ô philosophe, serait-ce la vôtre ? In troisième (quand nous serons à dix...), qui n’a pas inventé la poudre puisqu’il en restreint considérablement l’usage, s’étonne qu’on ait re
cours à ce produit infernal pour ouvrir de nouvelles voies : à quoi bon l’employer pour percer le roc et aplanir les montagnes? est-ce qu’Annibal n’a pas eu raison des Alpes au moyen de r/uelques tonnes de vinaigre ? Quelle découverte! et nous en verrons bien d’autres.
Le Cirque ou Théâtre-National, qui n’a plus d’équestre que son nom, continue à enjamber l’iiistoiie de France et à l’interpréter selon la fantaisie de ses dramaturges, au risque de s’entendre dire qu’il tourne toujours dans le même... cirque. L’autre soir il mettait en drame à grand spectacle la disgrâce du surintendant Fouquet. l.a pièce de -VI. Dennery prouve une fois de plus que les causes de la mésaventure de Fouquet n’ont jamais été bien éclaircies; on ne sait pas davantage à quoi s en tenir sur sa destinée linale ; en d’autres termes, son extrait mortuaire n’est pas en règle. Si la correspondance de Louvois constate le décès de Fouquet à Pignerol, Voltaire l’a tiré vivant de cette ci
tadelle pour l’envoyer aux îles Marguerite, comme atteint et convaincu d’avoir été l’homme uu masque de fer. Plus miséricordieux que cette biographie contradictoire, VI. Dennery a logé Fouquet au donjon de Vincennes, où le surin
tendant fut en ëffet transporté après son arrestation. La tra
dition prétend encore que Fouquet fut arrêté à Nantes, où Letellier l’attira comme dans un piège; mais M. Dennery n’en croit rien. Il a trouvé plus commode et surtout beaucoup plus dramatique de faire appréhender le grand cou
pable, qui n’est ici qu’un grand innocent, dans son château de Vaux-le-Vicomte, au beau milieu de la fameuse fêle qu’il y donna, et qui coûta si cher au surintendant, puisqu’elle motiva sa perte.
Faut-il voir dans cet infortuné un conspirateur qui en voulait à l’autorité royale, ou un déprédateur vulgaire de la for
tune publique? Doit-on croire qu’il ail fortifié. Belle-tsle pour y tenir la royauté prisonnière en ressuscitant les us et coutumes de la Fronde, ou bien se borna-t-il à traiter l’argent du roi comme son propre argent? C’est une autre ques
tion que M. Dennery a laissée dans la coulisse. Le Fouquet glorieux et le Fouquet misérable, tel est le contraste qui lui suffit, et pour enluminer ce contraste tous les moyens lui semblent bons. I.ien de plus dramatique en effet que ce personnage de Fouquet. D’abord il fut l’homme, le plus gé
néreux de son temps, généreux comme un voleur, aurait dit Figaro. Très-bien vu des femmes, aimé, pour lui-même,
s il faut en croire Bussi-Rabutin, d’une des plus belles, qui fut aussi la plus spirituelle de toutes, ses largesses lui assu
jettirent les courtisans, et ses attentions lui conquirent nom
bre de beaux esprits, lesquels, à l’éternel honneur des lettres, furent jusqu’au dernier moment fidèles à sa mauvaise fortune. L’exemple de Fouquet apprit peut-être à Louis XIV l’art de protéger les gens de lettres, et le jeune roi éprouva le dépit d’envier chez son ministre bien d’autres fastes qu il allait imiter. Les grandes façons du souverain de Vauxle-Vicomte effaçaient celles du jeune monarque, seigneur de ce Versailles, qui n’était encore qu’un vide-bouteille. Dans son château de Vaux, Fouquet se donna aux yeux de son maître tous les torts d’une magnificence qu’on ne lui par
donna pas. Ce liichelieu-surinlendant n’avait-il pas (ont pris au fils de Louis XIII? Levau était son architecte, son peintre,
c’était Lebrun, et son jardinier Lenôtre. Molière lui faisait ses divertissements, et la Fontaine lui dédiait ses vers. Le roman du jour, le roman à la mode, l’incomparable Idélie, ne célébrait que le roi de Vaux; il ne restait plus au té
méraire qu’à disputer au roi sa maîtresse, et alors la me
sure fut comblée. Le portrait de M * de lavallière, trouvé par Louis XIV dans l’alcôve de Fouquet, fut l’occasion de cette vengeance, dont Colbert se lit l’instrument.
