insupportable. — Mourons donc. — Ah! oui, mourons! — Le moyen est facile. — A notre portée. — Là, sous ce bal
con. — Le grand canal! — Mourons ensemble!_Chacun de ces époux si parfaitement d’accord nage comme un poisson, mais il ignore le talent de son partner. Bref ils sautent,- et
reviennent bientôt, chacun se croyant libre. Et ils trouvent Bellotino, qui, se croyant héritier, a déjà fait main basse sur les sequins de son onde, et bu à sa mémoire et à celle de sa tante, avec un zèle excessif, le meilleur vin qu’il y eût dans la cave du sénateur. Il n’en faut pas tant pour dé
griser Franeesca, qui n’aura pas grand’peine à trouver -mieux. Quant à Bellotino, son oncle indigné le met, non à la porte, mais à la fenêtre. Mais ils sont tous nageurs dans cette famille, et Bellotino s’éloigne en tirant sa coupe, et en chantant la célèbre cavatine des ombres chinoises : Les canards l’ont bien passée.
La musique de cette farce est pleine de drôleries mélodiques et harmoniques, vocales et instrumentales. Mais quelle analyse en pourrait donner une idée ?
Ce qui est désormais incontestable, c’est que le genre, bouffe, si dédaigné en France jusqu’à présent, y réussit à merveille, et acquiert chaque jour de nouveaux partisans. On court en foule aux Bouffes-Parisiens, dont le buraliste se voit tous les soirs dans la dure nécessité de refuser l’ar
gent d’une grande quantité de gens de goût, qui font la mine la plus piteuse et la plus comique du monde, quand on leur dit qu’il n’y a plus de place. Le genre bouffe a donc pris racine chez nous. L’air et le sol lui conviennent. Il ne
demande qu’à se développer : nous espérons bien qu’on le laissera faire.
Nous avons à signaler l’apparition d’un nouveau pianiste, qui, par malheur, n’est pas des nôtres, et n’est chez nous qu’en passant. Nous voulons parler de M. Théodore Slein ,
qui s’est fait entendre l’autre jour dans les salons de M. Krügelstein , rue Laffitte. M. Stein est Allemand, et ha
bitait Itiga. C’est l’apparition de nos vaisseaux de haut bord sur les côtes de la Courlande, et la menace d’un bombardement qui ont donné à ce jeune artiste le goût des voya
ges. 11 a compris que le jour où la flotte française et la flotte anglaise s’aviseraient d exécuter un duo devant Itiga,
son pauvre instrument ferait une triste ligure à côté d’un pareil orchestre, et au milieu d’une telle symphonie. Il a pris son parti en brave, et le voici.
M. Stein est un exécutant du premier ordre, qui réunit la grâce à l’éclat et à l’énergie, — dans des proportions inégales, cependant. Autant que nous en avons pu juger,
il nous a paru avoir une certaine prédilection pour les effets vigoureux :
Il a une netteté peu ordinaire, mais qui ne va jamais à la sécheresse. Il joue Beethoven comme Beethoven doit être joué, avec un style noble, élevé, sévère, une accentuation forte, une expression passionnée. Mais c’est comme improvisateur surtout qu’il est remarquable.
Ces séances d’improvisation sont assez curieuses par ellesmêmes pour que nous en donnions, en quelques mots, une
légère, idée à ceux qui ne se sont jamais trouvés à pareille fête. Comment être sûr que l’artiste qui est là, devant ce piano, ne joue une, pièce inédite, composée à loisir dans son cabinet, comme ces orateurs qui, à l’époque où nous avions des orateurs, débitaient d’un air si triomphant, du haut de la tribune, l’improvisation dont ils avaient en poche le manuscrit ?
Voic.i comment les choses se passent avec les pianistes et, en particulier, avec M. Stein. 11 ne fait pas son mor
ceaux avec des idées à lui, choisies arbitrairement, et qu’il a pu travailler d’avances, mais avec des thèmes que ses auditeurs eux-mêmes sont invités à lui proposer.
Parmi ceux qui lui arrivent il en choisit deux ou trois, les fait d’abord entendre isolément, puis se recueille pen
dant quelques secondes. Tout à coup ses mains s’abaissent sur le clavier, et le morceau improvisé commence.
Le problème à résoudre est de faire avec les thèmes donnés une pièce, un discours musical qui ait un commence
ment, un milieu, une tin, dont toutes les parties se tiennent, qui ne soit point monotone et qui cependant ait de l’unité. Celte dernière condition du programme n’est pas toujours facile à remplir. Souvent les Ihèmes proposées ont peu de rapport l’un avec l’autre. Par exemple, à la séance où nous avons assisté, l’improvisateur avait pour matériaux de l’édi
fice qu’il devait construire : 1° le chœur des baigneuses (acte 2e des Huguenots)-, 2 la valse de Schubert qui, par l’opération d’un éditeur est devenue chez nous une valse de Beethoven, intitulée te Désir-, 3° l’air national des Anglais : God save the king, ou the queen. Cela assurément, se res
semblait peu, et l’on doit comprendre combien il fallait de tact et d’adresse pour passer d’un motif à l’autre.
