permis de compter pour beaucoup celle de l’intelligence. Les Kœnigsinaivks, dont le destin fut si romanesque, ont engendré le roman, le seul vrai roman de nos jours. Bien que moissonnés presque tous prématurément, fatalement, ils ont ainsi fait une lin heureuse et conforme à leurs extra
ordinaires précédents : All’s mell that ends well, comme dit la comédie anglaise.
La monographie historique, et hanovrienne de VL Henri Blaze est dramatique, écrite d’un style distingué, accompa
gnée de notes substantielles, curieuses. On la lira avec, le double et complexe, mais non contradictoire, intérêt de la fiction et de l’histoire. On se plaira à remonter, avec le pas
sionné et brillant écrivain, à ces temps tout de guerroiement, de galanterie et de faste. On suivra notamment avec un sympathique serrement de cœur la poétique liaison du
beau Philippe-Christophe et de la princesse, de Celles ; on verra là aussi comment on aimait autrefois (mieux qu’aujourd’hui), et comment on mourait pour avoir aimé.
[le telles lectures sont fort bonnes en ces temps d’utilitarius, comme dit Jacquemont, de crédit foncier et mobi
lier outré, de ternies exagérés, de coton à n’en plus finir, et d affaires sans paix ni trêve. On a par trop chassé l i
déal : il revient par l’entremise de ces inutiles qu’un vrai et digne esprit a proclamés les utiles par excellence. Franchement, ce n’est, pas dommage.
Dans une prochaine chronique, nous suivrons le cours de. nos pérégrinations sédentaires en Amérique et autres lieux.
FÉLIX Mornand.
Bibliographie.
La Fin du monde par la science, par Eugène Huzar ; Paris, 1855 — Dentu, éditeur, Palais-Royal.
Malgré le titre apocalyptique de ce petit livre, l’auteur, M. Eugène Huzar, ne se donne pas précisément pour un prophète. 11 a trop de I) m sens pour ignorer que si rien n’est plus aise que de prédire, à coup sur lu tin uu monde, il n’est pas aussi facile uen fixer l’épo
que. Aussi se borne-t-il à nous . emoatrer de quelle façon le monde, selon lui, doit finir. C’est, déjà une entreprise bien hardie et qui sem
ble dépasser la portée raisonnable de l’esprit humain; néanmoins, c >mme en un tel sujet toutes les conjectures sont permises, il est juste de n’en repousser aucune sans examen. L’auteur s’est d’ailleurs bien gardé de nous présenter tes siennes comme une révélation : il se tlatte, ail contraire, de les tirer par induction d’un prin
cipe connu qui sert en même temps d’argument et (l’épigraphe à
son livre : Ce qui a Hé sera. C’est donc dans l’application qu’il a laite de ce principe que sont contenues ses raisons, bonnes ou mauvaises, et par là qu’il faut premièrement les juger.
Oui, sans doute, ce qui. a é é sera. Il n’est pas de règle plus sûre pour prévoir le cours des phénomènes de la nature et la marche des choses-humaines. Mais si, dans une foule de cas, cette probabilité
équivaut presque à la certitude, elle s’en éloigne infiniment dans d’autres. Une longue expérience peut seule lui donner force de loi. Ce n’est qu’en voyant les mêmes faits se reproduire tous les jours, depuis que le monde existe, que nous sommes autorisés à conclure qu’ils auront toujours lieu de la même manière tant que ce monde durera. Voilà des milliers d’années que la terre accomplit sa révo
lution annuelle, et par conséquent, elle l’accomplira jusqu à la fin des siècles; des milliers d’années que les hommes naissent et meurent, et il est à croire que leurs générations se succéderont tant qu’il y
aura des hommes. Rien rt’est plus certain; mais c’est uniquement, l’expérience répétée et pour ainsi dire inaé/niie des faits de ce genre qui nous en donne la certitude. Ce q i a élit .sera, n’est donc un principe sûr que quand nous l’appliquons à ce qui a toujours été ; m i ; il perd beaucoup de sa probabilité à mesure (pie.l’expérience diminue, et, en se généralisant, il 11c signifie plus rien. Il en résulte qu on ne saurait, en bonne logique, l’appliquer à un fait isolé et qui ne s’est produit qu une fois dans la suite des temps.
Mais que dire d’une telle induction si le fait lui-même est douteux, et n’a d’autre garant que des traditions obscures que chacun peut expliquer à son gré? N’est-ce pas s’agiter dans le vide à la pour
suite d’une chimère ? L’histoire de la chute du premier homme, soit qu’on prenne le récit de la Bible à la lettre, soit qu’on ne veuille y voir qu’une sorte de parabole, ne reste-t-elle pas pour nous une enigme dont il serait très-vain de vouloir démêler le sens ? L’Église
elle-même, qui l’accepte comme un article de foi, a beaucoup varié à cet égard dans son exégèse. Si, selon la plupart des théologiens, l’homme n’est tombé (pie pour avoir désobéi, c’est l’orgueil qui a
causé sa chute selon d’autres, et il en est qui eu font uniquement la punition de la concupiscence. Quoiqu’il en soit de ces interprétations, le fait et ses circonstances n’en demeurent pas moins inexpli
cables, et il me semble que c’est tomber dans l’excès des rêveries vabbiniques que de chercher à soulever le voile jjui couvre ces incunables où a été bercée l’enfance de l humanité.
