Nécrologie.
Le général Guillaume Pepe, que nous avons tous connu pendant près de trente ans à Paris, a succombé, le 8 août, dans une villa qu’il habitait près de Turin. Le général Pepe est une des illustrations historiques de l’Italie moderne. Il était né à Squillace (Calabres) en 1788, et prit part aux affaires de Naples en 1799 il échappa à la mort à cause de son jeune ège, et, ayant pu s’exiler, il alla s’enrôler à Dijon dans la légion italienne ; c’est ainsi qu’il lit partie de l’armée française qui, sous les ordres du premier Consul, gagna la ba
taille de Marengo. Il rentra dans son pays lorsque Joseph Napoléon devint roi de Naples, et, sous le règne de ce prince et de son successeur Murat, il joua un rôle militaire très-actif et très-honorable
A trente ans il était déjà lieutenant général, et se signala dans la campagne d’Espagne et dans celle d’Italie eu 1815, lorsque le roi Murat arbora le drapeau de l’indépendance italienne.
Lorsque les Bourbons retournèrent à Naples le général Pepe, par suite du traité de Casalanga, fut conservé dans les cadres de l’armée. En juillet 1820 il fut un des premiers à proclamer la constitution espagnole.
Le général Pepe, après la chute du gouvernement libéral, dut chercher son salut dans l’exil, et depuis 1821 il séjourna tour à tour en Portugal, en Espagne, où il se lia beaucoup avec Joseph Hume, et en France, où il devint l’ami du général Lufayette, de M. Arago et d’une foule d’autres hommes célèbres.
En 1848, le général Pepe rentra dans sa patrie, et fut nommé commandant en chef du corps d’expédition envoyé par le gouver
Arrivé à Boulogne, il reçut l ordre de rebrousser chemin. Son cœur patriotique se révolta contre cet ordre, et il s’en alla à Venise, où
on lui confia le soin de défendre la ville. Il s’acquitta glorieusement de cette tâche, et lorsque Venise fut obligée de capituler, il s’en alla en France. Après le coup d’Etat de 1851, il vint séjourner dans les Etats sardes, où il a vécu paisible et honoré par tout le monde et par tous les partis jusqu’à la lin de ses jours.
—Une autre illustration d’uuordre différent, un homme également chère à tous ceux qui l’ont connue, a quitté ce monde, le 18 août.
Les obsèques de M. Pierre Evard ont été célébrées lundi dernier, en l’église de Passy. On a exécuté une messe en musique de M. Dietsch, dont les solos ont été chantés par M. Alexis Dupont. Les coins du drap mortuaire étaient tenus par MM. le baron Taylor,
A. Adam, membre de l’Institut, Fétis, directeur du Conservatoire de Bruxelles, Passoz, maire île Passy, le docteur I.ardner, de Lon
dres, M. Schrocker, chef de l’administration de la maison Kraril, de Paris, et Bruzaml, chef de la maison de Londres;.
Parmi les personnes qui suivaient le convoi, on remarquait MM. Halévy, Hene, Berlioz, Godefroid, Batta, Labarre, Lefébure- Wélv, Quittant, Fumagalli, Wolff, Stamati, Cavaillé-Coli, Tulou, WuiUauiiie, Boiter, et tout, ce Paris compte de distingué en notabi
lités artistiques et industrielles. Plus de six cents ouvriers ont suivi
se trouve la sépulture de la famille F.rard, à côté de la tombe de Boïeldieu. Divers discours ont été prononcés par MM. Taylor, Fétis et Dugitgros, un des principaux employés de la maison. MM. Adam et Passoz ont aussi improvisé quelques paroles bien senties.
Ainsi qu’on devait s’y attendre, l enthousiasme va croissant; Paris est pavoisé jusqu’aux nues, on n’y circule plus que sous des arcs de triomphe. Oriflammes, gonfalons, trépieds, banderoles, panoplies, tous ces emblèmes de l’al
légresse publique sont encore debout sur la ligne des boulevards.L’hospitalité offerte par ce grand peuple à sa puissante et gracieuse, alliée est devenue tout de suite une ova
tion. 11 est toujours affamé de voir une reine, et la première, heure du spectacle si malheureusement interrompu par la nuit avait un peu trompé son attente. On croit connaître maintenant la cause de ce léger retard : la marée a man
qué ; mais n’allez pas prendre ce dicton dans le sens qui causa la fin tragique de Vatel. On attendait la reine, et la reine elle-même attendait qu’il lui fût possible de traverser la Manche; voilà tout. Le hasard a voulu également que Sa
Majesté Britannique arrivât en France le jour de la Sainte- Hélène. Mais les détails de cette entrée mémorable appar
tiennent à l/histoirc el non à l’historiette, et il faut en
dire autant des fêtes qui Font suivie. Cela se passe ou s’est passé dans une sphère trop élevée pour que la chronique bourgeoise ait la prétention d’y atteindre. On n’entre pas dans le paradis, mais rien n’empêche d’en montrer le chemin.