Dire tout ce que M. Stein a su tirer de ces trois motifs, tout ce dont il a su les entourer, tout ce qui s’est trouvé sous ses doigts- de phrases heureuses, d’élégantes harmo
nies, de modulations piquantes, de détails ingénieux, nous serait, en vérité, impossible. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que le morceau improvisé a été fort long, qu’il
n’a point paru long un seul instant, que l’intérêt n’y a pas faibli une seule fois, qu’il a tenu constamment en haleine un auditoire composé à peu près exclusivement d’artistes, et par conséquent très-difficile. Tous étaient à la fois éton
nés et charmés. Il paraît impossible en effet de posséder mieux toutes les parties de son art, d’être plus riche en idées, plus fertile en ressources, d’avoir une mise en œuvre plus habile, d’être plus complètement maître de sa pensée, de réunir enfin plus d’imagination, de logique et de science.
VI. Slein a renouvelé ce merveilleux tour de force à la fin de la soirée. Cette fois il avait pour thèmes les quatre pre
et le duo de Don Giovanni : làcidarem la mono. 11 a paru encore mieux inspiré que la première fois, plus ingénieux et plus puissant. M. Stein est évidemment un très-grand
musicien. Nous ne connaissons pas ses projets ; mais nous croyons qu’il se manquerait à lui-même, et qu’il manque
G. Héquet.
non tonne si glorieusement, ayez donc le courage d’essayer un air de flûte! Pauvre Chronique en travail, elle n’enfan
tera qu’une souris. Les vacances d’ailleurs lui ont toujours fait la vie dure; cet âge d’or qui refleurit annuellement, le
rêve du sage, le sommeil des passions, le repos et le reposoir du verbiage, le répit et la consolation des affligés de
tous les plaisirs, quelle désolation pour elle! Dans la sieste générale des affaires, qu’elle trouve à s’occuper et à occu
per autrui, il le faut ! Il faut qu’elle agisse à sa petite façon dans cet énorme far niente, et qu’elle continue à parler au
milieu du silence universel. Son premier devoir, c’est de donner signe de vie jusque dans la morte saison et de lui faire une mise en scène à peu près vivante.
Par ma foi, gare aux perdreaux et aux lapins ; — nous y voilà ; — le moment est des plus carnassiers. Point de chas
seur grand ou petit qui ne réclame en ce moment de M. le préfet de police le droit de brûler un peu de poudre impu
nément. Les gourmands se réjouissent fort de cernas sacre légal, qui leur permet enfin de se mettre sur la conscience quelque filet de chevreuil authentique, sans craindre que l’au
torité vienne leur arracher le morceau de la bouche. Mais pendant que la bazoche et le commis-marchand chaussent leurs guêtres pour battre la plaine Saint-Denis, combien d’autres grands seigneurs de lâchasse s’abstiennent d’exer
cer un art qui n’en est plus un alors que tant, de gens s’en mêlent. Quel noble plaisir et quel plaisir noble autrefois, quand on pendait sans merci les braconniers! mais aujour
fusil du bourgeois l’a tuée; il a été pour elle le coup de pied de l’àne. Les bêtes fauves font bien compris, et elles
achèvent de mourir de vieillesse dans leurs forêts nivelées par la civilisation du raihvay. Ces deux messieurs déguisés en chasseurs, et qui attendent patiemment, en vue. du Pont-Neuf, le passage de l’omnibus de Montrouge, voilà un échantillon de la mise en scène que la chasse peut désormais procurer à l’automne.
Et la fête de Saint-Cloud? Ici la décadence est moins prononcée , et il ne faut que beaucoup d’imagination pour trouver cette fêle tout à fait charmante. Toujours des lote
ries dont les lots sont des pots, et où l’on ne gagne jamais; un tas de curiosités, la plupart humiliantes pour notre es
pèce, mais qu’on ne se lasse pas de revoir avec un nouveau plaisir ; ici la femme à barbe de sapeur, une bien vieille barbe, et qui ne grisonne pas, quel phénomène ! et là-bas l’homme anthropophage qu’on a rendu à la civilisation des côtelettes de mouton. Utile dulci. Des opérateurs au rabais ne cessent pas d’extraire nombre de molaires en vue des cascades : on n’a pas tous les jours l’occasion d’une partie de plaisir pour se faire arracher les dents. Mais la plus grande presse, c’est encore autour des daguerré.otypeurs et
de leur instrument. Tous ces industriels attrapent trèsbien leur monde, et ils s’en vantent. Une fête foraine auto
rise et excuse bien des surprises, mais la suivante passe peut-être les bornes prescrites. Un de ces instruments que Molière nomme en plein théâtre, mais que nous ne sau
rions désigner ici, même par le nom scientifique dont on l’a décoré, figurait quelque part au milieu du parc comme un échantillon-monstre de plusieurs autres, et sous celte rubri
que engageante : « M. ***, fournisseur de diverses têtes couronnées.