C’est la scie ce, dit M. Huzâr, qui est le fruit défendu, et la prévarication de l’homme ne consiste qu’à avoir trop savouré ce fruit dont le poison est l orgueil, qui l’a perdu une fois et le perdra enc ire ; car ce qui a été sera ; que d’obscurités accumulées dans une seule phrase. Quelle était la science de l homme aux premiers âges du monde ? Comment concevoir qu’il lui fût interdit d’exercer l’in
telligence et les aptitudes qui sont dans sa nature ? Qu’est-ce que le péché originel ? Pourquoi l’orgueil est-il le résultat de ce qu’on nomme la science et la cause de ce péché? Est-il bien sûr que l’homme soit tombé une fois i1 et, cette déchéance fut-elle prouvée, peut-on en conclure qu’il tombera encore? Autant de mots, autant d’énigmes indéchiffrables.
On ne recherchera donc point ici, avec l’auteur, si, dans des temps antérieurs à la tradition elle-même, l’homme était déjà parvenu à se rendre maître de forces assez puissantes pour détruire en un jour tout son ouvrage, ni de quelle nature était cette science dont i’excès a été, selon lui, si fatal à notre espèce. Il ne-fant pas abuser de l’imagination de peur qu’elle ne produise des monstres. Peut-être eut-il valu mieux définir clairement ce qu’on entend aujourd’hui par la science, puisque le livre entier roule sur ce mot qui est dans la bou
che de tout le monde et dont presque personne ne fait un bon usage. L’auteur ne l’a point fait ; de là une foule d’équivoques ; car c’est une idée fort générale qui embrasse tout ce que l’homme peut sa
voir par raison, par calcul ou par expérience. Or ces trois ordres de connaissances diffèrent beaucoup, quoique les mêmes instru
ments lui servent pour les acquérir. Sa raison seule ne lui a presque rien appris sur les lois qui gouvernent son être, ses rapports avec tout ce qui l’entoure, le principe de son existence et la règle de ses actions ici-bas. Ce sont là des sujets sur lesquels sa science n’a pas fait un pas depuis son origine et dont i! n’a pas lieu d’être très-fier. A l’égard des lois naturelles, que la raison, aidée du calcul, est par
venue à découvrir, ce qu’il en sait est encore fort peu de chose. Il n’en est pas de même des notions acquises par Inexpérience_ dont le trésor semble s’aer.roitre chaque jour; nette définition était indis
pensable pour ne pas induire le lecteur en erreur; car, quand on dit quels science est en progrès, cela ne peut s’entendre de la tiiéo1ogie, de la métaphysique, de la logique, de la morale, lesquelles en sont, ou peu s’eu faut, au même point qu’il y a (leux mille ans; cela demande réflexion s’il s’agit des mathématiques, de la physi
que, de la mécanique, dont on n’a découvert aucune loi importante depuis plus de cent ans. Mais la chose est sans difficulté pour tordes les sciences d’expérimentation et d’application qu’il serait, trop long d’énumérer Ici. Que faut-il en conclure ? que cos dernières sciences sont les seules qui soient vraiment en progrès ; et il n’y a rien de plus naturel, ni de plus aisé à comprendre ; car si l’humanité res
semble, comme dit Pascal, à un homme qui subsiste, toujours et qui apprend sans cesse, ses progrès peuvent se comparer aux nôtres, qui sont d’abord très-lents dans notre enfance, atteignent ra
pidement leur perfection de la jeunesse à l’âge mûr, et deviennent presque nuis dans notre vieillesse, sans cesser néanmoins de s’accroître (lfi jûir en jour par l’expérience,
Il me semble que la vraie scie-tce, celle du moins qui mérite ce nom, est dans le génie qui découvre les lois de la nature, et non
dans l’habileté qui sait eu tirer parti. Notre siècle, qui sait faire un usage si ingénieux de toutes les forces élémentaires que l’observa
tion a mises sous sa main, n’a au fond presque rien inventé. L’est aux trois siècles qui l’ont précédé que sont dus les plus grands efforts de l’esprit humain, l astronomie, le calcul des infinis, l’application de l’algèhre à la géométrie et à la mécanique, les lois fonda
mentales de la physique et de la chimie, U ne peut donc se faire honneur des principes à l’aide desquels il met en œuvre les forces que le hasard a fait trouver avant, lui, telles que la vapeur et l’é
lectricité. Les effets qu’il en tire sont merveilleux sans doute, mais ce ne sont que des applications d’une science qu’il n’a point faite.
