colonnes, on ne peut rien voir là dedans ; mais la place bien ornée, avec sa vue sur le Tage, était magnifique. Voilà les trois sujets de gravures ; sur les croquis on a écrit toutes les indications nécessaires. Quant aux troupes, il suflit de reproduire des uniformes an
glais, qui sont comme ceux décès gens-ci, hors les cuirassiers et les hussards, qui n’existent pas dans l’armée portugaise.
« Je vous dirai en outre qne tout s’e st passé comme au programme ; j’ajoute les discours des deux rois, parce qu’ils ont du caractère. Il est impossible dé mieux descendre du trône que n’a fait Ferdinand II ; il y a mis une dignité, ulie modestie et un goftt parfaits ; comme il n’a guère que quarante ans, qu’on l’aime beau
coup, qu’il a régné depuis son enfance, sortir convenablement était très-difficile, et il fallait être artiste cornfne lui pour s’en tirer si bien. Quant au jeune roi, sa mère Doua Maria, qui était une femme de tête, l’avait élevé, dit-on, d’après l’ancienne méthode, c’est-à- dire assez durement ; elle assistait elle-même à ses leçons et ne lui laissait pas perdre de temps. Aussi,- comme on s’en est aperçu à son dernier voyage, est-il fort instruit : certains propos qu’il a te
nus depuis son retour font penser qne ce n’est, pas sans intention qu’il a parlé de constitution et de liberté. Il sait très-bien que du gouvernement parlementaire le Portugal n’a que tes vices etla corrup
tion, et l’on s’attendait à quelque changement de ministère. Comme il est peu expansif, il n’avait fait savoir à personne ses intentions sur ce point, et les intéresssés étaient fort inquiets. I.a déclaration de ne rien changer encore les a donc fort soulagés, et a été une espèce de coup de théâtre.
« La facilité d’habitudes de ce peuple ne permet pas un ordre parfait dans les cérémonies. Dès qu’on a eu fini aux Cortès, au lieu d’accompagner convenablement, le roi et de lui faire Cortège, chacun est parti de son côté et s’est rendu comme il a pu à la cathédrale. Le plus remarquable des fuyards était, sans contredit, le pa
triarche, qui n’avait pas même pris la peiné de faire raccommoder les roues de son carrosse historique, mais les avait attachées avec une corde. Cela a nui à l’ensemble, qui eût été imposant, car il y avait nombre de beaux équipages : on remarquait, ceux du duc de Palmela, du comte Farrobo, du marquis Ficalho, du nonce aposto
lique, et surtout du marquis de Fronteira, qui, moins pompeux que les autres, était de meilleur goi’il. Quant, aux voitures royales, on les connaît assez pour savoir qu’elles dépassent en magnificence celles de toutes les autres cours.
« Le corps diplomatique était au grand complet, et la Prusse seule n’était pas représentée. La France et la Russie, ayant des ministres avec le caractère représentatif, s’étaient bornées à leur don
ner des pouvoirs spéciaux. L’Autriche, la Belgique, l’Angleterre et la Saxe, avaient envoyé des ministres pour la circonstance, L’Angle
terre avait en outre fait entrer des vaisseaux de guerre pour saluer le nouveau monarque, compliment dont le. Newton s’est chargé pour notre marine. Ainsi les salves d’artillerie n’ont pas manqué.
« Quant aux réjouissances, il y a eu une revue, dés représentations par ordre pour la cour et d’autres gratuites pour le public, un baise-main et un dîner au palais. Les illuminations ont eu lieu pendant trois jours, et se sont terminées par un feu d’artifice d’une in
comparable beauté. Un vaisseau et des steamers étaient sur le Tage, par une nuit un peu sombre, tout couverts de lumière, et atta
quaient trois petits forts qui, après avoir lancé force fusées, ont fini par sauter en l’air. Il faut avoir à sa disposition la rade, de Lisbonne pour une représentation comme celle-là : elle sêrait impossible à-Paris. Ne vous imaginez pas d’ailleurs que ces choses se pas
sent ici comme chez nous ; on n’entendait pas un cri ; chacun se promenait tranquillement ; des soldats sans armes indiquaient la route à suivre pour éviter l’encombrement. Cela manquait d’eü- Irain, d’enthousiasme; mais, en revanche, il n’j avait ni accident, ni querelle, ni un homme ivre dans la rue, tandis qu’on ne voyait pas une maison qui n’eût, illuminé.
« P. S Je joins le portrait des deux acteurs principaux. »
D’autres dessins et d’aulres récits, un entre autres de \1. de Souza, qui auraient mérité d’être reproduits ici, nous parviennent trop lard.
