heureusement groupées et surmontées d’une figure allégorique de la Liberté, appelant le peuple aux armes par un
cri terrible et un geste violent, dont la hardiesse dénonce l’envahissement du romantisme dans l’art à cette époque.
L exécution des autres groupes fut également offerte à Rude par un ministre intelligent qui avait mesuré la portée de son talent; il la refusa par un sentiment de réserve; et quelques-uns des projets de composition qu’il a laissés, et qui méritent d’être reproduits par la gravure, font regret
ter qu’il se soit trop modestement soustrait à cetle faveur bien justifiée.
Une statue exposée au Salon de 1833, et représentant un Jeune Pêcheur napolitain assis sur le sable el jouant avec une tortue, fut Irès-remarquée et valu! à 11ude la décora
tion de la Légion d’honneur. C’est la plus populaire et une des plus heureuses de ses productions. Ce marbre, qui ap
partient au musée du Luxembourg, a fait partie de la grande
Exposition universelle de cette année. On a pu y voir aussi une statue en bronze de Mercure remettant ses talonnières pour remonter dans l’olympe, après avoir tranché la tête d?Argus (1834). Parmi les œuvres de l’habile statuaire, nous citerons encore : une Vierge, pour l église de Sainl-Gervais ; -r- le Baptême du Clirisl, groupe, placé à l’église de la Ma
deleine; — un autre groupe très-remarquable du Calvaire, de l’église Saint-Vincent de Paul. La tête du Christ de ce groupe, reprise à nouveau, était un des derniers sujets d’é­
tude réservés par l’artiste aux méditations de son active vieillesse; —le Napoléon, mort à Sainte-Hélène, monu
ment en bronze, élevé à Fixin, département de la Côte-d’Or, dans une propriété appartenant à M. Noisot, ancien capi
taine de la garde impériale ; le dessin en a été reproduit dans l’Illustration du 28 août 1847 ; — la statue de Jeanne Dure, placée à l’extrémité de la terrasse de gauche du jar
din du Luxembourg. Le geste par lequel elle rapproche sa main de son oreille a paru étrange et, a été critiqué; il était motivé, dans le principe, par une chevelure plus lon
gue qu’elle soulevait pour mieux entendre la voix d en haut. — A l’issue du même jardin, du côté de l’Observa
toire, est la statue en bronze du maréchal Ney, à l’endroit même où il fut fusillé. Cet ouvrage est un des plus médio
cres de l’artiste. Il l’avait conçu d’ailleurs sous un aspect tout à fait différent : il voulait représenter le maréplial Ney In tête nue, vêtu d’une simple capote militaire et se découvrant la poitrine, au moment où il dit aux soldats de le, viser au cœur. Ainsi conçue, cette figure eut eu de la simpli
cité et de, la grandeur, et eût emprunté du lieu et des souvenirs une gravité solennelle et une émotion saisissante.
Rude lutta longtemps pour faire accepter son idée, que de fausses considérations ou de vains ménagements firent écar
ter. — Une, statue de Louis XIII, exécutée en argent pour le duc de Luynes, est une de ses créations les plus élégantes. —Le, musée du Louvre possède un buste de Da
vid; Rude professait pour l’illustre peintre une, admiration et un dévouement qu’il fut heureux de lui témoigner durant son exil. On lui doit aussi le buste, de Houdon ; ceux de Lapeyrouse, au musée de marine; du connétable de Luy
nes ; celui de M. Dupin aîné ; la figure du tombeau deCartelier, son maître ; le maréchal de Saxe, du musée, de Versailles ; les figures de Monge en bronze (Beaune) ; de Bertrand (Chàteauroux) ; celle de Poussin, à laquelle il travail
lait encore peu de temps avant sa mort. — Une œuvre de Rude, qui mérite une mention toute particulière, c’est la figure en bronze de Godefroy Cavaignac, destinée à son
tombeau. Il est représenté nu et frappé par la mort, la main posée sur une plume et une épée, et recouvert d’un drap mortuaire, aux plis savamment disposés. Ce linceul fut exécuté, sous sa direction, par son élève, M. Christophe,
qui fut autorisé à inscrire son nom à côté de celui de son maître. On s’étonne de retrouver encore dans l’atelier de l’artiste cette œuvre éminente qui devrait couronner un tombeau. Outre la Lêle du Christ, dont nous avons parlé,
et la statue de Poussin, Rude a laissé deux ouvrages, dont l’exécution en marbre est déjà assez avancée. Le plus considérable est une ligure d’llébé, aux lignes élégantes et gra
cieuses; de la main droite, elle tient élevée la coupe de nectar; de l’autre, elle repousse mollement l’aigle dont les ailes déployées embrassent et semblent caresser le beau corps de la déesse de, la jeunesse. L’autre représente l A­
mour dominateur : la tête du jeune dieu est animée d’un
sentiment de fierté singulière; c’est une création des plus heureusement inspirées. Il tient en main le flambeau al
lumé ; il est assis et semble, pour ainsi dire, repousser d’un
pied dédaigneux deux colombes s’enlaçant dans de nobles caresses. Rude manifestait quelquefois la crainte que le temps lui manquât pour terminer ces œuvres destinées à mettre le sceau à sa réputation. La fortune lui a envié ce bonheur; mais cette tâche a été acceptée comme un legs pieux par M. Cabet, son élève.
