« L’état habituel de maladie de Méhémed-Schah laissant prise aux intrigues de harem, l’héritier présomptif, Nasradin-Miasa, se trouvait éloigné des affaires, - lorsque Hadji- Mirza-Agassi, le vizir, obtint du roi, pour le jeune prince, le
gouvernement de l’Aderbidjan, fief assigné d’ordinaire au valiàt (héritier présomptif). Ce prince, qui se distingue par beaucoup de prudence et de tact, sut ménager la jalousie de son père avec la finesse qui lui est propre. Sa mère, prin
cesse habile et fort instruite, appuyait de toute son adresse les efforts du premier ministre, s’humiliant même, lorsque .cela était nécessaire, devant l’arrogance des favorites, dont chacune ambitionnait la couronne pour son fils aîné. De cette façon elle contribua puissamment à préparer à son fils le trône qu’il occupe actuellement. Le jeune prince a vingtquatre ans; dès son enfance il montra beaucoup de disposi
tions pour l’art militaire et les mathématiques, et eût fait de grands progrès dans celte science si l’étude assidue de l’a
rabe, a laquelle l’obligeait son gouverneur, n’eût absorbé presque tout le temps destiné au travail. Les sciences exactes avaient tant d’attrait pour lui, que quelques jours après son avènement il m appelait dans le grand Salon de salain (récep
tion), et là, bravant toute étiquette, il me faisait asseoir près
de lui pour lui expliquer des plans et des cartes. 11 fallait alors qu’on lui rappelât que ses ministres attendaient leur audience. Nasradin-Schah connaît bien le maniement du fusil et le service de la pièce. Comme son père, il a passé par tous les grades de l’armée, depuis celui de simple soldat. Il dessine assez bien, et saisit surtout la ressemblance. Je conserve un petit portrait qu’il fit de moi, ainsi que le dessin de l’arc de l’Etoile, qu’il copia. Le jeune roi porte habituellement la tète un peu inclinée sur la poitrine, mais le regard scruta
teur qui se cache sous ses énormes sourcils noirs va sonder la pensée de ceux qui l’approchent ; aussi se trompe-t-il rarement dans les jugements qu’il porte sur quelqu’un, lise décide difficilement, mais sa ténacité est extrême lorsqu’il a
pris une décision. Il n’a pas de fanatisme ; son humeur un peu sarcastique le porte même souvent à rire des tartuferies des moullahs, et l’on peut dire que comme musulman il est esprit fort. Quoique d’apparence frêle, il jouit d’une bonne
santé qu’il doit à sa sobriété. Ses distractions préférées sont celles ou il peut développer de l’activité, comme lâchasse et la vie des camps, il parait rechercher l’occasion de se dis
tingue]1, et n’est retenu que par les vizirs, qui, craignant toujours pour leur propre conservation, entravent autant qu’ils le peuvent l’élan guerrier du jeune roi. il est donc pro
bable que, s’il s’entoure d’hommes capables de le seconder, il pourra continuer les améliorations entreprises par son aïeul, en tant qu’elles s’accorderont avec le musulmanisme.»
Le colonel F. Colombari,
Grand officier du Lion et du Sol il de Perse, etc.
Histoire de la semaine.
Dans notre dernier numéro nous annoncions, comme prochain, le triomphe définitif des efforts et de la bravoure de nos braves armées devant Sébastopol, et notre prédiction se trouve en ce moment réalisée, car, maîtres maintenant de la ville, nous allons assister à une nouvelle série d’événe
ments. Après avoir subi six assauts successifs, les Russes, se voyant dans l’impossibilité de résister plus longtemps à l’in
trépidité de nos soldats, se retirèrent dans la partie nord, n’ayant laissé derrière eux que des ruines et des décombres.
On reconnaît bien là le système de défense qui fit, sous l’empire, brûler et détruire -Moscou ; mais cette fois ce sacrifice,, nécessaire cependant, ne pouvait nous nuire, .ap
puyées que sont les armées alliées sur Kamiesh et Balakfava, et sur une mer dont elles sont les seules maîtresses.
La véritable histoire de celte journée mémorable du 9 septembre est tout entière dans les dépêches du général Pé
lissier et de l’amiral Bruat; nous en indiquons l’ordre, nous bornant à cette mention, pour arriver au dénoùment. La première, du général Pélissier, annonçant l’assaut et la prise de Malakoff, est du 9, à trois heures trente-cinq minutes et datée de Varna ; la seconde, du même général, annonçant la ruine de Karabelnaïa et de la partie sud de la ville, est du 9, à trois heures du matin, elle est datée de la redoute Brandon ; la troisième, dans l’ordre des dates, est celle de l’amiral Bruat, datée de Crimée, 9 septembre, dix heures quinze minutes du matin. La quatrième, enfin, est celle du général Pélissier, annonçant que l’ennemi avait coulé ses vapeurs et que le général Gortschakoff avait demandé un armistice pour enlever ses blessés, restés séparés de son armée par la rupture du pont.