Paulin.
Aux voyageurs recommandables que nous avons mentionnés dans noire dernière Chronique, il convient d’ajou
ter un de nos collaborateurs les plus actifs, M. Pb. Blan
chard, qui manie la plume ainsi que le crayon, et vient de le prouver par un Itinéraire historique et descriptif de Paris à Constantinople (et banlieue). Π faut des temps comme les nôtres pour que le besoin d’un tel Itinéraire se fasse senlir, ηοη point à titre poétique, comme celui de Chateaubriand, l’un de ses plus beaux livres, mais au point de vue le plus pratique. C’est un fait accompli : désormais, on lera le voyage de Stamboul, comme naguère celui de Lyon ou de Bruxelles. La cavale tartare n’ira point s’abreu
ver aux bains de marbre des sultanes, comme prophétisait le grand politique M. Capefigue, mais les flâneurs parisiens désœuvrés, blasés sur les bords du Bliin, sur les Pyrénées, sur la Suisse, et tant soit peu lestés de piastres (style local), iront, pour se désennuyer, boire les eaux douces d’A sie et d’Europe, et cela coûtera à peine plus de façon
(comme on dit populairement) « que d’avaler un verre de
vin. » Un dieu nous aura fait de ces commodités : c’est le dieu Mars, de qui l’on n’attendait pas certes ces idylles à la
ïhéocrite et ce paysage, historique. La guerre, et ce doit être sa compensation, tourne, quand elle est juste, au protit de la paix et des agréments de ce monde. Voilà donc l’Orient envahi, bien qu’il en ait : les vieux Turcs de Stamboul et de Scutari se voileront la face ; les gardiens des liarems, de moins en moins peuplés, redoubleront deVigilance ; les eunuques et les conducteurs d’arabas, de rigueurs, de gazes et de stores. Bien n’y fera : il se contera d’ici à dix
années, au boulevard de Gand, plus d’aventures musulmanés, plus de prouesses don-juanesques, authentiques ou non, que n’en ont jamais rapporté tous les bains de mer et
toutes les eaux réunies. Nous sommes en train de verser la prose et le positif à longs traits dans l’empire ottoman, sous forme d organisation* de civilisation, d’administration, de chemins de fer, que sais-je encore? Il est bien juste qu’en revanche, nous lui soutirions un peu- de poésie dont nous avons grand besoin. Et voilà de bon libre-échange, auque, les plus ardents prohibitionnistes n’auront rien à objecte je me plais du moins à le croire.
Le trajet à parcourir de Paris à Constantinople est d ail
leurs des plus attrayants, et serait aimé pour lui-même, n’eût-il pas pour but la ville merveilleuse, les sites et le I
pays admirables après lesquels ont soupiré tous les peuples, et qu’ont enviés tous les conquérants, depuis Constantin. On s’embarque à Marseille : on voit Ajaccio, Gênes, Livourne,
Civita-Vecchia, Naples, Messine, Païenne, Malte; on fait échelles dans la Grèce et à Smyrne; on range, on reconnaît, on salue au passage toutes ces îles dont les noms fa
meux bercèrent, pour ainsi dire, notre première enfance ; on voit les champs fameux ubi Troja fuit, et, entrant enfin dans les Dardanelles, on arrive, par une série d’enchante
ments riverains, à cette Corne-d’Or, le plus pittoresque et le plus animé de tous lés ports de l’univers. Quelquefois les palettes du steamer heurtent en tourbillonnant une longue forme noirâtre qui saillit sur le flot amer : ce n’est rien,
c’est une femme qui se noie; c’est une impression de. voyage ; bonne aubaine pour les calepins des touristes et les albums des blanches misses. Cette pratique saugrenue d’enfermer dans un sac de cuir les dames qui ne, sont pas sages, et de les confier ainsi faites à la mer de Marmara, dure encore, à ce qu’il paraît, à l’usage de certains Sganarelles tragiques, dans le royaume d’Osman, ei un voyageur véri
dique et consciencieux, M. Alexis de Valon, destiné luimême à périr par submersion, fit, il y a peu d’années, une telle rencontre à l’entrée de Constantinople; mais il y a fort à parier et à espérer que cette inconvenante barbarie de
viendra, avant peu, aussi rare chez les Turcs que l’est, sur la côte du Malabar, la coutume où furent les veuves de se brûler après décès d’un époux parfois médiocrement chéri, quoique toujours fort choyé : invention maritale, diabolique
ment line pour procurer à ses auteurs les pieds chauds et le bien-être domestique poussé aux dernières limites de la dorlotterie, toute leur vie durant. Les veuves ont compris à la (in qu’elles faisaient un métier de dupe : elles auraient dû exiger de leurs maris la réciproque. Ne l’ayant pas de
mandée ou pu obtenir, elles ont pris, la Compagnie des Indes aidant, le philosophique parti de dévorer leur dou
leur et de se résigner de leur mieux à la perte d’un mari souvent laid, tyrannique toujours, et habituellement poussé par toutes sortes de petits soins jusqu’à la caducité la plus extrême. Quant à la peur du sac, elle n’a jamais retenu les belles dames ottomanes : le danger, en pareille matière, est plutôt un stimulant qu’un préventif. C’est le manque d’oc
casions qui a toujours rendu ces exéculions si rares. Elles n’en furent pas plus justes : les Turcs, en enfermant leurs femmes, en les faisant garder à vue, n’ont pas considéré qu’ils leur ôtaient le soin de se préserver elles-mêmes. Qui
conque n’est pas libre n’est plus responsable, il faut donc ouvrir les harems, ou jeter les sacs à la mer, vides bien en
tendu ; c’est d’ailleurs un double effet que dans un temps donné aura cerlaincmenl l’immixtion européenne, désor
mais si prépondérante et si active, dans les affaires d’O- rient.