A. J. Du Pays.
Histoire de la réforme commerciale en Angleterre (1).


PAR HENRY RICHE LOT.


L’ouvrage dont nous avons à entretenir nos lecteurs est un travail d’autant plus utile qu’il est plus complètement dé
gagé de toute prétention théorique, de tout engagement d’école. Dans les matières administratives el financières, dans l’observation et l’exposé des faits économiques, l’ab
sence, de système, l’indépendance des opinions utopiques qui se partagent la. science, est, selon nous, le premier litre à la confiance du public. Un gouvernement, en effet, ne saurait procéder en vertu d’axiomes, en vue du triomphe de telle ou telle théorie : il doit étudier les nécessités de son
temps et de son pays, et y conformer la législation, abstraction faite de toute doctrine systématique.
C’est pour avoir méconnu cette vérité, pour avoir transformé la liberté du commerce ou la protection, qui ne sont que des moyens, en principes absolus, véritables panacées destinées à guérir toutes les maladies sociales, que les deux écoles économiques se sont profondément discréditées. Leur exclusivisme dédaigneux, non moins que l’abus des définitions plus ou moins subtiles, que leurs querelles de mots in
téressant fort peu le fond des choses, a eu pour résultat de dégoûter le public : il s’est lassé de rencontrer des doc
trines tranchantes et souvent inintelligibles, là où il aurait voulu trouver des observations consciencieuses et l’histori
que des conséquences différentes issues des législations douanières dans les diverses localités. Aussi quelques ouvrages comme, celui de M. Richelot feront plus pour l’avance
ment et la popularisation de la science économique que la plupart des traités ayant la prétention de formuler des lois générales et de soumettre à des règles absolues les faits qui sont par leur nature les plus mobiles et. les plus variables.
Le meilleur éloge que nous puissions faire de Yllistoire de la réforme commerciale en Angleterre, c’est de résu
mer, d’après M. Richelot, les causes, la progression et les résultats de cette grande révolution économique.
Constatons d’abord que si la Grande-Bretagne a lait, d’immenses progrès dans la voie, de là liberté commerciale, son point de départ en était plus éloigné que celui d’aucune autre nation industrielle.
Lorsqu’en 181Zi, la paix vin! permettre de s’occuper d’améliorations intérieures, les droits à l’entrée sur les marchandises étrangères se composaient en Angleterre de trois es
pèces de taxes : 1 les droits permanents antérieurs à l’étal de guerre, à la fois sources de revenu el protecteurs de l’industrie nationale; 2” les droits temporaires créés dans l’intérêt exclusif du fisc, s’élevant aux deux liers des pre
miers ; 3“ la surtaxe frappant d’un quart de ces mêmes droits les produits de toute origine, à l’exceplion des pro
duits français grevés à litre de représailles des deux tiers du droit primitif.
Ainsi les nécessités d’une guerre à outrance ou le désir d’atteindre un ennemi, avaient plus que doublé les droits de douane.
Après le traité de 1814, on abrogea les droits additionnels sur les articles français; mais les droits temporaires fu
rent déclarés permanents, afin de permettre au trésor de
faire face aux intérêts de la dette contractée pendant ces vingt années de lutte.
Les droits sur les articles non dénommés au tarif varièrent de 20 à 50 pour 100 de leur valeur; sur les tissus, de 50 à 180 pour 100. Les papiers payaient trois et quatre fois leur valeur. L’énormilé de la taxe sur les livres rendait leur in
troduction à peu près impossible. La verrerie, la poterie, la porcelaine, acquittaient de 75 à 80 pour 100 : enfin, surles articles de, luxe et de, goûl, le laux variai! de 20 à 80 pour 100. Indépendamment de la prohibition de fait résultant de la quotité de ces droits, 200 articles étaient frappés d’une exclusion déclarée.
