celles de la Chine, qui, en 1849, ne dépassaient pas 155,000,000 IV., ont atteint, en 1853, la somme de 207,500,000 fr. Quant à la navigation anglaise dans les mers de l’extrême Orient, elle s est accrue, dans le même inter
valle, de 967,076 tonnes à 1,595,133. Voilà ce qui s’est réa
lisé malgré ou plutôt à cause de la rivalité des Etats-Unis.
C’est là un phénomène passé à l’état d’axiome économique et qui s’observe partout et toutes les fois qu’une concur
rence active sollicite les efforts d’un rival intelligent, et stimule la consommation.
Les Anglais ont donc bien fait de ne pas s’opposer au percement de l’isthme de Panama. Par les mêmes raisons, ils ne s’opposeront pas à l’ouverture de l’isthme de Suez.
Du reste, si nous sommes bien informé, l’hésitation, en Angleterre, n’existe que chez certains partisans obstinés des vieilles traditions économiques ; tous les hommes qui
ont marché avec le siècle, tout le commerce éclairé, toutes les généreuses intelligences que les trois royaumes comp
tent en nombre immense, applaudissent au projet de M. de
Lesseps, qui doit profiter à tous, et surtout à celui qui a déjà les devants sur ses voisins.
Depuis que l’Angleterre est maîtresse de l’tnde, elle n’a cessé de chercher à abréger la route de ses possessions asiatiques. Elle a réussi à diminuer la durée du voyage par ré
tablissement d’un service régulier de bâtiments à vapeur dans la mer Rouge, tentative heureuse, mais incomplète, car si les steamhoats rapprochent les distances pour les let
tres et les voyageurs, ils laissent sans solution la question commerciale proprement dite. L’Angleterre a fait plus : elle a fait étudier très-sérieusement la route des Indes par l’Euphrate et le golfe Persique ; puis elle a mis. en avant et .fait approuver par le gouvernement égyptien le projet d’un chemin de fer du Caire à Suez. Enfin c’est elle qui a vingt fois réveillé l’idée de la coupure de l’isthme. 11 serait étrange qu’au moment où son désir va se réaliser, elle y mît obsta
cle par cela seul que l’entreprise n’est pas confiée à ses nationaux. Mais elle sait que M. de Lesseps en veut faire l’af
faire de tous. Elle peut, par ses capitaux, s’y faire admettre de façon à avoir dans les conseils de la compagnie une légitime et utile influence. Si elle préfère rester sourde à l’ap
pel qu’on lui adresse, elle n’aura à imputer qu’à elle seule l’isolement où on la laissera. Mais nous ne craignons pas de sa part une telle méconnaissance de ses propres intérêts, et nous espérons qu’elle voudra cimenter son.alliance avec la France par un rapprochement fraternel sur le terrain pacifique des problèmes industriels.
M. de Lesseps a l’intention de faire contrôler les études préliminaires des ingénieurs du vice-roi par une commis
sion composée d’ingénieurs choisis parmi les spécialités les plus éminentes de France, d’Angleterre, de Hollande, d’Allemagne et d’Italie. Quand ce tribunal suprême aura prononcé en dernier ressort, alors seulement les capitaux euro
péens seront appelés à concourir à l’exécution du canal. Celle marche prudente est la meilleure garantie que l’honorable concessionnaire puisse offrir à ses futurs associés.
En attendant, pas une. minute n’est perdue. Au moment où nous écrivons, une brigade d’ingénieurs, secondée par un demi-bataillon, opère, sur les lieux mêmes, une suite de nivellements le long de la ligne du canal projeté, et une seconde brigade d’ingénieurs exécute des sondages à distan
ces rapprochées, afin que le terrain que l’on devra attaquer plus tard soit d’avance parfaitement connu. Les transports des tentes et des provisions sont faits par cent vingt-huit chameaux. Le tout aux frais du vice-roi d’Egypte, un noble jeune homme aux idées chevaleresques.
L Illustration aura sans doute plus d’une occasion de revenir sur cette grande entreprise. Mais, dès à présent, nous voulons féliciter M. de Lesseps de l’heureuse fortune qui le place à la tète de la plus grande, de la plus glorieuse, de la plus utile affaire de notre époque. La diplomatie l’eût éteint ; l’industrie, dans laquelle il entre par la porte d’hon
neur, lui fera un nom qui ne s’effacera pas de la mémoire des peuples civilisés.
Frédéric Lacroix.
Exposition des manufactures impériales de Sèvres, des Gobelins et de Beauvais (1).
L’exposition de ces trois manufactures célèbres , placées sous le patronage du gouvernement, a pour emplacement la rotonde de l’ancien Panorama de la bataille d’Eylau, qui, envahie et rattachée après coup au plan primitif d’une in


suffisance notoire, est devenue le point central de la gale


rie joignant le palais de l’Industrie à l’annexe du quai.