On sait que, par l’effet d’une attention délicate, S. M. la reine d’Angleterre, en arrivant à Saint-Cloud, s’esl re
trouvée chez elle, toul autant du moins que le château de Saint-Cloud peut rappeler celui de Windsor. Ce royal et féodal manoir, dont l’architecture biblique remonte à Guillaume de Normandie, tient de la féerie, ce ne sont que fes
tons et ce ne sont qu’astragales sculptés. l)u sommet de sa tour, qui s’arrondit jusqu’à une hauteur de deux cents pieds, la vue s’étend bien au delà de Londres à une distance de plusieurs lieues. Windsor a une. terrasse aussi majes
tueuse que la terrasse de Saint-Germain, enfin il est plongé dans des immensités de verdure et d’ombrages ; si bien que le seul Fontainebleau offre autant de grandeur et que le seul Versailles est plus magnifique. C’est donc dans le palais de Louis XIV que l’empereur Napoléon lü recevra, demain sa
medi, la souveraine de l’Angleterre ; et c’est peut-être pour la première fois que les honneurs de cette incomparable ré
sidence sont faits à une tête couronnée. Le grand roi (Nec pluribus impur) n’y traita jamais que sa propre grandeur.
Plus tard, un czar de Russie et un césar d’Autriche n’y firent qu’une apparition furtive et sous le voile de l’in
cognito. Dans un jour célèbre, le roi Louis-Philippe, restau
rateur de ces merveilles, voulut en faire les honneurs à la nalion. Aujourd’hui tout se sera passé, non pas à huis clos, mais dans l’intimité d’un cortège d’élite. Les salons olym
piens, les bosquets mythologiques, les régates, les courses, et jusqu’aux fusées du l eu d’artifice, tout a été réservé, et devait l’être, mais la magnificence sera sans réserve. Après la cour, la ville fêtera l’auguste voyageuse à l’Hôtel de ville, et la chronique s’y trouvera avec tout le monde. On sait aussi que la reine assistait mardi à la représentation de l’Opéra, et qu’elle veut bien faire le même honneur à l’Opéra-Comique, dont elle a choisi le spectacle. Sa Majesté est excellente musicienne, ainsi s’explique la distinction accordée aux théâtres lyriques. Le Théâtre-Français aura peut-être été ap
pelé, mais c’est la comédie du Gymnase qui se trouve élue. C’est à Saint-Cloud et en famille, — pour parler comme le programme, — que la troupe de M. Montigny a été jouer le Fils de famille. Le même programme mentionne encore une châsse à Saint-Germain et une réception à Compïègne.
Mais ne faisons pas plus longtemps un Courrier de Paris hors de Paris.
L’encombrement y est comme l’enthousiasme, à son apogée. Le niveau des plus hautes crues de population est de beaucoup dépassé. Les maisons regorgent , les rues sont une fourmilière, et l’inondation ne s’arrête pas. On ne marche plus, on se bouscule ; passants et promeneurs, tout le monde a l’air d’être à la queue. Monsieur, vous me ser
rez trop; — madame, votre ombrelle m’entre dans l’œil; — enfants, vous allez vous faire écraser! telles sont les excla
mations qui s’échappent de cet immense tohu-bohu. Ne trouvant plus à se loger nulle part a quelque prix que ce soit,
nombre de survenants s’en vont chercher dans la banlieue un abrijpour la nuit, sous peine d’en être réduits à imiter ces fantaisistes qui prennent un fiacre à l’heure et en font leur domicile ambulant. La question des vivres nous semble encore plus énigmatique que celle des loyers. Où dia
ble de pareilles multitudes peuvent-elles trouver de quoi satisfaire leur appétit? Les restaurants, que talonne la peur de la disette, prennent de plus en plus le bon parti de dou
bler leurs prix de consommation en réduisant de moitié les objets à consommer. Quelques-uns, pressentant l’effet de la mesure à l’endroit des estomacs trop exigeants et des bourses récalcitrantes, leur administrent ces palliatifs : Prix momentanés. — Pourquoi pas moment tannant ?
— Parmi les industries que fait naître la circonstance, je remarque celle qui a pour but de populariser l’usage des arcs de triomphe. Un homme s’est rencontré, — comme parle Bossuet, — qui en tient un assortiment et les entreprend au plus juste prix. Cela peut se dresser en famille à l’honneur des grands parents ou de quelque oncle de Californie dont le retour jette ses neveux dans l’enthou
siasme. Et pour en revenir à l’invasion, bénie soit l’invasion anglaise pour ses bons effets. Ces brillants oiseaux de pas
sage secouent leurs ailes dans tous les quartiers, et il en tombe une pluie de guinées. On les rencontre naturellement sur le chemin de tous nos plaisirs; ils sont très-tou
raine, et cette great satisfaction éclate surtout au palais de Cristal, dont ils finiront par acheter tous les produits. C’est à leur intention principalement que nos jardins publics s’il
luminent, et qu’on s’y met en frais, peut-être pour ne point faire ses frais.