Mais trêve aux sornettes, voici un de ces grands malheurs dont il serait bon peut-être que tout le monde parlât beaucoup, seul moyen peut-être de les prévenir un peu. Il s’agit de cette rencontre de deux convois sur la ligne de Paris à Versailles, rive gauche, et qui a coûté la vie à trop de monde. La statistique aura beau dé
montrer à sa manière que les voyages en locomotive ne font pas plus de victimes que de simples promenades pé
destres, puisque sur plusieurs millions de voyageurs un seul peut se dire incommodé par la machine ou même tout à fait tué par elle, le moindre accident aura toujours raison contre son raisonnement. Le cri d’une seule victime couvre ai
sément la voix de ces millions d’échappés sains et saufs, et l’on dirait que chacune de ces compagnies bienfaisantes n’a d’yeux et d’oreilles que pour les transports de leur recon
naissance, jusqu’au moment où il faut compter ses blessés devant la justice, lesquels ne se trouvent bien pansés que là. Sans insister trop rigoureusement sur cette dernière cata
strophe, qni n’est sans doute qu’une fatadté, il faut bien dire que les chances d’avoir la tête cassée en chemin de fer grossissent à vue d’œil depuis quelque temps. Pour ne par
ler que des environs de Paris, le voyage à Versailles et à Saint-Germain est bien souvent le voyage interrompu par quelque défaillance de la machine ou par la i encontre soup
çonnée possible de deux trains. A cet étal de choses peu rassurant, il y aurait bien quelque remède, mais il faut croire que les patrons de ces divers raihvays l’auront jugé pire que le mal. De la part des voyageurs, cela donne lieu de temps en temps à quelques observations mélancoliques : par exemple, pourquoi tel chemin n’a-t-il que deux voies,
et pourquoi tel embarcadère semble-t-il suffisant au service de cinq lignes différentes. Et puis tout est dit, autant en emporte le vent.
Passons, s’il vous plaît, à une information peut-être surannée, au moyen d’une phrase qui ne l’est pas moins : Paris va se repeupler d’hôtes illustres; on parle du roi de Sardaigne, on possède un archiduc d’Autriche, le nom même
du Sultan aurait été prononcé. Sa Flautesse veut voir notre . grande cité babylonienne, ce paradis des femmes plus réel
que le paradis de Mahomet, tl est certain aussi qu’Abd-el- Kader vient y recommencer son orientale, mais l’illustre émir est malade et plus disposé que jamais, dit-on, à se faire ou
blier : les petites douceurs de notre civilisation le touchent si peu ! Même dans les salons les plus brillants, dont il fut la distraction tout un jour, rien n’avait pu fondre la glace de sa gravité, et la coquetterie découragée avait dû battre en retraite devant tant d’insouciance. C’est un vaincu qui déci
dément ne. veut pas être conquis. Un autre souverain des plus humbles, à ne considérer que l’étendue de ses Etats, mais des plus grands par le cœur et par l’esprit, le duc de Saxe-Cobourg-Gotha, visitera aussi la capitale, où Son Al
tesse désire être traitée beaucoup moins en prince qu’en
artiste. Compositeur très-renommé en Allemagne, le duc Ernest ambitionne le suffrage des Parisiens, et l’Académie impériale de musique monte un opéra de sa toute royale façon, Santa Cliiara ou Sainte-Claire.
Le grand monde n’a pas que ses on dit; il est sujet aux aventures comme l’autre, et la suivante commence à courir partout. On conte donc qu’une dame d’assez haut rang, trèsjolie, on ne peut plus veuve, et ne sachant trop que faire de son veuvage, s’en était allé distraire sa mélancolie dans une terre assez lointaine. Au bout de quelques jours de soli
tude, l exilée volontaire se bâillait si fort au nez dans son miroir que l’idée lui vint de voir du pays; si bien qu’après avoir parcouru différentes contrées, M“,c de ****** rentrait hier en son gîte parisien, ennuyée toujours, mais mariée. Un homme jeune, elle le croyait; opulent, il en avait l’ap
parence; de bonne maison, car son nom est sanctifié, avait surpris le cœur de la dame et décidé son choix, tant il est vrai qu’une femme qui s’ennuie n’a jamais le temps de ré
fléchir. Mais le mariage à peine conclu et la frontière repassée, l’époux laissa tomber ses moustaches et fit crouler l’é
difice de son opulence fantastique; il n’est plus jeune, il n’a jamais été riche, et il n’a pas la moindre chance d’être ano
bli. Il faut donc absolument cacher ce vilain mari, et la dame est répandue dans le meilleur monde ; c’est même par cette retraite subite qu’il a connu les circonstances de ce grand malheur. Si l’affaire a des suites, la suite au prochain numéro.
