lanée sur le marché, et les anciens se ressentent de cette défaveur. Cependant nos vendeurs ont confiance dans l’a­
venir, et ils espèrent que les prix actuels détermineront une reprise. » hors de la crise de 18/[7, qui fut beaucoup plus inquiétante que celle d’aujourd’hui, Alphonse Kan1 lit res
sortir cette circonstance bizarre, qu’en même temps que le pain augmentait, le prix de toutes sortes de belles choses, lissues ou métallisées, était affiché en baisse, et il ajoutait avec son bon sens habituel : « Il est fâcheux de voir abais
ser le prix des objets de luxe, non pas assez pour que le pauvre, en ait, mais tout juste assez pour qu’il soit humilié de n’en pas avoir. » C’est l’occasion de rappeler qu’à la même époque M. Cannai, — l’habile chimiste qui conserve si bien les morts, — se faisait fort de nourrir les vivants avec un pain fabriqué à vil prix. On dit même que le gou
vernement, ayant goûté, de ce pain, le. trouva fort bon à manger; cependant la vente, n’en fut pas autorisée, et le projet fut enterré ou plutôt embaumé par son auteur, et voilà qu’on parle de le reprendre. Mais enfin, si le froment est momentanément indisposé, il y a longtemps que la pomme de terre ne s’était si bien portée; il ne s’agit plus que de la mettre à la portée de toutes les bouches, en imposant silence aux calomniateurs, —je ne dis pas aux ac
capareurs, — qui nieraient la santé florissante du précieux tubercule. Il est vrai que sa convalescence aura été bien longue, et peu s’en est fallu qu’il n’ait péri tuf bd medicorum, par la foule des médecins ou du moins des brochures,
s’il est vrai que, dans ces dernières années, le nombre de ces opuscules ait atteint le chiffre de 5,758.
Je cherche quelque autre information aussi nouvelle, et je ne trouve que des événements déjà connus, Tel est l’arri
vée à Paris du romancier de l’Angleterre que les Parisiens goûtent le mieux depuis que Walter-Scott est mort, vous avez nommé Charles Dickens. Le spirituel écrivain habite aux Champs-Elysées un hôtel presque aussi somptueux, dit-on, que celui du duc de Brunswick, son voisin ; c’est un de ces rares immeubles acquis à la pointe de la plume. A Londres, pays d’aristocratie, M. Dickens s’est vu très-re
cherché à cause de son talent et de sa réputation; il en sera de même à Paris, où un bel esprit somptueusement logé est toujours le bien venu. Auteur charmant dans un genre qu’on appelle léger, parce qu”i! est amusant, l’aima
ble étranger ne saurait manquer de devenir tout de suite, grâce à sa fortune, un personnage considérable et un écrivain sérieux. Aux yeux de notre monde, le plus civil eL civilisé de tous les mondes, à ce qu’il dit, l’accessoire vau
dra toujours mieux que le principal. Cette belle société, qui se pique de discernement et de délicatesse, partage à ce sujet tous les sentiments de ceux qu’elle appelle assez dédai
gneusement les petits bourgeois. « Peuh ! comme disait l autre joui1 Jules Janin en traduisant ces répugnances à merveille, un artiste, un écrivain, c’est dangereux, ça n’a rien dans le monde, ça n’a pas le sou! Parlez-moi d’eux quand ils seront propriétaires. Mais des mange-tout ou plu
tôt des mange-rien; des déguenillés d’artistes en livres,
en tableaux, en pattes de mouches, fl, vous dis-je! On peut bien regarder un instant les œuvres de ces gens-là ; on ne fait pas attention à leurs personnes ! Un coup d’œil au tableau du peintre, il est content ! d’un doigt dédai
gneux parcourez le livre de l’auteur, un livre emprunté au
cabinet de lecture, il est aux anges. Comment donc! ils vous ont ému, charmé, amusé, ça doit leur suffire, fiais peste, les gaillards seraient bien difficiles s’ils n’étaient pas con
tents du public! Et le.musicien donc, Rossini par exemple, ést-ce qu’on n’écoute pas toujours sa musique avec un nouveau plaisir? que pourrait-il souhaiter de mieux. » A pro
pos d illustrations qu’on néglige, M. Meyerbeer est parti pour Berlin, aimant mieux être le premier là-bas que le se
cond à Paris. Mais nous voici en vue du théâtre et de ses nouveautés, notre dernière étape, et des plaisirs de la semaine, nous n’avons encore rien dit.
