très-frais, très-sympathique, et l’instinct de l’expression dramatique. On sent ses intentions, qui sont bonnes. La pratique seule lui manque. Cette jeune personne n’est pas aujourd’hui, à beaucoup près, ce qu’elle sera dans quelques années.
M. Leroy, dont nous parlions tout à l’heure, débutait, ainsi qu’un autre acteur comique, chargé du rôle du meunier Lubin, qui a peu de voix, mais s’en sert assez adroite
ment, et joue gaiement son rôle. M. Grignon, M. Prilleux et Mme Vadé, artistes qui ont de l’à-plomb, et savent, comme on dit, leur affaire, servaient heureusement de point d’appui à cette jeunesse un peu inexpérimentée.
Avant Marie, on nous avait donné une Nuit à Séville, opéra-comique en un acte, qui est la première partition connue de M. Frédéric Barbier. Nous disons connue, parce que l’instrumentation en est trop habile pour que l’auteur n’ait pas déjà beaucoup écrit. Il y a donc du talent dans une Nuit à Séville. Il y a aussi des inspirations heureuses, par exemple, un air bouffe, -— le premier de l’ouvrage, — qui est fort gai, dont le style est gracieux et leste ; un trio pour basse-taille et deux sopranos, ou du moins une moitié de trio, dont le chant syllabique est très-piquant, et où les deux voix féminines, qui accompagnent, sont disposées avec art; — une romance originale, expressive, et gracieument écrite. Un duo bouffe pour deux ténors, qui précède cette romance, a du mouvement et de la gaieté. Mais il vaudrait infiniment mieux s’il avait été écrit pour des bas
ses. La voix de ténor se prête mal aux effets du genre bouffe, à moins qu’on ne pousse la ctiarge jusqu’àj ses plus extrê
mes limites, comme l’a fait M. Offenbach dans les Deux Aveugles, tl y a, vers la fin de l’ouvrage, un morceau d’en
semble à sept parties, où ies voix sont bien agencées, et dégagent une sonorité douce et pleine tout à la fois, à laquelle on est peu accoutumé sur nos théâtres. On recon
naît à ce morceau, que M. Frédéric Barbier a étudié avec soin el avec fruit les procédés des compositeurs italiens.
Le libretto d Une Nuit à Séville semble un défi porté au sens commun. Un corrégidor qui a deux pupilles, les aime, et, Dieu nous pardonne ! les épouserait volontiers toutes deux, si elles le voulaient et si le code le permettait ; qui les lient sous clef de peur d’accident, fait griller les fenê
tres par excès de précaution, el n’oublie que de fermer la porte; des amants qui courtisent, on ne sait trop com
ment , ces deux beautés enfermées, et n’ont jamais vu leur tuteur; un alcade, un greffier, des alguazils qui ne connaissent pas leur corrégidor, le prennent pour un voleur, et l’arrêtent dans sa propre maison, sur la dénonciation du
voleur lui-même... Pour qu’ont prit son parti sur toutes ces impossibilités, il faudrait que les détails fussent bien plaisants, que les caractères fussent bien vivement tracés, que le dialogue fût écrit avec une gaieté et une verve bien originales. Autrement on se souvient malgré soi du vers de Boileau :


II faut, même en chansons, du bon sens et de l’art ;


on se dit tout bas, en pensant à fauteur de l’ouvrage ; Décidément, ce Monsieur se moque de moi; —et l’on est quelquefois tenté de le lui rendre.
G. Héquet.


Courrier de Paris.


La fin des beaux jours n’est pas le commencement des belles nuits, et c’est en vain que beaucoup d’étrangers ani
ment encore de leur présence cette morte-saison parisienne, on ne leur fait pas la politesse de la moindre réjouissance nocturne. En somme, il n’y a de plaisir possible qu’aux eaux, et c’est un plaisir économique, vu qu’on ne le prend qu’à frais communs; on né se voit, ou plutôt on ne se ren
contre que là; recevoir ailleurs, ça n’est pas reçu. C est pourquoi nos hôles s’étonnent que dans celle ville des distractions élégantes on leur en procure si peu, et ils com
mencent à comprendre que Home ne se retrouvera dans Rome que quand ils n y seront plus. Il est vrai qu’à leur considération on aurait pu intervertir l’ordre des saisons ; cet automne, dont on ne sait trop que faire, on l’aurait employé à les faire danser, biais l hospitalité du beau monde ne saurait déroger jusque-là.
Ce beau monde, où est-il? où n’est-il pas? Quelque confiance que puissent mériter différents chroniqueurs qui s’at
tachent obstinément à ses pas, et qui le croquent à Bade depuis plusieurs mois, il semble à nous autres sédentaires ([ue ce beau monde-là ne s’est pas complètement exilé de Paris, el il ne s’agit que de mettre le nez à la fenêtre pour le voir passer en pompeux équipage et en grande, toilette, car pour le commun des spectateurs il n’est plus reconnais
sable qu’à ce signalement ; la toilelle. Dans cette multitude de gens comme il faut, essayez donc de reconnaître les in
trus et surtout les intruses, on y a mis bon ordre. Il n’est si mince bourgeoise qui, par l ampleur de ses accessoires, n’aille maintenant de pair avec la grande dame. Où s’arrê
tera ce débordement de luxe ? Question incidente et oiseuse que se posent les économistes et qu’ont ré» lue les mar
chands : cela fait aller le commerce. Heureusement que nous sommes dans un temps de splendeur et d’abondance de toutes choses qui ne laisse même pas aux esprits les plus chagrins la ressource de dire que ce dévergondage d’oripeaux insulte à la misère publique, tl faut remonter jusqu’au lendemain des troubles de la Fronde pour retrouver l’équivalent de pareils excès, et il y eut urgence de les
arrêter tout net par le décri (décret) somptuaire de 1660,, qui fut maudit par les dames et approuvé par le seul Sganareile :
Oh! trois et quatre fois b;ni soit cet édit Par qui des vêtements le luxe est interdit,


