gardez-vous d’en douter, — attendez-vous à lire quelque jour cette merveilleuse légende en feuilleton.
Les loteries finissent et les loteries recommencent. On se sert maintenant de la religion pour les bénir, et quelques profanes s’étonnent de voir les procédés de la roulette em
ployés pour des œuvres pies. Loterie de Saint-Pierre, loterie de Saint-Antoine et des autres saints du calendrier, partout on place pieusement des billets qui ne sont encore sortis nulle part. Un spirituel annotateur des faits et gestes con
temporains raconte ci cette occasion une historiette curieuse, et si curieuse même, que. nous n’hésitons pas à la lui emprunter, comme étude de mœurs contemporaines. — Der
nièrement, dit à peu près notre auteur, un membre trèsélevé dans la hiérarchie du clergé parisien, se trouvant en soirée avec le plus célèbre de nos financiers Israélites, le prit à part pour lui dire : « Vous voyez un pasteur dans l’em
barras et incapable d’en sortir, à moins que vous ne lui veniez en aidé. Nous avons quelque part une église à moitié bâtie, et il nous faudrait trois cent mille francs pour l’ache
ver. Or nous répugnons fort à grever davantage nos fidèles el à enrichir des maçons aux dépens de nos pauvres. Je vou
drais donc trouver la somme sans la demander et sans qu’il en coûtât rien à personne. — C est-à-dire que vous voulez l’impossible... Et ça se peut, voici comment: dans les nom
breux ménages qui composent votre diocèse, el sur lesquels l Eglise a quelque action, on dépense peut-être bien six mil
lions en deux ans pour renouveler le linge de la famille.
Créez donc ces six millions en bons de vingt francs, que vous
ferez placer chez les personnes qui voudront coopérer à cette œuvre sainte sans qu’il leur en coûte rien, puisque
chacun de ces bons sera reçu comme argent comptant et en échange des marchandises nécessaires, à prix marqué, dans la plus importante maison de nouveautés de Paris. Cette maison vend meilleur et meilleur marché qu’aucune autre,
et de plus, vu l’importance du chiifre d’affaires que vous lui apporterez en dehors de ses opérations ordinaires, vous recevrez d’elle une remise de cinq pour cent, et voilà les trois cent mille francs demandés. » Bref l’affaire a été_con
et l’église, bâtie, peinte et sculptée, sera bientôt livrée à la
piété des fidèles.
Le Tbéâlre-Franç.ais, — pardon pour celte transition un peu violente, — a donné le Gâteau des reines, un titre
énigmatique pour une comédie bien facile à comprendre. La fève, de ce gâteau des reines, c’est la couronne du jeune roi Louis XV, dont M. te duc de Bourbon manigance le mariage en compagnie de M”“ de Prie. Le premier ministre et sa fa
meuse maîtresse voudraient trouver pour le petit monarque une reinette qui leur convint, c’est-à-dire quelque jolie pou
pée de haute race, et dont ils se proposent de iaire jouer les ressorts dans l’intérêt de leur domination. De son côté Ai. le cardinal de Fleury voudrait bien mordre au gàleau en faisant tirer la lève par une infante.d’Espagne, sa protégée. Vussi AI dp Prie lui oppose-t-elle tout de suite Ai 0 de Vermai dois, la future abbesse de Fontevraut, et il se trouve que la favorite de Al. le duc a jeté un vrai diable dans son
bénitier. Ce n’est pas une nonne, c’est une reine pour tout de bon qu’elle, allait extraire, du couvent; il n’y faut plus penser. On cherche donc une autre marionnette, lorsque le hasard amène à Versailles Marie Lecksinska, et la fille du bon Stanislas sera reine de France : AT10 de Prie l’a décidé. Mais Marion pleure et Marion crie pour qu’on la marie avec un beau gentilhomme de son choix. Le trône de France la touche peu, le roi Stanislas n’a pas l’air de s’en soucier da
vantage, et le jeune d’Estréès tient bon. il laut donc que VPC de Prie s’avise d’une grosse perfidie, qui est peut-être une perfidie grossière, pour désunir les amants; bref, Ma
rie Lecksinska sera reine de France. Maintenant que dire de la pièce , sinon que c’est l’erreur d’un homme de beau
coup d’esprit et de. talent. Les caractères manquent à celle comédie de caractère, et elle n’est pas suffisamment intri
guée pour une comédie d’intrigue. J’imagine que M. Gozlan, auquel le théâtre doil un grand nombre d ouvrages très-in
aura voulu prouver une fois pour toutes qu’il était capable de faire aussi du négligé. L’action est languissante et laisse trop voir le jeu des ficeiles, mais le dialogue jette leux1 el flam
mes, et il a sauvé la pièce. Les acteurs ont eu leur part clans ce succès relatif. M. Geffroy, ou le bon roi Stanislas, a une dignité un peu roicle, mais de très-bon goût. Mlle Augustine Brohan, malgré sa propension décidée à changer les Marion en Célimène, joue un peu trop son rôle de marquise en sou
brette de comédie. Du reste on ne. porte pas mieux qu’elle une belle robe, et l’on ne saurait montrer plus de mordant el d’esprit.