Et pour en revenir aux fêtes du moment, il n’est question que des fêtes de l’émulation. Ce mois de septembre voit
éclore plus de lauriers qu’il ne laisse tomber de feuilles. Les beaux-arts, les fleurs, les chevaux, les besliaux, il a eu ou il aura des couronnes pour tout le monde. A propos du bé
tail, un économiste vient d’observer que depuis qu’il a ses
lauréats, jamais la viande ne se vendit plus cher, c’est-à- dire que- les encouragements prodigués à ses plus beaux pro
duits semblent avoir découragé la production. En 1780, chaque habitant de Paris consommait 200 grammes de viande par jour, et il se trouve qu’en 1855, cette consom
rablement augmenté partout, tandis que partout aussi la production est restée à peu près stationnaire, étonnez-vous donc que la plupart mangent beaucoup moins et même que plusieurs ne mangent presque plus. Il en résulte que la con
et la faute en est à MAI. les bouchers, d’où viendrait tout le mal. Tel est du moins i’avis de nos docteurs, dont la science a peut-être la vue un peu bien courte. Si l’alimentation des Parisiens est notoirement insuffisante, en revanche leur bois
son est détestable, et chaque, débitant les abreuve à l’envi de toutes sortes de vins à rubriques diverses, mais invaria
blement fabriqués sans raisin, c’est-à-dire avec de l’eau claire et à l’aide d’autres ingrédients malsains dus aux pro
verte, c’est que les cabaretiers méritent d’être enveloppés dans le même anathème que les bouchers, convaincus qu’ils sont, les uns et les autres, de vouloir s’enrichir trop vite. Quelques économistes iraient même jusqu’à invoquer con
tre ces écorcheurs et ces falsificateurs la législation draconienne du moyen âge, et c’est le cas de leur dire : « Réfor
mez donc les mœurs, si vous le, pouvez, avant de toucher aux lois; et puisque votre science a prêché la richesse et si bien montré le chemin qui y conduit promptement, ne vous étonnez pas d’en recueillir les fruits.»
Changeons de style. Un journal belge annonçait dernièrement l’exécution d’une messe en musique dans la cathé
drale de Bruges, en ajoutant que ces virtuoses étaient des oiseaux. On peut vous donner l’équivalent de ce canard. C’est ou ce serait l’arrivée prochaine d’une compagnie d’oi
seaux savants, qui se proposent d’aller donner en ville des soirées d’agrément. La troupe se compose de serins qui démontrent couramment le carré de l’hypothénuse, et nous
le croyons sans peine; de moineaux francs qui discourent très-bien de l’invasion des Gaules, et d’une pie qui jase trèsbruyamment sur la métaphysique : elle articule sur cette science tout ce que. les hommes en savent, c’est-à-dire trèspeu de chose.
Pourquoi parlions-nous tout à l’heure de la disette des événements et des idées? au contraire, les inventeurs abon
dent. Et d’abord, il faut distinguer la Société universelle de, musique, laquelle, sous le nom de Napoléorphéotiie, s’en
gage à faire de notre France avant deux ans le séjour de l’harmonie ; nous serons tous musiciens, chanteurs ou instrumentalistes (ah! ali!), et la surface du globe sera chan
gée, (oh! oh!). Qu’est-ce que l’univers, sinon une grande, serinette qui joue sans trêve ni relâche sous les fenêtres du bon Dieu ? Mais l’instrument se dérange: eh bien ! la Napcléorphéonie sera la clef qui doit l’accorder, de sorte que dorénavant, les machines, les voitures, le canon, la foudre
et l’homme lui-même, ce volcan toujours en éruption, ne feront plus entendre aucune discordance. Cette société veut,
— ou nous n’y comprenons rien, — que les chiens au lieu d’aboyer, les ânes au lieu de braire, et les hommes au lieu de vociférer, chantent aussi agréablement que la voix de
con. — Le grand canal! — Mourons ensemble!_Chacun de ces époux si parfaitement d’accord nage comme un poisson, mais il ignore le talent de son partner. Bref ils sautent,- et
reviennent bientôt, chacun se croyant libre. Et ils trouvent Bellotino, qui, se croyant héritier, a déjà fait main basse sur les sequins de son onde, et bu à sa mémoire et à celle de sa tante, avec un zèle excessif, le meilleur vin qu’il y eût dans la cave du sénateur. Il n’en faut pas tant pour dé
griser Franeesca, qui n’aura pas grand’peine à trouver -mieux. Quant à Bellotino, son oncle indigné le met, non à la porte, mais à la fenêtre. Mais ils sont tous nageurs dans cette famille, et Bellotino s’éloigne en tirant sa coupe, et en chantant la célèbre cavatine des ombres chinoises : Les canards l’ont bien passée.