Nous sommes trop loin du drame de VI. Dennery, ce drame d’ailleurs a des allures trop capricieuses pour qu’il soit possible de le suivre. Toutes les idées admises sur Fouquet y sont détruites de fond en comble ; on ne saurait dé
molir plus proprement une biographie. Les malheurs du Fouquet de ce donjon de Vincennes ne sont plus que les malheurs d’un amant trop heureux. Il est aimé de M1 de. la Vallière, et le roi, son rival, l’a fait arrêter; mais l’amour, qui veille, sur lui, entre par la fenêtre du cachot, et nous avons une délivrance par échelle,de corde; mais la corde est trop courte, et le prisonnier reprend sa chaîne ; ce que c’est que de ménager la ficelle ! Après mille et une mésa
ventures imitées des infortunes de Latude, Fouquet rentre en grâce, et les spectateurs satisfaits peuvent rêver avec l auteur qu’il a épousé \IUe de la Vallière. Cette pièce his
torique mérite d’être jouée cent fois de suite, rien que. pour son premier tableau, qui est bien le plus merveil
leux qu’on puisse voir : cette autre fête du château de Vaux eût fait envie au grand roi lui-même.
Philippe Busoni.
Chronique musicale.
Au Barbier de Séville le Théâtre-Italien a fait succéder Otello. Il serait plus exact de dire : une assez grande par
tie dOtello, car il est d’usage maintenant de ne jamais jouer un ouvrage tout entier. Tous ceux que nous avons vus jusqu’à présent défiler sur la scène étaient plus ou moins mu
tilés. On dirait une revue d’invalides. Otello a donc coupé sans façon une partie du beau récitatif qui précède sa cavatine, et qui paraissait le fatiguer prodigieusement. ,fe suis loin de l’en blâmer : je ne désire, pas qu’Otello se fatigue.
Le pauvre homme! je ne lui souhaite aucun mal, assurérnenl. Je me borne à constater le fait. lago el Rodrigo son ami ont fait tout le contraire iis ont dit le récitatif, et ont supprimé leur duo. Puis est venue Desdemona, précédée d’une ritournelle magnifique, très-largement développée,
empreinte au plus haut degré de cette couleur sombre et fatale que l’auteur a répandue sur toute sa partition. L’or
chestre, qui aime ses aises (il a parbleu! bien raison), a passé la seconde moitié de la ritournelle ; et je. ne vous con
seille pas de. le trouver mauvais, car il passerait également la première. L’orchestre est tranquille et rangé : il aime à se coucher de bonne heure. Desdemona, d’ailleurs, n’a- t-elle pas la générosilé. d’ajouter à son rôle une cavatlne inconnue, qui a bien l air d’être de Donizetti? Elle n’a au
cun rapport de style avec l’œuvre de Bossini : tant mieux !
Elle égayera un peu cetle partition lugubre, et y jettera de la variété. A ce. point de vue elle, remplacera avantageuse
ment le petit duo : Vorrei elle il tuo pensiero, où l’orches
tre, comme un oiseau de mauvais présage, fait entendre à Desdemona, quatre fois de suite, l’accord sinistre sur lequel son père va bientôt la maudire.
Il ne faut pas prévoir les malheurs de si loin.
A quoi bon d’ailleurs le récitatif qui amène ce duo, ré
citatif où Desdemona raconte qu’elle, a voulu envoyer à Otello une mèche de ses cheveux, que son père l’a sur
prise , qu’elle lui a laissé croire que ce gage d’amour était destiné à Rodrigo, et que, n’ayant pu encore rien expli
quer à son amant, elle a peur qu’il ne la croie infidèle ? Ce récit prépare la catastrophe, puisque les cheveux sont entre, les mains d’Iago ; il rend la jalousie d’Otello naturelle, et presque légitime : mais nous sommes fort au-dessus de ces misères-là. il s’agit, avant tout, et à tout prix, d’abréger la pièce.
Cela étant, on ne comprend pas trop pourquoi Rodrigo vient chanter, au commencement du second acte., un petit air guilleret de Ricciardo e Zoraide, et l’on ne voit pas quel sujet il a de se réjouir ainsi. A la vérité, il y a un air dans la partition : mais il exprime très-éloquemment la douleur de l’amour méconnu, qui vient de perdre sa dernière espérance :
Ah ! corne mai non senti Pictà de’ miei tormenti !
Rodrigo, j’en conviens, ferait mieux de ne rien dire du tout :
Le bruit est peur le fat, la plainte est pour le sot.
Mais, s’il tenait absolument à chanter en ce moment-là l’air de la partition avait du moins le mérite d’être dans sa situation et dans son caractère.
Après tout, le second acte a été un peu pins respecté par ces messieurs que le premier. Ils n’en ont eoupé que seize mesures dans le duo entre Otello et son rival, et quarantedeux dans le trio. C’est une vétille.