Le Poète inconnu, du Gymnase, c’est, un essai de comédie anecdotique où figurent Molière et Racine. Afin de sortir le plus promptement possible de son obscurité, le futur au
teur d’Andromaque et de Britanmcus apporte à Al obère sa tragédie de Tliéagène et Chariclée, et le poète inconnu a bien mal choisi son moment, Molière et sa troupe sont fort occupés. Le comique attend le roi, ou plutôt LouisXIV attend Molière qui doit lui faire répéter un bout de rôle dans la comédie-ballet qui va se jouer demain à la cour, la Princesse d’Elide, ou le Mariage forcé, il n importe. Il y a aussi un compliment à rimer en l honneur de la reine. Et cependant Molière s’enferme dans son cabinet avec le ma
nuscrit de Tliéagène et Cliariclëe, et voilà qu’il a oublié pour cette lecture le compliment à la reine, et le roi va ve
nir ! En outre, Molière a beau tourmenter sa moustache et se gratter l’os frontal, rien n’en sort, lorsque le poêle in
connu tire de sa poche l’odelette, la Nymphe de la Seine,
el Molière est sauvé et Racine va percer. 11 est présenté au prince deConti par Molière, et à Louis XIV par le prince de Conti. Ainsi la pièce n’est qu’un cadre à jolis vers, et de l’avis du public, l’auteur, M. Pellion, l’a fort bien rempli.
Le public n’a pas moins goûté la moralité de l’anecdote qui instruit MM. les directeurs a révérer leurs auteurs, et sub
sidiairement les poètes inconnus, dont ils sont tenus de lire les œuvres, quitte à ne pas les jouer.
Cette petite comédie a presque réveillé une grande question que les biographes ont éclaircie peu ou point, celle des relations entre Molière et Racine, finalement suivies de leur brouille. Le silence des contemporains a autorisé bien des conjectures ; on veut que Racine n’ait jamais pardonné à Molière la chute de son Alexandre, et qu’à son tour Mo
lière. n’ait jamais pardonné à Racine de lui avoir enlevé la Dupire. Selon d’autres, il est plus simple d’imaginer que l’auteur d Andromaque ait tourné le dos à l auteur des Précieuses ridicules quand il n’eut plus besoin de ses ser
vices. Quoi qu’il en soii. Racine malgré tout son esprit, ne sortit pas du démêlé avec les honneurs du beau rôle, il
était l’obligé et il fut l’ingrat. «Je ne pense pas, dit Griitiarest, que Molière estimât beaucoup Racine. »
La place nous manque-et le courage aussi, pour vous entretenir in extenso des Gueux de la Gaieté, qui ne sont pas précisément ceux de la chanson de Béranger. La pièce d ailleurs ressemble à toutes les pièces qui réussissent trèsfort parce qu’elles amusent beaucoup,
Philippe Busoni.
Le choléra en Sardaigne et en Italie.
Tandis que. Paris se réjouissait en l’honneur de la reine d’Angleterre, tandis qu’il raconte encore à l heure qu’il est les merveilleuses splendeurs de son hospitalité, l’Italie fré
mit sous l’étreinte du terrible fléau qui déjà nous a visités trois fois. Pourtant, parce qu’on se porte bien, ce n’est pas une raison d’oublier son voisin îpalade.
Le choléra a récemment envahi file de Sardaigne, et son apparition dans ce pays a été accompagnée de circonstances en même temps si étranges el si cruelles, que nous croyons devoir y arrêter un moment notre attention. Eeâ lettres de Sassari, que nous avons sous les yeux, font le tableau de la situation vraiment incroyable de cette ville pendant les premiers jours de la maladie.
La ville de Sassari, bâtie au flanc d’une colline dont le pied est baigné par la mer, située sous un ciel riant, parfailement aérée, dotée de plusieurs fontaines alimentées par l’eau la plus pure, devrait être le séjour le plus salu
A l exception de la grande rue, de quelques places, et du faubourg construit en dehors des anciennes murailles, tout le reste de la ville, et particulièrement les quartiers les plus voisins du rivage, n’offrent qu’un hideux assemblage de ruelles tortueuses et sales, d’impasses sombres et dégoû
tantes, de passages étroits, privés d’air, d’eau et de lumière. C’est là qu’habite la plus grande partie de la classe agricole et ouvrière, sans compter tous les indigents de la ville.