La dernière dépêche du général Pélissier, connue au moment où nous fermons ce bulletin, est comme le couronnement de cette brillante action.
« Crimée, 10 septembre 1855, onze heures
du soir.
« J’ai parcouru aujourd’hui Sébastopol et ses ligues de défense. La pensée ne peut se faire un tableau exact de notre victoire, dont l’inspection des lieux peut seule donner toute l’étendue.
“ La prise de Malakoft, qui a contraint l’ennemi à fuir devant nos aigles déjà trois fois victorieuses, a mis entre les mains des alliés un matériel et des établissements immenses dont il est impossible encore de préciser l’importance.
« Demain les troupes alliées occuperont Karabelnaïa et la ville, et, sons leur protection, une commission anglo-française s’occupera de faire le recensement, du matériel que l’ennemi nous a abandonné.
« La joie de nos soldats est bien grande, et c’est au cri de Vive VEmpereur ! que dans leur camp iis célèbrent leur victoire. »
Devant de pareils faits et de pareils résultats, il n’y a qu’un sentiment de possible : c’est celui de l’admiration. Nous nous inclinons avec orgueil devant ces intrépides ba
tible, ces défenses qui leur ont déjà coûté tant de sang, et qui sont maintenant le digne prix de leur valeur !
L’œuvre de paix, à laquelle devraient concourir tous les peuples, et qui est le but de cette guerre, vient donc de faire un pas immense, malgré les circulaires du comte Nesselrode, dans lesquelles la Russie est représentée comme dé
cidée à sou tenir la lutte jusqu’au deri ier homme, soutenue par le patriotisme de la nation et par les immenses ressour
ces dont elle dispose; nous espérons que la loi de l’iiumanité l’emportera sur un vain orgueil et sur un système d’envahissement hostile à la liberté des peuples.
Pendant que ces immenses événements s’accomplissent à l’orient de l’Europe, nous apprenons la destruction de la puissance russe par elle-même dans la merde Kamtchatka.
J/Obligado, qui.faisait partie de l’expédition dirigée sur Pétropaulowski, arrivée .San Francisco le 18juillet, donne les détails suivants sur cette expédition, qui au moins n’aura coûté de sang à personne. L’escadre anglo-française, arri
vée devant Pétropaulowski, le contre-amiral Fournichon el le contre-amiral Bruce envoyèrent un détachement à terre, qui trouva la ville complètement déserte et abandonnée, à l’exception de deux Américains et d’un Français naturalisé.
La garnison avait quitté la citadelle pour se réfugier du côté du fleuve Amoor à bord de deux frégates, l’Auront et la Dwina, et de deux navires de commerce. Malgré les ami
raux, ils ont pu échapper, grâce à un épais brouillard, dans la nuit du 17 avril. Les habitants avaient abandonné la ville peu après le départ de la garnison. Le lendemain de leur arrivée, les alliés ont commencé leur œuvre de destruction. Les fortifications ont été rasées au moyen d’une multitude de mines. On ne peut comprendre la résolution des Russes,
quand on songe aux immenses travaux ordonnés par le Czar depuis la dernière attaque, et la puissance de résis
tance qu’ils avaient derrière les murs de la citadelle. Les alliés s’emparèrent de 56 canons, brûlèrent tous les maga
sins publics, à l’exception de la maison des pauvres, et se retirèrent pour se diriger vers l’embouchure du fleuve Amoor, où les Russes ont, dit-on, établi des fortifications formidables.
Un extrait du rapport officiel des opérations du capitaine Otter, du Firefly, devant Brandon, port de la mer de Wasa,
dans le golfe de Bothnie, envoyé à l’amirauté par le contreamiral Blindas, évalue à 20,000 livres sterling la perte occa
sionnée aux Russes dans cetle affaire. Les Anglais ontcapturé deux belles barques et cinq beaux bâtiments neufs, dé
retirés enfin, après avoir causé à l’ennemi les plus grands dommages possibles.
L’amiral Bruat annonce au ministre de la marine que le Milan, commandant Ifuchet de Saintré, et te Caton, ont détruit dans la mer d’Azoif, de Tenerdank à Dolga, 48 pêcheries, 127 bateaux, plusieurs milliers de filets, du goudron, du sel et des barriques en immense quantité; 4 pêcheries seulement ont échappé à la destruction. Le, dom
mage causé à l’ennemi peut être porté à plusieurs millions.
Le commandant du Bi undon s’est joint, de son côté, au commandant Osborne, du Vesuoius, pour brûler les fourrages qui étaient amassés sur la côte du golfe d’Oukliouk.