Ce qui lui appartient en propre, c’est l’expérience qui met chaque jour à sa disposition de nouveaux matériaux et des forces inconnues, l’industrie de les faire servir à ses besoins et l’art de tout uti
liser à mesure que ces besoins augmentent. Le serait néanmoins s’abuser beaucoup que de voir dans ce. génie fie seconde, main le progrès des sciences. Prenons pour exemple une des découvertes qui lui font le pins d’honneur, le télégraphe électrique. Rien n’est sans doute plus merveilleux que cet éclair invisible d1 la pensée à travers l’espace ; mais tout le secret de l invention n’a consisté qu’à allonger le conducteur d’une machine électrique. Le fluide lui-même, ses propriétés sur certains corps, la rapidité de sa transmission, les moyens de le dégager, et jusqu’à la convention de certains si
gnes pour suppléer à la parole, tous ces éléments étaient connus (l’avance. Il ne s’agissait que de les mettre en œuvre, et c’est ce qu’on a fait avec un succès qui dépasse l imagination. Cependant, si nous comparons ce faible effort de la science actuelle à celui qu’accomplissaient à la fois un Newton et un Leibnitz, quand leur
pensée, mue de concert par une force bien autrement puissante et rapide que l’électricité, celle du génie, créait le calcul des infinis,
nous serons humiliés de noire petitesse, et peut-être resterons-nous convaincus que la véritable science ne consiste pas à savoir beau
coup de choses, ce qui est un mérite d’écolier, ni à faire sortir de
ce qu on sait des applications ingénieuses ou étonnantes, ce qui est. une affaire d’industrie, mais à trouver, par la seule force de l’esprit, les lois, les principes, les règles qui doivent diriger l homme dans son travail incessant sur la nature ; or tous les faits prouvent que cette faculté va s’affaiblissant en nous de jour en jour. Nous avons poussé plus loin que nos devanciers l’étude des phénomènes physi
ques ; on ne saurait le nier. Nous en tirons un meilleur parti dans l’application journalière que nous en faisons à tous les arts utiles ; cela est visible. Nos classifications sont meilleures ou du moins
plus complètes, d’accord ; nous savons en un mot beaucoup plus de choses; mais, dans le irai sens du mot, nous sommes beaucoup moins savants. Il est donc très-faux d’affirmer que la science est en progrès, et très-chimérique de croire que ces progrès sont indéfi
nis. L’est une des erreurs de notre époque. La vérité est que la science n’est que i animé, de, (esprit hu-naln, et (pie cet esprit, comme l’homme lui-même, comme les sociétés, comme l’humanité
tout entière, a son enfance, ses progrès et. sa décadence. Sommesnous déjà entrés dans cette dernière phase? Je l’ignore; mais l’his
toire, en nous montrant qu’elle arrive infailliblement pour tous les peuples, peut nous aider à soulever un coin du voile qui couvre l’a venir de l’humanité. L’Inde et la Chine en sont deux grands exemples. D’autant plus happants que ces deux peuples ont plus longtemps vécu, et que leur existence nous rend encore visible la décré
pitude delà civilisation. Dans notre Occident même, les lumières de la Grèce et de Rome, loin d’avoir été étouffées, comme on le croit, par la barbarie, ont subsisté, en s affaiblissant de jour en jour, jusqu’à l’extrême vieillesse de l’empire byzantin. Il est vrai que. dès peuples plus jeunes peuvent ramasser le (lambeau de la civilisation avant qu’il ne soit éteint; mais qu on me dise, ce que deviennent les progrès de la science pendant ces vicissitudes de la so
ciété, et surtout ce qu’ils deviendront quand chaque race aura eu son tour. Let avenir n’est peut-être pas aussi éloigné qu’on le pense. Ne sera-ce pas là la fin du monde que nous prédit M. Huzar dans son livre? Non la /in du monde par la science, mais peut
être par l’u/nnr mry, dernier frdit du raffinement des idées, de la subtilité sophistique, des théories en l’air sur le droit et la politique, de l’abus des cavillations, de la technologie et des études spéciales, des ergotismes, des consultations et des paradoxes révolution
naires, et de toutes les manies qui semblent ramener lentement,
mais inévitablement, à une. seconde enfance les peuples qui ont longtemps vécu.
J. LAPRADE.
Tableaux de comparaison des monnaies, des poids, des mesures de capacité et des mesures linéaires et itinéraires ries principaux pays de commerce, par Voi.tebs, une grande feuille in-8 imprimée en colonnes compactes, Prix -, 1 fr., Parjs, Lechevalier et compagnie, rue Richelieu, 80.
Le titre de cette publication dit tout ce qu’il en faut. dire. Quant à son utilité tout le monde en est.juge, c’est-à-dire tous ceux qui Usent, qui voyagent ou qui trafiquent. L’auteur a passé un temps
considérable à réunir et à vérifier ies éléments de ses tableaux. Il sera, dit-il, payé de sa peine si l’on reconnaît qu’il a travaillé pour rendre le travail et les recherches des autres inutiles. Pour nous qui ne sommes pas de la religion qui en fait son état, la connais
sance de ces rapports de monnaies, de poids, de mesures de toutes sortes nous intéresse. Puisse l’auteur tenir noire reconnaissance comme un dix-millionième de son prix.
Muséum, d histoire naturelle, de Paris. Galerie rte mil
tion des minéraux, roches, terrains et fossiles, indication des objets les plus précieux, précédés d’une notice historique sur l’origine et les développements successifs des collections jusqu’à ce jour, etc., par M. J. A. Hugard, aide de minéralogie au Muséum, etc., 1 vol. in-18, chez l’auteur et les principaux libraires. — Nous nous bor
nons à indiquer aujourd’hui le titre de cet intéressant et savant Guide dans les collections du Muséum. M, Hugard sa propose (l’en
treprendre le même travail pour les autres collections qui font du jardin des Plantes de Paris comme un abrégé de l’univers. Il ren
dra pat* là un immense sêrVlce aux visiteurs et aux étudiants. Nous le suivrons dans l’aefiümjjlisæment, de relie tache laborieuse!
Exposition universelle des beaux-arts (1).
ÉCOLE FRANÇAISE. — M. DECAMPS.
