mœurs et de nos préjugés. — Je revins donc tristement, il y a peu de temps, ne rapportant avec moi qu’un mince ba
gage de sensations nouvelles, quand dernièrement on me présenta un volume de voyages intitulé : Aventures d’un


gentilhomme bretona-uxilesPhilippines, le seul pays peutêtre que je n’aie pas foulé de mon pied. Je l’ouvris d’abord


avec défiance : Qu’y verrai-je? me suis-je dit : la répétition éternelle d’aventures, qui sont le partage obligé des hommes réduits à leurs seules ressources, et qui ne peuvent comp
ter que sur leur courage et leur adresse; des obstacles vaincus, des souffrances supportées, et l’éternelle com
plainte : J’ai vu.... Mais ci la lecture des premières pages, à cette entrée en matière si franche et si vraie, je me hâtai
de faire mentalement amende honorable à Fauteur de cet ouvrage, M. de la Gironnière, qui, je l’espère, ne m’en voudra pas de mon jugement anticipé, et je feuilletai avec avi
dité les pages remplies de ses souvenirs stéréotypés. Si Buffon a dit vrai en affirmant que le style c’est l’homme, on reconnaîtra facilement une plume énergiquement trempée à ces peintures de dangers vaincus à ces descriptions si vraies qu’il semble qu’on les ait déjà vues. Et puis la meil
leure preuve en faveur de la vérité de cet ouvrage, où tant de larmes se mêlent à tant de joies si pures, c’est qu’on se sent malgré soi entraîné de sympathie vers Fauteur; on finit par vivre de sa propre existence, on souffre de ses mal
heurs, on pleurerait presque avec lui, si l’on ne sentait qu il y a jusque dans ces souvenirs douloureux une rési
gnation et un courage qui prennent leur source au-dessus des choses de ce monde.
La vie, c’est l’action, a dit un contemporain : belle parole qui a été noblement appliquée par M. de la Gironnière ; il a com
pris, lui aussi, que l’homme n’était pas sur cette terre pour y végéter et s’en tenir à la contemplation du coin qui Fa vu naître; la nature est son domaine; il s’y promène en maître ; son vaisseau , sublime expression de l’intelligence humaine, le transporte à travers les mers agitées ou tranquilles, jusqu’aux points les plus reculés des pays habités ; son esprit s’élève dans la contemplation des splendeurs na
turelles , soutenu par ce noble orgueil qui s’empare de l’homme le plus modeste quand il est sorti victorieux d’une lutte où il était seul combattant contre les éléments ; il nous conduit à travers des contrées nouvelles où l’extraordinaire le dispute au merveilleux.
Ce livre est la plus grande gloire de la civilisation ; le plus bel éloge de l’homme surmontant tous les obstacles par son intelligence, et dominant ses semblables, féroces et déshé
rités, par la puissance morale qu’exerce tout cœur vaillant et noble sur des natures inférieures.
A une époque où le public est saturé de Vmyages, il lira certainement avec intérêt l’ouvrage, objet de cet article; il est raconté plutôt qu’écrit, dans un style simple et élevé. On y trouvera peut-être un peu de personnalité; mais comment parler de tant d’objets divers, d’événements si pathé
tiques ou si terribles dont on a presque toujours été le héros, sans se mettre un peu en scène? Du reste, comme témoignage de la véracité de Fauteur, je vais citer, pour ceux qui 11e le connaissent pas, la parole d’un homme ho
norable qui a vécu pendant longtemps dans le même pays de Luçon, et qui a été à même de connaître et d’apprécier M. de la Gironnière :
« Dans sa manière de vivre, dit M. G. R. Russell, il y avait un charme inouï. On 11e peut comprendre comment il a pu quitter un pays où il était libre de ses actions, pour revenir au milieu de la société ! Il avait vaincu le désert et ses sau
vages habitants. Quand il a jeté un dernier regard sur le bien-être et les riches cultures qu’il avait crées autour de lui à Jala-Jala, son cœur a dû faiblir. Mais, hélas ! il était seul, rien ne lui restait de ce qui lui était Cher; tous ceux qui l’avaient soutenu au milieu de ses rudes travaux n’é­ taient plus. Son frère, qu’il aimait tant, succomba le pre
mier, ensuite sa femme et son enfant! Il ne pouvait rester au milieu d’objets qui, à chaque instant, lui rappelaient tant de douleur. La description des événements extraordinaires de la vie dans un pays si peu connu et en même temps si ravissant est exacte ; et en attestant que ce sont des faits
réels et non des fables, je ne fais que rendre hommage à un digne ami. Quant à moi, connaissant maintenant le ca
ractère de l’homme qui a laissé de si doux souvenirs chez ceux qui ont pu l’apprécier dans des circonstances où l’es
prit le plus hypocrite est contraint de se montrer dans toute sa nudité, qui a formé des établissements florissants là où
naguère était le désert, qui a enfin policé ses sauvages et féroces habitants; quant à moi, dis-je, je crois à tout ce que M. de la Gironnière a bien voulu nous raconter, en s’élevant à lui-même un monument que, j’en suis sûr, le public respectera. B
Quelques dessins, pris dans l’ouvrage, accompagnent cet article : c’est dire assez que l’ouvrage est illustré; du reste, d’un beau format et qui fera très-bien dans une bibliothèque ou sur la table d’un salon.
V. Paulin.
Revue agricole.
En fait de mécanique agricole, les Anglais sont encore aujourd’hui nos maîtres; cependant nous entrons décidément dans la voie. Nous avons plusieurs fabricants en ce genre dont les usines rivaliseraient bientôt avec celles d’Angle
terre s’ils pouvaient rencontrer des commandes dans la même proportion de notre côté du détroit.
Ainsi, par exemple, les appareils de M. Laurent, de Paris, pour fabriquer les tuyaux de drainage, sont certaine
ment fort remarquables. Obtiendrons-nous jamais dans la fabrication des machines la supériorité que nous avons dans la rédaction des traités spéciaux? il n’en faut point déses
pérer. L’Angleterre prétend que sa machine à fabriquer les tuyaux, construite dans les ateliers Barret eteie, d’après le
système Whitehead, est ce qu’on peut imaginer de mieux; mais F Angleterre n’a pas à nous opposer un livre aussi com
plet, aussi méthodique que les deux livres de M. Barrai et de M. Leclerc, ni un manuel populaire sur le même sujet,
aussi saisissable par toutes les intelligences et résumant aussi bien toutes les questions que le Manuel populaire de drainage de AI. Yilard. Quand viendra le jour où nous aurons à la fois les meilleurs livres pour la théorie et les appareils les meilleurs ou tout au moins d’aussi bons pour la pratique ?
En attendant, voici que, dans la théorie du drainage, surgit une invention française qui vaut qu’on la signale à l’attention publique, et qui a soulevé une discussion au sein de la société centrale d’agriculture. On sait que les Hollandais pratiquent dans certaines de leurs contrées une méthode de drainage qu’ils appellent le drainage par per
foration. Ils font dans le sol un grand nombre de trous de sonde, de manière à pénétrer jusqu’à une couche absor


