Suit une seconde dépêche du général Pélissier sur cetle affaire, datée du 17 août :
« Dans son attaque d’hier, l’ennemi a présenté 5 divisions, 6,000 chevaux et. 20 batteries, dans la fermeintention d’occuper les monts Tédiouchine.
« Après avoir passé la rivière sur plusieurs points, il avait accumulé desoutils de&apeurs, madriers, poutrelles, fascines, échelles, qu’il a abandonnés dans sa fuite.
« Comme toujours, notre artillerie a vaillamment et heureusement combattu. Une batterie de position anglaise, au monticule PiémontaiSj nous a prêté un bien puissant concours.
« Les Russes ont. laissé sur le carreau au moins 2,500 morts ; 38 de leurs officiers et 1,620 soldats sont dans nos am ulances. Trois généraux russes auraient été tués. Nous avons fait en outre 400 prisonniers.
1< Nos pertes sont de 181 morts et 810 blessés. Sont blessés grièvement, de Pollies, Bartbe et Gagneur, ce dernier légèrement. »
On avait pu croire, d’après les termes des dépêches du général Simpson et du général Gortschakoff, que le bom
bardement avait recommencé et que la nouvelle de la prise de la tour Malakoiï arriverait, par une heureuse coïnci
dence, pendant le séjour de S. M. la reine d’Angleterre, déjà inaugurée par ia victoire de Traktir. Nous avons même lu dans le Constitutionnel que, pendant la représentation de l’Opéra, le bruit s’était répandu dans la salle que le gouvernement venait de recevoir une dépêche annonçant l’ou
verture de la brèche. Une nouvelle dépêche du général Pé
lissier, en date du 19 août, renverse l’échafaudage, tout en constatant que la perte des Husses a été plus considérable qu’il ne l’avait d’abord pensé lui-même.
« L’armistice demandé hier a dû être continué aujourd’hui. De cinq heures du matin à deux heures du soir, les Russes ont enlevé des morts. Le recensement a élé fait aussi bien que possible, et donne les résultats suiv ants :
« Russes enterrés par les Français............ 2,129 ------ par les Russes. . ........................ 1,200


«Total........................... 3,329


Le Moniteur accompagne la dépêche de cette remarque:
« Les pertes éprouvées par les Russes dans le combat du 16 sont, on le voit, plus considérables que les premières dépêches du général Pélissier ne l’avaient fait supposer.
« Elles ont atteint des proportions qui ne sont que rarement dépassées dans les batailles rangées, et cependant il
ne serait pas surprenant, d’après ce qui revient de Saint- Pétersbourg, que l’ennemi voulût présenter l’affaire du 16 août comme une simple reconnaissance.
« Le nombre des troupes engagées, le matériel amené par les Russes, leurs efforts pour s’emparer de nouveau d’une position que le général Liprandi avait occupée pen
dant tout l’hiver, prouvent l’importance qu’ils attachaient à être victorieux. »


Puis il donne cet avertissement aux nouvellistes :


« Le feu de l’artillerie a recommencé contre Sébastopol. Une erreur de dépêche a fait croire à un bombardement. 11 n’en est rien. Ce feu est celui de nos canons, qui, comme on l’a vu, a puissamment contribué, depuis qu’il a recom
mencé, à faciliter les travaux de cheminement dirigés contre l’ensemble des ouvrages de Malakoiï. »
La dépêche du prince Gortschakoff donne la version suivante :
Le général Gortschakoff a envoyé de Sébastopol, sous la date du 10 août, cinq heures du soir, la dépêche suivante :
« Une. partie de nos troupes, ayant franchi aujourd’hui la Tchernala, a attaqué l ennemi sur les hauteurs désignées sous le nom de Féduchène.
« Les alliés av aient sur ce point des forces considérables, et, après un combat opiniâtre, nos troupes ont dû se retirer sur la rive droite de la Tehernaïa, où elles ont attendu l’ennemi pendant quatre heures. Comme il n’avançait pas, elles regagnèrent leur première position.
« Les pertes, ajoute la dépêche, ont été considérables des deux côtés. ><
Le Morning-Post et le Times contiennent à ce sujet des considérations sur l’importance de celte attaque, qu’ils considèrent comme un effort suprême de la résistance russe :
« L’attaque du prince Gortschakoff contre la ligne de la Tehernaïa, dit-il, a été, sans nul doute, un effort suprême pour briser le filet puissant qui, de jour en jour, serre de plus en plus Sébastopol. L’effort a échoué ; le sort de Sé
bastopol est décidé. L’armée victorieuse ne quittera pas la place sans achever son œuvre. Les murailles de Sébastopol et tout ce qu’elles renferment seront la proie des alliés. Nous ne savons pas jusqu’à quel degré de résistance pourra aller l’opiniâtreté tenace des Russes; nous ne savons pas si Sébastopol ne sera pas entièrement détruit avant d’être à nous; mais nous savons que nous marcherons droit au but que nous avons, dès le principe, proclamé inévitable : c’està-dire l’anéantissement de Sébastopol comme forteresse russe, et la limitation forcée de la puissance russe dans la mer Noire. »
Un journal fait connaître le théâtre du dernier combat sur la Tehernaïa :
« Le pont de Traktir (Traktir-Iiam-Most de nos cartes) est un pont de pierre traversant la rivière Tehernaïa, près de l’aqueduc qui longe sa rive gauche, construit pour ame
ner l’eau dans les bassins de carénage du port militaire de Sébastopol, bassins intérieurs qu’il ne faut pas confondre avec la baie dite du Carénage, à l’extrême droite de nos attaques. Ce pont traverse la grande route de Ralaklava à Simféropol par la ferme Màkenzie et Batchi-Seraï.
« Le camp des alliés est bordé, depuis Inkermann jusqu’à Ralaklava, par une ligne d’escarpements armés de redoutes, ligne contre laquelle se sont brisés l’année dernière les ef
forts des Russes. Mais ce n’est point sur cette ligne qu’a eu lieu le combat du 16 août : c’est en avant, entre cette ligne et la rivière, dans l’espace que l’on nomme vallée de la Tehernaïa.