Il y aune autre.route pour Stamboul par Venise, Trieste, Vienne, le Danube, et M. Blanchard nous la fait parcourir également, en homme qui a vu et bien vu, et de cet œil de l’artiste qui saisit tout de prime-saut et que rien ne supplée.
Il y a plaisir à voyager avec cet aimable compagnon et ce ponctuel guide. Il est au fait de tout, et il vous montre tout, rapidement, mais c est un mérite de plus, Tl est plein de sol
licitude et de prévenances pour son touriste : il le munit du passe-port, des lettres de crédit, des vêtements chauds ou frais, et de toutes les prévisions ou instructions nécessaires. Il y a passé : on peut s’en rapporter à lui comme à l’homme du monde qui excelle le plus à débrouiller soi et les autres. 11 sait même du turc, comme M. G. de Lavigne sait du basque, et il donne tout de suite au voyageur, par son vocabu
laire familier, les moyens de converser au débotté avec les caidjis et les hammals, et même il buondo cani, s il vient à passer au moment, et de se faire dur turbanta, si la fantaisie lui en prend. M. Jourdain, où êtes-vous? Que je n’ou
blie pas de mentionner, parmi les vraies utilités du livre, un bon plan de Constantinople et d’une partie du Bosphore. Sur cecaracacamouchen, mon cher Blanchard, je vous salue dans la langue de Covielle, moi qui ne sais que celle-là ; je souhaite à votre livre le beau et long chemin que vous allez faire faire à nos mamamouehis décorés du Nichan et autres plaques, et, pour finir avec couleur : fmbousahim oqui boraf, Blancharda, salamalequis ; votre cœur soit toute l’an
née comme un rosier fleuri! ce qui revient à dire ; Votre Guide aille an-nues! «Ce sont,façons ! parÎTobligeeiites de.; as navs-.- v ·
bas, médecin militaire, et dont la vente se fait au profit de l’armée de Crimée. Dans ce concours pour soulager les mi
sères de nos soldats, chacun apporte ce qu’il peut. Les uns donnent de l’argent, des meubles, des cigares, du linge, de la charpie, des denrées de tout genre; M. Aubas donne ses vers, et nous n’avons jamais si sincèrement désiré un lion
et lucratif débit de marchandise poétique. Nous espérons qu’on achètera, à cause de la bonne intention d’abord, pour d’autres mérites ensuite, le livre de M. Aubas (chez les principaux libraires). Comme le titre l’indique, les sujets traités appartiennent à l’Algérie : ce sont des Orientales africaines. Double titre pour y intéresser le lecteur, car nos soldats d’Afrique, sans vouloir nuire aux autres qui ont si bien fait leur devoir, ont tenu le premier rang dans les hauts faits de Crimée. Il y a du talent dans ce recueil, qui a d’ailleurs un avantage : celui de retracer des scènes vraies, observées et étudiées sur nature, et d’apprendre conséquemment quelque chose au public, à l’inverse de beaucoup de vers où se donne uniquement carrière, avec plus ou moins de succès, la fantaisie de l’écrivain. M. Aubas offre donc là un réel tribut à ses camarades d’Orient. Il faut lui en savoir gré, l’en féliciter et l’acheter.
Puisque nous voici de nouveau chassant sur les terres poétiques, il nous sera permis de remercier ici M. Mar
chand, de Saumur, qui nous envoie, par l’entremise d’un journal angevin, deux fort jolies chansons qu’il nous fait le très-grand, le trop grand honneur de dédier à nous, chétif.