Comment ces aimables étrangers ne négligeraient-ils pas le Jardin d’ÎJiver en considération des jardins de Versailles? et c’est quand leur imagination voyage dans le parc de Saint-Cloud que vous venez leur offrir les séductions du parc d’Asnières I O nos entrepreneurs de plaisirs malencontreux , que n’imitez-vous plutôt les inventeurs d’été et leur silence prudent? Ils ont renoncé à grimper dans les airs
par des procédés inconnus : où sont ceux qui se jetaient dans le feu avec une ardeur incombustible î el ces autres qui marchaient sur l’eau avec tant d’audace et encore plus de liège., que sont-ils devenus?
C’est qu’en dehors de la grande, émolion que vous savez, on n’a plus guère de cœur à rien ; à ce point que la fête du 15 août n’a fait un peu de bruit qu’à la faveur de ses spectacles gratis.
Au milieu de cet énorme tumulte, une voix pourtant a essayé de se faire entendre. L’institut est sorti de ses cata
combes, une demi-douzaine de discours à la main : c’est sa manière de s’offrir un bouquet le jour de sa fête. Les orateurs, — immortels eux-mêmes, — chargés de ces divers
compliments étaient MM. Ambroise Thomas, Babinet, VVolowski, deLuynes, Couder el Viennet. Quoique très-savant,
M. Babinet a beaucoup amusé l’auditoire. Il a parlé trop spirituellement des tremblements de terre pour n’avoir pas un peu compromis sa réputation d’homme grave. \ l’en
tendre, ces phénomènes si décriés ont du bon, puisqu’ils font peur. « Or, avoir peur, a-t-il pour les dames, c’est la plus vive des sensations ; » et afin de la procurer tou t de suite à la plus belle moitié de son auditoire, le terrible sa
nait à ébranler Paris pendant son discours, la coupole de l’Institut leur tomberait infailliblement sur la tète. Dans sa harangue, M. Wolowski a eu recours à un autre moyen oratoire pour tenir l’attention en éveil. A propos de l’indus
trie de la soie et de son introduction en France, il a enlevé le mérite de l’initiative à Sully pour eu gratifier Henri IV. Le brave roi, Gascon et vert galant, fut donc un grand éco
nomiste. Cette découverte doit rendre sa mémoire plus chère aux Français et surtout aux Françaises. Puis est venu le tour de, M. Viennet, faisant une invocation à Boileau pour qu’il nous délivre du néologisme. Le spirituel académicien est surtout impitoyable pour les locutions du sport. Essayez donc de mettre en vers français le steaple-chase, le turf, le handicapp, le stud-book et les gentlcmen-ridders ; pourtant M. Viennet en est venu à bout, et ce tour de force, — son moyen oratoire, — a eu beaucoup de succès.^
Quelque chose d’incroyable, c’est qu’il est possible de trouver encore du monde ailleurs qu’à Paris. Les bords du Rhin ne sont pas moins à la mode que les rives de la Seine. Toutes les baignoires minérales sont envahies par des célébrités souffrantes et par un tas d’obscurités qui se por
tent bien. A Spa, où trône M. Banco; à Hombourg, où les malades sont mis au régime de M. Chevet, de même qu’à Bade, où tout traitement se fait en musique, il n’y a plus de
place, tout est loué. Beaucoup de ces locataires à l’avance attendent même le moment d’user de leur droit de possession, et cela pourrait bien les mener jusqu’à la saison pro
chaine, Que faire cependant et que devenir au cœur de
l’été ? car ce grand tumulte apaisé, le beau monde ou le monde qui fait le beau comprend parfaitement que la partie ne sera plus tenable en ville. Les vacances y donneront en
core beaucoup trop d’occupation à trop de monde. Aller en Suisse? la terre y tremble; en Italie ? le choléra y a montré son vilain masque. On pourrait se résigner à vivre dans sa terre, ou, faute de mieux, aller faire de la villégia
ture dans la grande rue de Passy; mais le voyage n’importe où n’est-il pas une des nécessilés de l’été, et en même temps la plus cruelle des épreuves auxquelles s’expose une élé
gante? Car enfin (c’est une femme du plus charmant esprit qui l’a dit, Mmc de Girardin, dont on réimprime en ce mo
ves. L’hiver on peut cacher les défauts de son caractère et les misères de son esprit ; le jour est sombre, et l’on ne vit que le soir; on se voit souvent, mais avec un masque et bien décidé à se plaire, c’est-à-dire à se tromper mutuellement; on parle beaucoup, mais très-vite, parce que les événe
ments, qui se renouvellent sans cesse, vous apportent des conversations toutes faites, et puis aussi parce que personne n’écoute, ce qui aide beaucoup à la conversation. L’hiver il est facile d’être aimable; le difficile, c’est de. ne l’être pas ; bien des gens cependant parviennent à vaincre cette diffi
culté. Mais l’été, il faut être réellement aimable, réellement bon et réellement spirituel pour qu’il y paraisse un peu.
