Dame. Des voitures à quatre, six et huit chevaux se suivaient les unes les autres, transportant l’Empereur, S. A. I. le prince Jérôme Napoléon et leur maison.
Bien avant l’heure fixée pour la cérémonie, les rues et les quais contigus à la cathédrale étaient couverts d’une foule compacte, au sommet des tours flottaient les drapeaux fran
çais, et, au milieu des bannières vertes aux abeilles d’or s’étalaient, au-dessus de la porte principale et de chaque côté, l’écusson, impérial et l’écusson britannique. A l’intérieur, l’ornementation, d’une richesse simple, était remar
quable par sa simplicité. Un grand nombre de bannières et d’oriflammes étaient appendues aux voûtes du monument, et réunissaient les pavillons victorieux de France, d’Angle
terre, de Turquie et du Piémont. L’autel était élevé devant le jubé, à côté du chœur. En face de cet autel, un siège d’honneur avait été placé pour l’Empereur, et en bas, à droite, un autre fauteuil avec carreau pour le prince Jé
rôme Napoléon. Les ministres et les grands dignitaires occupaient de vastes tribunes élevées de chaque côté de l’es
trade impériale. Tous les corps constitués étaient aux places qui leur étaient réservées.
Le cortège, après avoir passé sous l’arc de triomphe du Carrousel, est sorti par le guichet du ministère d’Etat, a suivi la rue de ltivoli, le pont Notre-Dame, et est arrivé par la rue d’Arcole à la place du parvis Notre-Dame, vers midi et demi.
L’Empereur a été reçu, à l’entrée de l’église, par l’archevêque, de Paris et le chapitre métropolitain. L’archevêque, après avoir présenté à Sa Majesté l’eau bénite et l’encens, lui a adressé les paroles suivantes :
« Sire,
« J’accours pour recevoir Votre Majesté sur le seuil de ce temple auguste, qui tressaille aujourd’hui au bruit de la gloire de la France.
« Que nos solennelles actions de grâce montent vers Dieu pour l’éclatant succès dont fl vient de couronner nos armes!
« Tant d’héroïsme recevra bientôt sa récompense. Le grand but que Votre Majesté, d’accord avec ses alliés, pour
suit avec tant de fermeté et de sagesse, ne tardera pas à être atteint : une paix glorieuse et solide sera conquise. »


L’Empereur a répondu :


« Je viens ici, Monseigneur, remercier le ciel du triorn« phe qu’il a accordé à nos armes, car je me plais à recon« naître que, malgré l’habileté des généraux et le courage « des soldats, rien ne peut réussir sans la protection de la « Providence. »


L’Empereur étant placé, la cérémonie a commencé.