Chaque famille se contenté d’une pièce au rez-de-chaussée, souvent placée à deux ou trois pieds au-dessous du niveau de la rue. Pans ces antres malsains, on travaille, on mange,
on dort, on vil dans la plus complète promiscuité, jeunes et vieux, hommes et femmes, en compagnie du cheval ou du mulet qui sert aux travaux des champs. Rendant la grande chaleur du jour, lout ce monde.squalide se montre dans un état dé nudité qui rappelle lafsimplicité de cos
tume du paradis terrestre. Il va sans dire que les rues sont le réceptacle de toutes les immondices, et que les habitants comptent sur les chiens et sur les averses pour débarrasser le pavé des détritus infects qui l’encombrent. Il y avait donc lieu de penser que, si quelque maladie épidémique se déclarait jamais à Sassari, elle y trouverait un foyer tout préparé à la recevoir et à la porter rapidement à son maximum d’intensité. L’événement n’a que trop vérifié les prévisions de ceux des habitants éclairés qui avaient vaine
ment conseillé à l’autorité municipale de s’occuper des mesures sanitaires indiquées par le plus vulgaire bon sens.
Les premiers cas de choléra s’y sont manifestés dans les derniers jours de juillet. Comme de rigueur, les médecins commencèrent par se livrera de longs et savants débats sur la question de savoir si c’était bien le choléra asiatique ou une de ses variétés, si la maladie était épidémique ou contagieuse. Rendant ces belles discussions, les premières victi
mes mouraient oubliées. La terreur s’était emparée de la population ; la municipalité, paralysée par la frayeur, restait dans une coupable inaction. En vain l’intendant général, seul fidèle à ses devoirs, pria, supplia, menaça les uns, pro
digua aux autres ses encouragements; presque lotis les conseillers, et le syndic, ou maire, quittèrent la ville, et l’intendant resta chargé de pourvoir, avec quelques employés, aux formidables exigences de. la situation.
Le désordre et la confusion enfantés par l’absence de toute administration, eurent pour premier résultat d’obliger cha
que habitant à songer exclusivement à son propre salut. Les riches s’enfuirent; les auberges, les boutiques, tous les bu
reaux et lieux publics se fermèrent. Plusieurs médecins et les pharmaciens désertèrent leur poste, les malades et les morts furent abandonnés, et en trois jours 11 se trouva plu
sieurs centaines de cadavres sans sépullure, dont plus de cent, laissés seuls et enfermés dans les maisons, n’avaient été déclarés ni par les parents ni par les voisins.
D’effroyables épisodes se succédèrent dans ces journées sinistrés : des malades furent jetés encore vivants dans la fosse destinée à les recevoir ; des enfants furent enfermés dans des maisons désertes avec les cadavres de leurs pa
rents; des malheureux se virent condamnés, par la fuite de leurs proches, à mourir de faim et de soif.
Ce fut alors qu’on improvisa quelques ambulances; mais, les lits manquant, les malades étaient jetés sur la paille, presque tous sans draps et sans couvertures. Personne ne voulant se dévouer, les pauvres patients ne recevaient aucun secours. Souvent les vivants étaient placés à côté des morts, et mouraient, à leur tour, dans les angoisses que leur causait ce hideux voisinage.
Ce fut dans cette période de. l’épidémie que. mourut une femme aimée et estimée, entre toutes, un modèle de grâce et de bonté, la jeune marquise Félicité de San-Saturnino, ex-dame d’honneur de la feue reine du Piémont .Marie-Adélaïde, et dont le mari était conseiller de. légation en Bavière.
Cet événement fut suivi de la mort de toutes les personnes de la haute classe qui avaient entouré la marquise pendant les derniers moments de sa vie. La terreur s’accrut et la consternation devint universelle. .
Tout cela s’était passé dans un très-court délai. La ma
ladie avait éclaté le 25 juillet; le 28, elle avait envahi tous les quartiers de la ville; le 3 août, on comptait déjà 300 cas par jour; le à, elle avait atteint un degré d’intensité formidable; le 5, l’émigration avait enlevé à la ville le plus grand nombre de ses habitants valides; le 6. le 7 et le 8 on enterra de 4 à 500 morts. Jusqu’au 7, il n’y eut presque aucune guérison; les malades mouraient foudroyés.