On écrit d’Elseneur, que le gouvernement anglais paraît avoir la pensée de laisser l’escadre dans la Baltique pendant l’hiver. On dit qu’il a jeté les yeux sur le port suédois de Landekrona, qui gèle rarement. Des négociations sont entamées, assure-t-on, entre Londres et Stockholm.
D’un autre côté, le contre-amiral Penaud a donné l’ordre à tous les navires venant de France de s’arrêter à Kiel et de ne plus se rendre dans la Baltique; il nous semblerait diffi
cile que l’escadre anglaise restât dans la Baltique, quand la nôtre rentrerait en France.
On lit dans te Daily-News du 10 que le départ d’une escadre pour la baie de Naples sera prochain , le Neptune de 120 canons, le Sa nt-George de 120 ont l’ordre de partir,
et le Morning-Pust annonce même que le Neptune est déjà parti.
Le gouvernement piémontais vient de publier, à Turin, un choix cle documents diplomatiques destinés à faire connaitre la politique suivie par la maison de Savoie au sujet de la question d’Orient pendant les années 1783 et 1784. Cette publication, signée du nom de M. Castelli, directeur géné
ral des archives du royaume, indique que la situation cle l’Europe, pour ce qui regarde la question d’Orient, est à peu près aujourd’hui la même qu’elle était en 1783.
De l’ensemble de ces documents il résulte que la politique de Victor-Amédée üf est la même que celle de Victor- Emmanuel, politique qui le poussait à s’allier aux puissan
ces occidentales. Ces documents très-intéressants, publiés par le Journal des Débats, rappellent ceux qui ont été. in
sérés dans le Moniteur sur la politique suivie par la France sous Louis XV et Louis XVL Il y a eu concordance de vue entre les deux gouvernements, et les braves Piémontais, maintenant nos alliés et nos émules dans les combats, ont déjà retiré leur part de gloire pour prix de leurs généreux efforts. Là, certainement1 , ne sera pas leur seul bénéfice.
Par l’América, arrivé dimanche, on a des nouvelles de New-York du 30 août. Les journaux de cette ville annon
cent une péripétie prévue depuis quelques mois. Sanla- Anna n’est plus dictateur du Mexique. Enlacé de tous côtés par l’insurrection, il a quitté Mexico le 9 août, sous le pré
texte d’aller en personne comprimer une insurrection à Vera-Cruz. Une partie de son escorte s’est révoltée en route, et ce n’est qu’après les plus grands périls que l’ex-dictateurs a pu s’embarquer à Vera-Cruz pour la Havane, Le peuple a renversé sa statue. Le général Carro a été nommé président du Mexique pour six mois, et le général La Vega commandant en chef de l’armée. Tous les prisonniers poli
tiques ont été remis en liberté, et une assemblée provisoire, réunie à Mexico, a décrété la liberté de la presse.
Voici, d’après le Moniteur, le récit de la tentative d’assassinat commise sur l’Empereur :
« S. M. l’Empereur a assislé, le 10 septembre, à la représentation du Théâtre-Italien. Au moment où la voiture dans laquelle se trouvaient les dames d’honneur de S. M. l’Impé
ratrice s’arrêtait devant l’entrée du théâtre, un individu qui stationnait en face sur le trottoir a déchargé,_ sans même viser, deux petits pistolets de poche sur la voiture ; personne n’a été atteint. Cet individu, qui parait être un maniaque plutôt qu’un assassin, a été immédiatement ar
rêté. ti se nomme Camille-Edouard-Dieudonné Delmarre, est âgé d’environ vingt-deux ans et est né à Rouen, L’assassin est au secret delà Conciergerie, où il a subi un interrogatoire. L’instruction continue. »
A l’occasion du triomphe de nos armées à Sébastopol, un Te Deurn a été chanté à la cathédrale de Paris, en présence de l’Empereur el des grands dignitaires, jeudi; spectacles gratuits et illumination des édifices publics. Nous consacre
rons notre prochain numéro au récit et à la représentation de ces événements et des solennités qui les oui célébrés.
Paulin.
Chronique musicale.
La marée de voyageurs, étrangers ou indigènes, qui a, depuis deux mois bientôt, envahi Paris, a fait à la musique et aux théâtres de délicieux loisirs, dont la critique jouit par contre-coup. Jamais nous n’avions eu de telles vacan
ces. L’Opéra remplit sa salle et sa caisse, quatre ou cinq fois par semaine, avec les pièces les plus usées du réper
toire, Il n’y a rien de vieux évidemment pour un homme
qui arrive de Sheffield, de Cuneo, de Jâèn ou de Brives-la- Gaillarde. L’Opéra-Comique n’est pas plus maltraité par la fortune que son majestueux voisin. Le Pactole y roule chaque soir ses flots dorés. VEtoile du Nord a surtout le pri
vilège d’y amener une foule compacte et haletante. A force de génie et de savoir-faire, M. Meyeerbeer en est arrivé là.