£ Le Te Deurn a été chanté par les chœurs de la chapelle de l’Empereur, sous la direction de M. Auber.
Après le Te Deum, l Empereur a été reconduit au grand portail, piécédé et suivi comme à son entrée.
Le départ de Sa Majesté du palais, son arrivée à Notre- Dame, son départ de l’église métropolitaine et son retour an palais, ont été annoncés par des salves d artillerie.
On attend maintenant avec impatience le rapport détaillé des généraux alliés sur le grand événement qui fait encore en ce moment le sujet de la préoccupation publique. Ces rapports ne peuvent tarder à arriver, car à Marseille on attend d’un instant à l’autre l’arrivée d’un steamer anglais à grande vitesse. En attendant, les faiseurs de commentaires ont beau jeu, et chacun arrange à sa ma
nière les résultats de la prise de Sébastopol. Pour les uns c’est là un gage de paix assuré, car la Russie ne peut plus résister ; pour Tes autres, au contraire, cet échec formidable qui a suivi tant de défaites tt de désastres sera une obliga
tion pour la Russie de continuer la guerre avec la plus grande vigueur; loul le monde a lu en effet, dans les jour
naux de cette semaine, cette phrase qui aurait été pronon
cée par un très-grand personnage russe. «La Russie ne fera jamais la paix après un désastre. » Si l’on consulte tous les documents et les circulaires qui sont sor tis de la chancel
lerie russe, on verra que dans tous respire le même esprit belliqueux qui cache sa misère pour soutenir son orgueil;
dans la troisième circulaire du comte Nesseirode, sur l’état intérieur de la Russie depuis le commencement de la guerre, en parlant du changement de règne qui a eu une si grande influence sur les événements, le chancelier s écrie : « La Rus
sie a fait plus encore : non-seulement elle s’est préparée à la résistance, et à une longue résistance, mais elle a trouvé la possibilité de procéder à l’offensive contre l’ennemi qui, le premier, lui a déclaré la guerre, et qui est bien plus menacé aujourd’hui que la Russie. La Russie s’est repliée, ac
tuellement, sur elle-même pour donner un nouvel essor à tous ses moyens de résistance. Elle attendra ainsi, calme, résignée, mais résolue, que ses ennemis lui fassent enfin des propositions de paix qu’elle puisse accepter sans donner un démenti à son histoire ou sans déshonorer son ave
nir. Si ses frontières sont attaquées, son cœur ne i’est pas, et son cœur est tel que les plus fortes armes devront s’y émousser. »
Voici maintenant les dépêches échangées entre le gouvernement et le général Pélissier. Aussitôt après la nouvelle de la prise de Sébastopol, l’Empereur a écrit au général Pélis^- sier : « Honneur à vous, honneur à notre brave armée ; faites à tous mes sincères félicitations. » En même temps le ministre de la guerre écrivait au général Pélissier au nom de l’Empereur : « L’Empereur vous charge de féliciter en son nom l’armée anglaise pour la constante bravoure et la force morale dont elle a fait preuve pendant celte longue et pénible campagne. »
Lord Panmure a adressé là lettre suivante au général Simpson :
« Londres, mercredi, 12 septembre.
« La reine a reçu avec une grande émotion l’heureuse nouvelle de la chute de Sébastopol. Pénétrée a’une gratitude profonde envers le Tout-Puissant qui a daigné accor
der ce triomphe aux armées alliées, Sa Majesté m’a ordonné de vous exprimer, à vous et, par votre intermédiaire, à son
armée, la glorieuse satisfaction qu’elle ressent de cette nouvelle preuve de son héroïsme. La reine félicite ses troupes de l’issue triomphante d’un siégé prolongé, et les re
mercie de l’entrain et du courage avec lesquels elles ont supporté les travaux et de la valeur qui y a rnis fin.
« La reine regrette profondément que les pertes douloureuses qui ont été essuyées ne laissent pas sans mélange la joie de ce succès; et pendant qu’elle se réjouit de. sa vic
toire, Sa Majesté éprouve une sympathie profonde pour ceux qui ont si noblement souffert pour la cause de leur pays.
« Vous voudrez bien féliciter, au nom de Sa Majesté, le général Pélissier sur le brillant résultat de l’assaut de Malakoff, qui prouve la force irrésistible aussi bien que le courage indomptable de nos braves alliés. »
Le général Pélissier a été élevé au grade de maréchal de France, par un décret de l’Empereur, daté du palais de Saint-Cloud, le 12 septembre 1855.
Le vice-amiral Bruàt a été élevé au grade d’amiral, en récompense des éminents services rendus par lui pendant la campagne de la mer Noire, par un décret daté du palais des Tuileries, le 15 septembre. Le Moniteur a publié la liste des seuls officiers du corps de marine tués à terre aux bat
teries dans les dernières journées du siège. Ce sont MM. Gouhot, commandant d’artillerie de marine; de Girard, lieutenant de vaisseau; Roy, sous-lieutenant d’artillerie (le marine; de Dom pierre; d’Hanoy, blessé grièvement, a succombé à ses blessures.
Par dépêche télégraphique du 11 septembre, le maréchal Pélissier fait connaître au ministre de la guerre que 4,500 blessés, dont 240 officiers, sont entrés aux ambulances. Quant au nombre des morts tombés sur le champ (le ba
taille, il n’a pas été possible jusqu’à présent de l’évaluer avec certitude; mais dans l’opinion du commandant en chef, il ne doit pas dépasser la proportion ordinaire, c’està-dire à peu près le tiers du chiffre des blessés. Les géné
raux Saint-Pol, Breton, Marolles, et Rivet, chef d’élalmajor, ont élé tués; legénéral Pondevèze est mort des suites de ses blessures. Les généraux Bosquet, Mellinet, Lamotterouge, Courten, Bisson, Truhu, sont blessés. Une dépêche en date du 18 porte : « Nos généraux et officiers supérieurs blessés sont aussi bien que possible. Aucune inquiétude à avoir. »