C’est une sorte de tribune où sont venues se concentrer les richesses et les merveilles artistiques des industries de luxe.
Une disposition heureuse et une décoration d’un aspect tranquille ont été adoptées par l’architecte, M. Chabrol, pour cette rotonde, débarrassée des constructions intérieu
res. Pour avoir des surfaces planes au pourtour de la salle, il a inscrit un polygone dans le cercle formé par la rotonde,
et, ménageant circulairement ses jours, pris d’en haut, il a élevé au centre un pavillon occupé par l’exposition des dia
mants de la couronne, et il l’a surmonté d’une sorte de dôme.
Cette exposition des diamants de la couronne, ce faste éblouissant, stérile héritage des monarchies, excite une cu
riosité vertigineuse. Tous se précipitent avec ébahissement pour contempler ces richesses. L’art et l’industrie souffrent un peu de ce voisinage, et luttent difficilement contre cet amour de la foule pour les beaux yeux de la cassette.
Cependant, comme les queues se prolongent depuis déjà un assez long temps, et que la première ardeur est peut être un peu calmée, c’est peut-être le temps de passer en revue
les beaux produits des manufactures de Sèvres, des Gobelins et de Beauvais, qui font cortège à ces magnificences.
Manufacture de Sèvres. — L’art céramique , qui livre aujourd’hui des produits si nombreux et si variés aux usa
ges domestiques ou à la décoration, doit nécessairement remonter à la plus haute antiquité. On connaît toute l’im
portance qu’ont, au point de vue de l’art, les vases grecs et étrusques. Ces produits, si remarquables sous le rapport de l’élégance de la forme et du goût décoratif, ne sont pour
tant, quelle que soit la finesse de la pâte, que des poteries grossières ; et cette fabrication resta stationnaire pendant toute l’antiquité et une partie du moyen âge. Ce n’est qu’à des époques relativement modernes qu’on a vu apparaître les produits nouveaux connus sous le nom de faïences, de grès et de porcelaine. La longue stagnation de l’art céramique est d’autant plus extraordinaire au milieu des pro
grès des autres arts, que la Chine paraît avoir été en Jiossession de la fabrication de la porcelaine depuis une trèshaute antiquité, et que ses porcelaines auraient pu parvenir par l’Inde et la Perse aux Grecs et éveiller leur esprit in
ventif. Quoi qu’il en soit, ce fut seulement vers 1500 que les Portugais les introduisirent en Europe, et la Saxe, la première, deux siècles plus tard, parvint à imiter cette fabri
cation. La manufacture de Sèvres, fondée au milieu du dixhuitième siècle, trouva une porcelaine artificielle, où il n’entrait pas de kaolin, et d’une fusibilité plus facile que celle de la porcelaine dure. La beauté de son vernis ou émail, renfermant une certaine quantité d’oxvde de plomb, ce qui n’a pas lieu pour celte dernière, la firent beaucoup rechercher, et elle conserve encore sa valeur sous le nom de vieux Sèvres. — La fabrication de celte porcelaine tendre, abandonnée en 1806, vient d’être reprise parla manufacture de Sèvres, et elle a exposé un nombre limité de ce genre de produits. — En 1761 un Strasbourgeois apporta à Sèvres le secret de la vraie porcelaine, de la porce
laine dure, c’est-à-dire composée de deux éléments principaux : l’un argileux, plastique, infusible ; l’autre pierreux et fusible ; le premier de ces éléments est le kaolin, terre argileuse blanche, résultant de la décomposition du feldspath ; il entre dans la composition de la pâte dans la pro
portion de 70 parties pour 100. La nécessité de tirer de loin le kaolin mil encore obstacle aux progrès de la fabri
cation de la porcelaine dure en France pendant quelques
années, jusqu’au moment où l’on découvrit du kaolin dans les environs de Limoges. — Pendant la république, la ma
nufacture de Sèvres fut administrée par l’Etal. Elle a fait depuis partie des listes civiles des souverains qui ont régné sur la France.