Au milieu de cette désolation universelle et du désordre qui eu.était la conséquence, le chevalier Conte, dont nous avons parlé plus haut, conservait son sang-froid et s’effor
fait de suffire à tout, tl assurait du pain aux pauvres qui en manquaient, des secours aux malades, la sépulture aux morts ; il ranimait les courages abattus, ramenait à leurs de - voire les médecins et quelques conseillers municipaux, fai
sait rouvrir les auberges et les boulangeries. Voyant que l’épouvante régnait toujours dans la ville, que les carabi
niers royaux et les commissaires de police étaient obligés d’enterrer les morts, que les ambulances restaient sans personnel, il eut recours aux officiers de la garnison et les réunit en commissions, auxquelles il adjoignit les conseillers qui étaient revenus. Dès ce moment, le moral de la population s’est relevé, el, bien que la vente des objets de pre mière nécessité ne s’obtienne que par la force des baïon
nettes, on a vu renaître un peu de vie au milieu de cetteville éperdue. Les hôpitaux et les ambulances ont reçu l’organisalion qui leur manquait ; des médecins sont arrivés du continent, et les cholériques ont enfin trouvé les soins qui leur manquaient pendant la première période de la maladie.
Un fait qui prouve que les médecins ont généreusement expié leur première faute, c’est que déjà sept d’entre eux avaient succombé à la date du 11 du mois dernier. A la même date, on ciiait également sept officiers du 16e ré
giment d’infanterie, 1’aumônier, ainsi qu’un grand nombre de sous-officiers et de soldats, qui avaient été, victimes de leur dévouement. Aujourd’hui nous apprenons que la petite garnison a perdu plus de 100 soldats, et que sur ZtO offi
ciers, 1 h eut été frappés. Le major des carabiniers, M. Rebaudengo, et le capitaine Gatti, avec sa femme, et le reste de sa famille, ont été enlevés en quelques heures.
Grâce au ciel, au moment où nous écrivons, la situation . de celte malheureuse ville s’est sensiblement améliorée : les dernières nouvelles fixent, pour la journée du 29 août, le nombre des nouveaux cas à 8 seulement, el le nombre des décès à 15. On peut donc considérer l’épidémie comme touchant à sa fin, à moins qu’il ne survienne quelque recrudescence.
Le reste de la Sardaigne est également envahi, mais avec moins d’intensité. Quant aux provinces continentales du Piémont, quelques-unes seulement sont infectées. Voici le bulletin de la maladie jusqu’aux dates tes plus fraîches :
Gènes. Jusqu’au 30 août, 796 cas, 471 décès.
Province de Bobio. Jusqu’au 24 août, 503 cas, 251 décès.
Province de Noghera. Total, depuis l’invasion, 2133 ; 1121 décès.
Province de Tortona. Total, jusqu’au 24 août, 282 cas; 150 morts.
Presque toute l’Italie paye, en ce .moment, son tribut au fléau. Voici la statistique publiée par un journal de Turin :
Duché de Parme, total, jusqu’au 16 août : 2,153 cas, 1,155 morts.
Duché de Modène, total jusqu’au 15 : 3,111 cas, 1,746 décès.
V Vérone, le total, depuis le 28 mai jusqu’au 17 août, était de 1,202 décès ; à Venise, du 6 mai au 16 août , 1,154 ; à Radoue (ville et environs), du 18 juin au 15 août, 868 cas, 591 décès ; à Ferrare, jusqu’au 13 août, 1,501 cas, 1,000 décès ; à Vjcence (même date), 630 cas.
Lombardie, à la date du 20 août.
Provinces. Dates. Cas. Décès. Milan, 19 août, 3,003, 1,486. Bergame, 19 » 4,088, l ,759.
Brescia, 19 » 15,896, 6.949. Manieur. 19 » 2,904, 1,651. Crémone, 19 » 4,242, 1,936. Corne, 17 » 1,613, 836. Lodi-Créma, 18 » 941, 441. Pavie, 19 » 488, 281. Sandrio, 19 » 42, 24.
Totaux.............. 33,117. 15,363.
Frédéric Lacroix.
DONNÉE PAR LES PRISONNIERS RUSSES DANS LE CIRQUE DU HAVRE.
Les prisonniers russes employés aux travaux du fort de Saint- Adresse ont nomseideinent trouvé au Havre l accueil bienveillant
qu’un peuple généreux réserve à tout ennemi vaincu, mais le hasard leur a fait rencontrer un artiste de talent et de. cœur, M. L. Rémy, qu’un long séjour en Russie a initié à la connaissance de la langue
russe, et qui a mis à profit cette connaissance pour être utile autant qu’il était en lui à de pauvres diables que les hasards de la guerre ont éloignés du sol natal.