« Cette vallée, depuis longtemps occupée par une-partie


de l’armée alliée d’observation, offre dans son terrain trèsaccidenté divers monticules qui fournissent des positions avantageuses. La route de Ralaklava au pont est resserrée, de notre côté, entre deux coteaux d’où l’on commande le pont, et de plus, le terrain nous procure cet avantage que la rive gauche, qui est la nôtre, domine de même partout la rive opposée. Cet ensemble de terrain était, comme on le voit, parfaitement choisi pour soutenir au besoin une ba
taille défensive, et si l’ennemi forçait le pont, si l’on était obligé d’évacuer la vallée, on se retirait sans désastre dans la ligne des escarpements, au milieu des redoutes formidables qui la soutiennent. »
L’Indépendance belge fait ressortir la différence des rapports arrivés de tous côtés sur le bombardement de Sweaborg. Les uns affirment que Sweaborg est complètement détruit, les autres prétendent que le bombardement a été impuissant, et que tout le dommage se borne à quelques maisons brûlées; une frégate anglaise aurait même été mise hors de combat. Cependant le rapport de l’amiral Penaud est bien concluant, et, en attendant une contradiction plus officielle, nous nous en tenons à la version française, qui doit être ta seule exacte.
Néanmoins cette dépêche, sans manquer d’exactitude, avait besoin do quelques développements qui se trouvent dans le rapport de l’amiral Dundas. Ce rapport constate officiellement que les batteries de Sweaborg n’ont presque pas souffert, et qu’il ne pouvait, d’ailleurs, en être différamment, puisque les deux amiraux n’avaient voulu ni atta
quer les fortifications ni forcer l’entrée du port. C’est donc réellement une épreuve de la force des bombardes, de leur portée, de leur action. L’épreuve a réussi et a causé aux Russes des pertes en approvisionnements et en matériel que les journaux anglais évaluent à 25 millions de francs.
Le rapport de l’amiral Dundas inspire au Morning Post les réflexions suivantes :
« Lorsque les amiraux ont donné l’ordre de cesser le feu, on a dit que les défenses de Sweaborg avait été générale
ment peu endommagées. C’est précisément ce que nous annoncions au public en contredisant l’absurde rumeur que
la forteresse était un monceau de ruines. Sweaborg est une chaîne de sept îles séparées par des passages ou canaux
étroits et profonds. Ces îles sont armées de 800 canons disposés avec la plus grande science en matière de fortifi
cations, taillées dans le roc, comme à Gibraltar ; au fond de la baie, que protègent ces îles, est Helsingfors, capitale de la Finlande.
« La meilleure preuve que Sweaborg -existe encore, c’est que nous n’avons pas voulu passer par aucun de ces canaux entre les îles, parce que, sans doute, nous ne pensons pas que l’avantage soit proportionné aux risques ; conséquem
ment, nous ne toucherons pas à Helsingfors. Ce que nous avons fait est ce qui aurait pu être fait même à Gibraltar : nous avons simplement bombardé la place à distance, et nous avons réussi, autant que nous te pouvions désirer, à inquiéter l’ennemi, à lui causer des pertes et à harrasser ses armées. »
Quelques dépêches privées avaient annoncé le bombardement de Riga. On sait aujourd’hui ce qui a donné lieu à ce bruit, qui a été démenti. Dans la journée du 10, deux va
peurs anglais ont, à deux reprises, le soir et le matin, échangé avec les batteries de la côte une assez forte canonnade, qui ne paraît pas avoir eu de résultats.
Le Moming-IIerald publie une suite fie dépêche de sir Edmond Lyons sur les expéditions qui ont amené ta destruc
tion, dans le golfe d’Azof, de pêcheries, de corps de garde et de magasins d’approvisionnements, situés à une portée de canon du fort Arabat. Ces expéditions ont eu pour résultat la destruction du fort Petrowskoï, entre Berdiansk et Marianpol. Une autre expédition, dirigée contre Glosira, a eu également pour effet la destruction d’une grande quantité d’approvisionnements.