Il y a dans toutes les écoles un certain nombre de peintres, même parmi ceux qui oni un véritable talent, dont les œuvres néanmoins pourraient impunément, disparaître, parce qu’elles n’ouvrent aucun horizon nouveau à l’art, el qu’elles sont simplement une redite en très-bons termes de choses amplement connues. D’un autre côté, il s’y trouve quelques artistes qui, ne se rattachant pas au passé, à la tradition, et ne, s’inquiétant pas de la règle commune, s’établissent dans l’art avec une manière à eux, originale, ex
centrique. Dans ce que tout le monde voit et a sous les yeux ils aperçoivent ce que, personne jusque-là n’avait vu.
ils mettent en saillie certains reliefs de la forme, certaines prédominances de ligne générale, que nul ne s’avisait d’ac
cuser .avant eux. Or, s’il y a possibilité de modifier le dessin de la forme, dans des limites encore moins restreintes qu’on ne serait disposé d’abord à le croire vis-à-vis d’une chose, fixe et déterminée, quel champ illimité n’offrent pas à la fantaisie du peintre, les jeux de la lumière et de l’ombre el l’infinie variété de. la coloration des objets! fl y a ici tout un monde de mystères qui ne sç révèle qu’à l’œil exercé, du peintre, dit coloriste. Dans une figure, humaine, où l’œil de l’enfant et le vulgaire ne distinguent rien el confondent tout dans une même couleur uniforme, qu’ils désigneront sous le nom de couleur de chair, lui il voit une multiplicité de plans et de. teintes, du blanc, du rose, du jaune, du bleu, du vert, du gris, du brun, etc.... avec des nuances de tran
sition presque, insaisissables. Eh bien ! dans les phénomènes de, coloration, il y a aussi une dominante variable, qui change suivant les caprices de la mode, et est déterminée le plus souvent par l’impulsion d’un grand artiste. A une époque on n’aime que la peinture claire, légère de ton, diaphane, faiblement accentuée ; à une autre, que les tons vi
goureux, les couleurs tranchées et éclatantes. Ici, de même que pour le dessin, il semblé qu’il y ait nécessité que de temps à autre apparaisse quelque novateur pour tirer l’art de la routine et de la monotonie de, la vue. commune , et
pour révéler à l’insouciance el à l’oubli du siècle quelque chose de toujours présent dans la nature, mais que les peintres ont pendant plusieurs années laissé tomber en désuétude. C’est ainsi qu’on semble, retrouver tour à tour l om
bre, la lumière, le clair de l’obscur ou le reflet, le jaune, le. bleu, ou le rouge, le luisant ou le mat, la transparence, fluide ou l’empâtement, etc.... Ces novateurs, le plus sou
vent, sont conspués d’abord; ils révoltent le goût général en venant ainsi déranger les habitudes reçues ; puis ils gagnent quelques adeptes ; ils font secte, et leur goût indivi
duel finit par devenir un goût, dominant. Si ce sont de. véritables génies, ils impriment aux choses un sceau ineffaça
ble et qui survit à toutes les révolutions passagères de la mode. C’est ainsi que la conception grandiose de la forme instaurée par Michel-Ange, cette interprétation hautaine de la nature, restera comme un type éternel, bon à opposer à la mollesse efféminée et à l’invasion du maniérisme; c’est ainsi que Rembrandt s’est créé, entre les dessinateurs, d’une part, et les coloristes, de l’autre, un domaine particu
lier où il règne, par le clair-obscur. A côté de ces grandes révélations destinées à laisser à tout jamais des traces pro
fondes dans l’art, il faut distinguer aussi des manifestations d’originalité, moins puissantes sans doute, moins radicales,
mais qui jettent également un vif éclat par la manière dont elles tranchent sur le milieu tempéré, honnête, bien appris, sur ce qui forme la moyenne ordinaire de la production ar
tistique d’une époque. L’originalité, a un tel attrait qu’elle conquiert, même dans des genres secondaires, une renom
mée et une place d’honneur, auxquelles ne peuvent s’éle
ver la science et l’habileté, dépensées dans des œuvres plus sérieuses et plus importantes, mais sans spontanéité person
nelle. C’est ainsi que, pour citer un peintre de notre école : Watteau le peintre faux, mais charmant, de bergers et de bergères enrubannés et vêtus de taffetas et de satin , tient, avec ses fadeurs pastorales et ses pantalonnades, un rang si distingué parmi les peintres français.
Aujourd’hui les prétentions à l’originalité se sont singulièrement multipliées. Beaucoup s’enflent, se travaillent, et, dans leur recherche fiévreuse, se parent de tous les lam
beaux qu’ils peuvent encore ramasser, pourpre ou haillons.
Aussi est-il très-difficile dans notre école française moderne d’inventer quelque hardiesse, féconde , ou même quelque singularité de dessin et de couleur, qui ne trouve pas la curiosité blasée d’avance et déjà familière, avec ses extrava
gances possibles et ses scandales. C’est certainement une preuve de véritable puissance que d’imposer sa domination et de la maintenir sur un public tiraillé, par tant d’impres
sions contraires. Cette rare bonne fortune est échue à M. Decamps, qui, depuis longues années déjà, jouissant de
la vogue, ne l’a pas vue diminuer, et maintient toujours haut et ferme, entre toutes les innovations turbulentes de notre, âge, sa valeur incontestable et son individualité. L’o
riginalité de cet artiste s’est produite sous des modes divers,
et il serait difficile de la définir nettement. Il est tout à la fois coloriste et dessinateur. Il trahit des aspirations au style, à la grande tournure épique, et cependant presque tous ses tableaux sont empruntés à des sujets vulgaires. Mais, s’il se plonge à plaisir dans la réalité, il lui communique toujours la nouveauté et souvent la splendeur de l’aspect. Une. basse-cour avec ses fumiers humides ; des pourceaux vautrés dans la fange ; des ânes déformés par le tra
vail, et patients sous leur mauvaise destinée... tout prend
une apparence inusitée sous son pinceau ; ce qu’il ne peut poétiser par le dessin, il le transfigure par l’éclat de la lu
mière et de la couleur. Tout ce qui tombe sous l’œil du peintre est de son domaine. Il est paysagiste, peintre d’ani
(1) Voir les imnuMtos 638, 6*0, 643. 6441 648. 646, 647 , 648. 649, 661,
652 et 653.
ordinaires précédents : All’s mell that ends well, comme dit la comédie anglaise.
