Il’accueil des habitants» pris les proportions d’un véritable triomphe. Une quarantaine de jeunes gens de la ville sont
allés à cheval à sa rencontre jusqu’au premier relai de Bordes-d’Expouy, route de Tarbes, à seize kilomètres de la ville, sous la conduite d’un brave capitaine de zouaves,
M. Baratchart, de notre ville, qui était venu se rétablir dans sa famille de ses vingt-trois blessures.
«Le général est rentré en ville escorté de ces cavaliers, ayant à sa suite près de soixante voitures, venues également à sa rencontre. Les populations se transportaient en masse Sur son passage, et faisaient retentir l’air d’enlousiastes vivat. »
Les nouvelles du théâtre de la guerre ne contiennent au
cun fait nouveau; les pluies qui sont tombées dernièrement sur la Crimée avec une grande violence, en rendant les terrains impraticables, ont contraint l’armée, qui s’était avan
cée. jusque sur les hauteurs· qui dominent le cours du haut Belbeck, à regagner leurs cantonnements. Une dépêche du maréchal Pélissier, publiée dans le Moniteur du 15, rend compte de ce mouvement.
La division du général Bazaine est de retour à Eupatoria, et est venue renforcer encore la garnison de cette ville ; trois mille hommes seulement ont été laissés à Kinburn, dont les forts ont été mis en parfait étal de défense.
L’amiral Bruat a laissé une escadrille à vapeur dans le Liman du Dniéper; ces bâtiments ont pour mission de surveil
ler les embouchures du Bug et du Dniéper, et d’empêcher toute communication entre Nikolaïeff et Kerson, et de pro
téger au besoin notre position à Kinburn. Deux vaisseaux seulement, le Napoléon elle Wagram, tous deux à vapeur, resteront sur les côtes de la Crimée ; le reste de l’escadre hivernerait dans le Bosphore.
Depuis que les alliés sont eu possession de Kinburn, les communications par bateaux côtiers entre Nikolaïeff, Otchakoil et Odessa, ont complètement cessé. Dans le mois de septembre, jusqu’à l’interruption des communications, qui a eu lieu au mois d’octobre, il est allé encore de Niko
laïeff à Cherson 10 bâtiments chargés de grains et 5 sans chargement. 0 est allé de Cherson à Nikolaïeff 35 bâtiments de mer et 7 barques de rivière chargés de sel, de bois de construction et de charbon de terre, et 2 sans chargement. Maintenant cette dernière communication est entièrement impossible. On ne peut se faire une idée de l’activité qu’on déploie à Nikolaïeff depuis l’arrivée de ΓEmpereur.
On écrit de Kiel, le k octobre :
« Notre port présente depuis trois jours un aspect animé par l’arrivée successive de sept vaisseaux de ligne anglais de la (lotte de l’amiral Dundas qui sont revenus de la Baltique pour retourner dans les ports anglais. A peine étaient-ils entrés dans le port qu’une foule de chaloupes ont été requises pour conduire aux vaisseaux de guerre le charbon de terre qui se trouvait dans ies magasins anglais et qui était destiné à la continuation du voyage des vapeurs.
» Aujourd’hui, d’après un ordre venu de l’Amirauté anglaise, les vaisseaux de ligne s’apprêtent à partir. Cet ordre paraît même être si pressant, que quatre bâtiments ont quitté dans l’après-midi le mouillage et sont déjà entrés dans le Crand-Belt. Ce sont l Edim
bourg , VAjux, le Cressy et le tfnwke. Le Roy ni-George, qui se trouve encore ici, est un des grands vaisseaux de ligne anglais de 120 canons.
« D’après ce qui a été annoncé, d’autres navires de guerre de la (lotte de l’amiral Dwidas doivent arriver sous peu de jours de la Baltique dans notre port. On regarde la campagne maritime comme décidément terminée pour cette année. Il n’est plus possible aux gros bâtiments de continuer à séjourner dans cette mer sans s’exposer à de graves accidents et à une perte presque certaine. »
Voici une nouvelle version sur la paix, qui nous arrive de New-York par le New-York-Herald, annonçant que « des lettres de rappel ont été envoyées à M. Buchanan, l’ambas
sadeur américain â Londres, mais qu’il ne doit s’en servir que lorsqu’à son avis il deviendra important, pour le service public, qu’il quille son poste. »
Une correspondance du même journal contient ce qui suit : « Il existe quelques doutes au sujet de l’arrivée d’un nouvel ambassadeur de Bussie ; pour d’autres et pour nous, c’est un fait certain. Outre ses lettres de créance, cet am
bassadeur apportera une communication confidentielle du
czar, de la nature la plus importante, relativement aux conditions auxquelles seulement la Bussie consentira à la paix. La Russie a été -médiatrice entre l Angleterre et les Etats-Unis, et maintenant les Etals-Unis pourraient être médiateurs entre la Bussie et les alliés. La Bussie ne de
mande pas la médiation américaine, mais elle l’acceptera, et ses conditions offriront des avantages si considérables pour l’univers entier, que les classes industrielles d’Angle
terre, et de France demanderont leur acceptation aussitôt qu’elles les connaîtront. »
En attendant la confirmation de ces bonnes nouvelles, auxquelles nous voudrions bien croire, il nous faut enre
gistrer que le recrutement, en Pologne, se poursuit d’une manière très-active et très-sévère.