Où en est le concert de charité, et la musique de chambre, et la danse de salon ? est-ce qu’il faudrait s’en passer comme de notre été de la Saint-Martin ? Mêlas ! la musique bienfaisante, se met en frais et ne fait pas ses frais, en voici la preuve. M. Herz, qui joue et fabrique des pianos avec une perfection égale, avait mis en loterie, au bénéfice des orphelins de l’armée d’Orient, le plus beau de ses instruments, et chaque billet donnait à l’acquéreur le droit d’as
sister au concert du célèbre virtuose. C’était à la fois une bonne action, une chance heureuse et un plaisir qu’on pouvait se procurer du même coup. Eh bien ! faute d’un nombre suffisant de souscripteurs, M. Herz a été forcé de ga
gner lui-même son piano, et il a abandonné la recette aux or
phelins en réalisantune perte sèche de deux mille francs : tant il est vrai que les plus beaux concerts deviennent aisément ruineux pour les artistes qui les donnent. Quant à la danse, on n’en connaît plus d’autre que celle du Jardin d’üiver,
où le printemps continue à s’épanouir en serre-chaude. Ce bal de privilégiés, à cinq francs par tête, inventé d’abord à l’usage des étrangers, va maintenant se perpétuer en faveur d’une multitude d’indigènes. C’est là que la jeunesse folâ
tre ira dépenser deux fois par semaine une activité qu’on
l’accuse à tort d’économiser ailleurs. Taisons-nous sur les autres agréments de ce paradis terrestre, où plus d’une jolie fille d’Eve aura trouvé l’occasion de mordre au fruit défendu qui fit perdre l’ancien à la mère des homme*.
C’est ici que je glisse une anecdote qui mérite bien l’honneur d’une nouvelle édition. Un marquis de race étran
gère , aussi distingué pour sa fortune que pour son savoir, parce qu’il en fit toujours un noble usage, est mort naguère . en laissant parmi les papiers de la succession des créances commerciales. Muni de ces titres, l’héritier voulut en re
couvrer la valeur; mais il est marquis comme son oncle, et il fallait plaider devant la justice consulaire, où dans cer
tains cas il devient indispensable de montrer une patente, de commerçant. C’est pourquoi notre héritier courut à. la préfecture de police, et se fit délivrer, moyennant quelques
francs, une patente de dernière classe, qui l’institue marchand de coco. Une fois en règle, il a plaidé et il a gagné.
Le fait n’est pas très-vraisemblable, mais il est vrai. Je ne sais qui me tient d’arriver au Médecin des enfants, drame de la Gaieté, par une autre anecdote qui est peut-être la source où les auteurs ont puisé pour trouver leur pièce; mais l’histoire semblerait trop décolletée, et il faut s’en tenir à la fiction théâtrale, qui n’est guère plus décente ou pudibonde.
Ce Médecin des enfants, qui ne l’est, pas encore, jeune homme des plus comme il faut, s’est épris de la femme du voisin, et l’occasion, l’herbe tendre, quelque diable aussi la poussant, M™ de bonne! s’est laissé enlever â son mari. C’est au fond de la Suisse que le ravisseur est allé cacher son larcin et le fruit de son larcin, une charmante enfant que. leur faute même rend plus chère à ses parents, et qui va en être l’expiation. Quelque soir, par un temps d’orage, éclatera tout à coup la foudre du mari outragé; s’armant de la loi comme d’un poignard, il viendra dire au ravisseur : « Tu m’as volé ma femme, eh bien, je te prends ton enfant.»
La pièce n’est qu’un roman intéressant bâti sur cette donnée :
c’est le duel du père idéal ou légal et du vrai père. Quand le. bourreau emporte ses victimes, on comprend que c’est
pour les faire mourir à petit feu ; mais l’agonie de la femme coupable est courte, sa douleur l’a étouffée tout de suite; le martyre de l’innocence a la vie plus dure, l’enfant a grandi
dans l’isolement; la vengeance aura raison d’elle sans la toucher. On la regarde sans lui sourire, on la traite en étran
gère, et on lui parle comme à une, ennemie intime ; quelques jours encore, et elle mourra de froid dans celte maison gla
ciale comme la tombe ; c’est alors que le vrai père, qui s est fait médecin des enfants pour retrouver le sien, arrive au
chevet de la mourante, et, puisqu’il l’a reconnue, elle sera sauvée et on la lui rendra. Tel est le dénofunent heureux auquel vous arrivez à la suite de beaucoup de scènes terri
bles, pathétiques, et même touchantes. M. Bignon joue à merveille le rôle du mari qui fait peur ; il s’est, taillé un mas
que dans le marbre, il a un regard d’acier qui serre le cœur. M. Laferrière touche fort bien les cordes sensibles de l’a­
mant et du jeune père; c’est un très-grand et très-brillant succès pour tout le monde.
Philippe Busoni.
Une solution.
Ι.,ί lettre suivante est écrite dans un sentiment, qui répond trop aux vieux de l’Europe pour que nous lui refusions notre publicité.
