, de plus perverti, et je ne sais quoi encore. «S’il part parfois d’une idée juste, il n’a pas la vérité pour but... Pour qu’on parle de lui, il sacrifie Dieu, l’humanité, la fa
mille, lui-même, etc. » Où M. Loudun a-t-il vu tout cela? si cet écrivain a le bonheur de ne l’être pas de profession, s’il n’est pas condamné au terrible métier d’avoir de l’esprit pour vivre, est-ce une raison d’envelopper ses confrères moins heureux dans un si absolu et si rigoureux ostracisme? L’honnête homme, dans la rigide acception du mot, est rare
en toute carrière. Il ne faut pas pour cela ériger Barabbas en type unique, et cela à l encontre d’une profession au
jourd’hui si maltraitée, qui n’a pas plus failli que tant d’autres, en ces jours dont nul ne souffre plus qu’elle. Ce n’est pas le moment de la lapider ainsi, alors qu’elle a tout contraire. AL Loudun, dont le livre nous plaît sous cette réserve, a été certainement à son insu l’écho de vieilles et mauvaises rancunes qui ont l’habitude, partout et toujours, d’imputer à la lettre moulée les conséquences de l ineptie des illustres personnages qui nous accusent. Nous verrons si pareil reproche sera quelque jour fait à la presse de ce temps-ci. Nous nous y attendons. Il y aura des gens pour établir que le pouvoir a été encore trop bénin , trop tolé
rant à notre endroit, et dire : Inde inali tabes. Mais AI. Lou
dun ne doit pas faire chorus avec de semblables diseurs d’injurieuses fariboles. Qu’il laisse ces bonnes gens débla
térer ainsi dans leur petit coin gothique, et leur donne tort en écrivant, professionnellement ou non, de bons articles el de bons livres. Félix Mornand.
Les repiqueuses.
ÉTUDE SUR l’art DE SE PEINDRE LE VISAGE.


Τοργό σοι καγώ λέγω, ι Aristophane.)


Mulierem quisforfem inveniet ? (Salomon.)


I.


Aujourd’hui, à Paris, toutes les femmes peignent leur vi
sage : toutes, laides ou jolies, jeunes ou vieilles, toutes plus ou moins régulièrement, d’une manière plus ou moins har
die, plus ou moins grotesque, — mais toutes — se livrent à des retouches sur le visage que Dieu leur a fait : c’est le ta
touage des femmes civilisées : on appelle cela repiquer. Le mot a été détourné de l’argot de l’atelier, et exprime assez heureusement la besogne: donc aujourd’hui toutes les femmes repiquent.
C’est la faute de M. Théophile Gautier.
Il a trop vanté, trop chanté l’œil noir de l’Orient, les paupières de satin noir, les régals de chair nacrée, la blancheur bleue, les débauches de blancheur, le noir étincelant, les épaules qui semblent couvertes d’un givre invisible, les épaules


Paros au grain éblouissant,


tous effets que la nature ne donne point, et qu’au contraire on obtient fort aisément au moyen du blanc d’argent, de la mine de plomb, de l’antimoine et de toutes les préparations assez grossières, du reste, qui sont à l’usage de ce. petit vice.
11 a aussi trop habilement rehaussé de sa poésie les vieilles couleurs qu’on croyait depuis longtemps perdues et oubliées dans les vieilles métaphores des vieux poêles : funeste miracle du talent ! Il a remis en honneur « la blan
cheur du cygne ou de l’ivoire, le rouge du corail, les reflets de l’ébène, l’éclat de l’émail, la nuance du bouton de rose. »
Enfin il a tourné la tête à toutes les femmes, qui toutes ont voulu avoir les « chairs argentées, neigeuses, givrées, laiteuses, boréales, opales ou nacarat, » et surtout rouler le regard velouté et lumineux des Péris.
Cela doit être si charmant de se dire : J’ai la joue nacarat. Nacarat? pourquoi pas l’autre bleue? Non, nacarat, toutes les deux nacarat ! quelle joie ! ou bien au moins
Pâle étoile du soir.


De la lune effacer l’éclat. Ou bien de se demander :


De quel mica de neige vierge, De quelle moelle de roseau,
De quelle hostie et de qu 1 cierge, A-t-on faitie blanc de?«a peau?
Oh ! être blanche comme un cierge! c’est à faire périr d’envie toutes ses rivales.


Voilà l’œuvre de M. Théophile Gautier.


