nous n’oublierons jamais ce qu’une dame nous disait au Panthéon, en présence du grand pendule que M. Foucault y
faisait osciller : « En regardant cette boule qui se balance et qui fuit à ma gauche, je me sens entraînée à droite, et je crois au mouvement de la terre. » Heureux Galilée, s’il avait ph entraîner ainsi le cardinal Bellarmin !
On comprend du reste que, dans l’hémisphère où nous sommes, le pendule doit paraître se déplacer vers la gauche de celui qui le regarde venir, car la terre tourne autour de la verticale de gauche à droite, au lieu que dans l’autre hé
misphère le mouvement s’accomplit en sens inverse pour le spectateur aussi bien que pour le plan d’oscillation du pendule.
Viviani avait bien remarqué jadis que le pendule ébranlé s’en allait peu à peu vers la gauche; mais de ce fait à la découverte du rapport qui le lie au mouvement du globe il y avait l’infini, et il a fallu une pénétration d’esprit qui tient du prodige pour s’aviser du lien qui rattache les deux phénomènes.
Nous avons déjà parlé dans ce journal (n” 518, 29 janvier 1853) d’un autre ordre de faits , et d’autres appareils par lesquels M, Foucault est parvenu également à démontrerle mouvement de rotation de la terre ; mais le gyroscope, au moment où nous l’avons décrit, était, comme le pendule, un appareil incomplet pour la grande majorité des hommes ; il avait et il a encore le défaut de ne se prêter qu’à des observations d’une durée très-courte, qui laissent par consé
quent des doutes dans les esprits incapables de se rendre compte des faits autrement que par la constatation même de ces faits.
Or M. Foucault est l’ennemi acharné du doute ; il le poursuit partout où il le rencontre, chez lui comme chez les autres, et le plus souvent il parvient à le vaincre, ou du moins à le déplacer.
C’est là ce qui lui-est arrivé en cherchant un artifice pour mieux faire comprendre toute la valeur et toute la préci
sion de sa découverte et de sa loi relatives- au déplacement angulaire apparent du plan d’oscillation du pendule. « Si je pouvais, s’est dit le jeune physicien, faire osciller mon pendule pendant plusieurs heures, sans altérer en rien la jus
tesse de ses indications, j’arriverais à convaincre tout le monde, car je ferais voir que la terre peut donner l’heure en tournant au-dessous du pendule comme le ferait le ca
dran d’une montre qui tournerait au-dessous de l’aiguille rendue tout à fait immobile. » Mais comment prolonger les oscillations de l’appareil pendulaire?
Plusieurs mécanismes avaient déjà été proposés par différentes personnes, dans le but de rendre à la masse oscil
lante la force qu’elle perdait à chaque instant contre l’air et dans l’acle de fléchir le fil de suspension. Mais jusque-là tout le monde avait agi sur le point d’attache de l’appareil,
et c’était au contraire ce qu’il fallait rendre aussi fixe que possible.
Quant à ceux qui s’élaient avisés de mettre un mouve
ment d’horlogerie dans la boule du pendule, iis n’avaient pas compté sur les oscillations elliptiques ou circulaires auxquelles donne naissance le déplacement du centre de gra
vité de la boule, et qui masquent toujours et faussent le plus souvent les indications de l’appareil.
Le problème était donc tout entier à résoudre, lorsque, il y a quelques mois, une pensée lumineuse éclaira soudai
nement l’esprit de M. Foucault, il laissa mûrir son idée,
puis il l’apporta à M. Froment, à cet ingénieux constructeur pour lequel on peut dire réellement que le mot impossible n’existe pas dans le domaine de la mécanique. C’est à eux deux qu’ils ont enfanté le charmant appareil qui renouvelle à chaque instant les forces épuisées du pendule, et qui, caché aux yeux du public, a fait penser à beaucoup de per
sonnes que le pendule de M. Foucault réalisait enfin le mouvement perpétuel.
Ce mécanisme, que l’on pourrait appeler une source in
termittente de force accélératrice, consiste essentiellement en un électro-aimant qui agit sur le pendule pendant sa chute, et qui cesse d’agir lorsque le pendule remonte. Cette puissance attractive a, de la sorte, un avantage notable sur la gravité, car ce dernier agent, qui accélère le mouvement de descente du pendule, retarde aussi d’une manière constante et finit par éteindre son mouvement d’ascension, tandis que Y électro-aimant donne toujours et ne reprend ja
mais. Il est vrai que l’air et le fil se chargent d’enlever au pendule ce que le magnétisme lui avait transmis ; mais la compensation est si bien établie que les oscillations conser
vent toutes la même longueur, la même durée, et ne se ressentent aucunement de la présence d’une action étrangère.