La monographie historique, et hanovrienne de VL Henri Blaze est dramatique, écrite d’un style distingué, accompa
gnée de notes substantielles, curieuses. On la lira avec, le double et complexe, mais non contradictoire, intérêt de la fiction et de l’histoire. On se plaira à remonter, avec le pas
sionné et brillant écrivain, à ces temps tout de guerroiement, de galanterie et de faste. On suivra notamment avec un sympathique serrement de cœur la poétique liaison du
beau Philippe-Christophe et de la princesse, de Celles ; on verra là aussi comment on aimait autrefois (mieux qu’aujourd’hui), et comment on mourait pour avoir aimé.
[le telles lectures sont fort bonnes en ces temps d’utilitarius, comme dit Jacquemont, de crédit foncier et mobi
lier outré, de ternies exagérés, de coton à n’en plus finir, et d affaires sans paix ni trêve. On a par trop chassé l i
déal : il revient par l’entremise de ces inutiles qu’un vrai et digne esprit a proclamés les utiles par excellence. Franchement, ce n’est, pas dommage.
Dans une prochaine chronique, nous suivrons le cours de. nos pérégrinations sédentaires en Amérique et autres lieux.
FÉLIX Mornand.
Bibliographie.
La Fin du monde par la science, par Eugène Huzar ; Paris, 1855 — Dentu, éditeur, Palais-Royal.
Malgré le titre apocalyptique de ce petit livre, l’auteur, M. Eugène Huzar, ne se donne pas précisément pour un prophète. 11 a trop de I) m sens pour ignorer que si rien n’est plus aise que de prédire, à coup sur lu tin uu monde, il n’est pas aussi facile uen fixer l’épo
que. Aussi se borne-t-il à nous . emoatrer de quelle façon le monde, selon lui, doit finir. C’est, déjà une entreprise bien hardie et qui sem
ble dépasser la portée raisonnable de l’esprit humain; néanmoins, c >mme en un tel sujet toutes les conjectures sont permises, il est juste de n’en repousser aucune sans examen. L’auteur s’est d’ailleurs bien gardé de nous présenter tes siennes comme une révélation : il se tlatte, ail contraire, de les tirer par induction d’un prin
cipe connu qui sert en même temps d’argument et (l’épigraphe à
son livre : Ce qui a Hé sera. C’est donc dans l’application qu’il a laite de ce principe que sont contenues ses raisons, bonnes ou mauvaises, et par là qu’il faut premièrement les juger.
Oui, sans doute, ce qui. a é é sera. Il n’est pas de règle plus sûre pour prévoir le cours des phénomènes de la nature et la marche des choses-humaines. Mais si, dans une foule de cas, cette probabilité
équivaut presque à la certitude, elle s’en éloigne infiniment dans d’autres. Une longue expérience peut seule lui donner force de loi. Ce n’est qu’en voyant les mêmes faits se reproduire tous les jours, depuis que le monde existe, que nous sommes autorisés à conclure qu’ils auront toujours lieu de la même manière tant que ce monde durera. Voilà des milliers d’années que la terre accomplit sa révo
lution annuelle, et par conséquent, elle l’accomplira jusqu à la fin des siècles; des milliers d’années que les hommes naissent et meurent, et il est à croire que leurs générations se succéderont tant qu’il y
aura des hommes. Rien rt’est plus certain; mais c’est uniquement, l’expérience répétée et pour ainsi dire inaé/niie des faits de ce genre qui nous en donne la certitude. Ce q i a élit .sera, n’est donc un principe sûr que quand nous l’appliquons à ce qui a toujours été ; m i ; il perd beaucoup de sa probabilité à mesure (pie.l’expérience diminue, et, en se généralisant, il 11c signifie plus rien. Il en résulte qu on ne saurait, en bonne logique, l’appliquer à un fait isolé et qui ne s’est produit qu une fois dans la suite des temps.
Mais que dire d’une telle induction si le fait lui-même est douteux, et n’a d’autre garant que des traditions obscures que chacun peut expliquer à son gré? N’est-ce pas s’agiter dans le vide à la pour
suite d’une chimère ? L’histoire de la chute du premier homme, soit qu’on prenne le récit de la Bible à la lettre, soit qu’on ne veuille y voir qu’une sorte de parabole, ne reste-t-elle pas pour nous une enigme dont il serait très-vain de vouloir démêler le sens ? L’Église
elle-même, qui l’accepte comme un article de foi, a beaucoup varié à cet égard dans son exégèse. Si, selon la plupart des théologiens, l’homme n’est tombé (pie pour avoir désobéi, c’est l’orgueil qui a
causé sa chute selon d’autres, et il en est qui eu font uniquement la punition de la concupiscence. Quoiqu’il en soit de ces interprétations, le fait et ses circonstances n’en demeurent pas moins inexpli
cables, et il me semble que c’est tomber dans l’excès des rêveries vabbiniques que de chercher à soulever le voile jjui couvre ces incunables où a été bercée l’enfance de l humanité.
