rêter la marche des colonnes. Arrivés au pied.de l’ouvrage, ils se trouvèrent en face d’un talus à pic qu’on ne put franchir sur le Iront que par de longues échelles, ta îdis que d’autres profitaient d’une déclivité du terrain p >ur s’élancer a gauche sur le chemin du redan.
« De ce côté, le bastion de la courtine foudroyait les assaillants. Le général Marolies était au premier rang de ses grenadiers et tomba dans leurs rangs ; on ne l’a retrouvé que le soir sous un monceau de cadavres. Le 15e de ligne, dont les soldats en partie voyaient pour la première fois le feu, a marché avec un aplomb de vieux troupiers. Tous les régiments ont lutté d’ardeur et d’héroïsme ; on a pénétré
enlin dans le petit redan.
«Là a commencé un combat acharné de mousqueterie ; les busses, dans des sortes d’abris préparés, dominés par une batterie qui tirait par-dessus leurs tôles, recevaient à bout portant nos pauvres soldats. En môme temps, une pluie de bombes et d’obus tombait au milieu des rangs. 11 fallut se retirer; l’ennemi reprit l’offensive et on quitta le petit redan.
«A la courtine, le général Bourbaki n’avait pas été plus heureux. Il était blessé d’une contusion reçue par une balle en pleine poilrine et crachait le sang ; au redan, le général Ponlevès et le général Bisson étaient blessés.
’ «Nos soldats étaient furieux; une seconde attaque est résolue. Les chefs irrités montrent le redan à leurs troupes, et tous s’élancent de nouveau comme un torrent. Quelques- Uns ne s’avancent qu’en se couvrant de gabions et de fasci
nes ; les boulets les emportent. Dans ce retour offensif, le général Saint-bol tombe frappé d’une balle au cœur.
« Presqu’au même instant, le général Pontevès, déjà frappé d un biscaïen qui lui a fracassé l’épaule, reçoit une balle qui lui brise la colonne vertébrale. Les généraux Bis
son et Gouston tombent, et le général Bosquet lui-même,
placé dans la 6e parallèle, à 200 mètres de la courtine, a l’épaule brisée par un biscaïen.
« N’est-ce pas ici encore que le général Mellinet est frappé d’un éclat de pierre qui le blesse grièvement à la face? A la vue de tous ces généraux blessés ou tués, de tous ces officiers qui jonchent le terrain, les soldats devien
nent fous de rage et renlrent dans le redan. Mais cet acte d’héroïsme fut encore inutile; il fut impossible de se maintenant dans l’ouvrage.
« Le génér 1 Pélissier avait cherché à alléger la position des troupes engagées en attaquant la batterie de la cour
tine. Deux batteries à cheval, commandant Souty, vinrent audacieusement s’établir sur le versant de la croupe qui porte la courtine et conlre-battirent immédiatement la batterie.
« En moins d’un quart d’heure, les deux batteries étaient hachées; les canonniers ont fait preuve d’un sang froid et d’un courage à toute épreuve : il était humainement impos
sible de faire plus dans la position qu’ils occupaient. Le commandant, arrivé quatre jours auparavant en Grimée, est amputé ; kO chevaux, une quinzaine d’hommes étaient lués ou blessés, les affûts broyés.
« Le général Dulac, chargé, depuis là blessure du général Bosquet, du commandement du corps, donne enfin le signal de rentrer dans la tranchée, et on laisse le champ de ba
taille couvert de morts. Les troupes de ce côté ont beaucoup souffert. Le 85°, par exemple, a eu son colonel, M. Javel, tué; le lieutenant-colonel, les chefs de bataillon plus ou moins blessés. Un capitaine a ramené le régiment.
« Le 17e bataillon de chasseurs à pied a fait des prodiges. Son commandant, M. de Férussac, malade, s’élait fait porter à la tranchée, et, guéri par la fièvre, n’a pas quitté un seul moment la tête de son bataillon. Ces troupes avaient un certain nombre de recrues, ce qui explique le grand nombre de sous-officiers restés sur le terrain. »
Nous devons aussi mentionner, sans plus attendre, la part glorieuse prise, comme toujours depuis le commence


ment de cette guerre, par le général Bosquet à l’attaque de


Sébastopol. Que ne devait-on attendre, du reste, d’un chef qui savait électriser ses soldats par un ordre du jour aussi lieremenl militaire que celui qu’on va lire :
« Soldais du 2 corps et de la réserve !
« Le 7 juin, vous avez eu l’honneur de porter fièrement les premiers coups droit au cœur de l’armée russe. Le 16 août, vous infligiez, sur la Tchernaïa, la plus honteuse hu
miliation à ses troupes de secours. Aujourd’hui c’est le coup de grâce, le coup mortel que vous allez frapper de celle main ferme, si connue de l’ennemi, en lui enlevant sa ligne de défense de Malakoff, pendant que nos camarades de l’ar


mée anglaise et du 1 corps commenceront l’assaut au grand ftedan et au bastion Central.