Les loteries finissent et les loteries recommencent. On se sert maintenant de la religion pour les bénir, et quelques profanes s’étonnent de voir les procédés de la roulette em
ployés pour des œuvres pies. Loterie de Saint-Pierre, loterie de Saint-Antoine et des autres saints du calendrier, partout on place pieusement des billets qui ne sont encore sortis nulle part. Un spirituel annotateur des faits et gestes con
temporains raconte ci cette occasion une historiette curieuse, et si curieuse même, que. nous n’hésitons pas à la lui emprunter, comme étude de mœurs contemporaines. — Der
nièrement, dit à peu près notre auteur, un membre trèsélevé dans la hiérarchie du clergé parisien, se trouvant en soirée avec le plus célèbre de nos financiers Israélites, le prit à part pour lui dire : « Vous voyez un pasteur dans l’em
barras et incapable d’en sortir, à moins que vous ne lui veniez en aidé. Nous avons quelque part une église à moitié bâtie, et il nous faudrait trois cent mille francs pour l’ache
ver. Or nous répugnons fort à grever davantage nos fidèles el à enrichir des maçons aux dépens de nos pauvres. Je vou
drais donc trouver la somme sans la demander et sans qu’il en coûtât rien à personne. — C est-à-dire que vous voulez l’impossible... Et ça se peut, voici comment: dans les nom
breux ménages qui composent votre diocèse, el sur lesquels l Eglise a quelque action, on dépense peut-être bien six mil
lions en deux ans pour renouveler le linge de la famille.
Créez donc ces six millions en bons de vingt francs, que vous
ferez placer chez les personnes qui voudront coopérer à cette œuvre sainte sans qu’il leur en coûte rien, puisque
chacun de ces bons sera reçu comme argent comptant et en échange des marchandises nécessaires, à prix marqué, dans la plus importante maison de nouveautés de Paris. Cette maison vend meilleur et meilleur marché qu’aucune autre,
et de plus, vu l’importance du chiifre d’affaires que vous lui apporterez en dehors de ses opérations ordinaires, vous recevrez d’elle une remise de cinq pour cent, et voilà les trois cent mille francs demandés. » Bref l’affaire a été_con
clue, les bons circulent, on a payé la prime aux ayants droit,
et l’église, bâtie, peinte et sculptée, sera bientôt livrée à la
piété des fidèles.
Le Tbéâlre-Franç.ais, — pardon pour celte transition un peu violente, — a donné le Gâteau des reines, un titre
énigmatique pour une comédie bien facile à comprendre. La fève, de ce gâteau des reines, c’est la couronne du jeune roi Louis XV, dont M. te duc de Bourbon manigance le mariage en compagnie de M”“ de Prie. Le premier ministre et sa fa
meuse maîtresse voudraient trouver pour le petit monarque une reinette qui leur convint, c’est-à-dire quelque jolie pou
pée de haute race, et dont ils se proposent de iaire jouer les ressorts dans l’intérêt de leur domination. De son côté Ai. le cardinal de Fleury voudrait bien mordre au gàleau en faisant tirer la lève par une infante.d’Espagne, sa protégée. Vussi AI dp Prie lui oppose-t-elle tout de suite Ai 0 de Vermai dois, la future abbesse de Fontevraut, et il se trouve que la favorite de Al. le duc a jeté un vrai diable dans son
bénitier. Ce n’est pas une nonne, c’est une reine pour tout de bon qu’elle, allait extraire, du couvent; il n’y faut plus penser. On cherche donc une autre marionnette, lorsque le hasard amène à Versailles Marie Lecksinska, et la fille du bon Stanislas sera reine de France : AT10 de Prie l’a décidé. Mais Marion pleure et Marion crie pour qu’on la marie avec un beau gentilhomme de son choix. Le trône de France la touche peu, le roi Stanislas n’a pas l’air de s’en soucier da
vantage, et le jeune d’Estréès tient bon. il laut donc que VPC de Prie s’avise d’une grosse perfidie, qui est peut-être une perfidie grossière, pour désunir les amants; bref, Ma
rie Lecksinska sera reine de France. Maintenant que dire de la pièce , sinon que c’est l’erreur d’un homme de beau
coup d’esprit et de. talent. Les caractères manquent à celle comédie de caractère, et elle n’est pas suffisamment intri
guée pour une comédie d’intrigue. J’imagine que M. Gozlan, auquel le théâtre doil un grand nombre d ouvrages très-in
génieux, où la distinction est poussée, jusqu’à la recherche,
aura voulu prouver une fois pour toutes qu’il était capable de faire aussi du négligé. L’action est languissante et laisse trop voir le jeu des ficeiles, mais le dialogue jette leux1 el flam
mes, et il a sauvé la pièce. Les acteurs ont eu leur part clans ce succès relatif. M. Geffroy, ou le bon roi Stanislas, a une dignité un peu roicle, mais de très-bon goût. Mlle Augustine Brohan, malgré sa propension décidée à changer les Marion en Célimène, joue un peu trop son rôle de marquise en sou
brette de comédie. Du reste on ne. porte pas mieux qu’elle une belle robe, et l’on ne saurait montrer plus de mordant el d’esprit.