Il y chante le bonheur de la pauvreté et les inconvénients i de la richesse avide. La première prouve qu’il a de la phi- 1 losophie ; la seconde est d’un moraliste. Nous eûmes jadis maille à partir, ce que nous regrettâmes fort, avec les ha
bitants de Saumur, à propos d’une plaisanterie moins que
médiocre d’un loustic de, la localité. Nous sommes heureux d’acquérir, par un indice si flatteur, la conviction que tous les citoyens de cette jolie ville ne nous gardent point celte rancune, si persistante, dit-on, de l’esprit de clocher et de l’amour-propre froissé. Aussi esl-ce à la fois par recon
naissance, et à titre de bon présage, que nous remercions le chansonnier aimable, et l’ami inconnu de son bienveillant envoi.
Les volumes de vers pleuvent moins dru d’ailleurs qu’il y a quelques mois, et c’est réellement heureux, car la manie versifiante prenait depuis un an ou deux des propor
rant de tant de rimes médiocres les poésies d’une femme d’un réel et viril talent, \Γ ° Louise Colet. Quatre fois, elle a eu la gloire de remporter le prix de l’Académie, par ses poèmes sur le musée de Versailles, le monument de Mo
lière, la colonie de Mettrai/, et enfin l’Acropole d’Atliènes, et elle est très-certainement la première femme, peut-être même le premier poète d’aucun sexe à qui soit échu cet honneur. Elle a donc usé du droit le mieux acquis, en réu
nissant ces quatre poèmes dans un mignon volume, précédé d’une préface où elle en fait l’bistorique et raconte, les circonstances assez piquantes dans lesquelles ces prix lui fu
rent décernés. Les femmes surtout liront avec grand inté
rêt ces productions très-inspirées et très-élégantes de forme d’un lauréat qui les honore, et elles remercieront ainsi, et mieux que nous ne saurions faire, MM. les académiciens du choix judicieux qui a guidé leurs boules à quatre reprises diverses.
Les < ontes du cœur, de M “ Dormance Lesguillon, poète bien connu aussi par huit ou dix recueils, épuisés, chose rare, justifient bien ce titre. La sensibilité de la femme s’y exhale en des strophes souvent touchantes et heureuses.Nous avons distingué surtout, entre autres bien
réussies, la dernière pièce : Adieu, empreinte du sentiment le plus vrai et le plus pathétique. Que M“ Lesguillon nous pardonne de la quitter si brusquement nous-même ; mais nous avons encore une bien longue, étape bibliographique à fournir, ou, comme disent les bonnes femmes de notre pays, bien de l’œuvre à notre quenouille.
fants, deux charmants recueils de nouvelles appropriées à leur âge : Jeunes têtes et jeunes cœurs, et les Anges de la famille, ce dernier couronné par l’Académie française, et c’est réellement justice.
lants; et, ce qui vaut mieux encore, les esprits les plus distingués ne dédaignent pas d’écrire pour eux de jolis [je
ts livres, qu’on habille avec élégance et qu’on illustre de gravures finement exécutées. Il n’en allait point ainsi de notre temps, qui n’est cependant pas encore très-lointain.
Us agrandissent ainsi leur imagination et leur esprit par des l dures agréables, el ils apprennent le français, ces sortes d’ouvrages n’étant plus, comme jadis, abandonnés à des manœuvres. Tout progresse.
C’est aussi une femme de mérite et de talent que Mme Camille Derains, auteur, mais pour un âge un peu plus avancé, de deux aimables recueils : les Leçons dans les fleurs, et Séraphine, ou les Inférieurs, dramatique et intéressante leçon donnée à l’orgueil, vice plus fréquent qu’on ne pense chez la jeunesse inexperte, plus tard, bientôt, hélas! saisie, iriturée et humiliée par les étreintes et les âpres chocs de la vie. Courage, mesdames ; faites-nous, par vos ingénieux récits pour l’enfanc.e, une génération de bonnes, droites et honnêtes natures. Il n’est rien de petit; l’art peut se trou
ver avec l’enseignement dans ces compositions si simples,
et l’on voit, par les noms que nous venons de citer, qu’il s’y rencontre fréquemment.
C’est encore une histoire morale, el à bon droit qualifiée l’édifiante, que le Germain Barbe-Bleue de M. Henri de
la Madelène. Ce Barbe-Bleue est un pendard, un vil débau-aies distinguées, les Moghrabines, dû à M. Edouard Au
glais, qui sont comme ceux décès gens-ci, hors les cuirassiers et les hussards, qui n’existent pas dans l’armée portugaise.