C’est en ce sens que l’été est impitoyable et qu’il impose d’horribles épreuves. Eli bien ! la plus dangereuse de ces épreuves, c’est encore celle du voyage, pour les femmes surtout. Vous connaissez M de L... : c’est une charmante personne, si· aimable l’hiver que l’envie lui pardonne son suc
cès. Que j’aime à voyager! vous a-t-elle dit souvent : on ne me connaît pas tant qu’on ne m’a pas rencontrée en voyage. J’aime à courir dans les montagnes, à voir lever l’aurore ; les orages, les coups de tonnerre, les torrents et les préci
pices, rien ne m’effraye, aü contraire. Cet enthousiasme vous entraîné, et vous voilà parti pour l’Italie à la suite de cette intrépide; je suppose même que vous en êtes revenu, et qu’avez-vous découvert? Que M“* de L... n’éprouve au
cun des sentiments qu’elle affichait. Elle, se plaire à voir lever l’aurore ! mais jamais elle n’est debout avant midi ; s’il faut gravir la moindre montagne, elle a des palpitations ; est-ce une colline à descendre, elle a le vertige ; si l’on passe sous une voûte, la voilà qui étouffe et se sent mourir.
Elle a peur de tout, du tonnerre, des bœufs, des voleurs, des souris et des chauves-souris. Elle craint d’avoir trop chaud, elle craint d’avoir trop froid. A table, tout la dégoûte, el elle dégoûte les autres de tout : « Comment pouvez-vous man
ger de cela? » L’orage lui agace les nerfs, la pluie lui fait mal aux dents, la poussière lui fait mal aux yeux, le pavé lui fait mal aux pieds; elle se plaint toujours, elle gémit toujours, elle crie toujours : c’est ainsi qu’elle aime à voyager. Enfin vous trouvez que cette aimable Parisienne est in
raison de dire : « On ne me connaît pas quand on ne m’a pas vue en voyage! » Et la comédie de société, et la musi
que en société, et la chasse pour ces messieurs, et la danse pour ces dames, combien d’autres épreuves que l’on brave et où l’on succombe !
L’été est aussi la saison des épreuves pour les théâtres ; ils en seront sortis à leur honneur. Deux ou trois ont fermé leurs portes, mais la majorité tient bon. Les salles sont de petites Thébaïde.s moins le désert ; on y étouffe en nom
ailleurs encore. La salle des Français, quand il s’y donne quelque pièce, de l’ancien répertoire, ressemble à un salon de leclure. On y observe un silence rigoureux, comme s’il s’agissait d’une leçon en Sorbonne. La plupart des specta
teurs ont la pièce en main, et ils suivent la représentation théâtrale comme un cours de lecture et de prononciation.
A son tour, le Cirque vient de régaler ses habitués d’un cours d’histoire, en quinze leçons à grand spectacle. C’est la première partie d’une. Histoire de Paris plus volumi
neuse que celle de la Porte-Saint-Martin. Le mythe et l’abstraction jouent encore ici leurs rôles, qui ne sont pas tou
jours des rôles gais. On y voit un génie du bien el un génie du mal, comme clans les épopées et les arlequinades ; Paris doit subir leur tutelle à perpétuité. Les commencements de
Paris sont si obscurs que la science de M. Barrière ne s’y attarde pas. L’enfance de Paris, qui dura neuf ou dix siè
On ne saurait en finir plus résolument avec les temps de barbarie. Dans son opinion, l’histoire de Paris n’est présen
table qu’avec l’enceinte de Philippe-Auguste. Ce qu’il est impatient de montrer, c’est saint Louis partant de Notre- Dame pour la croisade, et c’est en tournant la page, je veux dire en baissant la toile, — une vue du Paris de Louis XI, vue prise de la cour des Miracles. « Cette cité des voleurs, celte ruche monstrueuse où rentraient le soir avec leur bu
tin tous les frêlons de l’ordre social, hôpital menteur où le bohémien, le moine défroqué, l’écolier perdu, les vauriens de toutes les nations, Espagnols, Italiens, Allemands, chré
tiens , juifs ou mahométans, couverts de plaies fardées, mendiant le jour, se transfiguraient la nuit en brigands ; immense vestiaire en un mot, où s’habillaient et se désha
billaient tous les acteurs de cette comédie éternelle que le viol, le cynisme et le meurtre jouent sur le pavé de Paris. » De ce coin de tableau ébauché par un, grand poète (M. Vic
tor Hugo), l’auteur du Cirque en a tiré une peinture trèsvivante. Quant à ces trois épisodes : un duel nocturne au pré aux Clercs, la nuit de la Saint-Barthélemy, d’après l o péra des Huguenots, et l’entrée d’Henri IV à Paris, d’après le tableau de Gérard, tous les arts, et surtout l’art drama
tique,en on l prodigieusement abusé dans ces derniers temps,
et l’esprit de Fauteur, qui a beaucoup d’esprit, a sué sang et eau pour rajeunir un peu ces vieilleries. Heureusement que le public n’a pris la pièce que pour ce qu’elle est : un pré
texte à décorations, et il lui fait chaque soir un accueil des plus pompeux. Philippe Busoni.
