Cirque-National utilisait l’histoire de France à sa façon grandiose, les Grands Siècles. Ceci est la suite plus ou moins merveilleuse de cette Histoire de Paris des mêmes auteurs, laquelle courait si follement de tableaux en tableaux, pour s’arrêter à f entrée du bon Henri. Aujourd’hui Λ IM. Barrère et de Kock viennent nous conter leur exegi, et pousser ii bout toute celle gloire : c’est un mot de Bossuet. Leurs grands siècles sont naturellement les trois derniers, y com
pris le nôtre. Vous y voyez un peu Louis XIII, beaucoup Louis XIV et Louis XV, et passionnément l’époque actuelle,
sauf la république qu’on y voit... pas du tout. Au premier chapitre de cette pièce-volume ou volumineuse, une dame de la cour demande au roi la grâce d’un duelliste, ·— traii de mœurs! — Ensuite nous traversons la Fronde en passant par le Pool-Neuf, tant d’autres canards l’ont bien passé ; — puis une toile de fond s’abaisse, et nous voici à la place Royale, au milieu des personnages de la comédie de Molière. Louis XIV et sa cour sont caractérisés par une anecdote
celle du massif d’arbres qui du château de Meudon lui ca ­ chait la vue de Paris, et que Colbert fait disparaître subilo.


La chronique attribue cet acte de courtisanerie à d’Antin : mais Colbert ou d’Antin, peu importe.


Le grand siècle suivant, qui fut celui de Voltaire et de l’Encyclopédie, le dix-huitième siècle, en un mot, est figuré ici par une Fête aux torcherons, la Courtille de c.e tempslà, et voilà justement comme on écrit l’histoire de Paris au Cirque-National. C’est par ce chemin, qui est un peu le che
min des écoliers, que nous sommes arrivés passé minuit à l’époque moderne, symbolisée par le panorama de la grande ville, vue prise des hauteurs de l’Arc de Triomphe. A vrai
dire, l’ensemble de ce spectacle est très-satisfaisant, el il vous procurera presque autant de plaisir que de fatigue. En voilà bien pour une cinquantaine de représentations. Estce tout? — C’est tout.
Philippe Busoni.


Chronique musicale


L’événement annoncé et attendu depuis plusieurs mois vient enfin d’avoir lieu, et l’impatience des dilettanli est satisfaite. Suinte Claire, partition en trois actes de Son Λ
tesse monseigneur le due Ernest de Saxe-Cobourg-Ootha, a été exécutée pour la première fois, à l’Opéra, le jeudi
septembre 1855. Nous n’avons pas besoin d’ajouter que in salle était pleine ; toute l’aristocratie allemande et tout le corps diplomatique s’y étaient donné rendez-vous. Quant aux applaudissements, acclamations, hurras, etc., il n’est pas nécessaire de dire que tout s’est passé le. plus convenablement du monde.
On éprouve un certain embarras pour rendre compte de l’ouvrage d’un prince régnant. Si on le critique, on peut être soupçonné d’une malveillance systématique prenant sa source bien loin des calmes el sereines régions de l’art. Si on le loue, on peut être accusé de basse flatterie. L’écrivain sent son lecteur en défiance, et la célèbre phrase de Tacite vient d’elle-même au bout de sa plume : Galba, Olho, Vitellius, milii nec bénéficie nec injuria cogniti.