« Je vous dirai en outre qne tout s’e st passé comme au programme ; j’ajoute les discours des deux rois, parce qu’ils ont du caractère. Il est impossible dé mieux descendre du trône que n’a fait Ferdinand II ; il y a mis une dignité, ulie modestie et un goftt parfaits ; comme il n’a guère que quarante ans, qu’on l’aime beau
coup, qu’il a régné depuis son enfance, sortir convenablement était très-difficile, et il fallait être artiste cornfne lui pour s’en tirer si bien. Quant au jeune roi, sa mère Doua Maria, qui était une femme de tête, l’avait élevé, dit-on, d’après l’ancienne méthode, c’est-à- dire assez durement ; elle assistait elle-même à ses leçons et ne lui laissait pas perdre de temps. Aussi,- comme on s’en est aperçu à son dernier voyage, est-il fort instruit : certains propos qu’il a te
nus depuis son retour font penser qne ce n’est, pas sans intention qu’il a parlé de constitution et de liberté. Il sait très-bien que du gouvernement parlementaire le Portugal n’a que tes vices etla corrup
tion, et l’on s’attendait à quelque changement de ministère. Comme il est peu expansif, il n’avait fait savoir à personne ses intentions sur ce point, et les intéresssés étaient fort inquiets. I.a déclaration de ne rien changer encore les a donc fort soulagés, et a été une espèce de coup de théâtre.
« La facilité d’habitudes de ce peuple ne permet pas un ordre parfait dans les cérémonies. Dès qu’on a eu fini aux Cortès, au lieu d’accompagner convenablement, le roi et de lui faire Cortège, chacun est parti de son côté et s’est rendu comme il a pu à la cathédrale. Le plus remarquable des fuyards était, sans contredit, le pa
triarche, qui n’avait pas même pris la peiné de faire raccommoder les roues de son carrosse historique, mais les avait attachées avec une corde. Cela a nui à l’ensemble, qui eût été imposant, car il y avait nombre de beaux équipages : on remarquait, ceux du duc de Palmela, du comte Farrobo, du marquis Ficalho, du nonce aposto
lique, et surtout du marquis de Fronteira, qui, moins pompeux que les autres, était de meilleur goi’il. Quant, aux voitures royales, on les connaît assez pour savoir qu’elles dépassent en magnificence celles de toutes les autres cours.
« Le corps diplomatique était au grand complet, et la Prusse seule n’était pas représentée. La France et la Russie, ayant des ministres avec le caractère représentatif, s’étaient bornées à leur don
ner des pouvoirs spéciaux. L’Autriche, la Belgique, l’Angleterre et la Saxe, avaient envoyé des ministres pour la circonstance, L’Angle
terre avait en outre fait entrer des vaisseaux de guerre pour saluer le nouveau monarque, compliment dont le. Newton s’est chargé pour notre marine. Ainsi les salves d’artillerie n’ont pas manqué.
« Quant aux réjouissances, il y a eu une revue, dés représentations par ordre pour la cour et d’autres gratuites pour le public, un baise-main et un dîner au palais. Les illuminations ont eu lieu pendant trois jours, et se sont terminées par un feu d’artifice d’une in
comparable beauté. Un vaisseau et des steamers étaient sur le Tage, par une nuit un peu sombre, tout couverts de lumière, et atta
quaient trois petits forts qui, après avoir lancé force fusées, ont fini par sauter en l’air. Il faut avoir à sa disposition la rade, de Lisbonne pour une représentation comme celle-là : elle sêrait impossible à-Paris. Ne vous imaginez pas d’ailleurs que ces choses se pas
sent ici comme chez nous ; on n’entendait pas un cri ; chacun se promenait tranquillement ; des soldats sans armes indiquaient la route à suivre pour éviter l’encombrement. Cela manquait d’eü- Irain, d’enthousiasme; mais, en revanche, il n’j avait ni accident, ni querelle, ni un homme ivre dans la rue, tandis qu’on ne voyait pas une maison qui n’eût, illuminé.
« P. S Je joins le portrait des deux acteurs principaux. »
D’autres dessins et d’aulres récits, un entre autres de \1. de Souza, qui auraient mérité d’être reproduits ici, nous parviennent trop lard.
Paulin.
Chronique littéraire.
