Exposition universelle des beaux-arts (1). — École française. - le paysage (2). La récolte des dattes en Égypte, tableau par M. Karl Girardet.
humbles aspects. 11 sembleraitqu’ils eussent pris pour règle et pour principe d’enseigne
ment ces deux vers de la 4e églogue de Virgile :
Non omnes arbusta juvant
[humilesque myricæ. Si canimus silvas, silvæ sint
[consule dignæ.
Heureusement , au dix-septième siècle, le Hollandais Ruisdaël n’a
vait pas tant de façons à faire; il trouvait un simple buisson digne de son pinceau, et n’a
vait pas à s’inquiéter s’il était digne du con
sul. En Flandre et en Hollande l’art s’en allait à ses propres ins
pirations. En France, il
a toujours été plus ou moins à la remorque de la littérature, Or la littérature chez nous n’é tait guère campagnar
de; la nature, a-t-on dit justement, n’y a été découverte qu’au dixhuitième siècle. L’a
mour des champs est le plus grand attrait de J. J. Rousseau. La dé
couverte ne profita pas du reste à l’art. Le faux goût était trop fort encore. Les pein
tres traitèrent la campagne à la façon de l’abbé Delille dans son Homme des champs. Il a fallu le mouvement littéraire de notre temps pour entraîner le paysage à se faire décidément campagnard, à quitter le cothurne ou les talons rou
ges, et à mettre des sabots. La révolution est aujourd’hui générale et accomplie. Mais comme en France nous allons vite aux extrémités de toutes choses, à force de vouloir être simple, l’art devient grossier, et, en voulant prendre un air négligé et rustique, il finit, chez certains, par être rustaud. Suivant une pente que nous avons déjà signalée ailleurs, il s’est abandonné à la négligence de l’exécution, comme si elle s’alliait naturellement aux grâces négligées du sujet. La naïveté est une qualité rare et précieuse. Le premier jet
de l’ébauche, qui en conserve l’impression dans sa fleur, a sans doute un charme particulier ; mais c’est quelque chose d’indme, dont on peut faire conlidence aux amis, et qu’il est
Salon de 1855. — Lisière de forêt, tableau par M. Th. Rousseau.
Le spectacle de la nature, dans sa variété et son immensité, est inabordable à l’art primitif. Il dépasse la possi
bilité de ses moyens de reproduction. Dans ses timides essais, il ten
tera peut-être de dessi
ner le feuillage d’un arbre ; il n’osera pas encore eu concevoir complètement la masse, parce que, pour cela, il
faudrait y distinguer des plans très-diversement colorés, et faire entre eux circuler l’air ; mais il le détaillera feuille à feuille , et en donnera une silhouette mala
droite. Là du moins y a-t-il une forme saisissable ; mais comment rendre la lumière, la transparence aérienne? le voile mystérieux que la distance jette sur les objets, la pureté du ciel, le mouvement des nua
ges, les reflets ou l’agi
tation de l’eau, etc.?... Et d’ailleurs, outre l’in
suffisance des moyens et l’inexpérience du procédé, une autre cause détourne alors l’ar
tiste de diriger son attention sur 1 aspect de la terre et du ciel. Sa première pensée est à Dieu, qu’il atteint par le symbole, — tout l’art primitif est symbolique ; — la seconde est à l’homme, par lequel il s’élève à Dieu ; à la créature humaine, le terme suprême de la beauté incarnée sur la terre. C’est là un sujet assez fécond et qui pro
voque toute son habileté et suffit à l’absorber. Enfin, à
cette, étude si difficile, se joint celle des formes variées de l animalité ; lui voilà de l’occupation pour plusieurs siècles. L’art grandit, atteint tout son développement, toute sa splen
deur, et il incline déjà vers la décadence, lorsqu’il songe enfin à faire de la nature extérieure à l’homme le but d’une contemplation spéciale et plus assidue. Mais alors, si l’on est en possession de procédés plus certains, la science acquise dans l’exercice de la grande peinture fait obstacle à la
(1) Voir Ira numéros 638, 640, 643, 644 , 646, 646, 647 , 648 , 649, 651, 652 653 et 654.