bante d’argile, et ils enfoncent dans ces trous de sonde de


longs bâtons. L’eau du sol suinte autour de chacun de ces bâtons, et va gagner la couche d’argile pour s’écouler dans la nappe d’eau qui existe ordinairement sous ces sortes de couches. ·— Un propriétaire du département de l’Ailier, M. Perreul, à Avenues, près Moulins, propose de substituer au suintement qui s’opère le long du bâton hollandais l’é­
coulement plus facile par un tube de poterie qui revêtirait le trou de sonde : c’est ce qu’il appelle le drainage vertical..
Le tulie vertical, qui s’enfonce à la profondeur, suffisante dans tous les cas, de deux à trois mètres, est fermé par le haut ; on n’a point à craindre l’obstruction, inconvénient des puisards ordinaires, puisque la terre ne peut s’y introduire.
Quant au tube vertical, qui est composé de plusieurs tuyaux, l’eau afflue vers lui de toutes parts, et s’y introduit par les points où les tuyaux s’emboîtent.
« Ce système, dit l’inventeur dans une lettre que repro« duit un nouveau journal d’agriculture, le Moniteur des « comices, remplacerait avec un immense avantage le bâton « hollandais, car il débarrasserait le sol d’une quantité « d’eau bien autrement considérable. ·— îl est exécutable « par tous les ouvriers des campagnes, et applicable sur les « plus petites parcelles de terrain, sans qu’on ait besoin de cc se préoccuper des travaux de ses voisins, de tenir aucun
« compte des conditions de pente et des difficultés résultant « de l’écoulement des eaux sur les terres qui ne nous ap(c partiennenl pas; enfin il fonctionne avec une utilité quel
le conque, quelque petit que soit le nombre des perforations « pratiquées. »
L’auteur ajoute qu’il serait encore employé utilement, quand même 011 11e rencontrerait pas des couches de terre absorbante ou plus sèches que celles de la superficie, parce qu’avec son emploi l’on agglomère infailliblement les eaux de la surface du sol en amas d’eau souterrain, et qu’on dispose ainsi le sol à s’échauffer plus facilement.
Il évalue à vingt francs au plus les frais d’un tel drainage pour un hectare.
« Dans les terres infestées de source, dit-il, et qui se trouveront assez riches pour pouvoir supporter les frais de l’an
cienne méthode, l’on sera toujours obligé d’avoir recours à de coûteuses conduites d’eau, au drainage horizontal; mais, hors ces terres exceptionnelles, mon drainage vertical, ou même, dans plusieurs circonstances, le drainage usité en Hollande, suffira pour débarrasser les semences des eaux de pluie qui
les noient et les pourrissent, des eaux croupissantes à la surface du sol, ou enfin pour utiliser les premiers rayons du
soleil du printemps, perdus pour la végétation et l’échauffernent du sol (les premières chaleurs n’ayant d’autre effet que de pomper les eaux surabondantes qui nous sont ren
dues la nuit à cette époque). » — Au surplus, M. Perreul, en inventeur modeste, et l’exemple en est rare, déclare s’en remettre, pour l’appréciation de la valeur réelle de son système, à MM. de la Société centrale d’agriculture. — M. Vitard a présenté à cette même société un mémoire dans lequel il réfute plusieurs des assertions de M. Perreul. La question est pendante,
Une autre question, qui 11e semble pas non plus très-facile à résoudre, est de décider quelle charrue fonctionne le mieux parmi les charrues française, anglaise, belge, améri
caine, etc. — Un concours a eu lieu à la belle ferme de M. Dailiy, à Trappes, près Versailles. Le noble vétéran du progrès agricole, M. de Gasparin, présidait la solennité. M. et Mme Dailiy ont fait au jury et à une assistance compo