Il y aurait d’ailleurs, ce nous semble, une sorte de mau


vais goût à se montrer par trop difficile avec un homme qui descend d’un si haut lieu dans l’arène où luttent les artistes,
et qui vient disputer la palme au lieu de la décerner. Par cette tentative même, et quel qu’en soit d’ailleurs le résultat final, il prouve le cas qu il lait de l’art, et il honore ceux qui le cultivent. C’est à ceux-ci à lui faire voir qu’il ne s’est point fourvoyé en mauvaise compagnie. Néron mettait le pouvoir suprême au service de son amour-propre de poêle et de chanteur, et se faisait applaudir des Romains en leur mettant l’épée sur la gorge. Mais l’auteur de Sainte-< luire quitle le pays où il règne, et vient se livrer au jugement
d’un public sur lequel il n’a aucune autorité. Ce procède loyal et noble nous avait fait souhaiter vivement le succès de Son Altesse, avant même que nous eussions entendu un seul accord de sa partition.
ÿT Ce n’est pourtant pas une raison pour n’en pas dire notre pensée. Puisqu’on nous l’a demandée, nous la devons.
Avant tout, quelques mois du livret, il faut que l’on sache quel sujet le compositeur avait à iraiter, quelles situations, quels sentiments il avait à rendre, et contre quelles difficultés il devait lutter.
Ce livret est de provenance allemande, et le nom de son auteur primitif brille sur sa couverture jaune. Cet auteur est M” Birch-Pfeiffer, envers laquelle on serait probablement injuste si l’on jugeait son talent sur cet échantillon. M. Gustave Oppelt l’a traduit ou imité, et, toujours d’après la cou
verture jaune, l’a approprié à la scène française. En quoi a consisté ce travail d’appropriation, et dans quelle mesure la
copie s’est-elle éloignée de l’original, c’est ce que nous ne saurions dire, puisque la copie seule nous est connue. Mais nous ne pouvons nous empêcher de plaindre Son Altesse
de n’avoir pas eu des collaborateurs plus habiles à faire naître l intérêt dramatique, à le soutenir, et à soulager l’attention du spectateur par la variété des sentiments et des raid Cl ·.
on ,i trouvé généralement que celle histoire manquait de gaieté, et que là tristesse continue des situations répandait sur la musiqfle une sombre monotonie. Cette partition est comme enveloppée d’un crêpe funèbre. Ce n’est pas assez que l’artiste... -— l’auteur de Sainte-Claire nous pardon
nera sans doute de ne voir en lui que l’artiste, et d’oublier pendant cinq minutes le souverain ; — ce n’est pas assez que l’artiste rende fidèlement chaque situation, chaque pa
role donnée; i! doit se placer à un point de vue plus élevé, et calculer l’effet de l’ensemble.
Il est évident, au surplus, que l’auteur de Sainte-Claire n’est pas un amateur ordinaire, et qu’il ne s’est pas borné à des études superficielles. Son harmonie et son instrumen
tation prouvent qu’il a sérieusement travaillé. Que d’artistes qui n’en savent pas autant que lui ! Son orchestre est plein, vigoureux, et, si les sonorités graves y dominent un peu
trop, c’est sans doute à la couleur sombre du sujet qu’il faut s’en prendre. Les parties vocales aussi sont fort bien écrites, et ce n’est pas la faute du compositeur si M. Merly chante comme un trombone au lieu de chanter comme un baryton. Peut-être les accompagnements ont-ils un carac
tère trop exclusivement symphonique. Mais ce qui, en France, fatigue parfois les auditeurs, les charme presque toujours en Allemagne. Les récitatifs pèchent, comme les morceaux, par l’uniformité. Mais pourquoi l’auteur du livret l’a-t-il écrit presque invariablement en vers de dix syllabes ? La diversité des rhythmes est aussi nécessaire au ré
citatif que leur régularité est favorable à la mélodie. Ici encore Son Altesse a été assez mal servie. En somme, il y a dans son œuvre un mérite sérieux, très-sérieux, qu’on ne peut méconnaître, et auquel une mélodie plus saillante, plus vive, plus abondante surtout, aurait donné un prix infini.
M““ Lafon et Dussy chantent fort bien leurs rôles. M. Roger met clans certaines parties du sien de l’éclat et de l’é­ nergie, et dans d’autres beaucoup de sensibilité, par exemple, dans la romance du premier acte : L’azur des deux, etc.
il y a, au troisième acte, un fort joli ballet, où M “ Iiosati fait merveille. Les décors, œuvre de MM. Nolau et Rubé, ainsi que les costumes, sont, de tout point, dignes de l’O­
péra. . ,
Nous avons oublié de satisfaire sur un point la curiosité du lecteur. — Qu’est-ce que cette fable dramatique, dont les personnages sont des Russes du dix-huitième siècle, peut avoir de commun avec Sainte Claire? —Nous serions bien empêché de répondre à cette question, si nous n’eus
sions découvert, en avant du livret, deux pages imprimées en petits caractères, sous cette rubrique : Notes historiques et autres. Tout ce qui. est historique a été copié lit
téralement dans l’histoire de Pierre le grand, de Voltaire, excepté ce paragraphe, sournoisement glissé au milieu de ia prose du grand écrivain :
« Quelques historiens assurent que cette mort (celle de Charlotte de Wolfenbutel) ne fut qu’une léthargie, à la
quelle l’épouse d’Alexis dut son salut, ils prétendent qu’on parvint à la faire évader, qu’elle se réfugia, sous le nom de Glaire, dans le royaume de Naples, où elle devint un objet d’adoration pour tous les habitants, qui la qualifièrent du titre de sainte Claire. »