(2) Un retard dans la gravure de quelques dessins nous force à intervertir l’ordre adopt»* pour notre .compte-rendu du Salon, et à reculer la publication de la fin de 1‘article consacré h la pi nture de genre.
naïveté dans le genre nouveau que l’on aborde; et l’on transporte d’un genre dans l’autre le point de vue élevé et les formules conventionnelles. On revêt le paysage d’une dignité d’emprunt; on le subordonne à l’homme, on l’é- toulfe pour n’en faire qu’un accessoire, une décoration bien assortie, un théâtre où celui-ci doit briller au premier rang. Plus tard le paysage se dégage de cette personnalité gê
nante; mais, en l’acceptant pour lui seul, on le poétise, on le transforme, on le fausse, on dédaigne de le voir dans sa vérité naïve, qu’on juge indigne de l’art, fl était réservé à l’école flamande et hollandaise, qui, inhabile à porter la
toge, s’élait consacrée à la représentation des scènes de la vie commune, de prendre pour objet de ses patientes études les spectacles de la vie des champs, les prairies, les arbres, les ruisseaux, les plages de la mer, etc..., et de se proposer pour but de reproduire toutes ces choses naturelles dans leur vérité. Dans cet art simple, un artiste se fit un nom resté illustre entre tous : Jacques
Ruisdaël. En France le paysage) élail entré dans une autre voie.
n’avait été qu’une décoration idéale pleine de gran
deur, mais dont la vérité saisissante du détail était ab
sente ; c’était moins une inter
prétation qu’une création hautaine où s’imprimait la gravité de son gé
nie. Notre Claude Lorrain saisit une des plus suaves harmonies du spectacle de la nature, celle de la dégradation de la lumière et de la variété des colora
tions selon les saisons et les diffé
rentes heures du jour, et il inter
préta celte poésie avec un sentiment et un charme qui n’ont pas été dé
passés depuis. Il restera notre gloi
re éternelle, et la France, n’eût-èlle que son nom à ci
ter, aurait, dans cette branche aussi, payé son tribut aux enchante
ments opérés par l’art ici-bas. Nos peintres restèrent à la suite, de ces grands modèles.
Ils se tenaient dans les régions du pay
sage élégant et de lion Ion, et ne descendaient pas à ses
humbles aspects. 11 sembleraitqu’ils eussent pris pour règle et pour principe d’enseigne
ment ces deux vers de la 4e églogue de Virgile :
Non omnes arbusta juvant
[humilesque myricæ. Si canimus silvas, silvæ sint
[consule dignæ.
Heureusement , au dix-septième siècle, le Hollandais Ruisdaël n’a
vait pas tant de façons à faire; il trouvait un simple buisson digne de son pinceau, et n’a
vait pas à s’inquiéter s’il était digne du con
sul. En Flandre et en Hollande l’art s’en allait à ses propres ins
pirations. En France, il
a toujours été plus ou moins à la remorque de la littérature, Or la littérature chez nous n’é tait guère campagnar
de; la nature, a-t-on dit justement, n’y a été découverte qu’au dixhuitième siècle. L’a
mour des champs est le plus grand attrait de J. J. Rousseau. La dé
couverte ne profita pas du reste à l’art. Le faux goût était trop fort encore. Les pein
tres traitèrent la campagne à la façon de l’abbé Delille dans son Homme des champs. Il a fallu le mouvement littéraire de notre temps pour entraîner le paysage à se faire décidément campagnard, à quitter le cothurne ou les talons rou
ges, et à mettre des sabots. La révolution est aujourd’hui générale et accomplie. Mais comme en France nous allons vite aux extrémités de toutes choses, à force de vouloir être simple, l’art devient grossier, et, en voulant prendre un air négligé et rustique, il finit, chez certains, par être rustaud. Suivant une pente que nous avons déjà signalée ailleurs, il s’est abandonné à la négligence de l’exécution, comme si elle s’alliait naturellement aux grâces négligées du sujet. La naïveté est une qualité rare et précieuse. Le premier jet
de l’ébauche, qui en conserve l’impression dans sa fleur, a sans doute un charme particulier ; mais c’est quelque chose d’indme, dont on peut faire conlidence aux amis, et qu’il est
Salon de 1855. — Lisière de forêt, tableau par M. Th. Rousseau.
Habitation normande, tableau par M. Desjoberts.