Le Gange, arrivé avec des nouvelles du 5 de Constanti
nople, nous annonce que l’opinion générale, en Crimée, est que le prince Gortschakoif veut tenter une nouvelle attaque. Un indice qui ne peut manquer d’avoir une signification, c’est la prolongation du séjour de l’empereur de Bussie aux environs du théâtre de la guerre. Au lieu de retourner à Saint-Pétersbourg, comme on l’avait annoncé, le Czar est reparti, le 5 novembre, d’Odessa pour Nikolaïelf.
Les généraux alliés sont sur leurs gardes, et dans un ordre du jour ou le général Simpson se plaint des nombreu
ses demandes de congé qui lui ont été adressées par les officiers de son armée, il leur rappelle «qu’ils sont toujours en présence d’un ennemi puissant. »
Le Journal des Débats rend compte de l’installation du nouveau lord maire de la cité de Londres. Cette installation a eu lieu vendredi, au milieu d’une émotion extraordinaire,
même en pareille circonstance. La situation générale des affaires, la position personnelle du nouveau lord-maire, qui appartient, comme on sait, au culte isiaéiite et qui est le
premier de cette religion qui ait été appelé à ces hautes fonctions, tout contribuait à donner à cette cérémonie un intérêt inaccoutumé.
M. de Persigny, ambassadeur (1e France, en réponse au toast porté à l’Empereur, a rappelé l’alliance dés deux na
tions et les grands résultats qu’on devait attendre de si grandes forces réunies; il termine en portant un toast aux ministres delaBeine. Lord Palmerston a répondu d’un ton ferme et belliqueux qui a soulevé de nombreux applaudisments.
Au sujet des contestations qui s’étaient élevées entre le Danemark et les Etats-Unis sur le péage du Sund, il y a eu plusieurs publications, et le gouvernement danois a fait re
mettre aux diplomates qui doivent délibérer sur cetle question un mémoire qui indique à quel point de vue la France s’est placée dans cet examen ; on le compare avec la posi
tion prise par les Etats-Unis. On paraît vouloir faire inter
venir l’Autriche dans cette affaire en qualité d’alliée des puissances occidentales, mais on lient à Vienne à s’y enga
ger le moins possible, parce que l’Autriche n’a dans l’affaire qu’un intérêt des plus minces, tandis que d’autres Etats allemands y sont fort intéressés.
En Espagne, les affaires des carlistes prennent de [dus en plus mauvaise tournure.
Le général Canrobert a été reçu en audience solennelle, à Stockholm, par le roi de Suède, et a remis à S. M. une lettre de l’empereur Napoléon Ut, ainsi que les insignes de graud’croix de la Légion d’honneur.
Le général a été conduit au palais dans un carrosse de gala de la cour, attelé de huit chevaux.
Nous publierons, dans le prochain numéro, le compte rendu de la distribution des récompenses de l’Exposition universelle, laquelle se passe à l’heure où nous mettons sous presse. Ce récit sera illustré par une grande gravure qui attestera l’aspect imposant de cette cérémonie.
Paulin.
Courrier de Paris.
Prenez garde qu’un ouragan musical passe en ce moment sur Paris ; or, au milieu de ce vacarme, on vous défie bien d’entendre le bourdonnement des autres petites nouvelles.