« C’est un assaut général, année contre année; c’est une immense et mémorable victoire dont il s’agit de couronner les jeunes aigles de la France. En avant donc, enfants I A nous Malakoff et Sébastopol ! et vive l’Empereur!
« Au quartier général, le 8 septembre 1855.


« Le général commandant le T corps,


« Bosquet. »
En attendant l’histoire complète dont nous devons faire accompagner les dessins qui nous arrivent, nous donnons deux dépêches, l’une du maréchal Pélissier, l’autre de l’amiral Bruat :
« Sébastopol, le 19 septembre, cinq heures du soir.
« Sur les à,000 bouches à feu trouvées dans Sébastopol, 50 au moins sont en bronze. D’autres ont été jetées dans la rade au moment de la relraite. Je les fais rechercher. Nous avons déjà retiré 200,000 kilogrammes de poudre de la place, el l’on en trouve encore. Le nombre des projectiles dépassera 100,000. »
Par une dépêche télégraphique du 19 septembre, M. l’a­ miral Bruat annonce au ministre de la marine que les avisos à vapeur le Milan et le fulton, ainsi qu’une canonnière anglaise, ont détruit dans la mer d’Azoff, du 6 au 11 sep
tembre, cinq pêcheries sur la côle de Serwiank, soixantehail dans les lacs et rivières voisines; brûlé trente et un
magasins contenant des filets et des vivres, et quatre-vingtdix-huit bateaux chargés de fourrages et autres approvisionnements.
Maintenant que ce glorieux résultat a couronné nos armes et entamé le nœud gordien de la question d’Orient, la diplomatie, qui se reposait des fatigues causées par les der
nières conférences, semble vouloir se réveiller et dénouer complètement la situation. Il règne dans toutes les corres
pondances reproduites par les journaux français une incertitude telle qu’il serait presque impossible d’en tirer un ré
sumé hebdomadaire sans y mettre beaucoup du sien. Le fait le plus saillant parmi ces commentaires est dû à t ïmdépendance belge, au sujet de propositions de conférer ce qui se
raient venues de la part de la Prusse et.auxquelles il aurait été répondu négativement par les cabinets de Londres et de Paris, La Nouvelle Gazette de Prusse démentie fait; l’In
dépendance maintient son dire : qui faut-il croire? Quoi qu’il en soit, la Prusse s’y prendrait bien tard pour s’im
miscer d’une manière utile dans les affaires qu’elle a tant contribué à compliquer. Il y a longtemps qu’elle aurait dû faire sentir son intervention, en se rapprochant franchement des puissances occidentales et en se servant de l’in
fluence personnelle qu’avait la famille régnante sur les deux Czars, non pour l’engager à persévérer dans une entre
prise insensée, niais pour épargner au monde européen les bouleversements qui l’agitent depuis plus d’une an
née. Nous pensons comme le Morning-Post : « La Prusse perd chaque jour de son importance, soit par rapport aux alliés, soit par rapport à l’Europe. Nous avons commencé la guerre sans elle, nous avons obtenu sans elle un grand résultat sur lequel noire courage peut se reposer un mo
ment ; et nous sommes tout préparés sans sa permission,
sans sa coopération, sans son aide, à achever notre tâche et à assurer le bnt pour lequel nous avons tiré l’épée. Sans elle nous faisons la guerre et sans elle nous ferons la paix quand il nous plaira de la faire. »
La question d’indemnité pour les frais de guerre est une de celles qui sont mises en jeu à la suite des dernières vic
toires de Crimée. Le cabinet de Vienne, assure le Nouvelliste de Hambourg, a déjà reçu à ce sujet une communication de Paris. Le télégraphe autrichien fonctionné depuis quelques jours entre Vienne, Paris et Ischl. On veut probablement essayer de reconstituer les conférences.
Depuis la nouvelle de la prise de Sébastopol, la presse russe est restée à peu près dans le silence. Cependant ses agents parcourent l’Allemagne en répétant partout que la prise de Sébastopol n’a pas une très-grande importance. Le journal le Nord, qui, on le sait, est dans les inté
rêts russes, admet l’hypothèse de l’abandon de la rive nord de Sébastopol. « La liussie, dit-il, n’ayant plus pour le mo
ment, ni marine, ni commerce maritime, n’a aucun intérêt désormais à consacrer son sang à la défense du littoral de Crimée. La défense de la Russie ne doit commencer qu’à une certaine distance des côtes; c’est là seulement qu’elle peut combattre à chances égales. C’est là aussi sans doute qu’elle attendra l’ennemi de pied ferme, s’il tente, en effet, d’entreprendre une deuxième campagne. »
A l’occasion de la fêle de l’empereur Alexandre, une liste de nombreuses promolions dans l’armée a été publiée. 18 majors généraux ont été nommés lieutenants généraux, et beaucoup d’autres. Quatre promolions seulement ont eu lieu pour cause de dislinclion, les auires par suite d’emplois vacants. Les Russes continuent à envoyer de grands renforts en Crimée. Batchi-Seraï etSimpbéropol, où se trouvent leurs plus grands approvisionnements, sont bien fortifiés. Les Russes, dit-on, ont eu 16 généraux lués ou blessés et 12,000 hommes hors de combat.