Les peines des maris ne seront pas si grandes,


Et les femmes auront un frein à leurs demandes.
Ce merveilleux édit, qui, par parenthèse, n’empêcha rien ou du moins fort peu de chose, voulut mettre en même temps un frein à la cupidité des marchands, la grande che
ville ouvrière de tout le mal. Il leur fut enjoint de mettre une sourdine à la fanfare des réclames, et de réduire la pompe des élalages au strict nécessaire. La cause déterminante delà mesure fut qu’un marchand de la rue des Bour
donnais avait mis en montre des demoiselles très-vivantes qu’il avait parées, comme des poupées, de tous les pompons de sa boutique, et que ses confrères commençaient à l’imi
ter. Or les bons exemples ne sont jamais perdus, et vous connaîtrez bientôt, par voie de réclame, le nom et l’adresse de ceux de nos industriels qui exhibent à leur tour ces engageantes. Et puisque la plume vient de cracher le mot ré


clame, en voici une d’une franchise vraiment énergique :


— que nous ne saurions nommer parce quept quoi qu’elle se nomme, — a l’honneur de prévenir son immense clientèle qu’elle vienl de recevoir un assortiment de toute espèce de suppléments. On trouvera exposés dans son ate
lier (Pourquoi pas au palais de l’Exposition?) ceux qu’on appelle nonchalants, dont les dames font aujourd’hui un usage si avantageux, vu qu’elles ne sauraient les froisser,
même en s’asseyant. Prix : en simple défilé, quarante francs ; l’ami des femmes, soixante francs ; toujours ferme,
cent francs. » Par ainsy, vive l’ami des femmes 1 et mort à l’amidon qui faisait trop de bruit.
Alais trêve aux observations touchant les accaparements du luxe, la plus grande question cependant de toutes les petites questions du moment. Gela expose le moindre chroniqueur à s’entendre dire qu’il n’est pas économiste; à défaut de cette belle science, on le juge incapable d’élever ou même de géné
raliser les choses. J’en sais un qui a dû subir à cet égard les réflexions les moins encourageantes, lesquelles lui ont été prodiguées par la posle (on est prié d’affranchir) et par une autre voie, gratis. On l’accuse de lire à l’envers le livre de l’histoire et de parler du luxe en Barbare, car l’invasion des Barbares a toujours entraîné sa chute. Rien de plus authentique et rien de plus avéré également que l’amour des ob
jets de luxe est la première passion des peuples sauvages. Attila ne voulut s’éloigner de Rome qu’à la condition qu’on
lui donnerait des étoiles de soie en abondance; les hordes de Gengis et de Tamerlan détruisaient tout, excepté les co
lifichets. Malgré l’autorité de ces exemples, convenons une fois pour toutes, — il nous coûte si peu d’en convenir, — que le luxe, alors même qu’il est poussé jusqu’au délire, est le signe certain d’une extrême civilisation, et non pas d’une civilisation in extremis.
Autre information de luxe. A la suite de la glorieuse nouvelle venue de Grimée, tout le monde s’était porté à la Bourse,—j’entends tout le monde qui en vit, — la foule allait voir détacher le coupon, et les spéculateurs comptaient re
cueillir à leur manière quelque profit de la victoire ; mais tout s’est borné à une hausse insignifiante. 11 y a eu même quelque désarroi parmi les détenteurs de ce nanan qu’on appelle le crédit mobilier. Quelques-uns deë plus avides de la chose seraient même très-malades pour en avoir trop mangé. C’est la première fois que l’affaire aura ruiné quel
qu’un ou quelques-uns; jusqu’à présent elle avait enrichi tout le monde, et ce résultat si invraisemblable méritait bien d’être glorifié dans la personne des patrons de l’insti
tution. On parle d’une médaille frappée à leur effigie et d’une voie publique qui serait décorée de leur nom, et, à vrai dire, l’hommage est des plus légitimes, après tant de bienfaits, après tant de succès !
Cette bienheureuse invasion étrangère dont les Parisiens jouissent encore, c’est à tort qu’on en déplorerait les suites,
sous prétexte qu’elle a porté toutes choses à un prix peutêtre excessif, et qui semble devoir rester définitif après avoir été présenté comme provisoire. La vue de tant de personnes comme il faut réduites à loger dans des soupen
tes, à se réfugier dans des sous-sols ou à dormir sur des
palliers, n’a pas été perdu pour des philanthropes, et on leur devra bientôt de nouvelles demeures vraiment économi
que pour les entrepreneurs qui les feront bâtir. On peut voir à l’Exposition le modèle d’un de ces logis à destination
de la classe ouvrière, mais dont le bienfait doit s’étendre jusqu’à la classe bourgeoise, dans les temps de crise. Cette maison ou plutôt cette boîte bâtie en brique, cerclée de fer, et percée de trous en guise de fenêtres, se divise en une in
finité de compartiments sous prétexte de chambres, ayant toutes la dimension indispensable pour contenir un lit en
fer, une chaise et un coffre. Chaque locataire aura en outre la jouissance d’une cuvette en commun dans une salle com