En France, où tout finit par des chansons, on ne pouvait mieux clore cette merveilleuse Exposition que par uu con
cert encore plus merveilleux, et naturellement la musique a profité de la circonstance pour faire parler d’elle au dé
triment de l’industrie et de ses récompenses. J’embrasse ma rivale, et c’est pour l’étouffer! telle est sa manière d’agir. Non-seulement, avons-nous dit, le concert à tout rompre aura plusieurs lendemains, mais des fanatiques croient avoir trouvé un moyen de l’éterniser. Le local étant donné, et donné gratis, le fameux tourniquet reprendrait ses opérations, et l’on n’aurait plus qu’à dire au public du dimanche et des autres jours : Suivez, suivez la foule ! Qu’on se hâte donc de mettre Paris en musique, c’est le seul moyen d’empêcher que le vide s’y fasse trop prompte
ment, car le moment approche où il sera réduit à son mil
lion d’indigènes, et où il n’y aura plus dans Borne que des Bomains. C’est alors qu’il sera possible de s’y reconnaître et de procéder à la mise en scène de notre hiver que l’on veut faire beau, fastueux, splendide, éclatant. Il s’agit de semer le plus d’argent possible en plaisirs afin que cet ar
gent arrive aux mains du besogneux sous forme de salaire, puisqu’il est bien entendu que le luxe du riche, c’est le pain du pauvre. Mais quel fruit lui revient-il de tous ces sacrifices à la mode? diront encore certains utilitaires; c est tout au plus si l’artisan lui-même recueille quelques miettes de ces superbes galas. Ne voyez-vous pas que vos largesses ne pro
fitent guère qu à un gros de fournisseurs, 1 aristocratie de la profession, et que les plus magnifiques d’entre vous ne réussissent guère qu’à enrichir promptement certains carros
siers, certains bijoutiers, certaines couturières, et même certains usuriers? Laissez dire ces déclamateurs, l’élan est donné, c est l’essentiel. L’émulation règne dans les hauts
rangs, où le chiffre dépenses grossit à vue d’œil, et de la manière la plus rassurante pour la prospérité du commerce. Quelques coquetteries féminines en sont déjà à pré
méditer l’extension de leur budget, quitte à se jeter dans les emprunts si les crédits ordinaires ne suffisent plus, et en laissant aux maris le soin de rétablir l équilibre.
L’Exposition porte ses fruits ou ses ravages partout; l’exemple suivant vient de trop bon lieu pour qu’on ne l’i­
mite pas. Il y a quelque part un jeune ménage très-riche et très-épris. Quand Monsieur adore Madame, les fournisseurs s’en ressentent, l’amour est trop aveugle pour voir bien clair à leurs mémoires. Cependantle chiffre des acquisitions faites par la jeune épouse était devenu si formidable qu’on dut recourir à un stratagème pour le faire agréer.... Mais peut-être connaissez-vous déjà cette histoire, bien qu’elle date d’hier........ Une femme qui se sent aimée est capable de tout; et c’est pourquoi M e de C. B... se fit le front rêveur en affectant des airs penchés et mélancoliques; on si
mula même plusieurs migraines, et l’on s’enferma assez bruyamment dans sa chambre, le verrou tiré, connue pour y lire quelque correspondance secrète ; bref, le mari finit par ramasser une suscription accusatrice, et il éclata. L’explica
tion qui s’ensuivit pouvant passer pour un demi-aveu ; voilà M. le comté, — car c’est un comte, — tout à fait convaincu de son malheur, et s’écriant naturellement qu’il aurait tout pardonné excepté, cela. Donnez-moi ces papiers, Madame ! — Qu’exigez-vous ? c’est à mourir de honte ! — Or, la cor
respondance amoureuse, c’était un déluge de factures; il yen avait pour une centaine de mille francs; comment ne pas s’estimer trop heureux d’en être quitteà si bon marché? Vous pensez bien que dans un certain monde cette petite malice cousue de fd blanc fait une notable diversion à la question
d’Orient, On y parle aussi d’une altercation survenue à la chasse; la politique étant étrangère à l’événement, rien ne s’oppose à ce que la petite chronique en fasse son profit, un bien petil profit. L’autre jour, M. de ***, l’un de nos plus grands seigneurs du turf et de la vénerie, donnait à quel
ques amis, tant français qu’étrangers, le plaisir d’une chasse à courre sur ses domaines, lorsque dans la mêlée un des lévriers, cherchant la piste, trouva sur son passage la jambe de sir M..., qu’il se mit à mordre à belles dents. —Ne craignez rien, s’écria M. de ***, mon chien ne mord pas. — Mais le gentleman, qui venait d’abattre le coupable d’un coup de crosse, ayant répondu : «N’ayez pas peur, Monsieur, je ne bats jamais les chiens. » Il en résulta un mal
entendu, puis une explication qui n’expliqua rien, et enfin un geste trop vif du gentleman français, lequel se serait dé
barrassé de son cigare d’une manière inusitée, en s’attirant les mêmes représailles du noble anglais. Malgré l’inlervention des assistants, l’affaire devenait grave et l’entente cor
diale entre gens de cœur et d’esprit courait risque d’être fortement troublée, si l’un des témoins ne l’eùt rétablie par cet à-propos : Messieurs, aurait dit cet homme de bon sens, chacun de vous ayant essuyé le feu de sou adversaire, l’honneur est satisfait. »
S’il vous iaut absolument des informations d un interet plus général, apprenez que Jenny Lind, présentement M“e Goldscbmith, est de passage à Paris. La cantatrice illustrée par tant de triomphes chez les peuples les plus lyri
ques (nous ne parlons pas des Américains), s’obstinerait, dit-on, à priver les Parisiens du charme de sa voix. Ou lui avait trouvé cependant un emplacement vaste comme sa re
nommée, et où son rare talent eût pu se développer en toute liberté. Malheureusement les plus vives instances n’ont pu triompher de sa modestie. Quant à M“* Bachel, puisqu’on a gardé la mauvaise habitude de s’occuper de cette ingrate, il
serait difficile de dire ce qu’elle est devenue. Il n’est pas jusqu’aux journaux de l’Union qui ne commencent à perdre cette trace illustre. Les habitants de New-York la croient à Boston ; ceux de Boston parlent de ses prouesses à Philadel
phie. L’un de ces grands carrés de papier assure même que notre tragédienne aurait déporté son roman comique à la tlavane. Quant aux historiographes chargés de . tenir le monde au courant de ces conquêtes et de mettre au net toute cette gloire, leur silence ferait supposer quelque grave échec; et la conclusion qu’en tirent les amis de nos amis, c’est que le reloue est chose aussi certaine que prochaine.