Le Moniteur du 17 contient cette note : « Quelques journaux se préoccupent de l’importance du fort du Nord, où
s’est retirée la garnison de Sébastopol après la prise de la ville. Ce fort n’est pas plus grand que l’un des forts qui entourent Paris. »
Voici un document historique qui mérite d’être recueilli dans nos pages, document reproduit par tous les jour
naux, el qui donne, la liste, par date, de tous les grands faits d’armes de nos vaillantes armées, depuis le commencement de la guerre :
Le 4 septembre 1854. — Embarquement de l’armée française (25,000 hommes) et île l’armée turque (8,000 hommes), à Varna.
Le 9 septembre. — La flotte portant l’armée anglaise (25,000 hommes) rallie la flotte turco-française à l’ile nos Serpents.
Le 14 septembre. — Débarquement des années alliées à Eupatoria, près le Vieux-Fort. Cette opération n’est pas contrariée par les Russes; elle dure six heures.
Le 20 septembre. — Bataille de l’Alma.
Le 27 septembre. — L’armée alliée, après avoir franchi l’Alma, le Beibeck et plusieurs cours d’eau, arrive, par une marche de flanc, sur tes hauteurs de Bataklava. Les Anglais s’emparent de cette ville et y établissent leur base d’opérations.
Le 29 septembre. — Reconnaissance de Sébastopol.
Le 9 octobre. — Ouverture de la tranchée à 700 mètres de la place.
Le 17 octobre. — Ouverture du feu contre la place. Les flottes combinées y prennent part.
Le 25 octobre. — Bataille de Balaklava. Le G novembre. — Bataille dïnkermann. Le 22 mai 1855. — Prise du cimetière.
Le 24 mai. — Expédition dans la mer d’Azoil . Succès complet. Le 25 mai. — L’armée alliée occupe la ligne de la Tchernaïa. Le 7 juin. — Prise du mamelon vert.
Le 18 juin. — Assaut infructueux donné à Malakoif. Le 10 août — Bataille de la Tchernaïa. Le 8 septembre. — Prise de Malakoif.
Le 9 septembre. — L’ennemi évacue la partie méridionale de ta ville et se retire dans la partie nord.
La tranchée ayant (Té ouverte le 9 octobre 1854, il y a donc eu 330 jours de. travaux à exécuter sous le feu de la place, et malgré, les sorties des assiégés. Sur plusieurs points, il a été fait jusqu’à sept parallèles.
Le feu avant été ouvert le 17 octobre 1854, et la ville ayant été prise le 8 septembre 1855, Sébastopol a été bombardé et eanonné pendait 322 jours.
La prise de l’importante tour de Malakoif, la clé de Sébastopol, coïncide, presque jour pour jour, avec le débarquement des troupes alliées en Crimée. Notre brave armée a noblement célébré le grand anniversaire.
L’Empereur a donné l’ordre, à la nouvelle de la prise (le Sébastopol, que les militaires de l’armée d’Orient appartenant à la classe de 1847, fussent immédiatement libérés.
Les journaux anglais rendent compte de la visite de lord Palmerston à Melbourne; les habitants de la ville lui pré
sentèrent une adresse pour le féliciter de la coïncidence qui rapprochait sa visite de la prise de Sébastopol. Lord Palmerston a répondu que la bravoure des soldats an
glais, combinée avec celle des Français, amènerait le germe d’une paix qui garantira la sécurité de l’Europe contre les futures agressions de la Russie. Et cette paix, a-l-il ajouté, ne sera pas seulement honorable et satisfaisante pour les al
liés, mais encore elle Contribuera à l’honneur et au profit du pays, et justifiera les grands sacrifices qu’elle aura coûtés.
Les détachements des gardes, prêts à partir, vont être augmentés de 100 hommes de. rang de file. Ces soldats doi
vent s’embarquer du 20 au 26 courant. 200 hommes de rang de file, pris au nombre de 40 dans chaque régiment; 300 hommes du 77% dépôt ; 750 dé la brigade de tirailleurs, et 501 hommes du corps de service de transport par terre, vont aussi s’embarquer pour la Crimée.
On se propose même de garnir de milice les forts el les îles de la Méditerranée, el l’infanterie de ligne qui com
prend le SI” d’infanterie légère, les 54”, 66”, 82” et 92° highlanders, doivent partir pour la Crimée après son remplacement.
L’année russe est toujours entre Kars et Erzeroum. Cette dernière place est approvisionnée pour vingt jours. On es
père beaucoup de la diversion qui va être opérée par Omer-Pacha.
Les nouvelles d’Espagne sont à peu près nulles, grâce à , l’emprunt on peut payer les armées de service en activité.
La Epoca du 12 septembre fait ressortir les effets de la victoire remportée à Sébastopol : d’après elle, l’Angleterre recouvre sa prépondérance compromise dans les affaires de l’Europe, l’importance de l’empire français est accrue, et les Etats du roi de Sardaigne prennent une haute considération politique. Aussi tussions-nous voulu que l’Espagne s’asso
ciât à l’alliance des puissances occidentales, parce que nous pressentons le rôle que seraient, au jour de la victoire, ap
pelées à jouer les nations qui auraient combattu pour la civilisation et le progrès.
Saïd-Pacha, le vice-roi d’Egypte, accompagné du consul général de France et de plusieurs de ses principaux fonc
tionnaires, est parti le 8 septembre pour Marseille, à bord de son yacht à vapeur Faid-Gehaad. Il se propose de visiter Paris et Londres. On a annoncé son arrivée à Marseille, d’où il part pour Paris.
La session des Etats-Généraux des Pays-Bas a été ouverte lundi. Le roi a présidé lui-même à cette solennité législa
tive, et a prononcé un discours. Le premier paragraphe seul est relatif à la politique générale, et déclare que, le pays n’ayâni eu qu’à se féliciter de l’attitude neutre qu’il a gar