Au troisième acte, ils ont raccourci de soixante mesures le duo entre Otello et Desdemona, et supprimé les deux dernières scènes, qui sont de celles où llossini a déployé le plus de génie dramatique. Mais cette barbare mutilation est depuis longtemps déjà passée en usage. Nous ta devons, si je ne me trompe, à Rubini, qui n’était pas fort sur l’action et sur la pantomime.
fl faut convenir que les Italiens, en général, traitent leurs grands hommes un peu cavalièrement. Lue chose cepen
dant les excuse : c’est qu’ils ne sont pas bien sûrs que ce soient réellement de grands hommes. En Italie le style à la mode change tous les quinze ans. Après chaque révolution, tout ce qui a précédé, tout ce qui appartient à l’ancien ré
gime est mis, comme on dit vulgairement, au rancart, et oublié presque aussitôt. Les chanteurs, qui ne font plus que des études très-superficielles, s’approprient, tant bien que
mal, les procédés, les ficelles du style le plus moderne, et font leur carrière avec cinq ou six rôles qu’ils chantent par
tout, jusqu’à ce qu’ils aient perdu la voix, ce qui ne tarde guère. Tous les jeunes artistes, aujourd’hui, sont dressés à chanter M. Verdi, et plusieurs le chantent fort bien. Mais il ne faudrait pas leur demander autre ciiose. Le public parisien, qui n’a pas encore perdu le goût de l’ancien réper
toire, leur paraît bien exigeant, bien arriéré. Nous som
mes, à leurs yeux, de vieilles perruques. Comme ils n’ont aucune idée du style ancien, qu’ils en ignorent les traditions, qu’ils n’en ont pas les procédés, ils exécutent pres
que toujours à contre-sens la musique d’autrefois, la chantent sans émotion, n’en font naître aucune dans leur audi
toire, et la croient dépourvue de chaleur parce qu’ils y sont froids. C’est ce qui arrive à M. Carrion, à M. Neri-Baraldi, à M. Graziani, et même à M“c Penco, quoique les femmes,
pour la plupart, aient plus d instruction musicale que les hommes.
M”* Penco est une artiste de mérite. Sa voix est belle, étendue, sonore, et agréable surtout dans l’octave la plus grave. Ses notes aiguës ont parfois de la dureté. Sans être une vocaliste remarquable, elle a une agilité suffisante.
Elle exécute proprement les traits dont le rôle de Desdemona est rempli, lesquels, à la vérité, ne sont pas matériellement très-difficiles. Mais elle n’y met pas l’accent, la cou
leur, l’expression qui leur sont propres. Elle ne se doute
pas que, dans la musique de Rossini, les doubles-croches ne sont pas un vain exercice du larynx, qu’elles ont un sens, qu’elles exigent beaucoup de variété, beaucoup de nuances, une passion ardente et profonde. Voilà ce que tous les chanteurs italiens savaient il y a trente ans, et ce qu’aucun ne sait aujourd’hui.
M. Neri-Baraldi, que nous avons vu à l’Opéra l’année dernière, a une voix charmante et d’une émission excel
lente, — en quoi il l’emporte beaucoup sur M. Carrion. — Il dit fort bien son solo, dans le larghetto du final, et son air de Ricciardo e Zoraide ; il se tire du duo et du trio du second acte, ou du moins de ce qui est resté de ces deux
morceaux, avec les honneurs de la guerre. C’est un trèsbon Rodrigo, et il y a longtemps que nous n’avions eu son pareil, fl rendra, sans aucun doute, de grands services au Théâtre-Italien, si Ton sait le mettre à sa place.
Des autres théâtres lyriques il n y a, pour le moment,
rien à dire. On assure que l’Opéra prépare un ballet. Au grand théâtre de Berlin on a joué avec un religieux respect,- et un effet immense, Vldoménée de Mozart, chef-d’œuvre dont le public dilettante ne connaît, chez nous, qu’un fragment admirable, et cela, grâce à la société des concerts du Conservatoire. Berlin a pu récemment applaudir ce grand ouvrage que Mozart estimait presque à l’égal de Don Giovanni. Heureux Berlinois!
Nous allons avoir un concert-mowsire dans une sallemonstre : douze cents exécutants au palais de l’Industrie. Mais il sera déjà fini et les cahiers repliés, et les violons rentrés dans leurs boîtes, quand ces lignes arriveront à nos lecteurs. En attendant nous avons eu le concert de M. Herz, avec accompagnement de piano, — je parle d’un beau piano mis en loterie et gagné parmi des billets qui n’avaient pas été placés. M. Herz, qui n’en a pas voulu avoir le dé
menti, en a fait don aux bénéficiaires du concert, c’est-à-dire aux veuves et aux orphelins de notre vaillante armée d’O- rient. — Dans cette soirée, intéressante à tant de titres, M. Herz a exécuté trois morceaux inédits de sa composition,
savoir : une tarentelle, une fantaisie sur des thèmes de ΓEtoile du Nord, et Γamiante d’un concerto. En ajoutant que ces trois ouvrages ont fait éclater les plus vifs applau
dissements, adressés à la fois au compositeur et au virtuose, je suis bien sûr de n’étonner personne.