Encore une fois on va vous donner des nouvelles qui n’en sont plus : c’est ou ce serait la formation d’un club gi
gantesque, espèce de phalanstère de bonne compagnie, un peu restaurant, un peu cercle, un peu Athénée, un peu de toul, où, en vertu d’une innovation aussi ingénieuse qu’elle est encore mystérieuse , les associés trouveront le bonheur au plus juste prix. C’est un autre bonheur que vous promet l’annonce suivante : « Rue de Rivoli, labié d’hôte à six heures, avec soirée : société choisie : l’établissement s’est assuré le concours de littérateurs distingués pour soutenir la conversation. »
Venons au sérieux pour ceux qui l’aiment. Il ne faut plus dire avec Rivarol que les Mécènes d’aujourd’hui sont les Midas d’autrefois, il y aurait du moins plus d’une ex
ception à faire. Un homme aussi éminent par sa fortune que par son savoir, et qui est trop bien né pour attacher le grelot de la publicité aux encouragements qu’il donne aux lettres, a conçu, dit-on, le projet d’une Bibliothèque uni
verselle de l’esprit humain, vaste cadre que les écrivains contemporains seraient appelés à remplir. La seule garantie qu’on demanderait à chaque collaborateur, c’est quelque notoriété acquise dans la profession. Nous voilà bien loin de ces prix fallacieux qui encouragent au métier beaucoup trop d’honnêtes esprits qu’il en faudrait plutôt décourager. On ne saurait croire en effet combien fa France compte d’é­ crivains qui réussissent fort bien à faire mauvais ; de
mandez plutôt aux examinateurs du conconrs-Véron. Je ne sais trop s’il appartient au gouvernement d’encourager les lettres, et si sa protection ne leur serait pas plus nuisi
ble qu’utile; dans tous les cas, aucune ne pourrait être plus digne de son initiative qu’une Bibliothèque universelle, il y a soixante ans que l’institut en présenta le plan au Di
rectoire par l’organe de Cabanis. Les événements, comme on dit, ne permirent pas de donner suite au projet. Bien avant l’Institut, c’est-à-dire vers 1660, Pellisson avait eu le même dessein, et son plan, communiqué au surintendant Fouquet, existe encore sous ce titre qu’on croirait trouvé d’hier : Mémoire sur quelques travaux à proposer aux gens de lettres et pour leur venir en aide. L’auteur y in
vitait le roi à faire faire, par une association de bons écri
vains dans tous les genres, une histoire des arts, des sciences et de la langue, et non pas, dit-il, une·de ces encyclopé
dies comme on en a trop déjà. « Ces travaux, pour avoir leur utilité, tiennent presque toujours beaucoup moins qu’ils ne promettent ; leur sécheresse est telle que l’esprit rie trouve rien qui le mène à l’utilité par le plaisir, et il est triste de s’apercevoir, à la fin de sa lecture, qu’en croyant y avoir tout appris on ne sait rien. »
N’allons pas oublier plus longtemps les inventions utiles de cetle semaine, ce qui s’entend d’inventions qui ne ser
viront à rien. Un de ces chercheurs, qui par malheur appar
tient évidemment à la catégorie de ceux qui ne trouvent jamais, vient de pousser un cri d’humanité qui n’est que le cri de son invention en détresse. Usant du procédé de Per
rin Dandin, qui calcule si bien le foin que peut manger une poule en un jour, notre philanthrope invite ses conci
toyens à manger le moins possible, moyen infaillible pour combler le déficit des céréales. (1 n’ajoute pas, mais on de
vine qu’il est convaincu que l’abondance aura reparu le jour où personne ne mangera plus du tout. Un autre, per
suadé que nos pères les Gaulois se nourrissaient de glands dans leurs forêls druidiques, est parvenu à en extraire des parties nutritives qui assurent à chacun sa subsistance :