sée de cultivateurs, de savants, de mécaniciens en renom


chez les différentes nations de la terre, les honneurs de leurs champs et de leur maison d’une manière toute cor
diale et toute charmante. Le compte rendu de M. Borie, dans le journal Bixio, est celui qui donne le plus de détails vraiment intéressants.
Les charrues anglaises ont été conduites par des laboureurs anglais amenés par les propriétaires eux-mêmes, et qui, connaissant parfaitement le maniement de l’instrument,
pouvaient en faire valoir toutes les qualités. — M. de Matlielin, membre du jury pour la Belgique, n’a point voulu confier à des mains étrangères ou indifférentes le soin de mener les instruments de ses nationaux; avec un dévoue
ment dont ses compatriotes devront lui tenir csmpte il a mené lui-même toutes les charrues de son Exposition.
La charrue française qui se construit à l’école régionale de Grignon, qui est la charrue Dorabasle perfectionnée, in
strument en bois et en fer, du prix modeste de d5 fr., que l’on s’empresse d’adopter dans toutes les contrées de la France à mesure que l’on s’y éclaire et que l’on y comprend les avantages d’un bon labour, a fonctionné à la grande satisfaction de tous les assistants. Son tirage est peu consi


dérable; ce qu’elle a surtout de remarquable, c’est la sim


plicité de son régulateur. Il suffit d’appuyer de côté ou verticalement sur la tige du régulateur pour obtenir que le soc entre à la profondeur plus ou moins grande, que l’on désire. La fabrique de Grignon a maintenu là sa réputation
justement acquise, et a noblement représenté la France.
Dans ce concours, chaque sillon parcouru par les charrues était de 220 mètres. Les attelages étaient suivis par un membre du jury qui mesurait de distance en distance la profondeur et la largeur du sillon. Cette opération se faisait à l’aide d’un instrument anglais d’une grande simplicité et d’un usage très-commode. C’est une sorte de toise semblable à celle dont se servent les conseils de révision pour toi
ser les jeunes soldats, mais renversée. On appuie l’étrier sur le bord du sillon, et on pousse, au moyen d’une rai
nure, la toise jusqu’au fond. Le glissement de la tringle laisse à découvert, près de votre main, le chiffre qui marque en centimètres la profondeur du sillon.
Pour calculer la force dépensée à la traction pour chaque charrue, on a fait usage de. l’instrument usité ordinaire
ment pour apprécier la traction des véhicules ; mais les charrues 11e se comportent pas aussi régulièrement que les charrois ; elles ont des oscillations presque continuelles et terribles, si bien que de trois dynanomètres qu’on avait apporlés sur le terrain, le premier, celui de l’invention du
général Morin, s’est brisé au premier choc un peu violent qu’a éprouvé la charrue contre une grosse pierre dans le sol. On a eu recours au second, un instrument anglais du sys
tème Bentall, qui est moins lourd et chargeait moins la charrue. — Le troisième était un instrument danois; on n’a pu en tirer parti que bien peu. L’exposant-propriétaire n’é­ tant pas présent, on n’a pas insisté beaucoup pour apprécier ses qualités.
Ceci a prouvé une fois de plus une chose que les praticiens savaient déjà et qu’ils opposent aux théoriciens, c’est que les essais de charrue au dynanomètre sont excessive
ment difficiles. Les hommes compétents en dynanométrie se comptent et sont incompétents en matière de charrue, à bien peu d’exceptions près; et réciproquement, les hommes compétents en charrues, s’ils sont nombreux, sont incompétents en dynanométrie et se fient davantage à leur appréciation toute praticienne de. la fatigue que paraît éprou
ver le cheval attelé, en considérant sa taille et la puissance de ses muscles, qu’au chiffre que vient indiquer sur un ca