Les personnes qui connaissent l’amiral Dundas ont grande confiance en son intelligence, sa résolution et sa capacité; et maintenant qu’il a pu juger de la portée et des effets des mortiers et canons, il saura parfaitement se décider sur les opérations qu’il faut entreprendre. L’amiral Penaud,
nous le savons, offrira toujours une coopération active et utile, et nous ne pouvons douter qu’avec une flotte qui a fait dernièrement encore l’admiration des marins de Kiel, qui s’y connaissent, les deux amiraux ne parviennent à surmonter tous les obstacles.
Les journaux allemands parlent beaucoup de tentalives faites par les Russes pour amener les négociations avec les puissances occidentales par l intermédiaire de l’Autriche,
Ce qu’il y a de certain, c’est que le gouvernement russe saisit toutes les occasions de prouver à l’Autriche le grand
cas qu’il fait de son opinion dans ta situation actuelle. Le comte F.stherazy a eu, avant de quitter Saint-Pétersbourg,
une longne audience de l’Empereur, et le prince Gortchakoff a reçu, ces jours derniers, des instructions qui prouvent la haute valeur qu’on attache en Russie à l’Autriche. Les journaux allemands paraissent de plus en plus convaincus que l’Autriche ne se départira en aucun point de sa politique, qui répond le mieux à ses intérêts et à ceux de l’Allemagne.
Parmi les mesures décrétées par le gouvernement russe, on remarque celle qui s’étend à la réforme des costumes des étudiants et écoliers, et qui remplace l’habit à deux ran
gées de boutons par l’ancien caftan russe. Des personnes bien informées prétendent que les sentiments soin aujour
d’hui beaucoup moins belliqueux à la cour de Russie qu’ils ne l’étaient il y a quelque temps. La fermeté et la persis
tance que manifestent les puissances occidentales, d’une pari, et, de l’autre, l’énorme préjudice que la guerre fait éprouver au commerce et à l’industrie du pays, ont dû nécessairement exercer une certaine influence dans ce sens.
On écrit de Constantinople au Moniteur :
« La position de l’armée ottomane, en Asie, préoccupe toujours vivement les esprits, et, bien que les troupes ren
fermées dans Kars n’aient point encore eu à repousser d attaques de vive force, cependant, aux dernières nouvelles, le général Mourawieif était parvenu à intercepter en partie les communications avecErzeroum, et cherchât à s’opposer au ravitaillement die la place.
Le gouvernement turc s’occupe activement de porter remède à une situation dont il comprend la gravité, et qui, si elle se prolongeait, serait de nature à créer de sérieux embarras. Il concentre les troupes disponibles, et ne néglige rien pour mettre ses généraux en mesure de tenter une di


version dont la nécessité devient chaque jour plus urgente.


Du resle ses ressources financières lui permettent de taire face aux exigences de la situation.
La Porte se montre disposée à remplir avec empressement la seule condition que les alliés aient mise à leur ap
pui dans cette circonstance. Le produit de l’emprunt devant être exclusivement affecté à la poursuite de la guerre, nulle somme ne peut en être distraite pour d’autres besoins ; il a donc été décidé qu’une commission composée de délé
gués du gouvernement ottoman , et des deux ambassades de France et d’Angleterre, surveillerait l’emploi des tonds, et que toutes les dépenses seraient soumises à son approbation.
Les correspondances de Constantinople, apportées par le Simois, ne constatent aucun changement dans les affaires de· l’Asie Mineure. Plusieurs journaux croient savoir qn 0- mei· Pacha a dû quitter Constantinople le ‘20, pour se rendre en Crimée, et de là en Asie avec une partie de son ar
mée. Ces troupes seraient remplacées devant Sébastopol par le contingent turc commandé par le général Vivian. Toute


fois, au moment du départ du Simois, rien de certain n a- vait transpiré au sujet des intentions d’Omer-Pacha.