Aux voyageurs recommandables que nous avons mentionnés dans noire dernière Chronique, il convient d’ajou
ter un de nos collaborateurs les plus actifs, M. Pb. Blan
chard, qui manie la plume ainsi que le crayon, et vient de le prouver par un Itinéraire historique et descriptif de Paris à Constantinople (et banlieue). Π faut des temps comme les nôtres pour que le besoin d’un tel Itinéraire se fasse senlir, ηοη point à titre poétique, comme celui de Chateaubriand, l’un de ses plus beaux livres, mais au point de vue le plus pratique. C’est un fait accompli : désormais, on lera le voyage de Stamboul, comme naguère celui de Lyon ou de Bruxelles. La cavale tartare n’ira point s’abreu
ver aux bains de marbre des sultanes, comme prophétisait le grand politique M. Capefigue, mais les flâneurs parisiens désœuvrés, blasés sur les bords du Bliin, sur les Pyrénées, sur la Suisse, et tant soit peu lestés de piastres (style local), iront, pour se désennuyer, boire les eaux douces d’A sie et d’Europe, et cela coûtera à peine plus de façon
(comme on dit populairement) « que d’avaler un verre de
vin. » Un dieu nous aura fait de ces commodités : c’est le dieu Mars, de qui l’on n’attendait pas certes ces idylles à la
ïhéocrite et ce paysage, historique. La guerre, et ce doit être sa compensation, tourne, quand elle est juste, au protit de la paix et des agréments de ce monde. Voilà donc l’Orient envahi, bien qu’il en ait : les vieux Turcs de Stamboul et de Scutari se voileront la face ; les gardiens des liarems, de moins en moins peuplés, redoubleront deVigilance ; les eunuques et les conducteurs d’arabas, de rigueurs, de gazes et de stores. Bien n’y fera : il se contera d’ici à dix
années, au boulevard de Gand, plus d’aventures musulmanés, plus de prouesses don-juanesques, authentiques ou non, que n’en ont jamais rapporté tous les bains de mer et
toutes les eaux réunies. Nous sommes en train de verser la prose et le positif à longs traits dans l’empire ottoman, sous forme d organisation* de civilisation, d’administration, de chemins de fer, que sais-je encore? Il est bien juste qu’en revanche, nous lui soutirions un peu- de poésie dont nous avons grand besoin. Et voilà de bon libre-échange, auque, les plus ardents prohibitionnistes n’auront rien à objecte je me plais du moins à le croire.
Le trajet à parcourir de Paris à Constantinople est d ail
leurs des plus attrayants, et serait aimé pour lui-même, n’eût-il pas pour but la ville merveilleuse, les sites et le I
pays admirables après lesquels ont soupiré tous les peuples, et qu’ont enviés tous les conquérants, depuis Constantin. On s’embarque à Marseille : on voit Ajaccio, Gênes, Livourne,
Civita-Vecchia, Naples, Messine, Païenne, Malte; on fait échelles dans la Grèce et à Smyrne; on range, on reconnaît, on salue au passage toutes ces îles dont les noms fa
meux bercèrent, pour ainsi dire, notre première enfance ; on voit les champs fameux ubi Troja fuit, et, entrant enfin dans les Dardanelles, on arrive, par une série d’enchante
ments riverains, à cette Corne-d’Or, le plus pittoresque et le plus animé de tous lés ports de l’univers. Quelquefois les palettes du steamer heurtent en tourbillonnant une longue forme noirâtre qui saillit sur le flot amer : ce n’est rien,
c’est une femme qui se noie; c’est une impression de. voyage ; bonne aubaine pour les calepins des touristes et les albums des blanches misses. Cette pratique saugrenue d’enfermer dans un sac de cuir les dames qui ne, sont pas sages, et de les confier ainsi faites à la mer de Marmara, dure encore, à ce qu’il paraît, à l’usage de certains Sganarelles tragiques, dans le royaume d’Osman, ei un voyageur véri
dique et consciencieux, M. Alexis de Valon, destiné luimême à périr par submersion, fit, il y a peu d’années, une telle rencontre à l’entrée de Constantinople; mais il y a fort à parier et à espérer que cette inconvenante barbarie de
viendra, avant peu, aussi rare chez les Turcs que l’est, sur la côte du Malabar, la coutume où furent les veuves de se brûler après décès d’un époux parfois médiocrement chéri, quoique toujours fort choyé : invention maritale, diabolique
ment line pour procurer à ses auteurs les pieds chauds et le bien-être domestique poussé aux dernières limites de la dorlotterie, toute leur vie durant. Les veuves ont compris à la (in qu’elles faisaient un métier de dupe : elles auraient dû exiger de leurs maris la réciproque. Ne l’ayant pas de
mandée ou pu obtenir, elles ont pris, la Compagnie des Indes aidant, le philosophique parti de dévorer leur dou
leur et de se résigner de leur mieux à la perte d’un mari souvent laid, tyrannique toujours, et habituellement poussé par toutes sortes de petits soins jusqu’à la caducité la plus extrême. Quant à la peur du sac, elle n’a jamais retenu les belles dames ottomanes : le danger, en pareille matière, est plutôt un stimulant qu’un préventif. C’est le manque d’oc
casions qui a toujours rendu ces exéculions si rares. Elles n’en furent pas plus justes : les Turcs, en enfermant leurs femmes, en les faisant garder à vue, n’ont pas considéré qu’ils leur ôtaient le soin de se préserver elles-mêmes. Qui
conque n’est pas libre n’est plus responsable, il faut donc ouvrir les harems, ou jeter les sacs à la mer, vides bien en
tendu ; c’est d’ailleurs un double effet que dans un temps donné aura cerlaincmenl l’immixtion européenne, désor
mais si prépondérante et si active, dans les affaires d’O- rient.
