Kinburn.


Vue du fort de Kinburn, prise de la Lave, à son poste de combat. — D’après un croquis de M. R. Gillotin.
Côte et fort Otchakoff. — Endroit où les canots parlementaires ont accosté. — Enterrement, des hommes de la Dévastation. — Porte du fort démolie par le bombardement.
Nous empruntons à une correspondance qui nous est adressée directement, et à une autre adressée au Monung-Post, des détails assez curieux sur la prise du fort de Kinburu.
Jusqu’au 17, l’état de la mer s’était, opposé à l’embossage de l’escadre en face des fortifications de Kinburu ; depuis deux jours les troupes expéditionnaires étaient à terre, et le bombardement, qui a commencé le 15 par douze bombardes anglaises et françaises, a du cesser à la nuit. Le 17, à neuf heures et demie du matin, les batteries flottantes, embossées à 8 et 900 mètres, ouvraient leur feu sur l’ennemi. A une heure et demie l’amiral fit cesser le feu, qui désormais ne devenait plus qu’une inutile destruction.
A deux heures dix minutes, dit la correspondance du Morning- Post, le Royal-Albert arbora un pavillon parlementaire pour ré
pondre à celui qui avait été hissé par le fort, russe. On vit alors une embarcation anglaise et une embarcation française partir en même temps du Roy al-Albert et du Montebello, et se diriger à terre.
Le lieutenant Lyons, lieutenant de pavillon du commandant en chef, qui était porteur du pavillon parlementaire, trouva, en débar
quant au fort de Kinburu, un officier russe, colonel d’artillerie, qui lui dit de s’arrêter, et qu’il ne voulait ni trêve ni capitulation, qu’il ne se rendrait jamais, et résisterait jusqu’au dernier homme ; que le pavillon parlementaire avait été arboré par le fort sans qu’il en eût connaissance, et qu’il commandait le fort. Après cette réponse les embarcations allaient se retirer, quand on aperçut un officier qui faisait des signaux sur le rempart. Cet officier retourna auprès du gouverneur de la place qui avait ordonné que le pavillon; parlementaire fût hissé.
Alors commença une scène curieuse entre le gouverneur et le co
lonel d’artillerie. Le colonel se mit à insulter le gouverneur, dont la poitrine était couverte de décorations et de médailles, l’accusant de lâcheté et lui disant qu’il no fallait pas être Russe pour rendre la place. Le gouverneur porta la main à son épée d’un air menaçant, et lui demanda comment les troupes pourraient résister après un pareil bombardement qui avait tout détruit dans la place. « Si vous voulez vous tuer, ajouta-t-il, mettez-vous sur un baril de poudre,
et faites-vous sauter; mais je ne veux pas sacrifier inutilement la vie des soldats qui m’ont été confiés, c’est pourquoi je me rends à des forces supérieures. »
La reddition de la place a eu lieu sans condition ; mais les amiraux ont généreusement rendu leurs épées aux officiers, en témoi
gnage de leur estime pour le courage avec lequel ils avaient résisté au bombardement.La perte des Russes en tués et blessés a été, d’après leur rapport , de 176. Il n’y a eu, à bord de la flotte an
glaise, que 4 hommes blessés et 23 dans l’escadre française, à bord des bombardes seules atteintes par le feu de l’ennemi. Une d’elles a été frappée par 79 boulets ou bombes, qui ne lui ont tué que 2 hommes et blessé 17 hommes. Le lendemain, au débarquement, j’ai été témoin du plus terrible spectacle. Jamais destruction de place ne fut plus complète. Tout le front des murailles en pierre des fortifications était littéralement mis en pièces, et tous les édi
fices avaient été réduits en ruines par le feu de la flotte. On a pris une grande quantité de matériaux, près de 100 canons et mortiers,
indépendamment d’ils grand nombre de petites armes. Il paraît certain que le czar était à Otchakow, d’où il observait les effets dû bombardement, et que, par des signaux, il encourageait les assiégés à résister, leur promettant des renforts.
Une correspondance du Moniteur de la Flotte semble confirmer cette supposition :
« Sous avons eu la visite, visite à distance, bien entendu, d’un très-haut personnage. Etait-ce le czar lui-même ? était-ce un membre de sa famille? Je serais fort en peine de vous le dire.
« Toujours est-il que ce personnage, (l’une très-haute stature·, a fait son apparition sur la rive orientale du Bug, monté sur un cheval noir et suivi par dix ou douze officiers. Il marchait, puis il s’ar
rêtait , et paraissait examiner notre petite flottille alliée : puis il se retournait pour parler à son état-major.
« A un moment, nous avons distinctement vu un Cosaque arriver au galop, se jeter à bas de son cheval en approchant de notre personnage, puis se mettre à ses genoux, lui baiser les pieds et tendre une dépêche.
« Le personnage a lu la missive, et a repris sa route avec sa suite, visitant les postes de Cosaques sur sa route, et reprenant la route de Nicolaïeff. »
On ne saurait trop admirer la puissance des batteries flottantes, qui, dans cette circonstance, ont produit un si puissant effet. Aussi l’amiral, dans son ordre du jour, termine-t-il en disant : « Le feu écrasant des batteries flottantes et des bombardes a tellement précipité le dénoûment de l’action, que les autres bâtiments de l’escadre n’ont pu prendre à ce glorieux combat la part qui leur avait été promise ; mais, par la précision de leur manœuvre, par
leur ardeur à se porter au feu, les canonnières, les frégates, les vaisseaux, les corvettes et les avisos à vapeur ont montre ce que l’amiral était en droit d’attendre d’eux si la lutte s’était prolongée davantage. » V. Paulin.
Aspect du front S.-E. des fortifications de Kinburn après le bombardement. — D’après un croquis de M. le Dr A. Rideau.