Le premier soin d’un étranger qui arrive à Paris, c’est de voir le Louvre, la rue de Rivoli, l’Exposition, le lac du Lois de Boulogne et les opéras de Meyerbeer.
Le Théâtre-Lyrique a rouvert après deux mois de repos. Mais il n’a eu garde de faire cette fois ce qu il fait toujours,
de signaler sa rentrée par quelque partition nous elle, fruit du génie fécond de M. Adam. Son ancien répertoire lui suffit et lui suffira longtemps encore. Tout n’est-il pas nou
veau pour qui vient de quelques centaines de lieues, — pardon ! de quelque mille kilomètres, — et n’a encore rien vu ?
Il n’y a donc qu’un théâtre dont nous ayons à vous entretenir : c’est ce nouveau venu, si jeune encore, si petit, si mignon, et qui a son répertoire à faire. Nous n’avons pas besoin de nommer les Bouffes-Parisiens. On y a joué der
nièrement deux saynètes : Une pleine eau et le Violoneux. Ce Violomux est un brave homme d’artiste campagnard, un Alard rustique, qui fait danser chaque dimanche les gar
çons et les filles de son village, et dont l’instrument égaye toutes les noces des environs. Aussi a-t-il pour son violon une affection toute particulière. — C’est lui qui me nourrit depuis trente ans, dit-il d’un ton pénétré. Malheureusement le père Mathieu a une filleule qu’il aime presque au
tant que son violon, et qu il gâte un peu. Cetle filleule, MI1E Reinette, a un amoureux bête, qui prend le père Mathieu pour un sorcier, son archet pour une baguette, son violon pour un talisman. 11 vient de tirer au sort, de satisfaire à Ut loi, comme disent messieurs les gendarmes. Il a amené le numéro 5 ! Qui accuser de son malheur? Il ne voit que le père Mathieu. Le père Mathieu lui a jeté un sort. Et pour se venger il brise le violon. Vous voyez d’ici le chagrin du bonhomme, qui vient jeter tout à coup une teinte sentimentale sur celte bouffonnerie.
M. Offenbach l’a ornée de plusieurs morceaux fort distingués, ma foi ! dans leur genre. Les couplets de Pierre : ( onscrit! conscrit! sont un petit air bouffe plein de verve et d’originalité. On ne saurait mettre dans la musique une gaieté plus vive et plus spirituelle. Le père Mathieu fait l o
raison funèbre de son violon en éclals dans une romance fort élégamment tournée, où le sentiment triste est indiqué avec une extrême finesse et une mesure qui atteste un tact exquis. Une teinte de plus, et l’auteur, sortant du genre bouffe, tombait en plein Opéra-Comique. Il a su éviter cet écueil avec une adresse remarquable. Le duo où Pierre ob
tient la main cle Reinette, — ou plutôt accorde sa main à Reinette, car c’est de cetle façon originale que la scène est posée, est un morceau charmant, et ne le cède qu’à un au
tre duo, où Reinette, décidée à se faire vivandière si son amoureux va au régiment, fait l’exercice avec la canne du père Mathieu pour prouver sa capacité militaire. Rien n’est plus gai, plus vif, plus pimpant que ce dernier morceau, qui d’ailleurs est écrit avec un naturel et une grâce extrêmes.
M. Darder chante fort bien sa partie dans ce duo, ainsi que la romance indiquée ci-dessus, et une jolie ronde, dont nous avions oublié de parler. Bertelier est très-amu
sant, comme toujours, dans le rôle de Pierre, et celui de Reinette est rempli par une jeune actrice nouvellement at
tachée à ce théâtre, M“e Schneider, qui a une jolie voix, une figure très-gracieuse et très-piquante, qui chante bien, qui joue très-agréablement, une trouvaille enfin. M“e Schnei
der, M. Bertelier et M. Pradeau font voir à quel point M. Offenbach a la main heureuse.
