On écrit de la frontière polonaise que le 27 du mois dernier a commencé la grande levée de 10 hommes sur 1,000
dans toute la Russie d’Europe et d’Asie, à l’exception de quelques gouvernements et du royaume de Pologne. Les hommes destinés au premier corps seront conduits ; i Narva;
ceux des deuxième et sixième corps à Moscou ; ceux des troisième et quatrième corps, à Kiew et à Orel ; ceux du cinquième corps, à Charkow. C’est dans ces villes qu’ils seront instruits et organisés. 11 est remarquable que les divi
sions de dépôt se sont rendues également sur le théâtre de la guerre, où on les emploie à former la garnison des villes.
Dans un ordre du jour, le Czar félicite ses troupes de 1 e- tat dans lequel il les a trouvées à sa récente inspection, et leur réitère ses remerciements pour la brillante défense ne Sébastopol, en l’honneur de laquelle il a créé une récom
pense spéciale destinée à tous ceux qui ont pris part au glorieux combat livré sur les remparts de cette ville. Puis il ajoute qu’il compte sur cette armée pour soutenir la gloire des armées russes dans l’avenir, comme par le passé, con
vaincu qu’elle n’hésitera jamais à se sacrifier pour la foi, le czar et la patrie.
Cette semaine les colonnes des journaux français et étrangers sont remplies de nouvelles pacifiques qu’ont fait naître différentes circonstances qu’il serait trop long d’énu
mérer ici, mais qui, nous le croyons, peuvent se résumer en ceci,- que, quand le canon se tait, quand les faits ne présen
tent plus un sujet de discussion arrêté, les imaginations, et aussi les intérêts, s’emparent des moindres indices pour bâtir aussitôt un échafaudage qu’un soude peut renverser.
Certes personne plus que nous ne désire la paix, et la paix prompte et sûre; mais nous pensons qu’il faut se défier de tous ces on dit, qui ressemblent beaucoup à des comméra
ges, et auxquels du reste le public a été pris assez souvent pour qu’il ait raison de se tenir sur ses gardes. Du reste il serait difficile de saisir la vérité dans le chaos de rapports de toute espèce qui arrivent de tous côtés, surtout d’Alle
magne. C’est toujours oui et non ; en pareil cas, ce qui est le plus prudent est de laisser dire les soi-disant bien informés, et d’attendre que l’événement justifie la prédiction.
Le général Canrobert est de retour de son voyage en Suède et en Danemark, après avoir passé par toutes les ovations dues au mérite personnel du personnage et au caractère de l’envoyé d’une des plus grandes puissances du globe. Quoi qu’en disent certains journaux, il est peu probable qu’une mission de cette importance n’ait eu pour ob
jet que la remise d’une croix; il y a certainement eu autre chose, et, si ce n’est pour le présent, on peut espérer que, dans un avenir assez rapproché, il sortira de cette ambas
sade extraordinaire des avantages appréciables pour le dénoûment du nœud gordien de la polilique. Le séjour du général Canrobert à Copenhague a eu du moins pour effet, jusqu’à présent, la cessation des différends qui s’étaient éle
vés entre le roi de Danemark et son oncle, au sujet de la constitution que ce dernier ne voulait pas accepter.
On écrit de Berlin que, d’après les bruits les plus récents relatifs aux négociations, un congrès des puissances secondaires de l’Allemagne aurait lieu à Dresde, pour arrêter en commun une déclaration d’opinions concernant la guerre. La réunion des diplomates russes à Saint-Péters
bourg est confirmée par une nouvelle annonçant que le comte Stackelberg, commissaire militaire russe près l’Au
triche, a reçu l’ordre de se rendre à Saint-Pétersbourg avant son retour de la Crimée à Vienne. La population russe est effrayée de voir les préparatifs qui se font pour la défense de 1 intérieur. On dit que Moscou même doit être fortifié.
Dans son discours d’ouverture des Chambres, le roi de Prusse s’est félicité de ce que sa patrie était encore aujour
d’hui l’asile de la paix ; il a ajodté que, dans la position prise par la Prusse, 1 Autriche et la Confédération germa
nique, se trouvaient un gage précieux pour la garantie d’une attitude indépendante et les éléments d’une paix équitable et durable.
En attendant l’Autriche cherche, à ce qu’il paraît, à déterminer les Etats allemands de deuxième et troisième rang à provoquer, au sein de la Diète, une manifestation capable de devenir un appui moral, et au besoin matériel pour sa politique.
On parle de négociations qui auraient lieu en ce moment à l’effet de transporter le théâtre de la guerre sur le Danube, si la paix n’est pas conclue au printemps. L’Autri
che saisirait cette occasion de jouer vis à vis des puissances occidentales le rôle, sinon de puissance dominante en Alle
magne, du moins de puissance dirigeante, et de présenter les intérêts qu’elle a voulu sauvegarder, en occupant les Principautés, comme les intérêts de l’Allemagne.
Les journaux anglais sont déchaînés contre la Prusse, ou du moins contre son roi et le discours qu’il a prononcé à l’ouverture des Chambres. La Prusse se met sur le même pied que l’Autriche et la Confédération germanique, dans l’attitude qu’elle a prise dans la guerre actuelle. O y a ce
pendant une assez grande différence; car l’Autriche se trouve liée par le traité de décembre, et quoique sa coopé
ration ait été loin de ce qu’on était en droit d’attendre d’elle, elle a plus mérité que la Prusse, des puissances oc
cidentales, et aura toujours droit à plus d’égards que la puissance qui a pendant si longtemps si peu caché ses tendances vers l’alliance russe.