Le Poète inconnu, du Gymnase, c’est, un essai de comédie anecdotique où figurent Molière et Racine. Afin de sortir le plus promptement possible de son obscurité, le futur au
teur d’Andromaque et de Britanmcus apporte à Al obère sa tragédie de Tliéagène et Chariclée, et le poète inconnu a bien mal choisi son moment, Molière et sa troupe sont fort occupés. Le comique attend le roi, ou plutôt LouisXIV attend Molière qui doit lui faire répéter un bout de rôle dans la comédie-ballet qui va se jouer demain à la cour, la Princesse d’Elide, ou le Mariage forcé, il n importe. Il y a aussi un compliment à rimer en l honneur de la reine. Et cependant Molière s’enferme dans son cabinet avec le ma
nuscrit de Tliéagène et Cliariclëe, et voilà qu’il a oublié pour cette lecture le compliment à la reine, et le roi va ve
nir ! En outre, Molière a beau tourmenter sa moustache et se gratter l’os frontal, rien n’en sort, lorsque le poêle in
connu tire de sa poche l’odelette, la Nymphe de la Seine,
el Molière est sauvé et Racine va percer. 11 est présenté au prince deConti par Molière, et à Louis XIV par le prince de Conti. Ainsi la pièce n’est qu’un cadre à jolis vers, et de l’avis du public, l’auteur, M. Pellion, l’a fort bien rempli.
Le public n’a pas moins goûté la moralité de l’anecdote qui instruit MM. les directeurs a révérer leurs auteurs, et sub
sidiairement les poètes inconnus, dont ils sont tenus de lire les œuvres, quitte à ne pas les jouer.
Cette petite comédie a presque réveillé une grande question que les biographes ont éclaircie peu ou point, celle des relations entre Molière et Racine, finalement suivies de leur brouille. Le silence des contemporains a autorisé bien des conjectures ; on veut que Racine n’ait jamais pardonné à Molière la chute de son Alexandre, et qu’à son tour Mo
lière. n’ait jamais pardonné à Racine de lui avoir enlevé la Dupire. Selon d’autres, il est plus simple d’imaginer que l’auteur d Andromaque ait tourné le dos à l auteur des Précieuses ridicules quand il n’eut plus besoin de ses ser
vices. Quoi qu’il en soii. Racine malgré tout son esprit, ne sortit pas du démêlé avec les honneurs du beau rôle, il
était l’obligé et il fut l’ingrat. «Je ne pense pas, dit Griitiarest, que Molière estimât beaucoup Racine. »
La place nous manque-et le courage aussi, pour vous entretenir in extenso des Gueux de la Gaieté, qui ne sont pas précisément ceux de la chanson de Béranger. La pièce d ailleurs ressemble à toutes les pièces qui réussissent trèsfort parce qu’elles amusent beaucoup,
Philippe Busoni.
Le choléra en Sardaigne et en Italie.
Tandis que. Paris se réjouissait en l’honneur de la reine d’Angleterre, tandis qu’il raconte encore à l heure qu’il est les merveilleuses splendeurs de son hospitalité, l’Italie fré
mit sous l’étreinte du terrible fléau qui déjà nous a visités trois fois. Pourtant, parce qu’on se porte bien, ce n’est pas une raison d’oublier son voisin îpalade.
Le choléra a récemment envahi file de Sardaigne, et son apparition dans ce pays a été accompagnée de circonstances en même temps si étranges el si cruelles, que nous croyons devoir y arrêter un moment notre attention. Eeâ lettres de Sassari, que nous avons sous les yeux, font le tableau de la situation vraiment incroyable de cette ville pendant les premiers jours de la maladie.
La ville de Sassari, bâtie au flanc d’une colline dont le pied est baigné par la mer, située sous un ciel riant, parfailement aérée, dotée de plusieurs fontaines alimentées par l’eau la plus pure, devrait être le séjour le plus salu
bre de toute la Sardaigne. Cependant, il n’en est pas ainsi.