L’électro-aimant se trouvant placé au centre de la table
inférieure, juste an pied de la verticale qui passe par le point de suspen
sion du pendule, il en résulte que son action sur ce dernier est tout à fait symétrique, et que,
non-seulement elle ne tend pas à le faire sortir du plan vertical, mais qu’elle l’y ramènerait plutôt si une cause per
turbatrice quelconque venait àl’enfaire écarter.
La boule pendulaire est une grosse sphère en fer forgé, aussi homogène que possible, et aus
si parfaitement centrée que peuvent le permettre nos moyens d’ajustement.
Voici quelle est la disposition du mécanisme continuateur du mouvement (lig. 5).
L’électro-aimant (cylindre en fer doux entouré de fil de cuivre revêtu de soie), dont nous avons parlé, est soutenu par un ressort à boudin qui lui est adhérent, au-dessous du centre de ta sphère du pendule en repos. Dans le prolon
gement inférieur de son axe, cet électro-aimant porte une tige qui reçoit dans une entaille un levier horizontal métallique, communiquant pàr son point d’appui avec un fil qui s’en va à un second électro-aimant dont nous parlerons tout à l’heure, et par son bout libre pouvant toucher ou ne pas toucher un fil conducteur qui part de l’un quelconque des deux pôles d’une pile. Nous le supposerons, pour mieux fixer les idées en rapport avec le pôle négatif. Quant au se
cond électro-aimant dont nous venons de dire un mot, beaucoup plus petit que le premier et placé au-dessous du levier précédemment décrit, il est mis en rapport avec la pile, d’une part directement par un bout de son fil induc
teur qui aboutit au pôle positif, de l’autre indirectement par le levier de contact déjà mentionné. Au-dessus de ce petit électro-aimant se trouve une ancre on un contact en fer doux pouvant être attiré par l’aimant inférieur ou sou
levé par l’action d’un levier auquel il se trouve attaché , et qui a son bras le plus court relevé en équerre et lié à un ressort à boudin luttant contre l’action magnétique. Le long bras de ce levier établit ou interrompt la communication entre le pôle négatif de la pile dont il arrive à toucher le fi! conducteur, et l’un des bouts du fil qui enveloppe le gros électro-aimant supérieur, et qui est fixé à cet effet à l’axe de rotation du levier. L’autre bout de la bobine du gros électro-aimant s’en va directement au pôle positif de la pile.
Ce même long bras de levier qui porte l’ancre ou le contact du petit électro-aimant, et qui peut fermer ou ouvrir le circuit de l’électro-aimant supérieur, se termine par un bec ar
ticulé, espèce de cliquet qui va se loger entre les dents d’une roue àrocbet, et qui peut, en pressant dessus, mettre cette roue eu mouvement de rotation. D’autres roues et un petit moulinet modérateur reçoivent l’impulsion de cette première roue à cliquet mobile, et l’empêchent de tourner avec une vitesse trop grande.
Tel est l’appareil électro-magnétique du pendule de M. Foucault; l’explication de son jeu ne présente aucune difficulté.
Lorsque le pendule est à l’extrémité de son excursion ascendante, le petit et le gros électro-aimant se trou
vent en plein rapport avec la pile. Ce dernier attire donc la masse du pendule et en est en même temps attiré. Cette masse, que la gravité et le magnétisme sollicitent à descen
dre, se rapproche peu à peu de i’électro-aimant accélérateur,
en le faisant monter. Quand le pendule passe au-dessus, l’appendice inférieur de Pélectro-aimant a fait assez de chemin en montant pour soulever le levier engagé dans son en
taille, la communication du petit électro-aimant avec la pile se trouve ainsi interrompue, le contact attaché au levier inférieur est alors entraîné par le ressort qui le soulève, et le courant cesse aussitôt de circuler autour du gros électroaimant, qui devient inactif. Le pendule poursuit son oscil
lation, et remonte en luttant contre la gravité. Cependant le gros électro-aimant retombe, par son poids et par Faction
du ressort auquel il est attaché, le premier levier rétablit le rapport entre la pile et l éteetro -aimant inférieur, qui at
tire immédiatement son contact, et avec lui le second levier. Mais ce levier ne peut pas obéir instantanément à l’attraction qui le sollicite à descendre. Le bec par lequel il se ter
mine, engagé entre les dents de la roue à rocket, est obligé de la mettre en mouvement de rotation pour se déplacer, et,
comme cette roue fait tourner, ainsi que nous l’avons déjà dit, un petit moulinet modérateur, il en résulte qu’il faut un certain temps pour que le levier retombe dans sa position primitive et rétablisse la communication entre la pile et le gros électro-aimant. La résistance du petit moulinet est ré
glée de telle façon, qu’il faut au levier pour descendre tout juste le temps qu’il faut au pendule pour accomplir son os
cillation ascendante. Il arrive ainsi qu’au moment où la masse pendulaire va recommencer sa chute, l’électro-ai
mant rentre en fonction et lui restitue la force qu’elle avait perdue contre les différentes résistances.