Le général Guillaume Pepe, que nous avons tous connu pendant près de trente ans à Paris, a succombé, le 8 août, dans une villa qu’il habitait près de Turin. Le général Pepe est une des illustrations historiques de l’Italie moderne. Il était né à Squillace (Calabres) en 1788, et prit part aux affaires de Naples en 1799 il échappa à la mort à cause de son jeune ège, et, ayant pu s’exiler, il alla s’enrôler à Dijon dans la légion italienne ; c’est ainsi qu’il lit partie de l’armée française qui, sous les ordres du premier Consul, gagna la ba
taille de Marengo. Il rentra dans son pays lorsque Joseph Napoléon devint roi de Naples, et, sous le règne de ce prince et de son successeur Murat, il joua un rôle militaire très-actif et très-honorable
A trente ans il était déjà lieutenant général, et se signala dans la campagne d’Espagne et dans celle d’Italie eu 1815, lorsque le roi Murat arbora le drapeau de l’indépendance italienne.
Lorsque les Bourbons retournèrent à Naples le général Pepe, par suite du traité de Casalanga, fut conservé dans les cadres de l’armée. En juillet 1820 il fut un des premiers à proclamer la constitution espagnole.
Le général Pepe, après la chute du gouvernement libéral, dut chercher son salut dans l’exil, et depuis 1821 il séjourna tour à tour en Portugal, en Espagne, où il se lia beaucoup avec Joseph Hume, et en France, où il devint l’ami du général Lufayette, de M. Arago et d’une foule d’autres hommes célèbres.
En 1848, le général Pepe rentra dans sa patrie, et fut nommé commandant en chef du corps d’expédition envoyé par le gouver
nement napolitain eu Lombardie pour combattre les Autrichiens.
Arrivé à Boulogne, il reçut l ordre de rebrousser chemin. Son cœur patriotique se révolta contre cet ordre, et il s’en alla à Venise, où
on lui confia le soin de défendre la ville. Il s’acquitta glorieusement de cette tâche, et lorsque Venise fut obligée de capituler, il s’en alla en France. Après le coup d’Etat de 1851, il vint séjourner dans les Etats sardes, où il a vécu paisible et honoré par tout le monde et par tous les partis jusqu’à la lin de ses jours.
—Une autre illustration d’uuordre différent, un homme également chère à tous ceux qui l’ont connue, a quitté ce monde, le 18 août.
Les obsèques de M. Pierre Evard ont été célébrées lundi dernier, en l’église de Passy. On a exécuté une messe en musique de M. Dietsch, dont les solos ont été chantés par M. Alexis Dupont. Les coins du drap mortuaire étaient tenus par MM. le baron Taylor,
A. Adam, membre de l’Institut, Fétis, directeur du Conservatoire de Bruxelles, Passoz, maire île Passy, le docteur I.ardner, de Lon
dres, M. Schrocker, chef de l’administration de la maison Kraril, de Paris, et Bruzaml, chef de la maison de Londres;.
Parmi les personnes qui suivaient le convoi, on remarquait MM. Halévy, Hene, Berlioz, Godefroid, Batta, Labarre, Lefébure- Wélv, Quittant, Fumagalli, Wolff, Stamati, Cavaillé-Coli, Tulou, WuiUauiiie, Boiter, et tout, ce Paris compte de distingué en notabi
lités artistiques et industrielles. Plus de six cents ouvriers ont suivi
le convoi, non-seulement à l’église des Petits-Pères, où un second sers ice a été célébré, mais jusqu’au cimetière du Père-Lachaise, où
se trouve la sépulture de la famille F.rard, à côté de la tombe de Boïeldieu. Divers discours ont été prononcés par MM. Taylor, Fétis et Dugitgros, un des principaux employés de la maison. MM. Adam et Passoz ont aussi improvisé quelques paroles bien senties.
Courrier de Paris.
Ainsi qu’on devait s’y attendre, l enthousiasme va croissant; Paris est pavoisé jusqu’aux nues, on n’y circule plus que sous des arcs de triomphe. Oriflammes, gonfalons, trépieds, banderoles, panoplies, tous ces emblèmes de l’al
légresse publique sont encore debout sur la ligne des boulevards.L’hospitalité offerte par ce grand peuple à sa puissante et gracieuse, alliée est devenue tout de suite une ova
tion. 11 est toujours affamé de voir une reine, et la première, heure du spectacle si malheureusement interrompu par la nuit avait un peu trompé son attente. On croit connaître maintenant la cause de ce léger retard : la marée a man
qué ; mais n’allez pas prendre ce dicton dans le sens qui causa la fin tragique de Vatel. On attendait la reine, et la reine elle-même attendait qu’il lui fût possible de traverser la Manche; voilà tout. Le hasard a voulu également que Sa
Majesté Britannique arrivât en France le jour de la Sainte- Hélène. Mais les détails de cette entrée mémorable appar
tiennent à l/histoirc el non à l’historiette, et il faut en
dire autant des fêtes qui Font suivie. Cela se passe ou s’est passé dans une sphère trop élevée pour que la chronique bourgeoise ait la prétention d’y atteindre. On n’entre pas dans le paradis, mais rien n’empêche d’en montrer le chemin.