Voilà. Vous en savez à présent autant que nous.


Il est à regretter seulement qu’on ne nous ait pas donné le nom de ces quelques historiens si précieux pour les faiseurs de livrets.


Nous devons quelques mots de réponse à trois correspon


Attaque de la Courtine et du grand Redan.


On sait que, d’après le plan arrêté entre le maréchal Pélissier et


«is inconnus et fort inattendus, dont il a plu au ciel de
-, ’Evoriser. C’est un bienfait de la Providence, car le temps j ; s U n’estpasgai. Notre dernière Chronique r jeté ces trois
’ssieurs dans un profond étonnement. L’un d’eux, et le plus poli des trois, est assez bon pour nous apprendre que ‹‹ l’opéra de Marie fut représenté il y a quelque chose
amine trente ans, » et que « Hérold, l’auteur de la partition, est mort il y en a bien vingt. Ainsi donc, ajoute-t-il P’un ton pathétique, ce talent que vous trouvez’ plein M’a­ venir repose, hélas! depuis longtemps du dernier som
meil! » « Je ne puis croire, dit-il en terminant, que le ré


dacteur..., etc., commette un pareil oubli de dates, une pareille ignorance de nos sommités musicales. »


C’est M. Martin qui s’exprime ainsi. Qu’il se rassure et se console. Nous pouvons lui affirmer que nous n’avons com
mis aucune, ignorance de sommités. Il doit être jeune, puisque, tout enfant, il « fredonnait » la romance : Une
robe légère, il peut donc compléter son éducation. Nous l’engageons à se procurer un traité de rhétorique, le pre
mier venu, et à y lire attentivement la définition de ironie.
Un autre, qui ne signe pas, mais qui date de Strasbourg, fait avec peu de succès de violents efforts pour exprimer son indignation d’une façon plaisante. La phrase lapins remarquable de sa lettre est celle-ci :
« Sans affirmer si M. Hérold est Allemand ou Alsacien, ce que M. HéqUet parait désirer savoir, je ferai observer cependant que l’Alsace n’est pas restée en arrière en com
positeurs célèbres, témoins : Georges Kastner, Reber, Waldteuffel, etc. » — 11 faut que cet anonyme ait le patriotisme bien chatouilleux, pour que nous l’ayons offensé en admet
tant, par hypothèse, qu’IJérold avait pu naître en Alsace. Quoi qu’il en soit, puisqu’il a nommé M. Georges Kastner, nous le renvoyons à ce savant musicien. Qu’il aille se pré
senter chez lui de notre part, rue de la Nuée-Bleue, n° 11. M. Kastner lui expliquera notre article, et nous espérons qu’après une heure ou deux de conversation, il finira par le comprendre.
Voici la troisième lettre qui est adressée à M. le Rédacteur en chef de l Illustration :
‹‹ Monsieur, je ne comprends pas comment un journal sérieux comme le vôtre puisse avoir pour collaborateur un personnage assez ignorant en matière musicale comme M. Hébert (sic) qui a fait la chronique du dernier numéro, -que je viens seulement de lire, pour ne pas savoir que 1 auteur de Zarnpa et par conséquent de Marie est mort de
puis longtemps ; et pour comble d’ignorance il accepte ce dernier ouvrage (Marie) comme étant une production nouvelle d’un auteur inconnu ! !