MM. Maurin, Chevillard, Mas et Sabatier n’ont pas attendu cette fois l’époque habituellement consacrée aux réunions musicales. Ils ont donné une première séance de quatuors le jeudi 8 novembre. On sait qu’ils se sont consacrés à l’exé
cution des dernières œuvres instrumentales de Beethoven, de celles où ce grand homme, las de tourner toujours dans le même cercle, se mit à chercher des voies nouvelles avec celte volonté ardente et opiniâtre quia rendu son génie si puissant. Ils oui fait entendre deux quatuors et un trio, qu’ils ont joués avec leur exactitude scrupuleuse, leur préci
sion, leur distinction, leur zèle, je dirais volontiers leur foi ordinaires. Ali! ces artistes-là, je vous le garantis, n’ont
rien de commun avec les chanteurs italiens d’à-présent. il semble que Beethoven soit un Dieu pour eux, un Dieu dont ils sont les prêtres, et dont ils travaillent à propager le culte.
Quelle conviction profonde ! quelle adoration fervente! quels élans passionnés ! Et quel plaisir de se laisser emporter, sur l’aile de leur inspiration, dans les régions inexplorées que
parcourt, un peu au hasard, le sublime rêveur dont ils sont les interprètes ! Ils s’étaienl adjoint, dans cette séance, un pianiste de, quatorze ou quinze ans, un enfant, le jeune Théodore Ritter, que l’auditoire a jugé digne de figurer à côté d’eux, et qui a partagé leur succès.
MUe Judith Lion s’est fait entendre plus récemment encore sur le piano et sur l’un de ces harmonieux instruments que fabrique VI. Alexandre. Elle est donc pianiste et orga
niste connue l’étaient tous les maîtres d’autrefois. C’est uu talent essentiellement féminin, je veux dire plein de finesse et d’élégance.
— Parmi les nombreux pianos qui ont figuré à l’Exposi
tion , il en est un qui, malheureusement, y est arrivé Irop tard pour être présenté au concours, el qui, par cela même, mérite d’être signalé d’une manière tome spéciale à l’atten
tion du public. Ce n’est pas un piano comme uu autre. Il offre à l’exécutant deux mécanismes complètement indépendants. L’un est inférieur, c’est celui des pianos ordinaires. L’autre est supérieur, et frappe les cordes en dessus, au lieu de les frapper en dessous.
Une pédale ajoutée permet de faire jouer simultanément les deux mécanismes. Le supérieur fait entendre alors l’octave grave de chaque note attaquée par le mécanisme inférieur, et l’exécutant double ainsi sans aucun effort la sonorité de l’instrument.
Ce piano présente une autre amélioration qui me paraît bien plus importante et bien plus féconde. Le pianissimo s’y oblient d’une tout autre manière que dans les pianos ordinaires. C’est une pédale qui le produit. Mais cette pédale, au lieu de déplacer les louches, rapproche les marteaux inférieurs des cordes qu’ils doivent frapper. On com
prend sans peine que, le coup est moins fort à mesure que le marteau est plus voisin de la corde. Et comme le méca
nisme inférieur s’élève ou s’abaisse selon que la pression du pied augmente ou diminue, l’exécutant n’a plus seulement à sa disposition le contraste du piano et du forte, connue autrefois, mais toutes les nuances intermédiaires.
.11 peut passer des sons les plus doux aux sons les plus forts, et réciproquement, par une gradation presque insensible. Il peut colorer son jeu de mille manières. En un mot, grâce à cette idée si simple et si ingénieuse de la mobilité des marteaux, tous les degrés du crescendo et du decrescendo seront désormais à la disposition de l’exécutant, et le piano va devenir enfin ce qu’il n’avait jamais été jusque présent, un instrument réellement expressif.
Rien n’est changé d’ailleurs ni dans sa forme, ni clans ses proportions, et son accord est soumis aux mêmes lois que celui des pianos ordinaires.
Les artistes apprécieront aisément ces ressources nouvelles, et tout le parti qu’ils peuvent tirer de l a double per
cussion dans les grandes salles de concert, où la sonorité du piano ordinaire est. presque toujours insuffisante.
Ce curieux instrument sort des ateliers de la maison Pfeyel, et des mains de M. Schaïrer, qui, après y avoir tra
vaillé longtemps sous la direction du savant et ingénieux artiste dont on ne saurait trop déplorer la perte, vient de l’achever enfin sous les yeux de VI. Wolff, son habile continuateur.
On nous prie d’annoncer le cours de musique d’ensem
ble, pour le piano, de M“* Clara Pfeiffer, qui vient d’être rouvert le 12 novembre, rue de Richelieu, 95, dans les sa
lons de la succursale, de MM. Pfeyel et Cie. L’utilité de ce cours saute aux yeux , et le talent du professeur n’a pas besoin de re ommandation.