On sait que, par l’effet d’une attention délicate, S. M. la reine d’Angleterre, en arrivant à Saint-Cloud, s’esl re
trouvée chez elle, toul autant du moins que le château de Saint-Cloud peut rappeler celui de Windsor. Ce royal et féodal manoir, dont l’architecture biblique remonte à Guillaume de Normandie, tient de la féerie, ce ne sont que fes
tons et ce ne sont qu’astragales sculptés. l)u sommet de sa tour, qui s’arrondit jusqu’à une hauteur de deux cents pieds, la vue s’étend bien au delà de Londres à une distance de plusieurs lieues. Windsor a une. terrasse aussi majes
tueuse que la terrasse de Saint-Germain, enfin il est plongé dans des immensités de verdure et d’ombrages ; si bien que le seul Fontainebleau offre autant de grandeur et que le seul Versailles est plus magnifique. C’est donc dans le palais de Louis XIV que l’empereur Napoléon lü recevra, demain sa
medi, la souveraine de l’Angleterre ; et c’est peut-être pour la première fois que les honneurs de cette incomparable ré
sidence sont faits à une tête couronnée. Le grand roi (Nec pluribus impur) n’y traita jamais que sa propre grandeur.
Plus tard, un czar de Russie et un césar d’Autriche n’y firent qu’une apparition furtive et sous le voile de l’in
cognito. Dans un jour célèbre, le roi Louis-Philippe, restau
rateur de ces merveilles, voulut en faire les honneurs à la nalion. Aujourd’hui tout se sera passé, non pas à huis clos, mais dans l’intimité d’un cortège d’élite. Les salons olym
piens, les bosquets mythologiques, les régates, les courses, et jusqu’aux fusées du l eu d’artifice, tout a été réservé, et devait l’être, mais la magnificence sera sans réserve. Après la cour, la ville fêtera l’auguste voyageuse à l’Hôtel de ville, et la chronique s’y trouvera avec tout le monde. On sait aussi que la reine assistait mardi à la représentation de l’Opéra, et qu’elle veut bien faire le même honneur à l’Opéra-Comique, dont elle a choisi le spectacle. Sa Majesté est excellente musicienne, ainsi s’explique la distinction accordée aux théâtres lyriques. Le Théâtre-Français aura peut-être été ap
pelé, mais c’est la comédie du Gymnase qui se trouve élue. C’est à Saint-Cloud et en famille, — pour parler comme le programme, — que la troupe de M. Montigny a été jouer le Fils de famille. Le même programme mentionne encore une châsse à Saint-Germain et une réception à Compïègne.
Mais ne faisons pas plus longtemps un Courrier de Paris hors de Paris.
L’encombrement y est comme l’enthousiasme, à son apogée. Le niveau des plus hautes crues de population est de beaucoup dépassé. Les maisons regorgent , les rues sont une fourmilière, et l’inondation ne s’arrête pas. On ne marche plus, on se bouscule ; passants et promeneurs, tout le monde a l’air d’être à la queue. Monsieur, vous me ser
rez trop; — madame, votre ombrelle m’entre dans l’œil; — enfants, vous allez vous faire écraser! telles sont les excla
mations qui s’échappent de cet immense tohu-bohu. Ne trouvant plus à se loger nulle part a quelque prix que ce soit,
nombre de survenants s’en vont chercher dans la banlieue un abrijpour la nuit, sous peine d’en être réduits à imiter ces fantaisistes qui prennent un fiacre à l’heure et en font leur domicile ambulant. La question des vivres nous semble encore plus énigmatique que celle des loyers. Où dia
ble de pareilles multitudes peuvent-elles trouver de quoi satisfaire leur appétit? Les restaurants, que talonne la peur de la disette, prennent de plus en plus le bon parti de dou
bler leurs prix de consommation en réduisant de moitié les objets à consommer. Quelques-uns, pressentant l’effet de la mesure à l’endroit des estomacs trop exigeants et des bourses récalcitrantes, leur administrent ces palliatifs : Prix momentanés. — Pourquoi pas moment tannant ?
— Parmi les industries que fait naître la circonstance, je remarque celle qui a pour but de populariser l’usage des arcs de triomphe. Un homme s’est rencontré, — comme parle Bossuet, — qui en tient un assortiment et les entreprend au plus juste prix. Cela peut se dresser en famille à l’honneur des grands parents ou de quelque oncle de Californie dont le retour jette ses neveux dans l’enthou
siasme. Et pour en revenir à l’invasion, bénie soit l’invasion anglaise pour ses bons effets. Ces brillants oiseaux de pas
sage secouent leurs ailes dans tous les quartiers, et il en tombe une pluie de guinées. On les rencontre naturellement sur le chemin de tous nos plaisirs; ils sont très-tou
chés de l’accueil enthousiaste fait à leur gracieuse souve
raine, et cette great satisfaction éclate surtout au palais de Cristal, dont ils finiront par acheter tous les produits. C’est à leur intention principalement que nos jardins publics s’il
luminent, et qu’on s’y met en frais, peut-être pour ne point faire ses frais.
Car, au nom des dieux, je vous prie,
Quel fruit de vos lampions pensez-vous recueillir ?