mune à tous, et il ne lui en coûtera que 9 francs par mois.


On estime qu’à la faveur de ce logis, qui après tout vaut mieux que le simple campement à la belle étoile, les intéressés n’auront plus lieu de regretter la destruction de tou
tes ces bicoques peut-être en ruines, mais où la famille abritée dans la même chambre y respirait du moins au plus bas prix.
Telle de ces antiques demeures où des princes d’autrefois se trouvaient logés comme des princes, aura été jusqu’au dernier moment l’asile encore somptueux de ces popula
tions ouvrières que la philanthropie moderne se propose d’emprisonner tout (i fait dans les ruches du régime cellu
laire. Ainsi, sur cette longue ligne Rivoli, qui commence à la place de la Concorde et se termine encore à l’inconnu, tombait hier, en vue de l’Hôtel de ville, une masure aussi respectable par sa vétusté que par les souvenirs qui s’y rat
tachent, puisqu’elle fut habitée par Mme de la Fayette, ce charmant écrivain des petites choses, cette immortelle caillette, ainsi que l’appelle Paul-Louis, et qui savait de la langue française encore plus de finesses que n’en soupçon
nait son maître Segrais. Avant Segrais, Saint-Arnaud, le plus goinfre des rimeurs, et, après lui, des Yveteaux y avaient logé. Celui-ci ne la quitta que pour s’en aller bâtir, dans les solitudes du Pré aux Clercs, celte maison extravagante où il joua au berger, la houlette en main et la pannetière
au côté, comme un personnage de VAstrée. Il dut à cet éloignement du centre de la ville le surnom de dernier des hommes. En même temps et plus longtemps qu’eux, Patru habita ce logis, un avocat bien rare, puisque les poêles du siècle de Louis XIV allaient le consulter en plein palais sur les beautés et les délicatesses de la langue dés poètes. Mais ce qui achève de donner aux ruines de cette demeure un peu d’intérêt, en dépit des rats qui Font rongée et des ma
çons qui achèvent de la raser, c’est le cortège de tous les personnages qu’on peut ressusciter autour des quatre, ou cinq noms susdits, et qui comprend tous les beaux-esprits du grand siècle, sauf la glorieuse coterie qui a triomphé dans la personne de Boileau. La population entière de l’hô
tel Rambouillet, la société de M e de Sévigné, les débris de la Fronde, les précurseurs de l’Encyclopédie, tels furent les commensaux dë cette école du bien dire. Quand les Muses en délogèrent, comme dit le même des Yveteaux, la pein
ture alla s’y nicher avec Lancret, le peintre le plus couru . des boudoirs de nos grand’mères. Il n’est donc pas surprenant que le dernier habitant mémorable de ce petit temple de Guide et de Papiers, le bon M. de Senancourt, y ait trouvé les inspirations nécessaires à son livre de F Amour.
On veut aussi qu’aux jours voisins de la première révolution, Lavoisier et ses1 savants confrères aient jeté là les bases de leur fameuse nomenclature chimique.
Au risque de parler à n’en plus finir de curiosités du vieux temps et qui n’intéressent qu’un très-petit nombre de cu