G. Héquet.
cours à ce produit infernal pour ouvrir de nouvelles voies : à quoi bon l’employer pour percer le roc et aplanir les montagnes? est-ce qu’Annibal n’a pas eu raison des Alpes au moyen de r/uelques tonnes de vinaigre ? Quelle découverte! et nous en verrons bien d’autres.
Le Cirque ou Théâtre-National, qui n’a plus d’équestre que son nom, continue à enjamber l’iiistoiie de France et à l’interpréter selon la fantaisie de ses dramaturges, au risque de s’entendre dire qu’il tourne toujours dans le même... cirque. L’autre soir il mettait en drame à grand spectacle la disgrâce du surintendant Fouquet. l.a pièce de -VI. Dennery prouve une fois de plus que les causes de la mésaventure de Fouquet n’ont jamais été bien éclaircies; on ne sait pas davantage à quoi s en tenir sur sa destinée linale ; en d’autres termes, son extrait mortuaire n’est pas en règle. Si la correspondance de Louvois constate le décès de Fouquet à Pignerol, Voltaire l’a tiré vivant de cette ci
tadelle pour l’envoyer aux îles Marguerite, comme atteint et convaincu d’avoir été l’homme uu masque de fer. Plus miséricordieux que cette biographie contradictoire, VI. Dennery a logé Fouquet au donjon de Vincennes, où le surin
tendant fut en ëffet transporté après son arrestation. La tra
dition prétend encore que Fouquet fut arrêté à Nantes, où Letellier l’attira comme dans un piège; mais M. Dennery n’en croit rien. Il a trouvé plus commode et surtout beaucoup plus dramatique de faire appréhender le grand cou
pable, qui n’est ici qu’un grand innocent, dans son château de Vaux-le-Vicomte, au beau milieu de la fameuse fêle qu’il y donna, et qui coûta si cher au surintendant, puisqu’elle motiva sa perte.
Faut-il voir dans cet infortuné un conspirateur qui en voulait à l’autorité royale, ou un déprédateur vulgaire de la for
tune publique? Doit-on croire qu’il ail fortifié. Belle-tsle pour y tenir la royauté prisonnière en ressuscitant les us et coutumes de la Fronde, ou bien se borna-t-il à traiter l’argent du roi comme son propre argent? C’est une autre ques
tion que M. Dennery a laissée dans la coulisse. Le Fouquet glorieux et le Fouquet misérable, tel est le contraste qui lui suffit, et pour enluminer ce contraste tous les moyens lui semblent bons. I.ien de plus dramatique en effet que ce personnage de Fouquet. D’abord il fut l’homme, le plus gé
néreux de son temps, généreux comme un voleur, aurait dit Figaro. Très-bien vu des femmes, aimé, pour lui-même,
s il faut en croire Bussi-Rabutin, d’une des plus belles, qui fut aussi la plus spirituelle de toutes, ses largesses lui assu
jettirent les courtisans, et ses attentions lui conquirent nom
bre de beaux esprits, lesquels, à l’éternel honneur des lettres, furent jusqu’au dernier moment fidèles à sa mauvaise fortune. L’exemple de Fouquet apprit peut-être à Louis XIV l’art de protéger les gens de lettres, et le jeune roi éprouva le dépit d’envier chez son ministre bien d’autres fastes qu il allait imiter. Les grandes façons du souverain de Vauxle-Vicomte effaçaient celles du jeune monarque, seigneur de ce Versailles, qui n’était encore qu’un vide-bouteille. Dans son château de Vaux, Fouquet se donna aux yeux de son maître tous les torts d’une magnificence qu’on ne lui par
donna pas. Ce liichelieu-surinlendant n’avait-il pas (ont pris au fils de Louis XIII? Levau était son architecte, son peintre,
c’était Lebrun, et son jardinier Lenôtre. Molière lui faisait ses divertissements, et la Fontaine lui dédiait ses vers. Le roman du jour, le roman à la mode, l’incomparable Idélie, ne célébrait que le roi de Vaux; il ne restait plus au té
méraire qu’à disputer au roi sa maîtresse, et alors la me
sure fut comblée. Le portrait de M * de lavallière, trouvé par Louis XIV dans l’alcôve de Fouquet, fut l’occasion de cette vengeance, dont Colbert se lit l’instrument.