Sous l’empire d’un tarif fortement protecteur, dans l’impossibilité d’ailleurs où s’était trouvée l’Angleterre de tirer des grains du continent occupé par nos soldats, de l’Amé
rique, moins productive qu’aujourd’hui, et avec laquelle on était en guerre depuis deux ans, l agriculture nationale était restée seule chargée d’alimenter la population des trois royaumes. Surexcitée par des prix élevés, elle avait mis en culture les terres les plus inférieures; elle avait dirigé toutes ses forces vers la production des céréales. Aussi, lorsque la paix rétablit les relations maritimes, la possibilité de larges importations de blés jeta l’épouvante parmi les
propriétaires et, les fermiers. L’industrie agricole se crut menacée d’une, ruine complète : les hommes d’Etat compre
naient que le cultivateur, écrasé par d’énormes impôts et exploitant un sol souvent, ingrat, ne pouvaient produire au même bon marché que les peuples moins grevés et possesseurs de terres neuves et fertiles ; ils durent, craindre l’a­
bandon d’une partie, des terrains récemment défrichés, la perte des capitaux engagés dans l agriculture. Au sortir d’une guerre pendant laquelle la Grande-Bretagne avait été à plusieurs reprises sans alliés, on ne voulait pas en outre s’exposer à voir le pays dépendre pour sa subsistance de na
tions rivales ou intimidées : on se décida donc à réserver à la production nationale le monopole de la consommation intérieure.
L’exportation fut déclarée libre ; l’importation interdite, aussi longtemps que le blé n’aurait pas atteint le prix de 34 francs 40 l’hecto, prix regardé comme la rémunération nécessaire du producteur anglais ; prix que nous payons


en France après trois années d’insuffisantes récoltes ; prix double du prix réclamé comme rémunérateur par nos cultivateurs. Ainsi la première mesure économique du gouver


nement anglais, après la pacification universelle, fut une aggravation du plus .odieux des monopoles, la protection la plus énergique accordée à la plus importante, alors, des industries nationales.
Les hommes les plus considérables du Royaume-Uni, ceux qui depuis ont été les ardents promoteurs de la ré
forme commerciale, approuvèrent ou votèrent cetle loi de privilège : Malthus lui-même, dans la discussion engagée, se, prononça pour la prohibition. C’est qu’en Angleterre le législateur se préoccupe peu des théories. Les hommes d’E- tat ne sont ni protectionnistes, ni libres-échangistes : fidèles à l’esprit de leur admirable constitution, iis prennent au sérieux la souveraineté nationale, consultent l’opinion pu
blique, étudient les besoins de loute espèce auxquels il est urgent de donner satisfaction, et se laissent aller au cou
rant en se dirigeant avec prudence, mais sans jamais avoir la folle prétention de le remonter ou de l’arrêter en protestant contre ses écarts plus ou moins réels. Or la nation britannique n’était pas encore résolue à sacrifier l’agriculture
pour assurer le triomphe de l’industrie manufacturière, et il ne restait qu’un moyen, la prohibition , de, protéger la première contre la concurrence étrangère.
Les fabricants anglais, qui depuis 1793 pouvaient seuls envoyer leurs produits au delà des mers, avaient eu le monopole. des marchés transatlantiques et d’une partie de l’Eu
rope. Ils se trouvèrent, à la paix, grevés d’impôts de consommalion renchérissant outre mesure leur fabrication, el virent leurs débouchés habituels plus ou moins envahis par des industries rivales.
Le blocus continental avait en effet créé ou développé des fabrications longtemps l’apanage exclusif de l’Angle
terre. Lorsque l’activité commerciale se substitua aux préoccupations guerrières, chaque nation chercha à protéger ses manufactures naissantes par des mesures prohibiti
ves, à leur ouvrir les marchés interdits depuis vingt années. Les ouvriers des trois royaumes, souffrant de la cherté de
toutes les denrées, voyaient leur travail ralenti par l’effet de cette concurrence. La misère était horrible : l’agitation qu’elle provoqua dans les classes inférieures avait pris des proportions effrayantes : il fallut sérieusement aviser aux moyens de mettre un terme à la crise industrielle. Le re
mède. élait évident ; il consistait à placer les manufacturiers anglais dans des conditions économiques plus égales, avec ceux du continent, en les mettant à même de fabriquer à meilleur marché. Il fallait de plus leur ouvrir une partie des débouchés fermés par des prohibitions qui n’élaient que, les justes représailles de celles qui interdisaient les posses
sions britanniques à la presque totalilé des marchandises étrangères, il n’y avait pas à hésiter : on était placé dans l’alternative de modifier son système de douanes et d’im
pôts de consommation, ou de périr par l’isolement et la concurrence.