Comment ces aimables étrangers ne négligeraient-ils pas le Jardin d’ÎJiver en considération des jardins de Versailles? et c’est quand leur imagination voyage dans le parc de Saint-Cloud que vous venez leur offrir les séductions du parc d’Asnières I O nos entrepreneurs de plaisirs malencontreux , que n’imitez-vous plutôt les inventeurs d’été et leur silence prudent? Ils ont renoncé à grimper dans les airs
par des procédés inconnus : où sont ceux qui se jetaient dans le feu avec une ardeur incombustible î el ces autres qui marchaient sur l’eau avec tant d’audace et encore plus de liège., que sont-ils devenus?
C’est qu’en dehors de la grande, émolion que vous savez, on n’a plus guère de cœur à rien ; à ce point que la fête du 15 août n’a fait un peu de bruit qu’à la faveur de ses spectacles gratis.
Au milieu de cet énorme tumulte, une voix pourtant a essayé de se faire entendre. L’institut est sorti de ses cata
combes, une demi-douzaine de discours à la main : c’est sa manière de s’offrir un bouquet le jour de sa fête. Les orateurs, — immortels eux-mêmes, — chargés de ces divers
compliments étaient MM. Ambroise Thomas, Babinet, VVolowski, deLuynes, Couder el Viennet. Quoique très-savant,
M. Babinet a beaucoup amusé l’auditoire. Il a parlé trop spirituellement des tremblements de terre pour n’avoir pas un peu compromis sa réputation d’homme grave. \ l’en
tendre, ces phénomènes si décriés ont du bon, puisqu’ils font peur. « Or, avoir peur, a-t-il pour les dames, c’est la plus vive des sensations ; » et afin de la procurer tou t de suite à la plus belle moitié de son auditoire, le terrible sa
vant les a prévenues que si par hasard quelque secousse ve
nait à ébranler Paris pendant son discours, la coupole de l’Institut leur tomberait infailliblement sur la tète. Dans sa harangue, M. Wolowski a eu recours à un autre moyen oratoire pour tenir l’attention en éveil. A propos de l’indus
trie de la soie et de son introduction en France, il a enlevé le mérite de l’initiative à Sully pour eu gratifier Henri IV. Le brave roi, Gascon et vert galant, fut donc un grand éco
nomiste. Cette découverte doit rendre sa mémoire plus chère aux Français et surtout aux Françaises. Puis est venu le tour de, M. Viennet, faisant une invocation à Boileau pour qu’il nous délivre du néologisme. Le spirituel académicien est surtout impitoyable pour les locutions du sport. Essayez donc de mettre en vers français le steaple-chase, le turf, le handicapp, le stud-book et les gentlcmen-ridders ; pourtant M. Viennet en est venu à bout, et ce tour de force, — son moyen oratoire, — a eu beaucoup de succès.^
Quelque chose d’incroyable, c’est qu’il est possible de trouver encore du monde ailleurs qu’à Paris. Les bords du Rhin ne sont pas moins à la mode que les rives de la Seine. Toutes les baignoires minérales sont envahies par des célébrités souffrantes et par un tas d’obscurités qui se por
tent bien. A Spa, où trône M. Banco; à Hombourg, où les malades sont mis au régime de M. Chevet, de même qu’à Bade, où tout traitement se fait en musique, il n’y a plus de
place, tout est loué. Beaucoup de ces locataires à l’avance attendent même le moment d’user de leur droit de possession, et cela pourrait bien les mener jusqu’à la saison pro
chaine, Que faire cependant et que devenir au cœur de
l’été ? car ce grand tumulte apaisé, le beau monde ou le monde qui fait le beau comprend parfaitement que la partie ne sera plus tenable en ville. Les vacances y donneront en
core beaucoup trop d’occupation à trop de monde. Aller en Suisse? la terre y tremble; en Italie ? le choléra y a montré son vilain masque. On pourrait se résigner à vivre dans sa terre, ou, faute de mieux, aller faire de la villégia
ture dans la grande rue de Passy; mais le voyage n’importe où n’est-il pas une des nécessilés de l’été, et en même temps la plus cruelle des épreuves auxquelles s’expose une élé
gante? Car enfin (c’est une femme du plus charmant esprit qui l’a dit, Mmc de Girardin, dont on réimprime en ce mo
ment les Courriers de Paris), l’été est la saison des épreu
ves. L’hiver on peut cacher les défauts de son caractère et les misères de son esprit ; le jour est sombre, et l’on ne vit que le soir; on se voit souvent, mais avec un masque et bien décidé à se plaire, c’est-à-dire à se tromper mutuellement; on parle beaucoup, mais très-vite, parce que les événe
ments, qui se renouvellent sans cesse, vous apportent des conversations toutes faites, et puis aussi parce que personne n’écoute, ce qui aide beaucoup à la conversation. L’hiver il est facile d’être aimable; le difficile, c’est de. ne l’être pas ; bien des gens cependant parviennent à vaincre cette diffi
culté. Mais l’été, il faut être réellement aimable, réellement bon et réellement spirituel pour qu’il y paraisse un peu.
