maux, peintre d intérieur, peintre de genre, il a failli être peintre
d’histoire. « J’ai la conviction, a- t-il dit de lui-même, que la né
cessité où je me suis trouvé de ne produire que des tableaux de
y a dans plusieurs de ses petites toiles une grandeur de style qui les déborde, et que quelquesunes , malgré leurs dimensions modestes, ont la tournure gran
diose qui convient à la grande peinture. Cependant est-il bien sûr que l’artiste ne se soit pas fait il
et qu’il n’en ait pris les aspirations et les tendances pour la portée ? Comment M. Decamps, avec une conviction telle que celle qu’il ex
prime, interrompant un instant ses travaux bien accueillis du public, n’a-l-il pas essayé de mani
fester toute sa puissance dans un cadre plus digne de la contenir?
Comment s’est-il contenté d’ouvrir dans quelques dessins une per
spective lointaine sur cet horizon nouveau de son talent? Pour nous, il nous semble que si Al. Decamps était assez habile dessinateur pour s’élever à la gravité de la grande peinture en dirigeant ses études de ce côté, s’il avait, comme senti
ment pittoresque et comme coloriste, des qualités même en excès,
il lui manquait une aptitude. Dans ses figures il excelle à exprimer le côté extérieur, mais le côté inté
rieur, le côté moral et passionné reste en dehors de ses préoccupa
tions. On comprend les regrets de l’artiste pour le développemen t inconnu que, selon lui, les circon
stances ne lui ont pas permis de douner à son génie ; mais nul au
tre ici ne peut les partager, car la part qu’il laisse est assez belle, les œuvres qui établissent sa réputa
tion sont d’une originalité assez saisissante, pour qu’on songe à lui
demander autre chose que ce qu’il a donné. Cette originalité est telle que les moins expérimentés le re
connaissent dès l’abord, qu’il laisse dans l’esprit une empreinte ineffa
çable, et que, si plusieurs peintres se sont inspirés de lui, il n’a pas eu un imitateur.
M. Decamps est représenté à l’Exposition par une soixantaine de tableaux et de dessins où l’on peut étudier les divers aspects de
son talent. L’œuvre capitale, mais non la plus complète, est In Ba
taille des timbres, qui date de 1833. Il y a une aspiration épique dans ce paysage aux vastes horizons, aux larges plaines ravinées,
où, sous un ciel nuageux et menaçant l’orage, les peuples se heurtent con
tre les peuples dans une mêlée furieuse; où le rude génie guerrier de ho
me, représenté par Marius, brise encore une fois la redoutable inva
sion du monde barbare, déjà en route pour cette
grande curée qui lui é- . chappe aujourd’hui, mais qu’il fera quelques siècles plus tard. C’est bien là une lutte de géants, a- cbarnée ; c’est chose ter
rible à voir que ces flots de combattants roulant le carnage sur cette plai
ne immense et à l’aspect désolé. L’artiste s’élève ici à un point de vue tout nouveau : au lieu de l’arrangement épisodi
que de quelques groupes isolés de combattants c mime dans le système classique, au lieu des ali
gnements stratégiques
des peintres tacticiens modernes, il embrasse
tout; il masse et il con-Le tigre et l’éléphant, tableau par M. Decamps.
fond tout, comme à travers les horizons loin
tains de l’histoire ; sous le soleil qui le brûle, le paysage lui-même prend une âpre tristesseen rap
port avec ces massacres et cette rage insensée.
Cependant l’harmonie première de ce tableau s’est détériorée; bronzé sous l’action du temps, il a pris un ton enfumé.
Les grands plans d’ombrequi viennent acciden
ter la plaine sc sont tous également obscurcis, de sorte qu’ils sont aussi noirs dans le lointain que sur les devants, ce qui rompt la gamme du clairobscur naturel. Des re
proches graves peuvent aussi être adressés au dé
faut, soit de perspective dans la grandeur proportionnelle des figures comparéesentreelles ou avec les accidents de terrain, soit de perspective aé
rienne, par rapport au
relief, des objets rendus avec une égale vigueur
Cavalerie turque asiatique traversant un gué, tableau par M. Decamps.