On comprend sans peine qu’avec un pareil système de compensation le pendule doit continuer ses oscillations isochrones aussi longtemps que la pile est .maintenue en acti
vité, et comme rien n’empêche de prolonger son action pendant des journées entières, il est facile de voir que Fou peut montrer ainsi la rotation complète de la première trace horizontale du plan d’oscillation, au-dessous du pendule. Il y a plus, si à Paris, par exemple, on divise un cercle en arcs de 11°,29Zi chacun, et si Fon numérote ces arcs connue on le fait pour les arcs de 15° sur les cadrans des pendules ou des montres, puis qu’on fixe ce cercle horizontalement au-dessous du pendule, avec son centre sur la verticale qui passe par le point de suspension de l’appareil, et qu’à une heure quelconque on lance le pendule, de manière à ce que la trace de son plan d’oscillation sur le plan du cercle passe par les points de la circonférence qui correspondent à cette heure, on s’apercevra bientôt que la pointe située au-des
sous de la boule pendulaire se déplaçant vers la gauche, marquera sur le cercle l’heure exacte, pendant tonte la du
rée de l’expérience, à la condition seulement d’empêcher les courants d’air et les secousses qui troubleraient la mar
che de l’appareil. Comme les heures sur ce cadran d’une nouvelle espèce ne divisent pas la circonférence sans reste, il faut, au bout de douze heures, tourner le cercle, au-des
sous du pendule de manière à le remettre sur l’heure et à lui donner à parcourir la partie divisée de la circonférence.
Par cet artifice, M. Foucault a non-seulement prouvé la rotation de la terre en profitant de l’invariabilité du plan d’oscillation du pendule, mais il a obligé en outre la planète qui nous porte à nous dire l’heure en l’absence de tout
autre moyen d’indication et sans autre point de repère qu’une heure exacte déterminée une fois pour toutes.
L’exposition de cette grande découverte était pour nous un devoir de l’intelligence et un besoin du cœur. Nous avons fait de notre mieux pour être clair, mais il n’est pas
toujours donné de se faire comprendre. Espérons toutefois que nos efforts ne seront pas entièrement perdus, et que les explications que nous venons de donner serviront au moins à mieux faire apprécier du public la valeur de ce grand fait scientifique et la puissance intellectuelle du jeune physicien auquel nous en sommes redevables.
G. Govi.
Correspondance. A Monsieur le Directeur de VIllustration.
Monsieur,
Les nombreux accidents de chemins du fer, dont les journaux nous apportent le récit, m’ont rappelé un système d’embrayeur mag •éio-éleoirique fort ingénieux (1), imaginé par M. Achard, ancien élève de l’École polytechnique, embrayeur qui, sans résoudre complètement le problème de la sûreté des voyageurs en che
min de fer, peut diminuer cependant de beaucoup les chances de désastre. Permettez-moi donc de vous indiquer en peu de mots quelle est la disposition de ce mécanisme ; je ne serai pas long, et d’ailleurs la vie des hommes vaut bien cinq minutes d’attention et de patience.
On sait que, sur les convois ordinaires, les garde-freins sont chargés, à un signal convenu, de tourner les manivelles qui pressent les freins contre la jante des roues. Or il est toujours dange
reux de laisser faire à des hommes ce que peut faire une machine. L’homme est souvent distrait, quelquefois malade, peu soucieux de son devoir et surtout de la vie de ses semblables ; enfin l’homme est libre, et par conséquent il peut ne pas exécuter une action dont il a été chargé. La machine obéit toujours, à moins d’un dérange
ment facile à év ter ; il vaut donc beaucoup mieux lui remettre le soin des choses graves, que de l’abandonner entre les mains de personnes sujettes à faillir.
M. Achard a imaginé par conséquent de substituer aux gardefreins un mécanisme agissant d’une manière automatique, ou n’ayant besoin pour fonctionner que de l’actiou d’un seul homme, le conducteur du convoi.
Voici de quelle manière M. Achard a réalisé son Embrayeur. Sur l’axe des roues des wagons il a iixé un excentrique pouvant tourner avec cet axe. La rotation de l’excentrique donne un mouvement de va-et-vient, horizontal et parallèle à la longueur du train, aune bielle, entraînant par son extrémité une manivelle qui est articulée de façon à se mouvoir d’un mouvement circulaire alternatif, sur un are d’une petite étendue.