Il y aune autre.route pour Stamboul par Venise, Trieste, Vienne, le Danube, et M. Blanchard nous la fait parcourir également, en homme qui a vu et bien vu, et de cet œil de l’artiste qui saisit tout de prime-saut et que rien ne supplée.
Il y a plaisir à voyager avec cet aimable compagnon et ce ponctuel guide. Il est au fait de tout, et il vous montre tout, rapidement, mais c est un mérite de plus, Tl est plein de sol
licitude et de prévenances pour son touriste : il le munit du passe-port, des lettres de crédit, des vêtements chauds ou frais, et de toutes les prévisions ou instructions nécessaires. Il y a passé : on peut s’en rapporter à lui comme à l’homme du monde qui excelle le plus à débrouiller soi et les autres. 11 sait même du turc, comme M. G. de Lavigne sait du basque, et il donne tout de suite au voyageur, par son vocabu
laire familier, les moyens de converser au débotté avec les caidjis et les hammals, et même il buondo cani, s il vient à passer au moment, et de se faire dur turbanta, si la fantaisie lui en prend. M. Jourdain, où êtes-vous? Que je n’ou
blie pas de mentionner, parmi les vraies utilités du livre, un bon plan de Constantinople et d’une partie du Bosphore. Sur cecaracacamouchen, mon cher Blanchard, je vous salue dans la langue de Covielle, moi qui ne sais que celle-là ; je souhaite à votre livre le beau et long chemin que vous allez faire faire à nos mamamouehis décorés du Nichan et autres plaques, et, pour finir avec couleur : fmbousahim oqui boraf, Blancharda, salamalequis ; votre cœur soit toute l’an
née comme un rosier fleuri! ce qui revient à dire ; Votre Guide aille an-nues! «Ce sont,façons ! parÎTobligeeiites de.; as navs-.- v ·
bas, médecin militaire, et dont la vente se fait au profit de l’armée de Crimée. Dans ce concours pour soulager les mi
sères de nos soldats, chacun apporte ce qu’il peut. Les uns donnent de l’argent, des meubles, des cigares, du linge, de la charpie, des denrées de tout genre; M. Aubas donne ses vers, et nous n’avons jamais si sincèrement désiré un lion
et lucratif débit de marchandise poétique. Nous espérons qu’on achètera, à cause de la bonne intention d’abord, pour d’autres mérites ensuite, le livre de M. Aubas (chez les principaux libraires). Comme le titre l’indique, les sujets traités appartiennent à l’Algérie : ce sont des Orientales africaines. Double titre pour y intéresser le lecteur, car nos soldats d’Afrique, sans vouloir nuire aux autres qui ont si bien fait leur devoir, ont tenu le premier rang dans les hauts faits de Crimée. Il y a du talent dans ce recueil, qui a d’ailleurs un avantage : celui de retracer des scènes vraies, observées et étudiées sur nature, et d’apprendre conséquemment quelque chose au public, à l’inverse de beaucoup de vers où se donne uniquement carrière, avec plus ou moins de succès, la fantaisie de l’écrivain. M. Aubas offre donc là un réel tribut à ses camarades d’Orient. Il faut lui en savoir gré, l’en féliciter et l’acheter.
Puisque nous voici de nouveau chassant sur les terres poétiques, il nous sera permis de remercier ici M. Mar
chand, de Saumur, qui nous envoie, par l’entremise d’un journal angevin, deux fort jolies chansons qu’il nous fait le très-grand, le trop grand honneur de dédier à nous, chétif.