La musique de cette farce est pleine de drôleries mélodiques et harmoniques, vocales et instrumentales. Mais quelle analyse en pourrait donner une idée ?
Ce qui est désormais incontestable, c’est que le genre, bouffe, si dédaigné en France jusqu’à présent, y réussit à merveille, et acquiert chaque jour de nouveaux partisans. On court en foule aux Bouffes-Parisiens, dont le buraliste se voit tous les soirs dans la dure nécessité de refuser l’ar
gent d’une grande quantité de gens de goût, qui font la mine la plus piteuse et la plus comique du monde, quand on leur dit qu’il n’y a plus de place. Le genre bouffe a donc pris racine chez nous. L’air et le sol lui conviennent. Il ne
demande qu’à se développer : nous espérons bien qu’on le laissera faire.
Nous avons à signaler l’apparition d’un nouveau pianiste, qui, par malheur, n’est pas des nôtres, et n’est chez nous qu’en passant. Nous voulons parler de M. Théodore Slein ,
qui s’est fait entendre l’autre jour dans les salons de M. Krügelstein , rue Laffitte. M. Stein est Allemand, et ha
bitait Itiga. C’est l’apparition de nos vaisseaux de haut bord sur les côtes de la Courlande, et la menace d’un bombardement qui ont donné à ce jeune artiste le goût des voya
ges. 11 a compris que le jour où la flotte française et la flotte anglaise s’aviseraient d exécuter un duo devant Itiga,
son pauvre instrument ferait une triste ligure à côté d’un pareil orchestre, et au milieu d’une telle symphonie. Il a pris son parti en brave, et le voici.
M. Stein est un exécutant du premier ordre, qui réunit la grâce à l’éclat et à l’énergie, — dans des proportions inégales, cependant. Autant que nous en avons pu juger,
il nous a paru avoir une certaine prédilection pour les effets vigoureux :
Trahit sua quemque voluptas.
Il a une netteté peu ordinaire, mais qui ne va jamais à la sécheresse. Il joue Beethoven comme Beethoven doit être joué, avec un style noble, élevé, sévère, une accentuation forte, une expression passionnée. Mais c’est comme improvisateur surtout qu’il est remarquable.
Ces séances d’improvisation sont assez curieuses par ellesmêmes pour que nous en donnions, en quelques mots, une
légère, idée à ceux qui ne se sont jamais trouvés à pareille fête. Comment être sûr que l’artiste qui est là, devant ce piano, ne joue une, pièce inédite, composée à loisir dans son cabinet, comme ces orateurs qui, à l’époque où nous avions des orateurs, débitaient d’un air si triomphant, du haut de la tribune, l’improvisation dont ils avaient en poche le manuscrit ?
Voic.i comment les choses se passent avec les pianistes et, en particulier, avec M. Stein. 11 ne fait pas son mor
ceaux avec des idées à lui, choisies arbitrairement, et qu’il a pu travailler d’avances, mais avec des thèmes que ses auditeurs eux-mêmes sont invités à lui proposer.
Parmi ceux qui lui arrivent il en choisit deux ou trois, les fait d’abord entendre isolément, puis se recueille pen
dant quelques secondes. Tout à coup ses mains s’abaissent sur le clavier, et le morceau improvisé commence.
Le problème à résoudre est de faire avec les thèmes donnés une pièce, un discours musical qui ait un commence
ment, un milieu, une tin, dont toutes les parties se tiennent, qui ne soit point monotone et qui cependant ait de l’unité. Celte dernière condition du programme n’est pas toujours facile à remplir. Souvent les Ihèmes proposées ont peu de rapport l’un avec l’autre. Par exemple, à la séance où nous avons assisté, l’improvisateur avait pour matériaux de l’édi
fice qu’il devait construire : 1° le chœur des baigneuses (acte 2e des Huguenots)-, 2 la valse de Schubert qui, par l’opération d’un éditeur est devenue chez nous une valse de Beethoven, intitulée te Désir-, 3° l’air national des Anglais : God save the king, ou the queen. Cela assurément, se res
semblait peu, et l’on doit comprendre combien il fallait de tact et d’adresse pour passer d’un motif à l’autre.