Un changement complet s’est opéré dans l’itinéraire que devait suivi e l’empereur Alexandre. Le Czar a renoncé à se rendre à Varsovie, el, accompagné des grands-ducs Michel et Nicolas, il est arrivé à Odessa, où il était attendu, et a aussitôt présidé un conseil de guerre. On prétend à Berlin que le voyage de l’Empereur cache un nouveau plan de cam
pagne. Le corps du général Pianutine, qui stationnait dans la Russie Blanche, a reçu l’ordre de se concentrer sur le Danube.
/ e Moniteur de cette semaine contient un article établissant en parallèle les ressources fournies par la France et l Angleterre. Si la France, est-il dit, a pu mettre en ligne plus de soldats, l’Angleterre a fourni un plus grand nombre de vaisseaux, et a’en a pas moins envoyé successivement en Crimée 80,000 hommes de troupes, réunies de tous les points de son immense empire. Quant aux sacrifices imposés, iis valent les nôtres, s’ils ne les dépassent. L’année dernière elle a dépensé en frais de guerre la somme de ZiOO millions, et cette année elle se prépare à une dépense de I milliard.
Le Morning Chronicle parle de la grande activité qui règne au ministère de la guerre. On veut, paraît-il, envoyer en Crimée des forces considérables de cavalerie, d’infante
rie et d’artillerie, et une immense quantité de matériel de guerre. Sur le quai de l’arsenal de Wohvich 3 bombes mons
tres ont été débarquées; chacune a 3 pieds 9 pouces anglais de diamètre, pèse 1 tonne 6 quintaux (1,316 kilog.) ; le mortier d’essai fondu à Liverpool pèse 20 tonnes (20,320kilogrammes). — On lit aussi dans les journaux anglais que le chiffre des hommes expédiés en Orient depuis le com
mencement de la guerre serait de 226,000 hommes partis de France, et de plus de Zi5,000 envoyés d’Algérie, de Rome,
II y a en ce moment 160,000 hommes en Crimée, sans compter les réserves de Constantinople, el, en faisant entrer en ligne de compte les retours en France, les pertes de toute nature, ce chiffre, est loin de paraître exagéré.
Le Moniteur publie, d’après les nouvelles du 20 de Vienne, que des rapports parvenus à la Porte annoncent une attaque de Kars par les Russes en deux colonnes; ils ont été repoussés et ont laissé quelques centaine^ de morts sur le champ de bataille.
A Naples, le ministre de la guerre prince Ischitella a donné sa démission. M. PiCena a été nommé à ce poste.
M. Werispeare a été nommé secrétaire d’Etat, et M. Bianchini directeur de la police, en remplacement de M. Mazza. On espère que ces différents changements donneront satisfaction aux griefs des puissances occidentales.
Le 16 septembre a eu lieu l’inauguration du jeune roi don Pédro V au milieu du plus grand enthousiasme. On nous
en promet un récit illustré. Les Cortès ont immédiatement ratifié l’avénement du nouveau souverain. Les ministres ont déclaré qu’ils continueraient à adhérer au système politique suivi jusqu’à présent.
A Athènes, le ministre anglais a reçu ses ii slructions ; on ne sait encore ce qu’elles contiennent. Le ministre de France a demandé simplement que les ministres choisis par le roi ne soient pas connus par leur opinion en faveur de la Russie, et qu’il soit mis fin aux brigandages qui désolent la contrée. M. Kalergi a offert sa démission afin de faciliter les rapports de son gouvernement avec les puissances occidentales.
Le projet d’une alliance offensive et défensive entre les deux grandes puissances occidentales et l’Espagne est dé
cidément arrêté des deux côtés. Les ministres espagnols doivent entretenir les Cortès de cette proposition aussitôt après leur réunion. La Gazette de Madrid annonce que la Reine a fait line fausse couche le 23. Les souscriplionsvolontaires àl’émprunt des 230 millions de réaux s’élèvent jusqu’à ce jour à 190 millions.
L’Express parle d’une proclamation de Mazzini au peuple, italien ; et, selon lui, la révolution n’est pas seulement le plus saint des devoirs, mais encore la chose la plus facile à opérer.
Après le départ de Santa-Anna du Mexique, le général Canova s’est trouvé chef du peuple ; il est du parti réaction
naire; son élection ne sera pas approuvée par les chefs du dernier mouvement ; déjà même, en prévoyance de leur opposition, le général a parlé de sa démission. On pârle dans ce cas de la création d’Etats indépendants, ou d’une annexion aux Etats-Unis.
Cette semaine le bruit avait couru qu’une tentative d assassinat avait été commise sur la personne de l’Empereur par un cent-gardes, ce bruit, qui n’avait pas le moindre fondement, a été officiellement démenti par le Moniteur et n’a pas de cause connue.
Le Moniteur du 23 contient un décret de l’Empereur qui oïivre au ministère de l’intérieur, sur l’exercice 1855, un crédit de 10 millions pour subvention aux travaux d’u­
tilité communale et aux distributions par les bureaux de bienfaisance. Cette ouverture de crédit est faite en vue d’a­ doucir les souffrances qu’entraîne momentanément l’élévation du prix des grains. Paulin.