A l exception de la grande rue, de quelques places, et du faubourg construit en dehors des anciennes murailles, tout le reste de la ville, et particulièrement les quartiers les plus voisins du rivage, n’offrent qu’un hideux assemblage de ruelles tortueuses et sales, d’impasses sombres et dégoû
tantes, de passages étroits, privés d’air, d’eau et de lumière. C’est là qu’habite la plus grande partie de la classe agricole et ouvrière, sans compter tous les indigents de la ville.
Chaque famille se contenté d’une pièce au rez-de-chaussée, souvent placée à deux ou trois pieds au-dessous du niveau de la rue. Pans ces antres malsains, on travaille, on mange,
on dort, on vil dans la plus complète promiscuité, jeunes et vieux, hommes et femmes, en compagnie du cheval ou du mulet qui sert aux travaux des champs. Rendant la grande chaleur du jour, lout ce monde.squalide se montre dans un état dé nudité qui rappelle lafsimplicité de cos
tume du paradis terrestre. Il va sans dire que les rues sont le réceptacle de toutes les immondices, et que les habitants comptent sur les chiens et sur les averses pour débarrasser le pavé des détritus infects qui l’encombrent. Il y avait donc lieu de penser que, si quelque maladie épidémique se déclarait jamais à Sassari, elle y trouverait un foyer tout préparé à la recevoir et à la porter rapidement à son maximum d’intensité. L’événement n’a que trop vérifié les prévisions de ceux des habitants éclairés qui avaient vaine
ment conseillé à l’autorité municipale de s’occuper des mesures sanitaires indiquées par le plus vulgaire bon sens.
Les premiers cas de choléra s’y sont manifestés dans les derniers jours de juillet. Comme de rigueur, les médecins commencèrent par se livrera de longs et savants débats sur la question de savoir si c’était bien le choléra asiatique ou une de ses variétés, si la maladie était épidémique ou contagieuse. Rendant ces belles discussions, les premières victi
mes mouraient oubliées. La terreur s’était emparée de la population ; la municipalité, paralysée par la frayeur, restait dans une coupable inaction. En vain l’intendant général, seul fidèle à ses devoirs, pria, supplia, menaça les uns, pro
digua aux autres ses encouragements; presque lotis les conseillers, et le syndic, ou maire, quittèrent la ville, et l’intendant resta chargé de pourvoir, avec quelques employés, aux formidables exigences de. la situation.
Le désordre et la confusion enfantés par l’absence de toute administration, eurent pour premier résultat d’obliger cha
que habitant à songer exclusivement à son propre salut. Les riches s’enfuirent; les auberges, les boutiques, tous les bu
reaux et lieux publics se fermèrent. Plusieurs médecins et les pharmaciens désertèrent leur poste, les malades et les morts furent abandonnés, et en trois jours 11 se trouva plu
sieurs centaines de cadavres sans sépullure, dont plus de cent, laissés seuls et enfermés dans les maisons, n’avaient été déclarés ni par les parents ni par les voisins.
D’effroyables épisodes se succédèrent dans ces journées sinistrés : des malades furent jetés encore vivants dans la fosse destinée à les recevoir ; des enfants furent enfermés dans des maisons désertes avec les cadavres de leurs pa
rents; des malheureux se virent condamnés, par la fuite de leurs proches, à mourir de faim et de soif.
Ce fut alors qu’on improvisa quelques ambulances; mais, les lits manquant, les malades étaient jetés sur la paille, presque tous sans draps et sans couvertures. Personne ne voulant se dévouer, les pauvres patients ne recevaient aucun secours. Souvent les vivants étaient placés à côté des morts, et mouraient, à leur tour, dans les angoisses que leur causait ce hideux voisinage.
Ce fut dans cette période de. l’épidémie que. mourut une femme aimée et estimée, entre toutes, un modèle de grâce et de bonté, la jeune marquise Félicité de San-Saturnino, ex-dame d’honneur de la feue reine du Piémont .Marie-Adélaïde, et dont le mari était conseiller de. légation en Bavière.
Cet événement fut suivi de la mort de toutes les personnes de la haute classe qui avaient entouré la marquise pendant les derniers moments de sa vie. La terreur s’accrut et la consternation devint universelle. .
Tout cela s’était passé dans un très-court délai. La ma
ladie avait éclaté le 25 juillet; le 28, elle avait envahi tous les quartiers de la ville; le 3 août, on comptait déjà 300 cas par jour; le à, elle avait atteint un degré d’intensité formidable; le 5, l’émigration avait enlevé à la ville le plus grand nombre de ses habitants valides; le 6. le 7 et le 8 on enterra de 4 à 500 morts. Jusqu’au 7, il n’y eut presque aucune guérison; les malades mouraient foudroyés.