C’est aussi la faute des rapins coloristes, qui, à force de « ne pas peindre pour les bourgeois, » à force de mépriser la simple fraîcheur qui est « monotone, banale et triste, »
à force « d iriser » les cils, d’illuminer les yeux, de pailleter les cheveux, de moirer le front, de chiner les joues, à force de faire des portraits chatoyants de lueurs prismatiques, à force de montrer comme le beau idéal la face d’un notaire empâtée d’un paysage de Claude Lorrain, à force de cher
cher même pour le nez d un agent de change des tons éblouissants à faire paraître « le soleil jaunâtre et la lune
couleur de plomb, » à force de nous faire cligner les yeux devant cet « étincelant » fouillis, à force de nous prodi
guer ces « magnificences, » ont fini par brouiller toutes les notions de la couleur, émousser la sensibilité instinctive de notre nerf optique, étourdir le goût, en un mot nous faire voir bleu.
Il s’est produit dans notre œil un phénomène analogue à celui que tout le monde a remarqué dans notre oreille. Aujourd’hui nous n entendons plus, nous ne pouvons plus entendre la musique qui n’est pas énergiquement orchestrée :
pour que nous arrivions à distinguer des nuances, il faut des effets exagérés, il faut surtout des instruments éclatants.
De même, non-seulement les tableaux de l’école de de AI. Ingres ne nous semblent qu’un brouillard; mais ce qui est beaucoup plus regrettable, nous ne savons plus ap
précier, à leur valeur, même les couleurs naturelles et vraies; la dégradation correcte des teintes nous échappe, la sensibilité de notre œil ne peut être éveillée que pâlies tons criards et les contrastes heurtés.
Alors, tout naturellement une pauvre jeune femme, en face de son miroir, se désespère ; elle regarde piteusement le frais visage que la nature lui a donné :


Elle le trouve fade, terne et rococo.


Et elle se met à faire pour sa figure ce que M. Ad. Adam a fait pour la musique de Grétry et de Alonsigny : elle l’ap
proprie au goût du jour : elle lui donne de la oigueur et de Forchestration.
L’élan une fois donné, celles qui ignorent l’art contemporain, celles qui n’ont pu perdre le bon sens, le sens commun de la vue, dans le spectacle auquel nous exposent partout les coloristes fougueux;- celles-là n’échappent pourtant point à la manie.
Elles voient les autres : or, tout en jugeant peut-être cet enduit fort laid et fort repoussant, elles croient re
connaître qu’à côté de ces tons vifs et durs, de ces teintes
plates et sèches, leurs jolies, leurs ravissantes couleurs sont éteintes, que leur gracieuse physionomie est effacée par ces yeux dont l’éclat est si hardiment, si brutalement rehaussé.
Il est un théâtre célèbre en Italie qu’on a imaginé d’a­ dosser, ou peu s’en faut, à la mer : quand la mise en scène l’autorise, on supprime la toile de fond ; le mur disparaît, et la mer, la vraie mer, vient compléter la décoration.
Or, cette pauvre mer, qui ne se trouve pas dans les conditions de lumière exigées au théâtre, qui surtout n’a pas le coloris convenu ; cette pauvre mer est choquante dans sa naïveté et manque complètement son ffp.t.
Les voyageurs affirment tous b i préférer de beaucoup les mer. en toile vert-pomme de AIM. Philastre et Cambon. De plus, ils jurent leurs grands dieux que les flots simu


lés à dos d’hommes sur la scène de l’Opéra sont infiniment


plus heureux que la bourrasque mal composée qui vient s’enca rerau fond de la scène italienne. Ainsi, des misérables, exécutant par brigades au commandement sous une énorme hache les génuflexions notées par le décorateur, arrivent à
dessiner une marine à la Gudin,jauprès de laquelle la mer elle-même n’est pas de la force de M. Biard.
Telle est donc la situation. Les fennne s ont à choisir : ou jouer au bal le rôle désobligeant de la Méditerranée, ou bien être fêtées el applaudies aux mêmes titres qu’un décor du théâtre de la Porte-Saint-Martin.
L’hésitation n’est pas permise : elles optent pour le succès. Car pourraient-elles consentir à être moins admirées que leurs amies! Quelle femme accepterait une telle misère? Il faut absolument faire autant d’effet, plus d’effet que les autres, à tout prix, même au prix du mauvais goût, car — en fait de beauté la conscience ne suffit pas.
Ainsi, disons-nous, bon ou mauvais goût, là n’est pas la question : c’est une lutte, toutes les armes sont bonnes : beauté, laideur, qu’importe?
« Être jo ie, c’est de plaire, » a dit AI. Scribe au Théâtre- Français, et il est de l’Académie, c’est une autorité. Donc il faut plaire. Ce n’est pas la peine d’être jolie : or, ces péronnelles plaisent, nous ferons comme elles, et nous plairons comme elles à l’encaustique.