A l’axe de rotation de la manivelle est fixé un bras horizontal portant à son bout une plaque en fer, ou contact d’aimant, don)
on va voir bientôt la destination. Sur ce même axe de la manivelle est enfilée librement l’extrémité d’un autre bras ou levier horizontal, mobile autour d’un point fixe, et susceptible ainsi d’un mouve
ment circulaire alternatif. Ce levier porte à son extrémité libre, et vis-à-vis la plaque en fer dont j’ai parlé tout à l’heure, un électro
aimant qui peut être rendu actif ou indifférent à volonté, par la fermeture ou l ouverture du circuit voltaïque, et qui peut ainsi adhérer ou non au contact. A ce même levier est attaché un cliquet dont les allées et les venues peuvent faire tourner une roue à rocliet horizontale, fixée sur l’axe vertical du serre-frein.
Tant que l’électro-aimant ne fonctionne pas, la bielle et la manivelle font osciller son contact, mais ne donnent aucun mouvement au cliquet ni à la roue qui en dépend. Le train s’en va donc sur la voie aussi librement que si les embrayeurs n’existaient pas. Mais que le conducteur vienne à fermer le circuit, aussitôt l’électroaimant s’attachera au contact, et, comme ce contact oscille, il oscillera à son tour, d’abord sous le mouvement de traction en dégageant le cliquet de la dent sur laquelle il dormait, puis sous l’ac
tion impulsive du levier en chassant la roue devant le cliquet, et faisant tourner l’arbre du serre-frein On voit par là que l’électroaimant n’a qu’un très-faible effort à exercer, celui qui est néces
saire pour dégager le cliquet, tandis que l’effort beaucoup plus considérable Île la mise en mouvement du serre- frein est confié
à l’axe tournant des roues du waggon , c’est-à-dire à un moteur d’autant plus énergique que le serrage des freins est moins complet.
Cette pensée de ne demander au courant électrique qu’un effort insignifiant, et de laisser faire la besogne la plus rude à nn moteur économique (la vapeur) me paraît constituer une invention vérita
ble, je dirais presque une découverte, à une époque surtout telle que ia nôtre, où tant de bons esprits se fourvoient à la recherche de moteurs purement électriques, Aussitôt les roues embrayées, l’action motrice devient nulle, l’embrayeur cesse de fonctionner, el l’on ne court pas ainsi le risque de serrer les freins trop à fond.
On voit, d’après ce que je viens de dire, que ce système d’embrayage peut fonctionner sur toute la longueur du convoi par l’ac
tion d’un seul homme, car il suffit d’une seule main pour ouvrir ou fermer en même temps tous les circuits des divers électro-aimants du train. Le desserrage des freins reste toujours confié aux gardefreins·, ce qui ne présente aucun inconvénient, puisqu’il n’est jamais nécessaire de débrayer avec une grande vitesse, et que i’on n’a pas à craindre d’accidents par suite de cette manœuvre.
M. Achard a pensé aussi à rendre son embrayeur tout à fait automatique dans le cas de deux convois marchant à la rencontre l’un de l’autre sur la même voie, ou dans les cas de dégâts considérables survenus le long de la ligne. Il y est parvenu en établissant entre les rails des bandes conductrices en fer, interrompues de façon à ne fermer les circuits des piles portées par chaque train, qu’au mo
ment où les convois se trouvent à deux ou quatre kilomètres de distance. Blais la description de ce mécanisme allongerait trop cette lettre, déjà assez étendue ; je ne vous en dirai donc pas davantage, d’autant, plus qu’il est très-facile de concevoir comment dans ce cas les appareils peuvent être disposés.
Agréez, Monsieur le Directeur, etc. G. Govi.
Batterie anglaise du grand Redan.
En descendant du plateau de l’observatoire de lord Raglan, on tombe clans un long ravin, qui se dirige vers le Redan en suivant une ligne presque parallèle à celui de Karabelnaïa. A l’extrémité de ce ravin se trouve un petit ma
melon sur l’avant duquel passent les attaques anglaises, laissant à gauche les batteries qui couronnent les crêtes du ravin dit Anglais. En arrière de ces batteries se trouvent des tranchées servant à l’infanterie de garde pour installer ses abris. La batterie de Uiortiers établie à cet endroit est
(1) On peut voir un petit modèle de l’embrayeur électro-magnétique de M. Achard dans VAnnexe du palais de l’Industrie, vis-à-vis la coionne 107 D, du cjté du cours la Reine.