Toutefois nous ne saurions absolument partager des espérances renouvelées des illusions de l’abbé de Saint-Pierre, et des combi
naisons modernes des amis de la paix. Nous avons appris qu’il n’y a lias que des ambitions vulgaires et des intérêts actuels en jeu dans la guerre. Il y a l’effort d’un peuple ou d’une race qui cherche, même à son insu, son expansion naturelle ; il y a aussi la marche incessante de l humanité vers un but qu’elle n’atteindra que par la guerre, et qui sera sa perfection : l’imité et la solidarité universelle. Admettons donc cette lettre comme l’ouverture d’une trêve, et encore demandons ce qa’on fait, en attendant, de la Turquie.
« Paris, 7 novembre 1855.
«Monsieur le Rédacteur,
« Si quelque, chose a pour effet de démontrer les progrès de la civilisation générale et de consoler un peu du spec
tacle sanglant que l’Europe a sous les yeux, c’est le. senti
ment universel qu’excite la guerre. L’époque des haines aveugles qui poussait autrefois les races les unes contre les autres, est passée sans retour. Vainqueurs ou vaincus, les hommes sentent instinctivement qu’ils n’ont point été mis au jour pour s’entre-déchirer, mais pour s’entr’aider mu
tuellement. Au lieu de l’enthousiasme barbare qui éclatait jadis au bruit des batailles, il n’est personne aujourd’hui, et c’est là l honneur de notre siècle, qui ne déplore ces hé
catombes d’hommes et de millions qui épuisent et ruinent les Etats. La bravoure personnelle n’a pas déchu; l humanité seule a grandi.
« Dans de pareilles circonstances, notre devoir à tous tant que nous sommes est de chercher les moyens de ramener la paix du monde.
« Le besoin de cette paix est tellement senti, que, si les parties engagées dans la lutte le pouvaient sans que leur amour-propre de puissance eût à en souffrir, nous en avons la conviction la plus profonde, et cette conviction est dans tous les esprits, la cessation des hostilités serait signée, aujourd’hui même.
«C’est là précisément ce qui m’a déterminé à émettre quelques idées; ces idées seront acceptées ou ne le seront pas, mais du moins elles peuvent mettre sur la voie de combinaisons nouvelles.
« Je serai bref.
« D’abord deux mots d’explication.
« Pour que la paix soit possible, ou du moins pour que cette paix soit solide et durable, il faut absolument sortir des ornières surannées delà diplomatie; il faut que l’Eu
rope civilisée prenne une autre route et parle un autre langage que l’Europe féodale ; il faut qu’à la politique de vio
lence et de force du moyen âge succède la politique de conciliation et de progrès des temps modernes; il faut que les peuples reconnaissent dans cette paix l’empreinte des grandes idées qui agitent de nos jours l’esprit des hommes éclairés de tous les pays, et qui portent avec elles la régénération du monde moderne.
« Les puissances alliées ont écrit sur leurs drapeaux : Désintéressement, liberté, Civilisation; ces grands mots qui resplendissent au seuil de l’avenir, comme des phares des
tinés à sauver la vieille société du naufrage, doivent se trouver dans toutes les stipulations qui, en assurant la pa
cification de l’Europe, jetteront les bases d’un nouveau droit public européen.
« Point d’illusions : la véritable sagesse ne consiste pas à fermer les yeux, à s’enivrer de phrases retentissantes, ou,
comme l’autruche, à se cacher la tête pour ne pas voir le danger, mais à envisager la réalité d’un œil ferme et sur.
« Si les puissances alliées persistent à imposer à la Russie des conditions qui soient, l’humiliation et comme la dé
chéance morale de cette dernière, la paix ne se fera pas, ou, du moins, elle ne se fera que dans un avenir inconnu, et encore pour combien de temps et à quel prix ?... Sans parler des complications imprévues qui peuvent surgir d’un moment à l’autre. Dans de pareilles circonstances, il nous semble de bon goût et de bonne politique que les plus forts fassent eux-mêmes des concessions qui témoignent de la générosité de leurs vues, sauvegardent tous les intérêts, et mettent tous les amours-propres à l’abri.
« Les armes russes ont. échoué à l’Alma, à Balakîava, à lnkermann, au pont. de. Traktir; Sébastopol est pris, Kinburn enlevé, Nicolaïeff menacé: cela est-vrai. Allons même plus loin : admettons que Nicolaïeff soit ruiné, qu’Odessâ soit à nous, que l’année russe de Crimée soit battue, que la Crimée elle-même soit occupée par nos troupes victo
rieuses, que nos drapeaux triomphants flottent sur tous les rivages de la mer Noire : la Russie aura encore pour elle la profondeur de ses steppes, l’immensité de son territoire,
l’inclémence de son climat et les millions d’hommes que lui fournit une population qui s’augmente dans une proportion plus rapide que celle d’aucun des autres Etats de l’Eu
rope. Sans doute, avec les ressources presque illimitées, avec les vastes moyens dont elles disposent, les puissances occidentales pourront venir à bout de l’obstination mosco
vite, mais, ainsi que nous le (lisions plus haut, après com
bien de temps, à quel prix, par quelle dépense d’hommes et de millions?...