dée au milieu du conflit actuel dè diverses paissances eu


ropéennes, il persévérerait dans cette ligne de conduite. Les autres parties du discours royal portent sur la situation intérieure du pays, et constatent qu’en général cette situation est satisfaisante. Paulin.


Chronique musicale.


Disons noire Confiteor, et battons notre coulpe. Nous avions tort, il y a huit jours, de dire que cette année, vu l’affluence des étrangers, le Théâtre-Lyrique se mettrait eu
dépense de nouveautés ie plus tard possible. Le Théâtre- Lyrique, ayant à cœur de. nous mettre en défaut, vient de donner deux nouveautés dans la même soirée. L’une de ces nouveautés, et la plus importante, est Marie, opéra en trois actes d’un jeune compositeur inconnu, qui se nomme lié— rold. Ce nom est allemand. Nous ne saurions dire pourtant si celui qui le porte est Allemand lui-même, ou s’il est né en France. Peut-être est-il Alsacien. En tout cas, la ques
tion ne tardera pas à être résolue, car le début de ce jeune homme est, à beaucoup d’égards, un coup de maître. Qui débute ainsi est sûr de devenir célèbre en très-peu de temps, et la vie d’un homme célèbre appartient tout entière au public.
Cette représentation de Marie fait voir h quel point le Théâtre-Lyrique est jaloux de remplir sa mission et d’at
teindre le but pour lequel il a été institué. Qui sait? peutêtre n’aurions-nous jamais, sans lui, entendu parler ni de Marie, ni de ce monsieur Flérold.
Et c’eût été un meurtre, en vérité. Ce jeune homme, incontestablement, a du génie, et nous ne doutons pas que sur un aussi brillant échantillon, AI. le directeur de l’Opéra- Comique ne consente à l’employer. VL le directeur du Théâtre-Lyrique le. lui recommandera probablement. Entre confrères, les petits cadeaux entretiennent l’amitié.
Nous n’affirmerons pourtant pas que Marie soit de tout point un chef-d’œuvre. Nous offrons même de parier que l’auteur fera encore mieux dans la suite, quand son talent se sera fortifié par l’exercice, et sera plus conscient de lui
même. Sa mélodie est très-abondante, mais quelquefois elle tourné-un peu court. Ses morceaux d’ensemble manquent d’effet vocal et de développement. On pourrait y souhaiter plus de copieur et de caractère. Comparez, par exemple, les Suisses de Marie à ceux de Guillaume Tell. Si le poème ne vous disait le lieu de la scène, vous n’auriez aucune rai
son de vous croire au milieu des Alpes plutôt qu’à Palaiseau ou à Pontoise. Mais les chants sont faciles et pleins d’élé
gance, l’harmonie est toujours distinguée, l’instrumentation est claire, brillante, vivement colorée, riche de détails pit
toresques et d’effets saisissants. La barcarole : EU! vogue la nucellc, etc., est très-fraîche et fort jolie. Itàtons-nous d’en jouir avant que les orgues de barbarie ne nous l’aient gâtée. La petite romance : Je pars demain, est remarqua
ble par un style noble, passionné, et une tenue de cor d’un effet délicieux. L’air: Comme en notre jeune âge, a beaucoup de grâce, et les couplets du meunier sont très-pi
quants, bien que le tic, lac, tic, tac, soit assez puéril, et d’un goût un peu suranné. Il y a une romance charmante :
Une robe légère,
D’une entière blancheur, etc.
Les compositeurs, sans en excepter les mieux doués et les plus habiles, ont rarement le bonheur de trouver quel
que chose d’aussi élégant et d’aussi simple. Le duo entre Marie et son amant est singulièrement expressif. En somme, cet ouvrage est un des plus agréables qu’on ait joués depuis longtemps au Théâtre-Lyrique et ailleurs.
L’exécution instrumentale est excellente. L’exécution vocale laisse., çà et là, quelque chose à désirer. Nous ne par
ions pas de M. Achard, qu’une maladie— peu dangereuse, nous l’espérons, — avait mis hors d’état de montrer sou talent à la première représentation. Mais l’autre ténor, M. Leroy, nous a paru avoir la voix lourde et assez inégale. M“* Pânnetra a de l’étendue, une belle sonorité, une vocalisation facile et brillante. Mais pourquoi n’entend-on ja


mais un mot de ce qu’elle dit ? Mlle Bourgeois a un organe