Une pleine eau est d’un comique plus exagéré. C’est la parodie poussée aussi loin qu’elle peut aller, la parodie île
Venise, s’il vous plaît, et du pont des Soupirs, la parodie du mariage, de la jalousie et du suicide. M. el \lme *** (lin des grands noms de la vieille Venise, qui s’obstine à ne pas venir au bout de notre plume) se haïssent cordialement, et
veulent se séparer à tout prix. Madame a un faible pour son neveu Bellotino. Monsieur est épris d’une bouquetière parisienne, Vous voyez que la vie commune leur doit être
gouvernement de l’Aderbidjan, fief assigné d’ordinaire au valiàt (héritier présomptif). Ce prince, qui se distingue par beaucoup de prudence et de tact, sut ménager la jalousie de son père avec la finesse qui lui est propre. Sa mère, prin
cesse habile et fort instruite, appuyait de toute son adresse les efforts du premier ministre, s’humiliant même, lorsque .cela était nécessaire, devant l’arrogance des favorites, dont chacune ambitionnait la couronne pour son fils aîné. De cette façon elle contribua puissamment à préparer à son fils le trône qu’il occupe actuellement. Le jeune prince a vingtquatre ans; dès son enfance il montra beaucoup de disposi
tions pour l’art militaire et les mathématiques, et eût fait de grands progrès dans celte science si l’étude assidue de l’a
rabe, a laquelle l’obligeait son gouverneur, n’eût absorbé presque tout le temps destiné au travail. Les sciences exactes avaient tant d’attrait pour lui, que quelques jours après son avènement il m appelait dans le grand Salon de salain (récep
tion), et là, bravant toute étiquette, il me faisait asseoir près
de lui pour lui expliquer des plans et des cartes. 11 fallait alors qu’on lui rappelât que ses ministres attendaient leur audience. Nasradin-Schah connaît bien le maniement du fusil et le service de la pièce. Comme son père, il a passé par tous les grades de l’armée, depuis celui de simple soldat. Il dessine assez bien, et saisit surtout la ressemblance. Je conserve un petit portrait qu’il fit de moi, ainsi que le dessin de l’arc de l’Etoile, qu’il copia. Le jeune roi porte habituellement la tète un peu inclinée sur la poitrine, mais le regard scruta
teur qui se cache sous ses énormes sourcils noirs va sonder la pensée de ceux qui l’approchent ; aussi se trompe-t-il rarement dans les jugements qu’il porte sur quelqu’un, lise décide difficilement, mais sa ténacité est extrême lorsqu’il a
pris une décision. Il n’a pas de fanatisme ; son humeur un peu sarcastique le porte même souvent à rire des tartuferies des moullahs, et l’on peut dire que comme musulman il est esprit fort. Quoique d’apparence frêle, il jouit d’une bonne
santé qu’il doit à sa sobriété. Ses distractions préférées sont celles ou il peut développer de l’activité, comme lâchasse et la vie des camps, il parait rechercher l’occasion de se dis
tingue]1, et n’est retenu que par les vizirs, qui, craignant toujours pour leur propre conservation, entravent autant qu’ils le peuvent l’élan guerrier du jeune roi. il est donc pro
bable que, s’il s’entoure d’hommes capables de le seconder, il pourra continuer les améliorations entreprises par son aïeul, en tant qu’elles s’accorderont avec le musulmanisme.»
Le colonel F. Colombari,
Grand officier du Lion et du Sol il de Perse, etc.
Histoire de la semaine.
Dans notre dernier numéro nous annoncions, comme prochain, le triomphe définitif des efforts et de la bravoure de nos braves armées devant Sébastopol, et notre prédiction se trouve en ce moment réalisée, car, maîtres maintenant de la ville, nous allons assister à une nouvelle série d’événe
ments. Après avoir subi six assauts successifs, les Russes, se voyant dans l’impossibilité de résister plus longtemps à l’in
trépidité de nos soldats, se retirèrent dans la partie nord, n’ayant laissé derrière eux que des ruines et des décombres.
On reconnaît bien là le système de défense qui fit, sous l’empire, brûler et détruire -Moscou ; mais cette fois ce sacrifice,, nécessaire cependant, ne pouvait nous nuire, .ap
puyées que sont les armées alliées sur Kamiesh et Balakfava, et sur une mer dont elles sont les seules maîtresses.
La véritable histoire de celte journée mémorable du 9 septembre est tout entière dans les dépêches du général Pé
lissier et de l’amiral Bruat; nous en indiquons l’ordre, nous bornant à cette mention, pour arriver au dénoùment. La première, du général Pélissier, annonçant l’assaut et la prise de Malakoff, est du 9, à trois heures trente-cinq minutes et datée de Varna ; la seconde, du même général, annonçant la ruine de Karabelnaïa et de la partie sud de la ville, est du 9, à trois heures du matin, elle est datée de la redoute Brandon ; la troisième, dans l’ordre des dates, est celle de l’amiral Bruat, datée de Crimée, 9 septembre, dix heures quinze minutes du matin. La quatrième, enfin, est celle du général Pélissier, annonçant que l’ennemi avait coulé ses vapeurs et que le général Gortschakoff avait demandé un armistice pour enlever ses blessés, restés séparés de son armée par la rupture du pont.