Dire tout ce que M. Stein a su tirer de ces trois motifs, tout ce dont il a su les entourer, tout ce qui s’est trouvé sous ses doigts- de phrases heureuses, d’élégantes harmo
nies, de modulations piquantes, de détails ingénieux, nous serait, en vérité, impossible. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que le morceau improvisé a été fort long, qu’il
n’a point paru long un seul instant, que l’intérêt n’y a pas faibli une seule fois, qu’il a tenu constamment en haleine un auditoire composé à peu près exclusivement d’artistes, et par conséquent très-difficile. Tous étaient à la fois éton
nés et charmés. Il paraît impossible en effet de posséder mieux toutes les parties de son art, d’être plus riche en idées, plus fertile en ressources, d’avoir une mise en œuvre plus habile, d’être plus complètement maître de sa pensée, de réunir enfin plus d’imagination, de logique et de science.
VI. Slein a renouvelé ce merveilleux tour de force à la fin de la soirée. Cette fois il avait pour thèmes les quatre pre
mières notes de la symphonie de Beethoven en ut mineur,
et le duo de Don Giovanni : làcidarem la mono. 11 a paru encore mieux inspiré que la première fois, plus ingénieux et plus puissant. M. Stein est évidemment un très-grand
musicien. Nous ne connaissons pas ses projets ; mais nous croyons qu’il se manquerait à lui-même, et qu’il manque
rait à son art, s’il ne donnait pas, en temps opportun, quelques séances publiques.
G. Héquet.
Courrier de Paris.
Que dire aujourd’hui et que ne pas dire ? une fois de plus les grandes nouvelles ont étouffé les petites. Quand le ca
non tonne si glorieusement, ayez donc le courage d’essayer un air de flûte! Pauvre Chronique en travail, elle n’enfan
tera qu’une souris. Les vacances d’ailleurs lui ont toujours fait la vie dure; cet âge d’or qui refleurit annuellement, le
rêve du sage, le sommeil des passions, le repos et le reposoir du verbiage, le répit et la consolation des affligés de
tous les plaisirs, quelle désolation pour elle! Dans la sieste générale des affaires, qu’elle trouve à s’occuper et à occu
per autrui, il le faut ! Il faut qu’elle agisse à sa petite façon dans cet énorme far niente, et qu’elle continue à parler au
milieu du silence universel. Son premier devoir, c’est de donner signe de vie jusque dans la morte saison et de lui faire une mise en scène à peu près vivante.
Par ma foi, gare aux perdreaux et aux lapins ; — nous y voilà ; — le moment est des plus carnassiers. Point de chas
seur grand ou petit qui ne réclame en ce moment de M. le préfet de police le droit de brûler un peu de poudre impu
nément. Les gourmands se réjouissent fort de cernas sacre légal, qui leur permet enfin de se mettre sur la conscience quelque filet de chevreuil authentique, sans craindre que l’au
torité vienne leur arracher le morceau de la bouche. Mais pendant que la bazoche et le commis-marchand chaussent leurs guêtres pour battre la plaine Saint-Denis, combien d’autres grands seigneurs de lâchasse s’abstiennent d’exer
cer un art qui n’en est plus un alors que tant, de gens s’en mêlent. Quel noble plaisir et quel plaisir noble autrefois, quand on pendait sans merci les braconniers! mais aujour
d’hui la chasse se meurt, la chasse est morte ! Le coup de
fusil du bourgeois l’a tuée; il a été pour elle le coup de pied de l’àne. Les bêtes fauves font bien compris, et elles
achèvent de mourir de vieillesse dans leurs forêts nivelées par la civilisation du raihvay. Ces deux messieurs déguisés en chasseurs, et qui attendent patiemment, en vue. du Pont-Neuf, le passage de l’omnibus de Montrouge, voilà un échantillon de la mise en scène que la chasse peut désormais procurer à l’automne.
Et la fête de Saint-Cloud? Ici la décadence est moins prononcée , et il ne faut que beaucoup d’imagination pour trouver cette fêle tout à fait charmante. Toujours des lote
ries dont les lots sont des pots, et où l’on ne gagne jamais; un tas de curiosités, la plupart humiliantes pour notre es
pèce, mais qu’on ne se lasse pas de revoir avec un nouveau plaisir ; ici la femme à barbe de sapeur, une bien vieille barbe, et qui ne grisonne pas, quel phénomène ! et là-bas l’homme anthropophage qu’on a rendu à la civilisation des côtelettes de mouton. Utile dulci. Des opérateurs au rabais ne cessent pas d’extraire nombre de molaires en vue des cascades : on n’a pas tous les jours l’occasion d’une partie de plaisir pour se faire arracher les dents. Mais la plus grande presse, c’est encore autour des daguerré.otypeurs et
de leur instrument. Tous ces industriels attrapent trèsbien leur monde, et ils s’en vantent. Une fête foraine auto
rise et excuse bien des surprises, mais la suivante passe peut-être les bornes prescrites. Un de ces instruments que Molière nomme en plein théâtre, mais que nous ne sau
rions désigner ici, même par le nom scientifique dont on l’a décoré, figurait quelque part au milieu du parc comme un échantillon-monstre de plusieurs autres, et sous celte rubri
que engageante : « M. ***, fournisseur de diverses têtes couronnées.