dran l’aiguille d’un dynanomètre, ou aux ondulations de la ligne qu’un crayon trace sur un papier dans d’autres appareils du même genre.
Une charrue venant de Prague et sortie des ateliers de M. Borrosch se présentait avec un nom assez prétentieux : charrue géométrique. Pourquoi cette épithète? L’instru
ment a semblé un peu lourd. Au dynanomètre, le tirage a paru considérable relativement aux autres charrues du con
cours. Le soc laissait toujours après lui des déchirements et des bavures.
On a reproché à une charrue belge de M. Berckmans, de la province d’Anvers, que son versoir ne fonctionne pas con
venablement. Le, laboureur était fréquemment obligé de pencher la charrue à droite pour remédier à ce défaut, d’où résulte une trop grande déperdition de force. Toutefois on a reconnu qu’elle renverse et émotte bien la terre.
La charrue de M. Thaêr, venue du Brandebourg, de la célèbre école de Moëglin, la mère de toutes les écoles d’a­
griculture qui se sont répandues de là sur l’Europe, cette charrue à laquelle tout le inonde, était disposé à accorder un vif intérêt, n’a donné qu’un travail des moins satisfai
sants. Elle exigeait un tirage considérable pour tracer un très-modeste sillon.
Les charrues anglaises ont obtenu un beau succès. On a essayé d’abord celle de M. Bail, à laquelle nos Français n’ont adressé qu’un reproche, celui qu’ils adressent à toutes les charrues anglaises, c’est un travail trop parfait en régula
rité, qui deviendrait, disent-ils, un inconvénient pour les terres fortes et humides. Le versoir lisse la serre, et il en résulte des mottes qui durcissent au soleil et sont ensuite difficiles à briser. Les Anglais ne pensent pas comme nous,
et ils exigent de la charrue ce tissage de la terre ; il est vrai qu’après le labour ils la travaillent de nouveau très-é.nergiquenuml avec 1e scarificateur, et même l’usage le plus général est de donner un autre labour en travers.
La charrue de M. Busby a paru donner peu de tirage; de temps en temps son laboureur, un ouvrier anglais, aban
donnait les mancherons, et elle continuait toute seule son travail pendant 8 ou 10 mètres avec la même rectitude.
La charrue· de M. Howard a été l’objet d’un examen prolongé. Dans cet instrument la traction n’est point appliquée à l’extrémité antérieure de Yage, elle s’opère au moyen d’une chaîne qui vient prendre son point d’attache à l’endroit où l’age s’unit au corps de la charrue qui porte le ver
soir. L’avantage de ce mode d’attache consiste (comme l’a fait remarquer M. Grandvionnet dans un article de l’Echo agricole) à diminuer la fatigue de l’age qui tend à se rom
pre en ce point quand la traction est appliquée à l’extrémité antérieure de l’age; en outre, cette disposition diminue les oscillations de l’age dans une charrue qui n’a pas d’avanttrain, une, araire. — La charrue Howard a donné très-peu de tirage, bien qu’exécutant un sillon de 15 à 16 centimè
tres de profondeur. Plusieurs spectateurs étaient disposés à croire qu’à la rigueur un seul cheval suffirait à la mener dans un terrain peu difficile.
La charrue Ranssome offre un âge, non point d’une seule pièce, comme c’est l’ordinaire, mais formé de l’assemblage de deux lames de fer, accolées l’une à l’autre dans leur lon
gueur, entre lesquelles est ménagée un espace qui reçoit le coutre, le grand couteau qui précède le soc. Cette disposi
tion offre plus de solidité que n’en offre une seule pièce qu’il a fallu percer pour placer le coutre ainsi qu’un autre acces
soire. dont nous allons parler, ou, ce qui revient au même et offre plus d’avantages, on obtient la solidité suffisante avec un moindre poids de matière; on a une charrue plus légère.
L’accessoire en question est le pelioir ou avant-soc. C’êsl un très-petit soc avec un très-petit versoir, le tout attaché à une tige qui est portée par l’age ; on allonge ou l’on rac