Courrier de Paris.


Quand le roman d’été touche à sa fin, vous savez ce qui arrive à Paris, c’est que le monde y revient. La rentrée d’octobre, les éphémérides d’octobre, une bien vieille his
toire à laquelle il ne faut plus toucher, si ce n’est pour con
stater la situation. D’ailleurs une ville en train de se peupler de revenants n’est déjà pas si agréable à regarder; il faut donner aux intéressés le temps de se reconnaître, la con
fusion étant toujours extrême, passé le mur d’octroi et l’en
ceinte continue. Le séjour aux eaux ou aux champs autorise toutes sortes de mélanges que l’usage réprouve ailleurs; et par exemple j’ai là, sur le bout de la langue et de la plume, le petit nom, qui est un très-grand nom, d’une Diane chas
seresse , laquelle se gardera bien de reconnaître en ville son Endymion des Pyrénées ou de la forêt Noire. Oui, tous les premiers sujets qui figurent sur la scène du monde vont reprendre le grand chemin des écoliers, celui qui aboutit pour eux au collège ; millionnaires et fonctionnaires, gent
lemen et sportmen, les joueurs de violon et les joueurs de biribi, toute cette charmante cohue rentre ou va rentrer en même temps. Cette fièvre brûlante du retour réveille aussi les grandes passions, je veux dire les grandes toilettes : on est toujours impatient de montrer ses robes neuves à ses amis et surtout à ses ennemies.
Dût-on nous accuser de rabâchage, il faut bien constater cet au Ire symptôme de la situation, à savoir, que les couturières ne savent plus où donner de l’aiguille ; à tel point que plusieurs célébrités de la profession ont pris le parti de refuser la commande et se contentent de donner des consultations. Il en coûte beaucoup plus cher aux consul
tantes pour être moins bien fagotées. De tous temps les maris ont gémi de ces excès d’élégance qui leur imposent, entre autres vertus, la patience et la frugalité; mais voilà qu’au milieu du silence de leur résignation, la chaire lance enfin ses foudres. A l’exemple du grand saint Paul, qui re
procha si vertement et si vainement aux dames romaines le paganisme de leur toilette, le révérend père Ventura a fait son èpitre aux Parisiennes : « O mes sœurs, pourquoi cet étalage et ce scandale d’ajustements inutiles? Quel fruit vous revient-il de tous ces sacrifices à la mode? Savez-vous quelle est la parure la plus magnifique et la plus éblouis
sante pour une femme chrétienne? C’est tout simplement la robe de la grâce, les rubans de la mortification, le collier de la patience, l’ampleur du dévouement, la ceinture de la chasteté, le fard de la modestie et les roses de la pudeur, etc... » Voilà un échantillon du costume que le pasteur conseille à ses ouailles : charmantes brebis, il ne vous laisse pas d’autre toison ! certes la réaction en faveur de la simpli
cité ne saurait aller plus loin, et c’est dommage que les prescriptions de l’homélie ne puissent être suivies que pâlies sujettes de la reine Pomaré. Cela rappelle bien involon
tairement la réponse de ce jeune prince à sa sœur ; elle lui demandait à voir une toilette de dame otahitienne au grand complet, et le prince lui envoya des pendants d’oreille : c’était tout.