La dernière dépêche du général Pélissier, connue au moment où nous fermons ce bulletin, est comme le couronnement de cette brillante action.
« Crimée, 10 septembre 1855, onze heures
du soir.
« J’ai parcouru aujourd’hui Sébastopol et ses ligues de défense. La pensée ne peut se faire un tableau exact de notre victoire, dont l’inspection des lieux peut seule donner toute l’étendue.
11 La multiplicité des travaux de défense et les moyens matériels uni y ont été appliqués dépassent beaucoup ce qui s’était vu dans l’histoire des guerres.
“ La prise de Malakoft, qui a contraint l’ennemi à fuir devant nos aigles déjà trois fois victorieuses, a mis entre les mains des alliés un matériel et des établissements immenses dont il est impossible encore de préciser l’importance.
« Demain les troupes alliées occuperont Karabelnaïa et la ville, et, sons leur protection, une commission anglo-française s’occupera de faire le recensement, du matériel que l’ennemi nous a abandonné.
« La joie de nos soldats est bien grande, et c’est au cri de Vive VEmpereur ! que dans leur camp iis célèbrent leur victoire. »
Devant de pareils faits et de pareils résultats, il n’y a qu’un sentiment de possible : c’est celui de l’admiration. Nous nous inclinons avec orgueil devant ces intrépides ba
taillons qui ont emporté en un jour, avec un élan irrésis
tible, ces défenses qui leur ont déjà coûté tant de sang, et qui sont maintenant le digne prix de leur valeur !
L’œuvre de paix, à laquelle devraient concourir tous les peuples, et qui est le but de cette guerre, vient donc de faire un pas immense, malgré les circulaires du comte Nesselrode, dans lesquelles la Russie est représentée comme dé
cidée à sou tenir la lutte jusqu’au deri ier homme, soutenue par le patriotisme de la nation et par les immenses ressour
ces dont elle dispose; nous espérons que la loi de l’iiumanité l’emportera sur un vain orgueil et sur un système d’envahissement hostile à la liberté des peuples.
Pendant que ces immenses événements s’accomplissent à l’orient de l’Europe, nous apprenons la destruction de la puissance russe par elle-même dans la merde Kamtchatka.
J/Obligado, qui.faisait partie de l’expédition dirigée sur Pétropaulowski, arrivée .San Francisco le 18juillet, donne les détails suivants sur cette expédition, qui au moins n’aura coûté de sang à personne. L’escadre anglo-française, arri
vée devant Pétropaulowski, le contre-amiral Fournichon el le contre-amiral Bruce envoyèrent un détachement à terre, qui trouva la ville complètement déserte et abandonnée, à l’exception de deux Américains et d’un Français naturalisé.
La garnison avait quitté la citadelle pour se réfugier du côté du fleuve Amoor à bord de deux frégates, l’Auront et la Dwina, et de deux navires de commerce. Malgré les ami
raux, ils ont pu échapper, grâce à un épais brouillard, dans la nuit du 17 avril. Les habitants avaient abandonné la ville peu après le départ de la garnison. Le lendemain de leur arrivée, les alliés ont commencé leur œuvre de destruction. Les fortifications ont été rasées au moyen d’une multitude de mines. On ne peut comprendre la résolution des Russes,
quand on songe aux immenses travaux ordonnés par le Czar depuis la dernière attaque, et la puissance de résis
tance qu’ils avaient derrière les murs de la citadelle. Les alliés s’emparèrent de 56 canons, brûlèrent tous les maga
sins publics, à l’exception de la maison des pauvres, et se retirèrent pour se diriger vers l’embouchure du fleuve Amoor, où les Russes ont, dit-on, établi des fortifications formidables.
Un extrait du rapport officiel des opérations du capitaine Otter, du Firefly, devant Brandon, port de la mer de Wasa,
dans le golfe de Bothnie, envoyé à l’amirauté par le contreamiral Blindas, évalue à 20,000 livres sterling la perte occa
sionnée aux Russes dans cetle affaire. Les Anglais ontcapturé deux belles barques et cinq beaux bâtiments neufs, dé
truit les grands magasins d’approvisionnement, et se sont
retirés enfin, après avoir causé à l’ennemi les plus grands dommages possibles.
L’amiral Bruat annonce au ministre de la marine que le Milan, commandant Ifuchet de Saintré, et te Caton, ont détruit dans la mer d’Azoif, de Tenerdank à Dolga, 48 pêcheries, 127 bateaux, plusieurs milliers de filets, du goudron, du sel et des barriques en immense quantité; 4 pêcheries seulement ont échappé à la destruction. Le, dom
mage causé à l’ennemi peut être porté à plusieurs millions.
Le commandant du Bi undon s’est joint, de son côté, au commandant Osborne, du Vesuoius, pour brûler les fourrages qui étaient amassés sur la côte du golfe d’Oukliouk.