Nous ajouterons ici quelques mots sur les procédés de fabrication. La pâte céramique, composée de kaolin, de feldspath, de sable quartzeux et d’un peu de craie réduits à un état d’extrême division , est façonnée par le tournage ; (pour les pièces rondes, l’ouvrier plaçant sur le plateau horizontal d’un tour qu’il met en mouvement une massé suf
fisante de pâte à l’état humide, lui imprime avec ses mains la forme voulue. Les pièces une ibis ébauchées, quand elles ont acquis assez de fermeté, il les tournasse, c’est-à-dire les réduit à l’épaisseur convenable à l’aide du tour et de la
mes coupantes), soit par le moulage. (Toutes les pièces qui ne sont pas rondes doivent être façonnées dans des moules, composés de matière absorbante, tel que le plâtre). Un troisième procédé, celui du coulage, abandonné et repris seulement depuis quelques années, permet de faire des pièces d’une légèreté extraordinaire. Nous avons décrit ce procédé dans l’Illustration, le 25 mai 1850. Les garnitures,
les anses, les becs, etc., moulés à part, sont collés à la pièce avec la même pâte plus délayée, nommée barbotine. (C’est avec cette pâte liquide, appliquée au pinceau, qu’on modèle en relief sur fond d’une autre couleur des orne
ments qu’on termine ensuite à l’ébauchoir.) Les pièces terminées et parfaitement sèches sont passées au feu, et ac
quièrent dans cette première cuisson de la solidité et de la porosité par l’abandon de l’eau qu’elles contenaient. A cet état la porcelaine prend le nom de dégourdi. Pour les cou
vrir du vernis ou émail qui doit leur donner l imperméabilité et le brillant, on les plonge dans un bain liquide te
nant en suspension du feldspath broyé très-finement. Ainsi couvertes, les pièces sont reportées au four et soumises à une température presque égale à celle des hauts fourneaux, placées dans des étuis de terre cuite qui les isolent de la cendre et de la fumée. La couverte ou vernis peut recevoir certaines couleurs métalliques, qui se fondent et s’incorpo
rent avec e le. Mais à cause de la haute température ces couleurs sont très-limitées ; elles sont fournies pour le bleu,
par l’oxyde de cobalt ; pour le vert foncé, par l’oxyde de chrome ; pour le brun, par l’oxyde de manganèse ; pour le rouge-brun, par l’oxyde de fer ; pour le noir, par un mé


lange entre quelques-uns des précédenls ou par le prot


oxyde d’urane. Si les couleurs des porcelaines dures, ou au grand feu, sont limitées, au contraire celles dites de moullcs, parce qu’elles se parfondent dans de petits fours ayant ce nom et à une température moins élevée, sont très-mullipliées. Les couleurs s’appliquent sur le vernis (le la porcelaine cuite, et elles n’adhèrent avec lui qu’à l’aide de fondants appropriés.
La manufacture de Sèvres, placée sous le patronage du gouvernement, est un élablissement qui fait singulièrement honneur à la France dans cetlevoie si intéressante de l’in


dustrie associée à l’art. Elle a pour administrateur M. Ré


gnault, le célèbre membre (le l’Institut. Les principaux chefs de service attachés à la manufacture sont : MM. Diétorle, qui a pour mission de diriger les travaux d’art, de dessiner des formes et des ornementalions, et de s’entendre avec les artistes pour le choix ou l’exéculion des des
sins. On retrouve à chaque pas, dans l’exposition de fièvres, des preuves de l’esprit inventif et du goût de cet artiste habile. — Vital Roux, chel des ateliers de fabrication, dirigeant le façonnage des porcelaines, leurs cuissons, leur
émaillage, etc... — Robert, chef des ateliers de peinture; — Meyer, chef émailleur. A ces noms viennent se joindre ceux des habiles artistes qui exécutent les peintures,.l’ornementation, etc..., et il faut ajouter celui du savant conservateur des collections, M. Riocreux.
L’exposition particulière de Sèvres est des plus remarquables, et atteste une supériorité incontestable, et qu’ont ho
norablement reconnue les fabricants étrangers. C’est la plus belle exposition qui ait été faite jusqu’ici par cet établisse
ment, tant sous le rapport du nombre et de la dimension des produits que sous celui des perfectionnements apportés à la fabrication. Celle exposition n’est pas disposée, on devra le remarquer, d’one manière favorable pour la faire briller dans toute sa valeur. Elle est disséminée dans un espace im
mense, au milieu de produits d’autre nature, et les plus belles pièces sont répandues çàet là et servent à la décora
tion de la salle. Quelques-unes même sont jetées dans des corridors de passage et dans les conditions les moins favo
rables pour attirer l’attention. Telle est la belle jardinière composée par M. Diélerle, peinte parM. Croneau d’après un tableau à l huile de M. Gendron, et entourée (le figures couchées d’après les modèles de M. Klagmann et A. Choiselat ; les fleurs qui l’enveloppent et le divan circulaire en empêchent la vue. Celte belle pièce a élé obtenue par le pro
cédé du coulage, et faite par M. Delacour; elle mesure i mètre 25 de diamètre.