Nous sommes trop loin du drame de VI. Dennery, ce drame d’ailleurs a des allures trop capricieuses pour qu’il soit possible de le suivre. Toutes les idées admises sur Fouquet y sont détruites de fond en comble ; on ne saurait dé
molir plus proprement une biographie. Les malheurs du Fouquet de ce donjon de Vincennes ne sont plus que les malheurs d’un amant trop heureux. Il est aimé de M1 de. la Vallière, et le roi, son rival, l’a fait arrêter; mais l’amour, qui veille, sur lui, entre par la fenêtre du cachot, et nous avons une délivrance par échelle,de corde; mais la corde est trop courte, et le prisonnier reprend sa chaîne ; ce que c’est que de ménager la ficelle ! Après mille et une mésa
ventures imitées des infortunes de Latude, Fouquet rentre en grâce, et les spectateurs satisfaits peuvent rêver avec l auteur qu’il a épousé \IUe de la Vallière. Cette pièce his
torique mérite d’être jouée cent fois de suite, rien que. pour son premier tableau, qui est bien le plus merveil
leux qu’on puisse voir : cette autre fête du château de Vaux eût fait envie au grand roi lui-même.
Philippe Busoni.
Chronique musicale.
Au Barbier de Séville le Théâtre-Italien a fait succéder Otello. Il serait plus exact de dire : une assez grande par
tie dOtello, car il est d’usage maintenant de ne jamais jouer un ouvrage tout entier. Tous ceux que nous avons vus jusqu’à présent défiler sur la scène étaient plus ou moins mu
tilés. On dirait une revue d’invalides. Otello a donc coupé sans façon une partie du beau récitatif qui précède sa cavatine, et qui paraissait le fatiguer prodigieusement. ,fe suis loin de l’en blâmer : je ne désire, pas qu’Otello se fatigue.
Le pauvre homme! je ne lui souhaite aucun mal, assurérnenl. Je me borne à constater le fait. lago el Rodrigo son ami ont fait tout le contraire iis ont dit le récitatif, et ont supprimé leur duo. Puis est venue Desdemona, précédée d’une ritournelle magnifique, très-largement développée,
empreinte au plus haut degré de cette couleur sombre et fatale que l’auteur a répandue sur toute sa partition. L’or
chestre, qui aime ses aises (il a parbleu! bien raison), a passé la seconde moitié de la ritournelle ; et je. ne vous con
seille pas de. le trouver mauvais, car il passerait également la première. L’orchestre est tranquille et rangé : il aime à se coucher de bonne heure. Desdemona, d’ailleurs, n’a- t-elle pas la générosilé. d’ajouter à son rôle une cavatlne inconnue, qui a bien l air d’être de Donizetti? Elle n’a au
cun rapport de style avec l’œuvre de Bossini : tant mieux !
Elle égayera un peu cetle partition lugubre, et y jettera de la variété. A ce. point de vue elle, remplacera avantageuse
ment le petit duo : Vorrei elle il tuo pensiero, où l’orches
tre, comme un oiseau de mauvais présage, fait entendre à Desdemona, quatre fois de suite, l’accord sinistre sur lequel son père va bientôt la maudire.
Il ne faut pas prévoir les malheurs de si loin.
A quoi bon d’ailleurs le récitatif qui amène ce duo, ré
citatif où Desdemona raconte qu’elle, a voulu envoyer à Otello une mèche de ses cheveux, que son père l’a sur
prise , qu’elle lui a laissé croire que ce gage d’amour était destiné à Rodrigo, et que, n’ayant pu encore rien expli
quer à son amant, elle a peur qu’il ne la croie infidèle ? Ce récit prépare la catastrophe, puisque les cheveux sont entre, les mains d’Iago ; il rend la jalousie d’Otello naturelle, et presque légitime : mais nous sommes fort au-dessus de ces misères-là. il s’agit, avant tout, et à tout prix, d’abréger la pièce.
Cela étant, on ne comprend pas trop pourquoi Rodrigo vient chanter, au commencement du second acte., un petit air guilleret de Ricciardo e Zoraide, et l’on ne voit pas quel sujet il a de se réjouir ainsi. A la vérité, il y a un air dans la partition : mais il exprime très-éloquemment la douleur de l’amour méconnu, qui vient de perdre sa dernière espérance :
Ah ! corne mai non senti Pictà de’ miei tormenti !
Rodrigo, j’en conviens, ferait mieux de ne rien dire du tout :
Le bruit est peur le fat, la plainte est pour le sot.
Mais, s’il tenait absolument à chanter en ce moment-là l’air de la partition avait du moins le mérite d’être dans sa situation et dans son caractère.
Après tout, le second acte a été un peu pins respecté par ces messieurs que le premier. Ils n’en ont eoupé que seize mesures dans le duo entre Otello et son rival, et quarantedeux dans le trio. C’est une vétille.