On écrit d’Elseneur, que le gouvernement anglais paraît avoir la pensée de laisser l’escadre dans la Baltique pendant l’hiver. On dit qu’il a jeté les yeux sur le port suédois de Landekrona, qui gèle rarement. Des négociations sont entamées, assure-t-on, entre Londres et Stockholm.
D’un autre côté, le contre-amiral Penaud a donné l’ordre à tous les navires venant de France de s’arrêter à Kiel et de ne plus se rendre dans la Baltique; il nous semblerait diffi
cile que l’escadre anglaise restât dans la Baltique, quand la nôtre rentrerait en France.
On lit dans te Daily-News du 10 que le départ d’une escadre pour la baie de Naples sera prochain , le Neptune de 120 canons, le Sa nt-George de 120 ont l’ordre de partir,
et le Morning-Pust annonce même que le Neptune est déjà parti.
Le gouvernement piémontais vient de publier, à Turin, un choix cle documents diplomatiques destinés à faire connaitre la politique suivie par la maison de Savoie au sujet de la question d’Orient pendant les années 1783 et 1784. Cette publication, signée du nom de M. Castelli, directeur géné
ral des archives du royaume, indique que la situation cle l’Europe, pour ce qui regarde la question d’Orient, est à peu près aujourd’hui la même qu’elle était en 1783.
De l’ensemble de ces documents il résulte que la politique de Victor-Amédée üf est la même que celle de Victor- Emmanuel, politique qui le poussait à s’allier aux puissan
ces occidentales. Ces documents très-intéressants, publiés par le Journal des Débats, rappellent ceux qui ont été. in
sérés dans le Moniteur sur la politique suivie par la France sous Louis XV et Louis XVL Il y a eu concordance de vue entre les deux gouvernements, et les braves Piémontais, maintenant nos alliés et nos émules dans les combats, ont déjà retiré leur part de gloire pour prix de leurs généreux efforts. Là, certainement1 , ne sera pas leur seul bénéfice.
Par l’América, arrivé dimanche, on a des nouvelles de New-York du 30 août. Les journaux de cette ville annon
cent une péripétie prévue depuis quelques mois. Sanla- Anna n’est plus dictateur du Mexique. Enlacé de tous côtés par l’insurrection, il a quitté Mexico le 9 août, sous le pré
texte d’aller en personne comprimer une insurrection à Vera-Cruz. Une partie de son escorte s’est révoltée en route, et ce n’est qu’après les plus grands périls que l’ex-dictateurs a pu s’embarquer à Vera-Cruz pour la Havane, Le peuple a renversé sa statue. Le général Carro a été nommé président du Mexique pour six mois, et le général La Vega commandant en chef de l’armée. Tous les prisonniers poli
tiques ont été remis en liberté, et une assemblée provisoire, réunie à Mexico, a décrété la liberté de la presse.
Voici, d’après le Moniteur, le récit de la tentative d’assassinat commise sur l’Empereur :
« S. M. l’Empereur a assislé, le 10 septembre, à la représentation du Théâtre-Italien. Au moment où la voiture dans laquelle se trouvaient les dames d’honneur de S. M. l’Impé
ratrice s’arrêtait devant l’entrée du théâtre, un individu qui stationnait en face sur le trottoir a déchargé,_ sans même viser, deux petits pistolets de poche sur la voiture ; personne n’a été atteint. Cet individu, qui parait être un maniaque plutôt qu’un assassin, a été immédiatement ar
rêté. ti se nomme Camille-Edouard-Dieudonné Delmarre, est âgé d’environ vingt-deux ans et est né à Rouen, L’assassin est au secret delà Conciergerie, où il a subi un interrogatoire. L’instruction continue. »
A l’occasion du triomphe de nos armées à Sébastopol, un Te Deurn a été chanté à la cathédrale de Paris, en présence de l’Empereur el des grands dignitaires, jeudi; spectacles gratuits et illumination des édifices publics. Nous consacre
rons notre prochain numéro au récit et à la représentation de ces événements et des solennités qui les oui célébrés.
Paulin.
Chronique musicale.
La marée de voyageurs, étrangers ou indigènes, qui a, depuis deux mois bientôt, envahi Paris, a fait à la musique et aux théâtres de délicieux loisirs, dont la critique jouit par contre-coup. Jamais nous n’avions eu de telles vacan
ces. L’Opéra remplit sa salle et sa caisse, quatre ou cinq fois par semaine, avec les pièces les plus usées du réper
toire, Il n’y a rien de vieux évidemment pour un homme
qui arrive de Sheffield, de Cuneo, de Jâèn ou de Brives-la- Gaillarde. L’Opéra-Comique n’est pas plus maltraité par la fortune que son majestueux voisin. Le Pactole y roule chaque soir ses flots dorés. VEtoile du Nord a surtout le pri
vilège d’y amener une foule compacte et haletante. A force de génie et de savoir-faire, M. Meyeerbeer en est arrivé là.