il est une autre circonstance dont il faut tenir compte pour apprécier à toute sa valeur l’influence de cet élablissement et l’importance de la lutte qu’il a à soutenir, lutte d’autant, plus périlleuse qu’il fournit à tous, sans réserve, les procé
dés qu’il découvre, et qu’il est le promoteur des perfectionnements apportés. Plusieurs fabrications, extérieures à l’é­
tablissement, soit en France, soit à l’étranger, livrent des produits similaires en copiant simplement ses modèles. Nous pourrions citer dans ce genre les plus célèbres fabricants anglais, MM. Min ton et Gopeland. Tout le monde peut s’en assurer en comparant les formes vieux Sèvres qu’ils ont reproduites aux modèles en plâtre, de la manufacture de Sè
vres, dont une série a été. réunie près d’une des portes de la Rotonde. Mais la manufacture de Sèvres se maintient, et c’est une justice qu’il faut lui rendre, à la hauteur de sa mission, et se montre digne des encouragements du budget par l’ac
tivité qu’elle développe et par les tentative 4..’elle ne cesse de faire pour agrandir le cercle de la fabrication, inventer (les formes nouvelles et de nouveaux modes de décoration.
Ses progrès dans cette voie sont facilement appréciables d’une exposition à l’autre. Le talent de ses artistes pein
tres, sculpteurs et ornemanistes; et la pureté de goût ou l’é­
légance de leurs créations, contribuent à la supériorité des produits de la manufacture de Sèvres sur ses rivales. On peut comparer les grandes pièces envoyées par la manufac
ture royale de Prusse, où, malgré des sujets peints par des artistes habiles, on trouve des formes et une ornementation
lourdes ou vieillies. — Curieuse d’assurer à tout ce. qui sort de ses ateliers le mérite d’une parfaite exécution, la manu
facture de Sèvres a son atelier particulier de ciselage et de montage, et fait les modèles des garnitures en métal asso
ciées aux pièces de porcelaine. Celte partie accessoire de la fabrication mérite aussi de fixer l’attention par la netteté et le fini de l’exécution.
Parmi les pièces capitales de Texposilion de Sèvres figurent en première ligne : le Vase commémoratif de l’Ex
position de Londres,1 composé par M. Diéterle ; la frise est peinte sur biscuit par M. Brunei Rocques, d’après une composition de M. Gerome, dont nous avons parlé dans ce journal. ·— Le Baptistère, décoré en style byzantin. — Une po
tiche chinoise, pièce de très-grande dimension et l’une des plus remarquables de l’Exposition ; elle est à fond jaune, provenant de l’oxyde d’urane (1) appliqué sur dégourdi.
Les fleurs qui la décorent ont été peintes sur des réserves blanches, obtenues au moyen du grattage sur le fond uni. Ce genre deprocédé donne une grande netteté aux contours.
Des fleurs ainsi exécutées sur le fond noir d’une coupe dite de Pise, ont une telle précision de contour, qu’on les prendrait pour de la mosaïque; ce sont des sortes d’émaux incrustés.
Dans notre examen rapide, nous ne pouvons que signaler quelques pièces les plus remarquables et caractéristiques du goût et des progrès de la manufacture de Sèvres. Nous pla
cerons au premier rang quatre vases, fond blanc, décorés de fleurs et des figures des quatre saisons, peintes par M. Barriat. Ces vases, dits de iMeudon, forme de M. Dié
terle, sont ornés de quatre anses en bronze ciselé et doré; ils forment un ensemble d’une élégance singulière. Plusieurs autres vases forme Diéterle, avec les anses en porcelaine, ou sans anses, décorés de fleurs bleues jetées avec une grande liberté (le pinceau sur fond blanc, ou variés avec des champs verticaux à fond plus foncé avec décorations en or et sujets peints. — De grands vases, fond bleu uni, grand feu, avec garnitures en bronze florentin et en bronze doré, d’une grande dimension et d’un style élégant ei sévère, parmi les
quels nous signalerons particulièrement deux vases dits de Uimini, à têtes de lion dorées, entre des serpents, et deux autres vases, dits de Nîmes. — Un vase dit de lliuntilly, à anses dorées, dont la cerce, en pâte tendre, est décorée d’une jolie composition en camaïeu violet sur fond blanc, peinte par M. Froment Delormel, et représentant (les nym
phes poursuivies par des amours et se cachant deri ière des masques. — Un vase, forme Mansard, décoré en bleu sur fond blanc, avec figures en argent ciselé enlre les anses, et garnitures en bronze. — Un vase forme Berlin, fond blanc couvert de fleurs vives et fraîches, peintes par M. Pallandre. Ce vase est d’une très-belle exécution. — Un
(1) L’urane fournît plusieurs colorations, qui dépendent de la cuisson : 1° jaune, en cni-ant la pièce dam un courant d air; 2 srt is i mn et i oir, en cuisant dans le. liarbm Ces laits sont .nouvdleme t acquis, et ont
donné lieu à des applications variées, qui. apparaissent pour la première fois dans les pièces exposées par la manufacture de Sèvres.
(1) Voiries numéros 638 /640, 643, 644, 645, 646.047, 648, 649, 650,
651, 652, 6ô3, 654 et 655.