rieux, je cilerai encore parmi les trouvailles de. cette se


maine, un autographe de Milton, le poêle du Paradis perdu, qu’un certain Witelocke, conseiller de Cromwell et homme
d’Etat illustre, (connaissiez-vous cette illustration ?), traité nettement d’imbécile dans ses mémoires : « Respecte l’altente qu’on a fondée sur loi, dit le poète au protecteur; res
pecte l’honneur el les cicatrices de tant d’hommes généreux qui ont combattu pour la liberté ; respecte enfin l’opinion des autres peuples, et les grandes idées qu’ils se forment de celte république, pour laquelle nous avons souifert tous, et qu’il serait si honteux de voir disparaître. » C’est dans cet autographe que Milton supplie Cromwell de rétablir la li
berté, et, pour toute réponse, le protecteur fit briser la plume de ceux-là même qui n’en lisaient plus.
Ceci n’a aucun à-propos, mais ce qui suit en est plein. On ne cesse de faire toutes sortes de conjectures sur l’en
voi de deux vaisseaux anglais devant Naples. Est-ce une menace? est-ce une réparation qu’on exige? Pourquoi l’An
gleterre seule, et pourquoi pas la France avec elle ? Peulêtre allons-nous apprendre que le roi de Naples, lequel a horreur du nu, et qui cache à tous les yeux, dans son musée particulier, des figurines dont la vue n’a jamais offensé personne, aura fait arrêter quelque Ecossais sous le même prétexte, et l’Angleterre veut soustraire un compatriote au secret du musée ou au musée secret. 0 monarque trop scru
puleux et encore plus imprudent, s’il en est ainsi, que ne donniez-vous à cet insulaire un haut-de-chausse ?
Autre historiette qui n’a plus rien de politique : Un honnête père de famille a un fils qui ne peut pas s’éveiller avant midi ; le jeune homme y tient un peu, parce qu’il veille fort avant dans la nuit, et beaucoup en raison de la prétention qu’il affiche de vivre comme les gens soi-disant à la mode. «Que me conseillez-vous? disait le père à bout de remon
trances, et que puis-je faire d’un fils qui se lève à midi ? — Mais, lui répondit-on, il faut en faire un allumeur de réverbères. »
Les sports de Longchamps, qui viennent de ressusciter avec éclat, offriront dimanche prochain un spectacle in
croyable. C’est un défi porté par l’Espagnol Genaro, simple coureur à pied, à tout cheval que l’on voudra engager con
tre lui dans une course de fond. Genaro et la cavalcade partiront ensemble, chaque cavalier étant libre de mettre sa monture au trot ou de lui faire prendre le galop. Tous devront faire sans s’arrêter le tour de l’hippodrome au
tant de ibis que la lutte se prolongera, et chaque tour étant porté à l avoir de chacun des coureurs par les juges-commissaires, celui desxoncurrents qui fournira le plus grand nombre de tours, et par conséquent le pics long trajet, sera proclamé vainqueur. Le prix est de deux mille francs, et les connaisseurs pensent que cet intrépide Genaro est bien capable de le gagner.
Dernière information des pius engageantes : la Société d’horticulture, dont l’exposition est plus courue que jamais, vient de décider que le public serait admis à voir pousser
dans son jardin les fleurs gigantesques de la Victoria Bcgia, « cette reine des eaux de l’Amérique, dont les corolles parfumées ne peuvent supporter l’éclat du soleil,» pour par
ler comme le prospectus de celte exposition, qui n’est pas moins fleuri que ses fleurs.
Maintenant, place au théâtre, car la semaine est suffisamment dramatique. Voir c’est avoir, dit la chanson; mais vous n’aurez pas tout, puisque nous n’avons pas tout vu. Entre Favilla, drame de George Sand, à I’Odéon, et l’A­
mour ‘et son train, le premier soupir d’un très-jeune cœur de poète dans les bocages de la Comédie française, il fallait choisir, et nous nous sommes décidé pour l’éphémère et l’inconnu. Je ne sais rien de plus aimable que ce petit M. Gabriel, un lovelace français à ses débuts, qui s’en vient bâtir ses châteaux d’amour en Espagne. Il est en train de dire : Je vous aime; et ces syllabes magiques, il les jette en
courant à la sémillante Inès, à Pépita la langoureuse, de même qu’à la tendre Carmen, un simple bouton de rose entre deux belles roses épanouies, et c’est ainsi que le char
mant trio s’es t épris tout de suite de sa triomphante personne
Les don -Juan qui parlent comme des Amadis ont d’abord beau jeu, ça vous a des atouts plein les mains, et ça re


tourne toujours du cœur, jusqu’au moment où les amou


reuses se confient mutuellement leur peine qui est un si grand plaisir. Eh quoi ! cet amoureux si tendre et si per
suasif, c’est aussi ton amoureux. —Mon Dieu oui! ma chère. —L’épisode est vieux comme le monde, et il est en