« Je ne sais, Monsieur, si vous receverez (sic) quelques lettres du genre de celles-ci, car je n’ai pas la prétention d’être seul à vous signaler une pareille balourdise; mais quoi qu’il en soit je veux être du nombre de ceux qui lout en vous rendant service désirent un peu plus de savoir des personnes qui ont la mission de critiquer un art aussi délicat que celui de la musique.
« Recevez, Monsieur, etc. Signé : Trouvin. »
Nous garantissons à cet aimable M. Trouvin qu’il a un style épistolaire tout à fait à part, et nous lui conseillons de se procurer au plus vite, 1° une grammaire française ; 2° le Traité de la Civililé puérile et honnête.
De plus fort en plus fort. En voici un quatrième, qui signe X. —Une inconnue que nous ne tenons pas à dégager.
Ce monsieur X est vraiment un homme rare. Il a trouvé le moyen d’être encore plus ingénieux et plus poii que M. Trouvin. Qui se serait jamais douté qu’il y eût autant de gens d’esprit dans notre belle France? Calmez-vous, infortuné Μ. X. ! Nous avons assisté jadis à la première re
présentation de Marie, dans la salle de la rue Feydeau, qui n’existe plus. Nous avons, en 183A, accompagné l’il
lustre auteur de Zampa et du Pré aux Clercs à sa dernière demeure. Nous le connaissions personnellement, et nous connaissons, aujourd’hui même, son fils, qui est un jeune
homme très-distingué. Et, si tout cela est pour vous une énigme, cherchez-en le mot, monsieur X. ; nous n’expliquons que nos rébus.
Nous aurions écouté avec un vif intérêt l’Union chorale de Cologne, dont les concerts ont eu lieu récemment dans la salle Herz. Mais ces messieurs n’ont point désiré que nous les entendissions, et nous ne pouvons exprimer sur eux aucune opinion personnelle. On dit qu’ils exécutent plusieurs chœurs d’un grand mérite et d’un grand effet; intitulés : Sur l’eau, — la Chapelle, — un Chant Scandi
nave, — une Chanson de table. La recette est destinée à subvenir aux frais de l’achèvement de la cathédrale de Cologne. Chaque morceau exécuté ajoute une pierre à l’édifice. Comme il en faut beaucoup, l Union chorale de Co
logne, fera sans doule encore plus d’un voyage, et nous ne renonçons pas au plaisir de l’entendre et de l’applaudir.
Le Théâtre-Italien vient de rouvrir, mardi dernier, avec une troupe composée, en majeure partie, d’artistes nou


veaux pour Paris. Nous apprécierons leur talent dans notre prochaine Chronique.


Le Théâtre-Lyrique vient de changer de main. M. Perrin a cédé son privilège à M. Pellegrin, ancien directeur des
théâtres de Marseille, et directeur actuel des théâtres des camps pour la maison de l’Empereur. M. Pellegrin nous est personnellement inconnu. Mais il passe pour un homme capable, et les artistes, ainsi que les auteurs, paraissent fonder sur lui beaucoup d’espérances. L’un de ses avanta
ges sera de ne pas être exposé à la tentation de jouer de vieux opéras-comiques que tout le monde sait par cœur.
G. HÉQUET.