« Eli bien donc, puisque l’on doit tôt ou tard arriver à la paix, ne vaut-il pas mieux la faire tout de suite, et avant que tous, vainqueurs et vaincus, se soient épuisés de leur sang le plus viril, et ruinés dans leurs ressources les plus vi
tales? L’Europe a mieux à faire qu’à s’acharner contre ellemême, et à dépenser ses forces de toute nature dans une œuvre de lamentable destruction ; elle a, par une large et féconde extension donnée à l éducation en même temps qu’à l’instruction des peuples, à élever le niveau de l intel
ligence et de la moralité générales ; elle a à poursuivre ses conquêtes pacifiques dans le domaine sans bornes des scien
ces, des arts et de l industrie; elle, a à entreprendre des milliers de travaux utiles; en un mot, elle a à développer sa civilisation intérieure et à en faire, briller le flambeau sur le reste du globe.
« Par ces motifs, voici les principes que, dans notre humble et modeste sphère, nous désirerions voir prendre pour base des négociations à intervenir entre les grandes puis
sances, non-seulement de l’Europe, mais de l’univers civilisé :
«HLaRussie s’engagerait à ne pas relever les fortifications de Sébastopol et à n’entretenir dans la mer Noire que Iê nombre de bâtiments exigés pour la protection de son commerce ;
« 2° L’Autriche conserverait laValachie et la Moldavie, et le Danube serait ouvert à toutes les nations;


« 3° Le Piémont s’agrandirait de la Lombardie;


« A” Toutes les mers seraient déclarées libres; en conséquence, les détroits des Dardanelles, de Gibraltar, du Sund, d’Aden, seraient placés sous la protection directe de toutes les grandes puissances ;
« 5° La traite serait assimilée à la piraterie et traitée comme telle par les vaisseaux de toutes les nations maritimes;
« 6“ Toutes les puissances s’obligeraient entre elles à prendre une part proportionnelle dans les dépenses nécessitées par le percement des isthmes de Suez et de Panama ;
« 7” La Russie garantirait un minimum d intérêt de 6 p. 100 aux capitaux engagés dans ces deux opérations, et prendrait de plus, à ses frais, les études du chemin de fer destiné à relier l’Europe aux Indes Orientales;
« 8 Les capitales et les principales villes de tous les Etats européens seraient incessamment réunies, au moyen d’un réseau de chemins de fer, entrepris conformément à un plan d’ensemble préalablement arrêté dans une conférence composée d’ingénieurs appartenant à chacune des nations intéressées ;
« 9° Le mot de prohibition serait rayé du code de toutes les législations douanières;
«10” Des tarifs postaux uniformes régleraient dorénavant les relations privées internationales;
«11° T,a France ouvrirait solennellement et libéralement l’Algérie au trop-plein des populations de l’Europe, au
moyen de l’arpentage et de la vente à bas prix des terres incultes de la colonie;
« 12° Enfin, un conseil amphictyonique, chargé de prononcer sur les différends qui pourraient s’élever à l’avenir en
tre les divers Etats du monde, serait établi, comme tribu·1· nal suprême et magistrature protectrice des intérêts uni
versels, conformément à la pensée do Henri IV et de Sully, reproduite depuis par l’illustre captif de Sainte-Hélène.
« Telles seraient, à nos yeux, les principales bases sur lesquelles devrait être assise ia pacification de l’Europe. On
peut en ajouter d’autres conçues dans le même esprit ; la voie est ouverte; cela suffit; il ne manquera pas d’explora
teurs plus habiles et plus expérimentés que nous pour la parcourir.
« Ou nous nous trompons fort, ou de pareilles conditions, auxquelles, il serait facile de le démontrer, les parties en
gagées dans la question d’Orient ont toutes à gagner, la Russie comme les autres, sont de. nature à ménager les susceptibilités les plus exigeantes.
«Grâce à cet échange de bons rapports et d’engagements utiles, il n’y a plus de vainqueurs ni de vaincus, mais de grandes puissances luttant entre elles de générosité, et s’u­
nissant, pour le bonheur du genre humain, dans une pensée commune de progrès et d’harmonie universels que les peu
ples salueraient avec transport, comme l’aurore des temps nouveaux.
«Veuillez agréer, etc. Hippolyte Peut. »