Il y chante le bonheur de la pauvreté et les inconvénients i de la richesse avide. La première prouve qu’il a de la phi- 1 losophie ; la seconde est d’un moraliste. Nous eûmes jadis maille à partir, ce que nous regrettâmes fort, avec les ha
bitants de Saumur, à propos d’une plaisanterie moins que
médiocre d’un loustic de, la localité. Nous sommes heureux d’acquérir, par un indice si flatteur, la conviction que tous les citoyens de cette jolie ville ne nous gardent point celte rancune, si persistante, dit-on, de l’esprit de clocher et de l’amour-propre froissé. Aussi esl-ce à la fois par recon
naissance, et à titre de bon présage, que nous remercions le chansonnier aimable, et l’ami inconnu de son bienveillant envoi.
Les volumes de vers pleuvent moins dru d’ailleurs qu’il y a quelques mois, et c’est réellement heureux, car la manie versifiante prenait depuis un an ou deux des propor
tions inquiétantes. Il faut distinguer de ce. flux intempé
rant de tant de rimes médiocres les poésies d’une femme d’un réel et viril talent, \Γ ° Louise Colet. Quatre fois, elle a eu la gloire de remporter le prix de l’Académie, par ses poèmes sur le musée de Versailles, le monument de Mo
lière, la colonie de Mettrai/, et enfin l’Acropole d’Atliènes, et elle est très-certainement la première femme, peut-être même le premier poète d’aucun sexe à qui soit échu cet honneur. Elle a donc usé du droit le mieux acquis, en réu
nissant ces quatre poèmes dans un mignon volume, précédé d’une préface où elle en fait l’bistorique et raconte, les circonstances assez piquantes dans lesquelles ces prix lui fu
rent décernés. Les femmes surtout liront avec grand inté
rêt ces productions très-inspirées et très-élégantes de forme d’un lauréat qui les honore, et elles remercieront ainsi, et mieux que nous ne saurions faire, MM. les académiciens du choix judicieux qui a guidé leurs boules à quatre reprises diverses.
Les < ontes du cœur, de M “ Dormance Lesguillon, poète bien connu aussi par huit ou dix recueils, épuisés, chose rare, justifient bien ce titre. La sensibilité de la femme s’y exhale en des strophes souvent touchantes et heureuses.Nous avons distingué surtout, entre autres bien
réussies, la dernière pièce : Adieu, empreinte du sentiment le plus vrai et le plus pathétique. Que M“ Lesguillon nous pardonne de la quitter si brusquement nous-même ; mais nous avons encore une bien longue, étape bibliographique à fournir, ou, comme disent les bonnes femmes de notre pays, bien de l’œuvre à notre quenouille.
Un autre poète, qui n’a pas besoin d’être vanté, M“e Desbordes-Valmore, a bien voulu écrire, pour les petits en
fants, deux charmants recueils de nouvelles appropriées à leur âge : Jeunes têtes et jeunes cœurs, et les Anges de la famille, ce dernier couronné par l’Académie française, et c’est réellement justice.
Même quand l’oiseau marche, on sent qu’il a des ailes ;
et la prose de AI™· Desbordes-Valmore fait songer à sa poêle. Heureux souvenir. Les enfants sont gâtés aujourd’hui : on leur fait dés jouets splendides, ingénieux, et même par
lants; et, ce qui vaut mieux encore, les esprits les plus distingués ne dédaignent pas d’écrire pour eux de jolis [je
ts livres, qu’on habille avec élégance et qu’on illustre de gravures finement exécutées. Il n’en allait point ainsi de notre temps, qui n’est cependant pas encore très-lointain.
Us agrandissent ainsi leur imagination et leur esprit par des l dures agréables, el ils apprennent le français, ces sortes d’ouvrages n’étant plus, comme jadis, abandonnés à des manœuvres. Tout progresse.
C’est aussi une femme de mérite et de talent que Mme Camille Derains, auteur, mais pour un âge un peu plus avancé, de deux aimables recueils : les Leçons dans les fleurs, et Séraphine, ou les Inférieurs, dramatique et intéressante leçon donnée à l’orgueil, vice plus fréquent qu’on ne pense chez la jeunesse inexperte, plus tard, bientôt, hélas! saisie, iriturée et humiliée par les étreintes et les âpres chocs de la vie. Courage, mesdames ; faites-nous, par vos ingénieux récits pour l’enfanc.e, une génération de bonnes, droites et honnêtes natures. Il n’est rien de petit; l’art peut se trou
ver avec l’enseignement dans ces compositions si simples,
et l’on voit, par les noms que nous venons de citer, qu’il s’y rencontre fréquemment.
C’est encore une histoire morale, el à bon droit qualifiée l’édifiante, que le Germain Barbe-Bleue de M. Henri de
la Madelène. Ce Barbe-Bleue est un pendard, un vil débau-aies distinguées, les Moghrabines, dû à M. Edouard Au