C’est en ce sens que l’été est impitoyable et qu’il impose d’horribles épreuves. Eli bien ! la plus dangereuse de ces épreuves, c’est encore celle du voyage, pour les femmes surtout. Vous connaissez M de L... : c’est une charmante personne, si· aimable l’hiver que l’envie lui pardonne son suc
cès. Que j’aime à voyager! vous a-t-elle dit souvent : on ne me connaît pas tant qu’on ne m’a pas rencontrée en voyage. J’aime à courir dans les montagnes, à voir lever l’aurore ; les orages, les coups de tonnerre, les torrents et les préci
pices, rien ne m’effraye, aü contraire. Cet enthousiasme vous entraîné, et vous voilà parti pour l’Italie à la suite de cette intrépide; je suppose même que vous en êtes revenu, et qu’avez-vous découvert? Que M“* de L... n’éprouve au
cun des sentiments qu’elle affichait. Elle, se plaire à voir lever l’aurore ! mais jamais elle n’est debout avant midi ; s’il faut gravir la moindre montagne, elle a des palpitations ; est-ce une colline à descendre, elle a le vertige ; si l’on passe sous une voûte, la voilà qui étouffe et se sent mourir.
Elle a peur de tout, du tonnerre, des bœufs, des voleurs, des souris et des chauves-souris. Elle craint d’avoir trop chaud, elle craint d’avoir trop froid. A table, tout la dégoûte, el elle dégoûte les autres de tout : « Comment pouvez-vous man
ger de cela? » L’orage lui agace les nerfs, la pluie lui fait mal aux dents, la poussière lui fait mal aux yeux, le pavé lui fait mal aux pieds; elle se plaint toujours, elle gémit toujours, elle crie toujours : c’est ainsi qu’elle aime à voyager. Enfin vous trouvez que cette aimable Parisienne est in
supportable passé le mur d’enceinte, et qu’elle avait bien
raison de dire : « On ne me connaît pas quand on ne m’a pas vue en voyage! » Et la comédie de société, et la musi
que en société, et la chasse pour ces messieurs, et la danse pour ces dames, combien d’autres épreuves que l’on brave et où l’on succombe !
L’été est aussi la saison des épreuves pour les théâtres ; ils en seront sortis à leur honneur. Deux ou trois ont fermé leurs portes, mais la majorité tient bon. Les salles sont de petites Thébaïde.s moins le désert ; on y étouffe en nom
breuse. compagnie. H y a du monde à toutes les places et
ailleurs encore. La salle des Français, quand il s’y donne quelque pièce, de l’ancien répertoire, ressemble à un salon de leclure. On y observe un silence rigoureux, comme s’il s’agissait d’une leçon en Sorbonne. La plupart des specta
teurs ont la pièce en main, et ils suivent la représentation théâtrale comme un cours de lecture et de prononciation.
A son tour, le Cirque vient de régaler ses habitués d’un cours d’histoire, en quinze leçons à grand spectacle. C’est la première partie d’une. Histoire de Paris plus volumi
neuse que celle de la Porte-Saint-Martin. Le mythe et l’abstraction jouent encore ici leurs rôles, qui ne sont pas tou
jours des rôles gais. On y voit un génie du bien el un génie du mal, comme clans les épopées et les arlequinades ; Paris doit subir leur tutelle à perpétuité. Les commencements de
Paris sont si obscurs que la science de M. Barrière ne s’y attarde pas. L’enfance de Paris, qui dura neuf ou dix siè
cles, ne se prolonge pas au delà d’une heure dans sa pièce.
On ne saurait en finir plus résolument avec les temps de barbarie. Dans son opinion, l’histoire de Paris n’est présen
table qu’avec l’enceinte de Philippe-Auguste. Ce qu’il est impatient de montrer, c’est saint Louis partant de Notre- Dame pour la croisade, et c’est en tournant la page, je veux dire en baissant la toile, — une vue du Paris de Louis XI, vue prise de la cour des Miracles. « Cette cité des voleurs, celte ruche monstrueuse où rentraient le soir avec leur bu
tin tous les frêlons de l’ordre social, hôpital menteur où le bohémien, le moine défroqué, l’écolier perdu, les vauriens de toutes les nations, Espagnols, Italiens, Allemands, chré
tiens , juifs ou mahométans, couverts de plaies fardées, mendiant le jour, se transfiguraient la nuit en brigands ; immense vestiaire en un mot, où s’habillaient et se désha
billaient tous les acteurs de cette comédie éternelle que le viol, le cynisme et le meurtre jouent sur le pavé de Paris. » De ce coin de tableau ébauché par un, grand poète (M. Vic
tor Hugo), l’auteur du Cirque en a tiré une peinture trèsvivante. Quant à ces trois épisodes : un duel nocturne au pré aux Clercs, la nuit de la Saint-Barthélemy, d’après l o péra des Huguenots, et l’entrée d’Henri IV à Paris, d’après le tableau de Gérard, tous les arts, et surtout l’art drama
tique,en on l prodigieusement abusé dans ces derniers temps,
et l’esprit de Fauteur, qui a beaucoup d’esprit, a sué sang et eau pour rajeunir un peu ces vieilleries. Heureusement que le public n’a pris la pièce que pour ce qu’elle est : un pré
texte à décorations, et il lui fait chaque soir un accueil des plus pompeux. Philippe Busoni.