Au troisième acte, ils ont raccourci de soixante mesures le duo entre Otello et Desdemona, et supprimé les deux dernières scènes, qui sont de celles où llossini a déployé le plus de génie dramatique. Mais cette barbare mutilation est depuis longtemps déjà passée en usage. Nous ta devons, si je ne me trompe, à Rubini, qui n’était pas fort sur l’action et sur la pantomime.
fl faut convenir que les Italiens, en général, traitent leurs grands hommes un peu cavalièrement. Lue chose cepen
dant les excuse : c’est qu’ils ne sont pas bien sûrs que ce soient réellement de grands hommes. En Italie le style à la mode change tous les quinze ans. Après chaque révolution, tout ce qui a précédé, tout ce qui appartient à l’ancien ré
gime est mis, comme on dit vulgairement, au rancart, et oublié presque aussitôt. Les chanteurs, qui ne font plus que des études très-superficielles, s’approprient, tant bien que
mal, les procédés, les ficelles du style le plus moderne, et font leur carrière avec cinq ou six rôles qu’ils chantent par
tout, jusqu’à ce qu’ils aient perdu la voix, ce qui ne tarde guère. Tous les jeunes artistes, aujourd’hui, sont dressés à chanter M. Verdi, et plusieurs le chantent fort bien. Mais il ne faudrait pas leur demander autre ciiose. Le public parisien, qui n’a pas encore perdu le goût de l’ancien réper
toire, leur paraît bien exigeant, bien arriéré. Nous som
mes, à leurs yeux, de vieilles perruques. Comme ils n’ont aucune idée du style ancien, qu’ils en ignorent les traditions, qu’ils n’en ont pas les procédés, ils exécutent pres
que toujours à contre-sens la musique d’autrefois, la chantent sans émotion, n’en font naître aucune dans leur audi
toire, et la croient dépourvue de chaleur parce qu’ils y sont froids. C’est ce qui arrive à M. Carrion, à M. Neri-Baraldi, à M. Graziani, et même à M“c Penco, quoique les femmes,
pour la plupart, aient plus d instruction musicale que les hommes.
M”* Penco est une artiste de mérite. Sa voix est belle, étendue, sonore, et agréable surtout dans l’octave la plus grave. Ses notes aiguës ont parfois de la dureté. Sans être une vocaliste remarquable, elle a une agilité suffisante.
Elle exécute proprement les traits dont le rôle de Desdemona est rempli, lesquels, à la vérité, ne sont pas matériellement très-difficiles. Mais elle n’y met pas l’accent, la cou
leur, l’expression qui leur sont propres. Elle ne se doute
pas que, dans la musique de Rossini, les doubles-croches ne sont pas un vain exercice du larynx, qu’elles ont un sens, qu’elles exigent beaucoup de variété, beaucoup de nuances, une passion ardente et profonde. Voilà ce que tous les chanteurs italiens savaient il y a trente ans, et ce qu’aucun ne sait aujourd’hui.
M. Neri-Baraldi, que nous avons vu à l’Opéra l’année dernière, a une voix charmante et d’une émission excel
lente, — en quoi il l’emporte beaucoup sur M. Carrion. — Il dit fort bien son solo, dans le larghetto du final, et son air de Ricciardo e Zoraide ; il se tire du duo et du trio du second acte, ou du moins de ce qui est resté de ces deux
morceaux, avec les honneurs de la guerre. C’est un trèsbon Rodrigo, et il y a longtemps que nous n’avions eu son pareil, fl rendra, sans aucun doute, de grands services au Théâtre-Italien, si Ton sait le mettre à sa place.
Des autres théâtres lyriques il n y a, pour le moment,
rien à dire. On assure que l’Opéra prépare un ballet. Au grand théâtre de Berlin on a joué avec un religieux respect,- et un effet immense, Vldoménée de Mozart, chef-d’œuvre dont le public dilettante ne connaît, chez nous, qu’un fragment admirable, et cela, grâce à la société des concerts du Conservatoire. Berlin a pu récemment applaudir ce grand ouvrage que Mozart estimait presque à l’égal de Don Giovanni. Heureux Berlinois!
Nous allons avoir un concert-mowsire dans une sallemonstre : douze cents exécutants au palais de l’Industrie. Mais il sera déjà fini et les cahiers repliés, et les violons rentrés dans leurs boîtes, quand ces lignes arriveront à nos lecteurs. En attendant nous avons eu le concert de M. Herz, avec accompagnement de piano, — je parle d’un beau piano mis en loterie et gagné parmi des billets qui n’avaient pas été placés. M. Herz, qui n’en a pas voulu avoir le dé
menti, en a fait don aux bénéficiaires du concert, c’est-à-dire aux veuves et aux orphelins de notre vaillante armée d’O- rient. — Dans cette soirée, intéressante à tant de titres, M. Herz a exécuté trois morceaux inédits de sa composition,
savoir : une tarentelle, une fantaisie sur des thèmes de ΓEtoile du Nord, et Γamiante d’un concerto. En ajoutant que ces trois ouvrages ont fait éclater les plus vifs applau
dissements, adressés à la fois au compositeur et au virtuose, je suis bien sûr de n’étonner personne.