Le spectacle de la nature, dans sa variété et son immensité, est inabordable à l’art primitif. Il dépasse la possi
bilité de ses moyens de reproduction. Dans ses timides essais, il ten
tera peut-être de dessi
ner le feuillage d’un arbre ; il n’osera pas encore eu concevoir complètement la masse, parce que, pour cela, il
faudrait y distinguer des plans très-diversement colorés, et faire entre eux circuler l’air ; mais il le détaillera feuille à feuille , et en donnera une silhouette mala
droite. Là du moins y a-t-il une forme saisissable ; mais comment rendre la lumière, la transparence aérienne? le voile mystérieux que la distance jette sur les objets, la pureté du ciel, le mouvement des nua
ges, les reflets ou l’agi
tation de l’eau, etc.?... Et d’ailleurs, outre l’in
suffisance des moyens et l’inexpérience du procédé, une autre cause détourne alors l’ar
tiste de diriger son attention sur 1 aspect de la terre et du ciel. Sa première pensée est à Dieu, qu’il atteint par le symbole, — tout l’art primitif est symbolique ; — la seconde est à l’homme, par lequel il s’élève à Dieu ; à la créature humaine, le terme suprême de la beauté incarnée sur la terre. C’est là un sujet assez fécond et qui pro
voque toute son habileté et suffit à l’absorber. Enfin, à
cette, étude si difficile, se joint celle des formes variées de l animalité ; lui voilà de l’occupation pour plusieurs siècles. L’art grandit, atteint tout son développement, toute sa splen
deur, et il incline déjà vers la décadence, lorsqu’il songe enfin à faire de la nature extérieure à l’homme le but d’une contemplation spéciale et plus assidue. Mais alors, si l’on est en possession de procédés plus certains, la science acquise dans l’exercice de la grande peinture fait obstacle à la
(1) Voir Ira numéros 638, 640, 643, 644 , 646, 646, 647 , 648 , 649, 651, 652 653 et 654.
(2) Un retard dans la gravure de quelques dessins nous force à intervertir l’ordre adopt»* pour notre .compte-rendu du Salon, et à reculer la publication de la fin de 1‘article consacré h la pi nture de genre.
naïveté dans le genre nouveau que l’on aborde; et l’on transporte d’un genre dans l’autre le point de vue élevé et les formules conventionnelles. On revêt le paysage d’une dignité d’emprunt; on le subordonne à l’homme, on l’é- toulfe pour n’en faire qu’un accessoire, une décoration bien assortie, un théâtre où celui-ci doit briller au premier rang. Plus tard le paysage se dégage de cette personnalité gê
nante; mais, en l’acceptant pour lui seul, on le poétise, on le transforme, on le fausse, on dédaigne de le voir dans sa vérité naïve, qu’on juge indigne de l’art, fl était réservé à l’école flamande et hollandaise, qui, inhabile à porter la
toge, s’élait consacrée à la représentation des scènes de la vie commune, de prendre pour objet de ses patientes études les spectacles de la vie des champs, les prairies, les arbres, les ruisseaux, les plages de la mer, etc..., et de se proposer pour but de reproduire toutes ces choses naturelles dans leur vérité. Dans cet art simple, un artiste se fit un nom resté illustre entre tous : Jacques
Ruisdaël. En France le paysage) élail entré dans une autre voie.
Pour Poussin ce
n’avait été qu’une décoration idéale pleine de gran
deur, mais dont la vérité saisissante du détail était ab
sente ; c’était moins une inter
prétation qu’une création hautaine où s’imprimait la gravité de son gé
nie. Notre Claude Lorrain saisit une des plus suaves harmonies du spectacle de la nature, celle de la dégradation de la lumière et de la variété des colora
tions selon les saisons et les diffé
rentes heures du jour, et il inter
préta celte poésie avec un sentiment et un charme qui n’ont pas été dé
passés depuis. Il restera notre gloi
re éternelle, et la France, n’eût-èlle que son nom à ci
ter, aurait, dans cette branche aussi, payé son tribut aux enchante
ments opérés par l’art ici-bas. Nos peintres restèrent à la suite, de ces grands modèles.
Ils se tenaient dans les régions du pay
sage élégant et de lion Ion, et ne descendaient pas à ses