C’est la scie ce, dit M. Huzâr, qui est le fruit défendu, et la prévarication de l’homme ne consiste qu’à avoir trop savouré ce fruit dont le poison est l orgueil, qui l’a perdu une fois et le perdra enc ire ; car ce qui a été sera ; que d’obscurités accumulées dans une seule phrase. Quelle était la science de l homme aux premiers âges du monde ? Comment concevoir qu’il lui fût interdit d’exercer l’in
telligence et les aptitudes qui sont dans sa nature ? Qu’est-ce que le péché originel ? Pourquoi l’orgueil est-il le résultat de ce qu’on nomme la science et la cause de ce péché? Est-il bien sûr que l’homme soit tombé une fois i1 et, cette déchéance fut-elle prouvée, peut-on en conclure qu’il tombera encore? Autant de mots, autant d’énigmes indéchiffrables.
On ne recherchera donc point ici, avec l’auteur, si, dans des temps antérieurs à la tradition elle-même, l’homme était déjà parvenu à se rendre maître de forces assez puissantes pour détruire en un jour tout son ouvrage, ni de quelle nature était cette science dont i’excès a été, selon lui, si fatal à notre espèce. Il ne-fant pas abuser de l’imagination de peur qu’elle ne produise des monstres. Peut-être eut-il valu mieux définir clairement ce qu’on entend aujourd’hui par la science, puisque le livre entier roule sur ce mot qui est dans la bou
che de tout le monde et dont presque personne ne fait un bon usage. L’auteur ne l’a point fait ; de là une foule d’équivoques ; car c’est une idée fort générale qui embrasse tout ce que l’homme peut sa
voir par raison, par calcul ou par expérience. Or ces trois ordres de connaissances diffèrent beaucoup, quoique les mêmes instru
ments lui servent pour les acquérir. Sa raison seule ne lui a presque rien appris sur les lois qui gouvernent son être, ses rapports avec tout ce qui l’entoure, le principe de son existence et la règle de ses actions ici-bas. Ce sont là des sujets sur lesquels sa science n’a pas fait un pas depuis son origine et dont i! n’a pas lieu d’être très-fier. A l’égard des lois naturelles, que la raison, aidée du calcul, est par
venue à découvrir, ce qu’il en sait est encore fort peu de chose. Il n’en est pas de même des notions acquises par Inexpérience_ dont le trésor semble s’aer.roitre chaque jour; nette définition était indis
pensable pour ne pas induire le lecteur en erreur; car, quand on dit quels science est en progrès, cela ne peut s’entendre de la tiiéo1ogie, de la métaphysique, de la logique, de la morale, lesquelles en sont, ou peu s’eu faut, au même point qu’il y a (leux mille ans; cela demande réflexion s’il s’agit des mathématiques, de la physi
que, de la mécanique, dont on n’a découvert aucune loi importante depuis plus de cent ans. Mais la chose est sans difficulté pour tordes les sciences d’expérimentation et d’application qu’il serait, trop long d’énumérer Ici. Que faut-il en conclure ? que cos dernières sciences sont les seules qui soient vraiment en progrès ; et il n’y a rien de plus naturel, ni de plus aisé à comprendre ; car si l’humanité res
semble, comme dit Pascal, à un homme qui subsiste, toujours et qui apprend sans cesse, ses progrès peuvent se comparer aux nôtres, qui sont d’abord très-lents dans notre enfance, atteignent ra
pidement leur perfection de la jeunesse à l’âge mûr, et deviennent presque nuis dans notre vieillesse, sans cesser néanmoins de s’accroître (lfi jûir en jour par l’expérience,
Il me semble que la vraie scie-tce, celle du moins qui mérite ce nom, est dans le génie qui découvre les lois de la nature, et non
dans l’habileté qui sait eu tirer parti. Notre siècle, qui sait faire un usage si ingénieux de toutes les forces élémentaires que l’observa
tion a mises sous sa main, n’a au fond presque rien inventé. L’est aux trois siècles qui l’ont précédé que sont dus les plus grands efforts de l’esprit humain, l astronomie, le calcul des infinis, l’application de l’algèhre à la géométrie et à la mécanique, les lois fonda
mentales de la physique et de la chimie, U ne peut donc se faire honneur des principes à l’aide desquels il met en œuvre les forces que le hasard a fait trouver avant, lui, telles que la vapeur et l’é
lectricité. Les effets qu’il en tire sont merveilleux sans doute, mais ce ne sont que des applications d’une science qu’il n’a point faite.