d’histoire. « J’ai la conviction, a- t-il dit de lui-même, que la né
cessité où je me suis trouvé de ne produire que des tableaux de
chevalet, m’a totalement détourné de ma voie. » Il est certain qu’il
y a dans plusieurs de ses petites toiles une grandeur de style qui les déborde, et que quelquesunes , malgré leurs dimensions modestes, ont la tournure gran
diose qui convient à la grande peinture. Cependant est-il bien sûr que l’artiste ne se soit pas fait il
lusion sur la nature de son talent,
et qu’il n’en ait pris les aspirations et les tendances pour la portée ? Comment M. Decamps, avec une conviction telle que celle qu’il ex
prime, interrompant un instant ses travaux bien accueillis du public, n’a-l-il pas essayé de mani
fester toute sa puissance dans un cadre plus digne de la contenir?
Comment s’est-il contenté d’ouvrir dans quelques dessins une per
spective lointaine sur cet horizon nouveau de son talent? Pour nous, il nous semble que si Al. Decamps était assez habile dessinateur pour s’élever à la gravité de la grande peinture en dirigeant ses études de ce côté, s’il avait, comme senti
Salon de 1855. — Le singe peintre, tableau par M. Decamps.
ment pittoresque et comme coloriste, des qualités même en excès,
il lui manquait une aptitude. Dans ses figures il excelle à exprimer le côté extérieur, mais le côté inté
rieur, le côté moral et passionné reste en dehors de ses préoccupa
tions. On comprend les regrets de l’artiste pour le développemen t inconnu que, selon lui, les circon
stances ne lui ont pas permis de douner à son génie ; mais nul au
tre ici ne peut les partager, car la part qu’il laisse est assez belle, les œuvres qui établissent sa réputa
tion sont d’une originalité assez saisissante, pour qu’on songe à lui
demander autre chose que ce qu’il a donné. Cette originalité est telle que les moins expérimentés le re
connaissent dès l’abord, qu’il laisse dans l’esprit une empreinte ineffa
çable, et que, si plusieurs peintres se sont inspirés de lui, il n’a pas eu un imitateur.
M. Decamps est représenté à l’Exposition par une soixantaine de tableaux et de dessins où l’on peut étudier les divers aspects de
son talent. L’œuvre capitale, mais non la plus complète, est In Ba
taille des timbres, qui date de 1833. Il y a une aspiration épique dans ce paysage aux vastes horizons, aux larges plaines ravinées,
où, sous un ciel nuageux et menaçant l’orage, les peuples se heurtent con
tre les peuples dans une mêlée furieuse; où le rude génie guerrier de ho
me, représenté par Marius, brise encore une fois la redoutable inva
sion du monde barbare, déjà en route pour cette
grande curée qui lui é- . chappe aujourd’hui, mais qu’il fera quelques siècles plus tard. C’est bien là une lutte de géants, a- cbarnée ; c’est chose ter
rible à voir que ces flots de combattants roulant le carnage sur cette plai
ne immense et à l’aspect désolé. L’artiste s’élève ici à un point de vue tout nouveau : au lieu de l’arrangement épisodi
que de quelques groupes isolés de combattants c mime dans le système classique, au lieu des ali
gnements stratégiques
des peintres tacticiens modernes, il embrasse
tout; il masse et il con-Le tigre et l’éléphant, tableau par M. Decamps.
fond tout, comme à travers les horizons loin
tains de l’histoire ; sous le soleil qui le brûle, le paysage lui-même prend une âpre tristesseen rap
port avec ces massacres et cette rage insensée.
Cependant l’harmonie première de ce tableau s’est détériorée; bronzé sous l’action du temps, il a pris un ton enfumé.
Les grands plans d’ombrequi viennent acciden
ter la plaine sc sont tous également obscurcis, de sorte qu’ils sont aussi noirs dans le lointain que sur les devants, ce qui rompt la gamme du clairobscur naturel. Des re
proches graves peuvent aussi être adressés au dé
faut, soit de perspective dans la grandeur proportionnelle des figures comparéesentreelles ou avec les accidents de terrain, soit de perspective aé
rienne, par rapport au
relief, des objets rendus avec une égale vigueur
Cavalerie turque asiatique traversant un gué, tableau par M. Decamps.