Au milieu de cette désolation universelle et du désordre qui eu.était la conséquence, le chevalier Conte, dont nous avons parlé plus haut, conservait son sang-froid et s’effor
fait de suffire à tout, tl assurait du pain aux pauvres qui en manquaient, des secours aux malades, la sépulture aux morts ; il ranimait les courages abattus, ramenait à leurs de - voire les médecins et quelques conseillers municipaux, fai
sait rouvrir les auberges et les boulangeries. Voyant que l’épouvante régnait toujours dans la ville, que les carabi
niers royaux et les commissaires de police étaient obligés d’enterrer les morts, que les ambulances restaient sans personnel, il eut recours aux officiers de la garnison et les réunit en commissions, auxquelles il adjoignit les conseillers qui étaient revenus. Dès ce moment, le moral de la population s’est relevé, el, bien que la vente des objets de pre mière nécessité ne s’obtienne que par la force des baïon
nettes, on a vu renaître un peu de vie au milieu de cetteville éperdue. Les hôpitaux et les ambulances ont reçu l’organisalion qui leur manquait ; des médecins sont arrivés du continent, et les cholériques ont enfin trouvé les soins qui leur manquaient pendant la première période de la maladie.
Un fait qui prouve que les médecins ont généreusement expié leur première faute, c’est que déjà sept d’entre eux avaient succombé à la date du 11 du mois dernier. A la même date, on ciiait également sept officiers du 16e ré
giment d’infanterie, 1’aumônier, ainsi qu’un grand nombre de sous-officiers et de soldats, qui avaient été, victimes de leur dévouement. Aujourd’hui nous apprenons que la petite garnison a perdu plus de 100 soldats, et que sur ZtO offi
ciers, 1 h eut été frappés. Le major des carabiniers, M. Rebaudengo, et le capitaine Gatti, avec sa femme, et le reste de sa famille, ont été enlevés en quelques heures.
Grâce au ciel, au moment où nous écrivons, la situation . de celte malheureuse ville s’est sensiblement améliorée : les dernières nouvelles fixent, pour la journée du 29 août, le nombre des nouveaux cas à 8 seulement, el le nombre des décès à 15. On peut donc considérer l’épidémie comme touchant à sa fin, à moins qu’il ne survienne quelque recrudescence.
Le reste de la Sardaigne est également envahi, mais avec moins d’intensité. Quant aux provinces continentales du Piémont, quelques-unes seulement sont infectées. Voici le bulletin de la maladie jusqu’aux dates tes plus fraîches :
Gènes. Jusqu’au 30 août, 796 cas, 471 décès.
Province de Bobio. Jusqu’au 24 août, 503 cas, 251 décès.
Province de Noghera. Total, depuis l’invasion, 2133 ; 1121 décès.
Province de Tortona. Total, jusqu’au 24 août, 282 cas; 150 morts.
Presque toute l’Italie paye, en ce .moment, son tribut au fléau. Voici la statistique publiée par un journal de Turin :
Duché de Parme, total, jusqu’au 16 août : 2,153 cas, 1,155 morts.
Duché de Modène, total jusqu’au 15 : 3,111 cas, 1,746 décès.
V Vérone, le total, depuis le 28 mai jusqu’au 17 août, était de 1,202 décès ; à Venise, du 6 mai au 16 août , 1,154 ; à Radoue (ville et environs), du 18 juin au 15 août, 868 cas, 591 décès ; à Ferrare, jusqu’au 13 août, 1,501 cas, 1,000 décès ; à Vjcence (même date), 630 cas.
Lombardie, à la date du 20 août.
Provinces. Dates. Cas. Décès. Milan, 19 août, 3,003, 1,486. Bergame, 19 » 4,088, l ,759.
Brescia, 19 » 15,896, 6.949. Manieur. 19 » 2,904, 1,651. Crémone, 19 » 4,242, 1,936. Corne, 17 » 1,613, 836. Lodi-Créma, 18 » 941, 441. Pavie, 19 » 488, 281. Sandrio, 19 » 42, 24.
Totaux.............. 33,117. 15,363.
Frédéric Lacroix.
Une soirée musicale et chorégraphique
DONNÉE PAR LES PRISONNIERS RUSSES DANS LE CIRQUE DU HAVRE.
Les prisonniers russes employés aux travaux du fort de Saint- Adresse ont nomseideinent trouvé au Havre l accueil bienveillant
qu’un peuple généreux réserve à tout ennemi vaincu, mais le hasard leur a fait rencontrer un artiste de talent et de. cœur, M. L. Rémy, qu’un long séjour en Russie a initié à la connaissance de la langue
russe, et qui a mis à profit cette connaissance pour être utile autant qu’il était en lui à de pauvres diables que les hasards de la guerre ont éloignés du sol natal.