Le premier soin d’un étranger qui arrive à Paris, c’est de voir le Louvre, la rue de Rivoli, l’Exposition, le lac du Lois de Boulogne et les opéras de Meyerbeer.
Le Théâtre-Lyrique a rouvert après deux mois de repos. Mais il n’a eu garde de faire cette fois ce qu il fait toujours,
de signaler sa rentrée par quelque partition nous elle, fruit du génie fécond de M. Adam. Son ancien répertoire lui suffit et lui suffira longtemps encore. Tout n’est-il pas nou
veau pour qui vient de quelques centaines de lieues, — pardon ! de quelque mille kilomètres, — et n’a encore rien vu ?
Il n’y a donc qu’un théâtre dont nous ayons à vous entretenir : c’est ce nouveau venu, si jeune encore, si petit, si mignon, et qui a son répertoire à faire. Nous n’avons pas besoin de nommer les Bouffes-Parisiens. On y a joué der
nièrement deux saynètes : Une pleine eau et le Violoneux. Ce Violomux est un brave homme d’artiste campagnard, un Alard rustique, qui fait danser chaque dimanche les gar
çons et les filles de son village, et dont l’instrument égaye toutes les noces des environs. Aussi a-t-il pour son violon une affection toute particulière. — C’est lui qui me nourrit depuis trente ans, dit-il d’un ton pénétré. Malheureusement le père Mathieu a une filleule qu’il aime presque au
tant que son violon, et qu il gâte un peu. Cetle filleule, MI1E Reinette, a un amoureux bête, qui prend le père Mathieu pour un sorcier, son archet pour une baguette, son violon pour un talisman. 11 vient de tirer au sort, de satisfaire à Ut loi, comme disent messieurs les gendarmes. Il a amené le numéro 5 ! Qui accuser de son malheur? Il ne voit que le père Mathieu. Le père Mathieu lui a jeté un sort. Et pour se venger il brise le violon. Vous voyez d’ici le chagrin du bonhomme, qui vient jeter tout à coup une teinte sentimentale sur celte bouffonnerie.
M. Offenbach l’a ornée de plusieurs morceaux fort distingués, ma foi ! dans leur genre. Les couplets de Pierre : ( onscrit! conscrit! sont un petit air bouffe plein de verve et d’originalité. On ne saurait mettre dans la musique une gaieté plus vive et plus spirituelle. Le père Mathieu fait l o
raison funèbre de son violon en éclals dans une romance fort élégamment tournée, où le sentiment triste est indiqué avec une extrême finesse et une mesure qui atteste un tact exquis. Une teinte de plus, et l’auteur, sortant du genre bouffe, tombait en plein Opéra-Comique. Il a su éviter cet écueil avec une adresse remarquable. Le duo où Pierre ob
tient la main cle Reinette, — ou plutôt accorde sa main à Reinette, car c’est de cetle façon originale que la scène est posée, est un morceau charmant, et ne le cède qu’à un au
tre duo, où Reinette, décidée à se faire vivandière si son amoureux va au régiment, fait l’exercice avec la canne du père Mathieu pour prouver sa capacité militaire. Rien n’est plus gai, plus vif, plus pimpant que ce dernier morceau, qui d’ailleurs est écrit avec un naturel et une grâce extrêmes.
M. Darder chante fort bien sa partie dans ce duo, ainsi que la romance indiquée ci-dessus, et une jolie ronde, dont nous avions oublié de parler. Bertelier est très-amu
sant, comme toujours, dans le rôle de Pierre, et celui de Reinette est rempli par une jeune actrice nouvellement at
tachée à ce théâtre, M“e Schneider, qui a une jolie voix, une figure très-gracieuse et très-piquante, qui chante bien, qui joue très-agréablement, une trouvaille enfin. M“e Schnei
der, M. Bertelier et M. Pradeau font voir à quel point M. Offenbach a la main heureuse.
Une pleine eau est d’un comique plus exagéré. C’est la parodie poussée aussi loin qu’elle peut aller, la parodie île
Venise, s’il vous plaît, et du pont des Soupirs, la parodie du mariage, de la jalousie et du suicide. M. el \lme *** (lin des grands noms de la vieille Venise, qui s’obstine à ne pas venir au bout de notre plume) se haïssent cordialement, et
veulent se séparer à tout prix. Madame a un faible pour son neveu Bellotino. Monsieur est épris d’une bouquetière parisienne, Vous voyez que la vie commune leur doit être