MM. Maurin, Chevillard, Mas et Sabatier n’ont pas attendu cette fois l’époque habituellement consacrée aux réunions musicales. Ils ont donné une première séance de quatuors le jeudi 8 novembre. On sait qu’ils se sont consacrés à l’exé
cution des dernières œuvres instrumentales de Beethoven, de celles où ce grand homme, las de tourner toujours dans le même cercle, se mit à chercher des voies nouvelles avec celte volonté ardente et opiniâtre quia rendu son génie si puissant. Ils oui fait entendre deux quatuors et un trio, qu’ils ont joués avec leur exactitude scrupuleuse, leur préci
sion, leur distinction, leur zèle, je dirais volontiers leur foi ordinaires. Ali! ces artistes-là, je vous le garantis, n’ont
rien de commun avec les chanteurs italiens d’à-présent. il semble que Beethoven soit un Dieu pour eux, un Dieu dont ils sont les prêtres, et dont ils travaillent à propager le culte.
Quelle conviction profonde ! quelle adoration fervente! quels élans passionnés ! Et quel plaisir de se laisser emporter, sur l’aile de leur inspiration, dans les régions inexplorées que
parcourt, un peu au hasard, le sublime rêveur dont ils sont les interprètes ! Ils s’étaienl adjoint, dans cette séance, un pianiste de, quatorze ou quinze ans, un enfant, le jeune Théodore Ritter, que l’auditoire a jugé digne de figurer à côté d’eux, et qui a partagé leur succès.
MUe Judith Lion s’est fait entendre plus récemment encore sur le piano et sur l’un de ces harmonieux instruments que fabrique VI. Alexandre. Elle est donc pianiste et orga
niste connue l’étaient tous les maîtres d’autrefois. C’est uu talent essentiellement féminin, je veux dire plein de finesse et d’élégance.
— Parmi les nombreux pianos qui ont figuré à l’Exposi
tion , il en est un qui, malheureusement, y est arrivé Irop tard pour être présenté au concours, el qui, par cela même, mérite d’être signalé d’une manière tome spéciale à l’atten
tion du public. Ce n’est pas un piano comme uu autre. Il offre à l’exécutant deux mécanismes complètement indépendants. L’un est inférieur, c’est celui des pianos ordinaires. L’autre est supérieur, et frappe les cordes en dessus, au lieu de les frapper en dessous.
Une pédale ajoutée permet de faire jouer simultanément les deux mécanismes. Le supérieur fait entendre alors l’octave grave de chaque note attaquée par le mécanisme inférieur, et l’exécutant double ainsi sans aucun effort la sonorité de l’instrument.
Ce piano présente une autre amélioration qui me paraît bien plus importante et bien plus féconde. Le pianissimo s’y oblient d’une tout autre manière que dans les pianos ordinaires. C’est une pédale qui le produit. Mais cette pédale, au lieu de déplacer les louches, rapproche les marteaux inférieurs des cordes qu’ils doivent frapper. On com
prend sans peine que, le coup est moins fort à mesure que le marteau est plus voisin de la corde. Et comme le méca
nisme inférieur s’élève ou s’abaisse selon que la pression du pied augmente ou diminue, l’exécutant n’a plus seulement à sa disposition le contraste du piano et du forte, connue autrefois, mais toutes les nuances intermédiaires.
.11 peut passer des sons les plus doux aux sons les plus forts, et réciproquement, par une gradation presque insensible. Il peut colorer son jeu de mille manières. En un mot, grâce à cette idée si simple et si ingénieuse de la mobilité des marteaux, tous les degrés du crescendo et du decrescendo seront désormais à la disposition de l’exécutant, et le piano va devenir enfin ce qu’il n’avait jamais été jusque présent, un instrument réellement expressif.
Rien n’est changé d’ailleurs ni dans sa forme, ni clans ses proportions, et son accord est soumis aux mêmes lois que celui des pianos ordinaires.
Les artistes apprécieront aisément ces ressources nouvelles, et tout le parti qu’ils peuvent tirer de l a double per
cussion dans les grandes salles de concert, où la sonorité du piano ordinaire est. presque toujours insuffisante.
Ce curieux instrument sort des ateliers de la maison Pfeyel, et des mains de M. Schaïrer, qui, après y avoir tra
vaillé longtemps sous la direction du savant et ingénieux artiste dont on ne saurait trop déplorer la perte, vient de l’achever enfin sous les yeux de VI. Wolff, son habile continuateur.
On nous prie d’annoncer le cours de musique d’ensem
ble, pour le piano, de M“* Clara Pfeiffer, qui vient d’être rouvert le 12 novembre, rue de Richelieu, 95, dans les sa
lons de la succursale, de MM. Pfeyel et Cie. L’utilité de ce cours saute aux yeux , et le talent du professeur n’a pas besoin de re ommandation.
G. Héquet.