Ce qui lui appartient en propre, c’est l’expérience qui met chaque jour à sa disposition de nouveaux matériaux et des forces inconnues, l’industrie de les faire servir à ses besoins et l’art de tout uti
liser à mesure que ces besoins augmentent. Le serait néanmoins s’abuser beaucoup que de voir dans ce. génie fie seconde, main le progrès des sciences. Prenons pour exemple une des découvertes qui lui font le pins d’honneur, le télégraphe électrique. Rien n’est sans doute plus merveilleux que cet éclair invisible d1 la pensée à travers l’espace ; mais tout le secret de l invention n’a consisté qu’à allonger le conducteur d’une machine électrique. Le fluide lui-même, ses propriétés sur certains corps, la rapidité de sa transmission, les moyens de le dégager, et jusqu’à la convention de certains si
gnes pour suppléer à la parole, tous ces éléments étaient connus (l’avance. Il ne s’agissait que de les mettre en œuvre, et c’est ce qu’on a fait avec un succès qui dépasse l imagination. Cependant, si nous comparons ce faible effort de la science actuelle à celui qu’accomplissaient à la fois un Newton et un Leibnitz, quand leur
pensée, mue de concert par une force bien autrement puissante et rapide que l’électricité, celle du génie, créait le calcul des infinis,
nous serons humiliés de noire petitesse, et peut-être resterons-nous convaincus que la véritable science ne consiste pas à savoir beau
coup de choses, ce qui est un mérite d’écolier, ni à faire sortir de
ce qu on sait des applications ingénieuses ou étonnantes, ce qui est. une affaire d’industrie, mais à trouver, par la seule force de l’esprit, les lois, les principes, les règles qui doivent diriger l homme dans son travail incessant sur la nature ; or tous les faits prouvent que cette faculté va s’affaiblissant en nous de jour en jour. Nous avons poussé plus loin que nos devanciers l’étude des phénomènes physi
ques ; on ne saurait le nier. Nous en tirons un meilleur parti dans l’application journalière que nous en faisons à tous les arts utiles ; cela est visible. Nos classifications sont meilleures ou du moins
plus complètes, d’accord ; nous savons en un mot beaucoup plus de choses; mais, dans le irai sens du mot, nous sommes beaucoup moins savants. Il est donc très-faux d’affirmer que la science est en progrès, et très-chimérique de croire que ces progrès sont indéfi
nis. L’est une des erreurs de notre époque. La vérité est que la science n’est que i animé, de, (esprit hu-naln, et (pie cet esprit, comme l’homme lui-même, comme les sociétés, comme l’humanité
tout entière, a son enfance, ses progrès et. sa décadence. Sommesnous déjà entrés dans cette dernière phase? Je l’ignore; mais l’his
toire, en nous montrant qu’elle arrive infailliblement pour tous les peuples, peut nous aider à soulever un coin du voile qui couvre l’a venir de l’humanité. L’Inde et la Chine en sont deux grands exemples. D’autant plus happants que ces deux peuples ont plus longtemps vécu, et que leur existence nous rend encore visible la décré
pitude delà civilisation. Dans notre Occident même, les lumières de la Grèce et de Rome, loin d’avoir été étouffées, comme on le croit, par la barbarie, ont subsisté, en s affaiblissant de jour en jour, jusqu’à l’extrême vieillesse de l’empire byzantin. Il est vrai que. dès peuples plus jeunes peuvent ramasser le (lambeau de la civilisation avant qu’il ne soit éteint; mais qu on me dise, ce que deviennent les progrès de la science pendant ces vicissitudes de la so
ciété, et surtout ce qu’ils deviendront quand chaque race aura eu son tour. Let avenir n’est peut-être pas aussi éloigné qu’on le pense. Ne sera-ce pas là la fin du monde que nous prédit M. Huzar dans son livre? Non la /in du monde par la science, mais peut
être par l’u/nnr mry, dernier frdit du raffinement des idées, de la subtilité sophistique, des théories en l’air sur le droit et la politique, de l’abus des cavillations, de la technologie et des études spéciales, des ergotismes, des consultations et des paradoxes révolution
naires, et de toutes les manies qui semblent ramener lentement,
mais inévitablement, à une. seconde enfance les peuples qui ont longtemps vécu.
J. LAPRADE.
Tableaux de comparaison des monnaies, des poids, des mesures de capacité et des mesures linéaires et itinéraires ries principaux pays de commerce, par Voi.tebs, une grande feuille in-8 imprimée en colonnes compactes, Prix -, 1 fr., Parjs, Lechevalier et compagnie, rue Richelieu, 80.
Le titre de cette publication dit tout ce qu’il en faut. dire. Quant à son utilité tout le monde en est.juge, c’est-à-dire tous ceux qui Usent, qui voyagent ou qui trafiquent. L’auteur a passé un temps
considérable à réunir et à vérifier ies éléments de ses tableaux. Il sera, dit-il, payé de sa peine si l’on reconnaît qu’il a travaillé pour rendre le travail et les recherches des autres inutiles. Pour nous qui ne sommes pas de la religion qui en fait son état, la connais
sance de ces rapports de monnaies, de poids, de mesures de toutes sortes nous intéresse. Puisse l’auteur tenir noire reconnaissance comme un dix-millionième de son prix.
Muséum, d histoire naturelle, de Paris. Galerie rte mil
nons à indiquer aujourd’hui le titre de cet intéressant et savant Guide dans les collections du Muséum. M, Hugard sa propose (l’en
treprendre le même travail pour les autres collections qui font du jardin des Plantes de Paris comme un abrégé de l’univers. Il ren
dra pat* là un immense sêrVlce aux visiteurs et aux étudiants. Nous le suivrons dans l’aefiümjjlisæment, de relie tache laborieuse!
Exposition universelle des beaux-arts (1).
ÉCOLE FRANÇAISE. — M. DECAMPS.
Il y a dans toutes les écoles un certain nombre de peintres, même parmi ceux qui oni un véritable talent, dont les œuvres néanmoins pourraient impunément, disparaître, parce qu’elles n’ouvrent aucun horizon nouveau à l’art, el qu’elles sont simplement une redite en très-bons termes de choses amplement connues. D’un autre côté, il s’y trouve quelques artistes qui, ne se rattachant pas au passé, à la tradition, et ne, s’inquiétant pas de la règle commune, s’établissent dans l’art avec une manière à eux, originale, ex
centrique. Dans ce que tout le monde voit et a sous les yeux ils aperçoivent ce que, personne jusque-là n’avait vu.