Mais trêve aux sornettes, voici un de ces grands malheurs dont il serait bon peut-être que tout le monde parlât beaucoup, seul moyen peut-être de les prévenir un peu. Il s’agit de cette rencontre de deux convois sur la ligne de Paris à Versailles, rive gauche, et qui a coûté la vie à trop de monde. La statistique aura beau dé
montrer à sa manière que les voyages en locomotive ne font pas plus de victimes que de simples promenades pé
destres, puisque sur plusieurs millions de voyageurs un seul peut se dire incommodé par la machine ou même tout à fait tué par elle, le moindre accident aura toujours raison contre son raisonnement. Le cri d’une seule victime couvre ai
sément la voix de ces millions d’échappés sains et saufs, et l’on dirait que chacune de ces compagnies bienfaisantes n’a d’yeux et d’oreilles que pour les transports de leur recon
naissance, jusqu’au moment où il faut compter ses blessés devant la justice, lesquels ne se trouvent bien pansés que là. Sans insister trop rigoureusement sur cette dernière cata
strophe, qni n’est sans doute qu’une fatadté, il faut bien dire que les chances d’avoir la tête cassée en chemin de fer grossissent à vue d’œil depuis quelque temps. Pour ne par
ler que des environs de Paris, le voyage à Versailles et à Saint-Germain est bien souvent le voyage interrompu par quelque défaillance de la machine ou par la i encontre soup
çonnée possible de deux trains. A cet étal de choses peu rassurant, il y aurait bien quelque remède, mais il faut croire que les patrons de ces divers raihvays l’auront jugé pire que le mal. De la part des voyageurs, cela donne lieu de temps en temps à quelques observations mélancoliques : par exemple, pourquoi tel chemin n’a-t-il que deux voies,
et pourquoi tel embarcadère semble-t-il suffisant au service de cinq lignes différentes. Et puis tout est dit, autant en emporte le vent.
Passons, s’il vous plaît, à une information peut-être surannée, au moyen d’une phrase qui ne l’est pas moins : Paris va se repeupler d’hôtes illustres; on parle du roi de Sardaigne, on possède un archiduc d’Autriche, le nom même
du Sultan aurait été prononcé. Sa Flautesse veut voir notre . grande cité babylonienne, ce paradis des femmes plus réel
que le paradis de Mahomet, tl est certain aussi qu’Abd-el- Kader vient y recommencer son orientale, mais l’illustre émir est malade et plus disposé que jamais, dit-on, à se faire ou
blier : les petites douceurs de notre civilisation le touchent si peu ! Même dans les salons les plus brillants, dont il fut la distraction tout un jour, rien n’avait pu fondre la glace de sa gravité, et la coquetterie découragée avait dû battre en retraite devant tant d’insouciance. C’est un vaincu qui déci
dément ne. veut pas être conquis. Un autre souverain des plus humbles, à ne considérer que l’étendue de ses Etats, mais des plus grands par le cœur et par l’esprit, le duc de Saxe-Cobourg-Gotha, visitera aussi la capitale, où Son Al
tesse désire être traitée beaucoup moins en prince qu’en
artiste. Compositeur très-renommé en Allemagne, le duc Ernest ambitionne le suffrage des Parisiens, et l’Académie impériale de musique monte un opéra de sa toute royale façon, Santa Cliiara ou Sainte-Claire.