En Espagne, le conseil des ministres a décidé la réorganisation de la milice nationale, de Barcelone, conformément à la loi. Du reste la plus grande tranquillité continuait à régner dans la province de la Navarre. Le mouve
ment populaire qui avait éclaté, le 7, à Alicante , s est
terminé parfaitement, grâce à la sagesse des autorités de la municipalité. Un grand conseil de ministres a été tenu pour traiter de la question de Rome, au sujet de l’allocution du pape. Le gouvernement vient de publier un mémorandum aux puissances catholiques, dans lequel il insère par ordre chonologique tous tes documents diplomatiques qui ont etc échangés entre le Saint-Siège et le gouvernement espagnol, depuis le commencement de la discussion de ta base reli
gieuse delà constitution jusqu’à l’interruption des relations mutuelles par le départ de Madrid du nonce de Sa Sainteté.
L’adhésion de l’Espagne à la politique des puissances occidentales est maintenant un fait à peu près accompli; il
est probable aussi que les puissances^ du Nord, servant leurs intérêts en même temps que les nôtres, se joindront a nous dans un temps qui n’est pas éloigné, et que nous appelons de nos vœux !
Les nouvelles d’Abyssinie offrent un certain intérêt. Ce pays aurait été te théâtre d’une révolution politique et mi
litaire. Le roi Oubi aurait été défait et tué par son parent Cassa, qui se serait emparé du pouvoir et aurait soumis le
royaume. Cassa aurait manifesté l’intention bien arrêtée de reconquérir le Soudan. On s’attend à une attaque très-pro
chaine de ce côté. Le choléra a presque complètement disparu de l’Egypte, excepté à Alexandrie.
Une révolution ministérielle vient d’avoir lieu au Brésil. Les derniers avis du Mexique nous apprennent que Santa- Anna, dégoûté d’un pouvoir qu’on lui dispute si opiniâtrement, se préparait à lin nouvel exil ; qu’il négociait un com
promis avec les révoltés auxquels il abandonnerait le pouvoir; en retour, il pourrait s’embarquer sans être inquiété.
Les différentes dépêches reçues deLouisville lontun triste tableau de l’émeute qui y a éclaté. On ignore encore de quel parti est venue la première agression ; malheureuse
ment on a pu déjà compter de nombreuses victimes, et l’on craignait encore de nouveaux troubles. Dans une seule journée il y a eu vingt morts et un grand nombre de blessés; huit maisons ont en outre été réduites en cendres.
Des lettres de New-York, du 8 août, mentionnent un Manifeste adressé par la junte de Cuba à ses amis politiques.
La junte, dans cette communication, proclame ouvertement que Cuba, dans sa lutte avec l’Espagne, ne peut plus placer ni confiance ni espoir dans la coopération des Etats-Unis. Le plus grand ennemi qu’ait rencontré le mouvement révo
lutionnaire est, d’après elle, le gouvernement fédéral de ce pays; quoique l’administration actuelle ait posé, la sympa


thie envers Cuba comme l’une des parties essentielles de


son programme, elle a manqué à ses engagements, à ses devoirs, aux intérêts et à l’honneur des Etats-Unis. Tout espoir de ce côté devant être abandonné, les Cubains, diton dans ce Manifeste, doivent prendre l’initiative du mou
vement et ne compter que sur leurs propres forces pour obtenir leur émancipation.
Le ministre grec Kalergi a reçu l’ordre de ne plus paraître à la cour; celte exclusion a été motivée par une lettre de M. Kalergi, qui était conçue en des termes tels qu’un souverain ne peut les accepter d’un sujet. Après des obser
vations très-sérieuses des ministres étrangers accrédités près la cour de Grèce, surtout de la part de l’ambassadeur de Bavière, M. Mavrocordafo a reçu l’ordre de ne jamais laisser M. Kalergi franchir lé seuil du palais. M. Mavrocordato hésite encore à accepter la démission de M. Kalergi, mais le roi paraît très-ferme dans sa décision.
Le général Canrobert, arrivé le 0 au matin à Constantinople, a élé Conduit jusqu’au navire qui le ramenait en France par M. Thouvenel, ambassadeur près de la Porte;
il a été honoré d’un entretien avec le sultan, et, de retour à Paris, reçu par l’Empereur avec la considération qui est due à ses services, il vient, par un décret daté du 17 août, d’être élevé à la dignité cle sénateur, en attendant celte de maréchal de France.
Paulin.