ils mettent en saillie certains reliefs de la forme, certaines prédominances de ligne générale, que nul ne s’avisait d’ac
cuser .avant eux. Or, s’il y a possibilité de modifier le dessin de la forme, dans des limites encore moins restreintes qu’on ne serait disposé d’abord à le croire vis-à-vis d’une chose, fixe et déterminée, quel champ illimité n’offrent pas à la fantaisie du peintre, les jeux de la lumière et de l’ombre el l’infinie variété de. la coloration des objets! fl y a ici tout un monde de mystères qui ne sç révèle qu’à l’œil exercé, du peintre, dit coloriste. Dans une figure, humaine, où l’œil de l’enfant et le vulgaire ne distinguent rien el confondent tout dans une même couleur uniforme, qu’ils désigneront sous le nom de couleur de chair, lui il voit une multiplicité de plans et de. teintes, du blanc, du rose, du jaune, du bleu, du vert, du gris, du brun, etc.... avec des nuances de tran
sition presque, insaisissables. Eh bien ! dans les phénomènes de, coloration, il y a aussi une dominante variable, qui change suivant les caprices de la mode, et est déterminée le plus souvent par l’impulsion d’un grand artiste. A une époque on n’aime que la peinture claire, légère de ton, diaphane, faiblement accentuée ; à une autre, que les tons vi
goureux, les couleurs tranchées et éclatantes. Ici, de même que pour le dessin, il semblé qu’il y ait nécessité que de temps à autre apparaisse quelque novateur pour tirer l’art de la routine et de la monotonie de, la vue. commune , et
pour révéler à l’insouciance el à l’oubli du siècle quelque chose de toujours présent dans la nature, mais que les peintres ont pendant plusieurs années laissé tomber en désuétude. C’est ainsi qu’on semble, retrouver tour à tour l om
bre, la lumière, le clair de l’obscur ou le reflet, le jaune, le. bleu, ou le rouge, le luisant ou le mat, la transparence, fluide ou l’empâtement, etc.... Ces novateurs, le plus sou
vent, sont conspués d’abord; ils révoltent le goût général en venant ainsi déranger les habitudes reçues ; puis ils gagnent quelques adeptes ; ils font secte, et leur goût indivi
duel finit par devenir un goût, dominant. Si ce sont de. véritables génies, ils impriment aux choses un sceau ineffaça
ble et qui survit à toutes les révolutions passagères de la mode. C’est ainsi que la conception grandiose de la forme instaurée par Michel-Ange, cette interprétation hautaine de la nature, restera comme un type éternel, bon à opposer à la mollesse efféminée et à l’invasion du maniérisme; c’est ainsi que Rembrandt s’est créé, entre les dessinateurs, d’une part, et les coloristes, de l’autre, un domaine particu
lier où il règne, par le clair-obscur. A côté de ces grandes révélations destinées à laisser à tout jamais des traces pro
fondes dans l’art, il faut distinguer aussi des manifestations d’originalité, moins puissantes sans doute, moins radicales,
mais qui jettent également un vif éclat par la manière dont elles tranchent sur le milieu tempéré, honnête, bien appris, sur ce qui forme la moyenne ordinaire de la production ar
tistique d’une époque. L’originalité, a un tel attrait qu’elle conquiert, même dans des genres secondaires, une renom
mée et une place d’honneur, auxquelles ne peuvent s’éle
ver la science et l’habileté, dépensées dans des œuvres plus sérieuses et plus importantes, mais sans spontanéité person
nelle. C’est ainsi que, pour citer un peintre de notre école : Watteau le peintre faux, mais charmant, de bergers et de bergères enrubannés et vêtus de taffetas et de satin , tient, avec ses fadeurs pastorales et ses pantalonnades, un rang si distingué parmi les peintres français.
Aujourd’hui les prétentions à l’originalité se sont singulièrement multipliées. Beaucoup s’enflent, se travaillent, et, dans leur recherche fiévreuse, se parent de tous les lam
beaux qu’ils peuvent encore ramasser, pourpre ou haillons.
Aussi est-il très-difficile dans notre école française moderne d’inventer quelque hardiesse, féconde , ou même quelque singularité de dessin et de couleur, qui ne trouve pas la curiosité blasée d’avance et déjà familière, avec ses extrava
gances possibles et ses scandales. C’est certainement une preuve de véritable puissance que d’imposer sa domination et de la maintenir sur un public tiraillé, par tant d’impres
sions contraires. Cette rare bonne fortune est échue à M. Decamps, qui, depuis longues années déjà, jouissant de
la vogue, ne l’a pas vue diminuer, et maintient toujours haut et ferme, entre toutes les innovations turbulentes de notre, âge, sa valeur incontestable et son individualité. L’o
riginalité de cet artiste s’est produite sous des modes divers,
et il serait difficile de la définir nettement. Il est tout à la fois coloriste et dessinateur. Il trahit des aspirations au style, à la grande tournure épique, et cependant presque tous ses tableaux sont empruntés à des sujets vulgaires. Mais, s’il se plonge à plaisir dans la réalité, il lui communique toujours la nouveauté et souvent la splendeur de l’aspect. Une. basse-cour avec ses fumiers humides ; des pourceaux vautrés dans la fange ; des ânes déformés par le tra
vail, et patients sous leur mauvaise destinée... tout prend
une apparence inusitée sous son pinceau ; ce qu’il ne peut poétiser par le dessin, il le transfigure par l’éclat de la lu
mière et de la couleur. Tout ce qui tombe sous l’œil du peintre est de son domaine. Il est paysagiste, peintre d’ani
(1) Voir les imnuMtos 638, 6*0, 643. 6441 648. 646, 647 , 648. 649, 661,
652 et 653.