Tel fut le point de départ de la révolution qui s’est opérée dans la législation financière et commerciale de l’Angle
terre. Sous l’influence d’une même cause, la nécessité de réduire les frais de production, l’on commença par diminuer les droits d’excise. Le remède étant insuffisant, on dé
greva les matières premières d’une partie des taxes qui les frappaient à l’entrée : puis l’on consentit à accepter, pour certaines industries, une concurrence que les enquêtes les plus minutieuses démontraient sans danger réel. Enfin,
convaincus que l’on ne pouvait être à la fois puissance agricole et manufacturière, on se décida à faire le sacrifice de la culture des céréales, eu acceptant la triste ressource d’attendre de l’étranger la subsistance de la population ou
vrière toujours croissante, toujours plus exigeante dans ses habitudes de bien être, toujours plus disproportionnée avec la surface du sol cultivable, avec ia production des denrées alimentaires.
Nous allons indiquer les diverses phases de cetle transformation. Suivant M. Richelot, la réforme commerciale présente trois périodes distinctes. La première, qui s’étend de 1822 à 1830 ; la seconde, comprise entre 1830 et 1841, qui continue la première et prépare la dernière ; la troisième enfin, ouverte en 1842, qui par la hardiesse des me
sures adoptées est plus particulièrement désignée comme l’époque de la réforme, et à laquelle se rattachent les noms de Robert Peel, de Cobden, de lord Russell.
Comme nous l’avons dit, la réforme financière avait précédé les modifications au système commercial. Dès 1819, en effet, la taxe sur le revenu avait été, abolie, ; le droit d’ex
cise sur la drêche fortement réduit, et lorsqu en 1823 Huskisson, en qui se personnifie, la première période, en
tra dans le ministère, le gouvernement, prenant au sérieux le devoir d’alléger en temps de paix les impôts établis ou augmentés pendant la guerre, avait successivement sup
primé pour 430 millions de taxes, dans lesquelles les droits de la douane n’étaient compris que, pour une dizaine de millions.
Dès 1822 l acte de navigation, cette grande charte maritime, regardée par les Anglais comme le principe de leur grandeur navale, subit d importantes modifications. Anté
rieurement déjà, un traité de réciprocité ne concédant, que des avantages illusoires aux Portugais, landis qu’il en assurait de très-réels aux Anglais, avait complètement assi
milé les bâtiments portugais, brésiliens et anglais pour la navigation directe entre les deux pays. A la paix avec l’A­
mérique, la menace de, droits différentiels, faite par les Etats-Unis, producteurs de matières premières indispensa
bles à l’Angleterre, fit accorder à leur pavillon les mêmes avantages. Successivement les entraves qui gênaient les transports dans la Grande-Bretagne ou dans ses colonies, par des navires étrangers, furent en grande, partie levées, afin d’obtenir la suppression des surtaxes établies par di
vers gouvernements sur les bâtiments anglais. De. deux choses l’une, disait Huskisson en présentant le biil qui fai


sait cesser une partie, des privilèges à l’abri desquels avail


grandi la marine nationale : ou il nous faut engager une, guerre commerciale, ou adopter la réciprocité. Un autre motif avoué fut celui de faire participer les nations du Nord aux avantages qu’on n’avait pu refuser aux Américains, afin de susciter à ces derniers une concurrence qui les empêchât de monopoliser certains transports.
Tout cela était de l’intérêt bien entendu, mais ce n’était pas certainement de la théorie libre-échangiste.
En 1823, de nouveaux dégrèvements furenl opérés pour 103 millions. Le système des entrepôts reçut une large extension el fut étendu aux colonies.
De 1824 à 1830, l’on profila des excédants de. recettes surles dépenses, sagement diminuées, pour opérer des dégrèvements considérables sur les droits de douane.
Les laines n’acquittèrent plus à l’entrée que quelques cenlimes. Les soies écrues, au lieu de 10 fr. 1e kilogr., furent
imposées à 69 c. ; les soies moulinées, à 20 fr., au lieu de 40. Les autres matières premières nécessaires à l’industrie,
telles que le chanvre, le lin, le fer, le minerai de cuivre, les matières tinctoriales, furent plus ou moins dégrevées.
(I) 2 vol in-8°, chez Capelle, éditeur, rue Soufflot, 18.