Le grand monde n’a pas que ses on dit; il est sujet aux aventures comme l’autre, et la suivante commence à courir partout. On conte donc qu’une dame d’assez haut rang, trèsjolie, on ne peut plus veuve, et ne sachant trop que faire de son veuvage, s’en était allé distraire sa mélancolie dans une terre assez lointaine. Au bout de quelques jours de soli
tude, l exilée volontaire se bâillait si fort au nez dans son miroir que l’idée lui vint de voir du pays; si bien qu’après avoir parcouru différentes contrées, M“,c de ****** rentrait hier en son gîte parisien, ennuyée toujours, mais mariée. Un homme jeune, elle le croyait; opulent, il en avait l’ap
parence; de bonne maison, car son nom est sanctifié, avait surpris le cœur de la dame et décidé son choix, tant il est vrai qu’une femme qui s’ennuie n’a jamais le temps de ré
fléchir. Mais le mariage à peine conclu et la frontière repassée, l’époux laissa tomber ses moustaches et fit crouler l’é
difice de son opulence fantastique; il n’est plus jeune, il n’a jamais été riche, et il n’a pas la moindre chance d’être ano
bli. Il faut donc absolument cacher ce vilain mari, et la dame est répandue dans le meilleur monde ; c’est même par cette retraite subite qu’il a connu les circonstances de ce grand malheur. Si l’affaire a des suites, la suite au prochain numéro.
Et pour en revenir aux fêtes du moment, il n’est question que des fêtes de l’émulation. Ce mois de septembre voit
éclore plus de lauriers qu’il ne laisse tomber de feuilles. Les beaux-arts, les fleurs, les chevaux, les besliaux, il a eu ou il aura des couronnes pour tout le monde. A propos du bé
tail, un économiste vient d’observer que depuis qu’il a ses
lauréats, jamais la viande ne se vendit plus cher, c’est-à- dire que- les encouragements prodigués à ses plus beaux pro
duits semblent avoir découragé la production. En 1780, chaque habitant de Paris consommait 200 grammes de viande par jour, et il se trouve qu’en 1855, cette consom
mation a diminué de moitié. La population ayant considé
rablement augmenté partout, tandis que partout aussi la production est restée à peu près stationnaire, étonnez-vous donc que la plupart mangent beaucoup moins et même que plusieurs ne mangent presque plus. Il en résulte que la con
stitution physique s’est généralement appauvrie en France,
et la faute en est à MAI. les bouchers, d’où viendrait tout le mal. Tel est du moins i’avis de nos docteurs, dont la science a peut-être la vue un peu bien courte. Si l’alimentation des Parisiens est notoirement insuffisante, en revanche leur bois
son est détestable, et chaque, débitant les abreuve à l’envi de toutes sortes de vins à rubriques diverses, mais invaria
blement fabriqués sans raisin, c’est-à-dire avec de l’eau claire et à l’aide d’autres ingrédients malsains dus aux pro
grès de la chimie. La conclusion de cette nouvelle décou
verte, c’est que les cabaretiers méritent d’être enveloppés dans le même anathème que les bouchers, convaincus qu’ils sont, les uns et les autres, de vouloir s’enrichir trop vite. Quelques économistes iraient même jusqu’à invoquer con
tre ces écorcheurs et ces falsificateurs la législation draconienne du moyen âge, et c’est le cas de leur dire : « Réfor
mez donc les mœurs, si vous le, pouvez, avant de toucher aux lois; et puisque votre science a prêché la richesse et si bien montré le chemin qui y conduit promptement, ne vous étonnez pas d’en recueillir les fruits.»
Changeons de style. Un journal belge annonçait dernièrement l’exécution d’une messe en musique dans la cathé
drale de Bruges, en ajoutant que ces virtuoses étaient des oiseaux. On peut vous donner l’équivalent de ce canard. C’est ou ce serait l’arrivée prochaine d’une compagnie d’oi
seaux savants, qui se proposent d’aller donner en ville des soirées d’agrément. La troupe se compose de serins qui démontrent couramment le carré de l’hypothénuse, et nous
le croyons sans peine; de moineaux francs qui discourent très-bien de l’invasion des Gaules, et d’une pie qui jase trèsbruyamment sur la métaphysique : elle articule sur cette science tout ce que. les hommes en savent, c’est-à-dire trèspeu de chose.
Pourquoi parlions-nous tout à l’heure de la disette des événements et des idées? au contraire, les inventeurs abon
dent. Et d’abord, il faut distinguer la Société universelle de, musique, laquelle, sous le nom de Napoléorphéotiie, s’en
gage à faire de notre France avant deux ans le séjour de l’harmonie ; nous serons tous musiciens, chanteurs ou instrumentalistes (ah! ali!), et la surface du globe sera chan
gée, (oh! oh!). Qu’est-ce que l’univers, sinon une grande, serinette qui joue sans trêve ni relâche sous les fenêtres du bon Dieu ? Mais l’instrument se dérange: eh bien ! la Napcléorphéonie sera la clef qui doit l’accorder, de sorte que dorénavant, les machines, les voitures, le canon, la foudre
et l’homme lui-même, ce volcan toujours en éruption, ne feront plus entendre aucune discordance. Cette société veut,
— ou nous n’y comprenons rien, — que les chiens au lieu d’aboyer, les ânes au lieu de braire, et les hommes au lieu de vociférer, chantent aussi agréablement que la voix de