..............................So many were


Admirers still, — bu» mm are so debased
Those brazen créatures always suit their taste.
« puisque les hommes sont assez ravalés pour aimer de pareilles... »
Ainsi vint, il n’y a pas bien longtemps encore, cette mode malsaine: quelques femmes l’importèrent par goût, d’autres suivirent par concurrence, l’instinct moutonnier entraîna le reste.
Ajoutons à cette nomenclature la classe burlesque et pourtant bien lamentable des vieilles femmes qui ne savent pas vieillir, qui voudraient, comme le bon Eson, se faire bouillir dans une chaudière avec dés herbes fines pour retrouver un ragoût de fraîcheur et de jeunesse.
Ainsi, les unes, pauvres sottes, n’admettent qu’une saison dans la vie, et volontairement s infligent le supplice grotesque de l’éternelle jeunesse.
Les autres, dont nous avons expliqué tout à l’heure la moderne infirmité, jugent que le bon Dieu, en fait de visage, a tort, de s’en tenir à sa première manière, qui a vieilli.
D’autres, enfin, et ce sont les plus nombreuses, tout en acceptant l’immuable modèle, sont mécontentes de. leur épreuve et corrigent les parties qui leur semblent mal réussies.
En somme, toutes les femmes, comme nous le disions, du moins, toutes celles qui ont quelques prétentions, quel
que élégance, exécutent, au moins le soir, sur leur figure un petit tatouage qui varie selon le goût particulier de chacune.
Il faut en prendre son parti : la mascarade est générale : l’aspect de nos salons en est tout changé. Il y a quelques années, l’ensemble des visages pouvait sembler à des yeux éminemment coloristes un peu fade, presque grisâtre. Au
jourd’hui ce n’est plus ainsi, nous sommes très-pittoresques; l’aspect général est écossais.
A vrai dire, car il faut toujours faire une profession de foi non équivoque, — à notre avis, ce tatouage est sot, damnable à tous égards, plus laid mille fois que la laideur même; en un mot, subversif du goût, de la couleur, de la physionomie, de la beauté, de l’amour, de la tendresse el de la propreté.
Mais, — la sottise humaine est incurable : on a vu des usuriers distribuer de la soupe économique, on a vu des criminels endurcis fonder des prix de vertu, des tigres rayés vivre de laitage et tourner à la dévotion; des généraux non goutteux entrer au congrès de la Paix; —jamais on n’a vu un sot se corriger.
Les travers parfois s’usent et passent, jamais ils ne cèdent . à la raison, sous quelque forme qu’elle se présente.
Ni Alassillon, ni la Bruyère, ni Molière n’ont jamais corrigé personne. : les avares, tout au contraire, ont tiré d’Harpagon quelques renseignements sur les bouts de chandelles
et les mérites indigestes du haricot de mouton. Kacine, le pieux Racine, avec son admirable déclaration de Phèdre, si habilement amenée, si merveilleusement préparée et graduée, pourrait bien avoir sur la conscience nombre de désordres qu’eût souvent retardés, sauvés peut-être l’embar


ras ou la maladresse. Racine montrait aux vieilles sottes,


qui ne peuvent pas dormir, le retour de Thésée, et elles ne voyaient, elles, pauvres affolées, que cet admirable début, cet art de rompre la glace :


Oui, prince, je languis, je brûle pour ThéséeI


Après cela, que leur importait le reste? Ilippolyte, indignement sacrifié, les remords et le trépas de Phèdre et le retour de M. Prudhomme : la belle affaire! il s’agit bien de cela, elles ont leur commencemetl : «J’aime mon mari. » Excellente entrée en matière ! Honnête Racine!


Allez, bons moralistes !


Un jour, du temps du Régent, Alassillon, dans une conférence intime, tonnait à petit bruit, contre les belles épaules, qui, de tout temps, comme les belles âmes, ont aspiré à secouer complètement une indigne enveloppe.
« Bientôt, » disait-il avec une amère ironie, «on ira plus « loin : on se laisse voir : bientôt ce ne sera point assez,
« bientôt sans doute d’impertinentes mouches viendront là « aussi provoquer le regard, etc. »
C’était une idée : le lendemain, au bal du Régent, toutes les femmes portaient des massillonnes ,· Je saint prélat avait donné l’idée et le nom.
Nera.
(La suite au prochain numéro.)