L’opinion publique en Angleterre et en Allemagne est fort préoccupée d’une question qui emprunte toute son im
portance de la situation des affaires. Un M. Turc, officier de l’armée autrichienne, ayant déserté avec les hommes qu’il commandait, un général autrichien, commandant les troupes autrichiennes dans les Principautés, y rencontra l’officier déserteur et le fit arrêter. Cet officier déserteur a depuis passé dans la légion étrangère au service de l’Angleterre, et c’est dans le but de faire des recrutements qu’il
se trouvait eu pays occupé par l’Autriche. La question est de savoir si un chef, occupant militairement un pays étranger, a le droit d’arrêter un déserteur de son pays, quand ce déserteur est revêtu de l’uniforme du pays dans lequel il s’est engagé : comment sera-t-elle résolue?
Les insurrections des Santals continuent d’avoir de la gravité; le Times annonce à ses lecteurs que les détails qui lui arrivent de Calcutta sont incompréhensibles pour lui. Cepen
dant on peut conclure que la révolte, a été fomentée par un nommé Seedoo-Mangee, qu’on croit être l’organe par lequel la Divinité fait connaître ses décrets. Dans la proclamation de ce chef l’insurrection a eu pour cause l’avidité des prê
teurs d’argent, qui prennent un intérêt de 500 p. 100 sur les sommes qui leur sont demandées par les Santals; ces derniers veulent, de leur côté, abaisser l’intérêt de l’argent â 25 p. 100. le Times termine son article par ces mots : « La persistance de la révolte affaiblit plus sérieusement le « prestige du gouvernement. Toutes les races de l’Inde « commencent à s’imaginer qu’une lutte armée a des clian« ces de succès. Le prestige d’un siècle de v ictoires n’est pas « si facile à détruire, mais le gouvernement reconnaît qu’il « a reçu une grave blessure. De pareilles blessures dans un « pays comme l’Inde ont beaucoup de dispositions à se chan« ger en ulcères. »
One erreurs’esl glissée dans notre avant-dernier numéro, dans l’histoire de la semaine, au sujet de l’acceptation par M. Labouehère du poste de ministre des colonies, annonce suivie Ue la remarque que. la situation dans l’Inde se pré


sentait assez sombre à cause des révoltes partielles el reli


gieuses qui ensanglantaient l’Empire. Cette remarque était fausse, en tant qu’on la rapporterait au poste occu pé par M. Labouehère, car la direction des colonies n’incombe pas à ce bureau, et revient directement à la Compagnie des In
des, qui entretient des troupes pour maintenir la paix et la sûreté dans ses immenses possessions.
La situation de Barcelone et des principaux centres manufacturiers n’est pas sans offrir quelque inquiétude; les fabricants ne vendent pas, et, après avoir accumulé de nombreuses marchandises, ils ne peuvent continuer leur tra
vail, d’autant que le crédit est presque nul. Les ouvriers ne trouvent pas de travail; cependant, comme la province est garnie de nombreuses troupes, on espère qu’il n’y aura pas de nouveaux désordres à réprimer.
On annonce à Berlin que le message du président des Etats-Unis contiendra l’assurance que l’Amérique ne paye
rait à l’avenir le péage du Sund sous aucune condition. Il
serait donc faux, si ce bruit se confirme, que le cabinet de Washington ait jamais eu l’intention d’accorder un délai de deux ans pour le règlement de cette question.
L’empereur d’Autriche a, dit-on, invité le roi de Sardaigne à venir visiter la cour de Vienne, quand il aura été à Paris et à Londres. On voudrait, paraît-il, disposer le roi de Sardaigne à plus de condescendance aux vœux du pape et à s’opposer aux mesures anticléricales de ses ministres.
Le Montebello, ainsi que, cinq autres navires à vapeur, est arrivé, le 2, à Toulon, avec la garde impériale ; le B on a débarqué solennellement le corps de l’amiral Bruat, qui est arrivé à Paris.
Paulin.
Courrier de Paris.
« Que les Athéniens étaient un peuple aimable ! » s’écrie Voltaire dans un de ses bons moments pour les Parisiens, et au début d’un de ses apologues qui esl leur apologie. S’ils sont inconstants, c’est par excès d’imagination ; ils sont lé
gers jusque dans les choses les plus sérieuses, mais c’est une preuve de leur bon sens; et puis, sauf le soin de leurs plaisirs, quelle heureuse indifférence pour tout le reste!
Ajoutez qu’à l’exemple de ces Athéniens très-friands de la nouvelle du jour (laquelle se taisait déjà vieille en ce tempslà), nos Parisiens ont la mémoire légère; ils n’ont jamais su, ils ne sauront jamais se souvenir des choses qui ne va
lent pas la peine d’être retenues. Les mêmes événements se répèlent, et le même nouvelliste pourrait bien faire comme les événements; qu’à cela ne tienne, rien de plus neuf que les récits oubliés.
Et cependant il y a de ces nouveautés qu’on a cent fois décrites, et à propos desquelles il restera toujours beaucoup à dire; j’en atteste cette dernière fête de l’Hôtel de ville, dont les splendeurs inouïes ont effacé peut-être les magnificen
ces de ses aînées. C’éLait, en l’honneur du roi de Sardaigne, la suite des merveilles imaginées pour la réception de la reine.d’Angleterre; ainsi se continue, la féerie qui fait de l’Hôtel de ville le paradis des cours. Vous aurez lu partout que. cinq orchestres (le danse avaient été disposés dans ces immenses salons, ou, à vrai dire, il y a bien peu de place
pour polker; les plus ardents d’ailleurs n’y songeaient guère : chacun était trop affamé de voir le Roi. Les dames, nécessairement en minorité, une minorité très-imposante, se distinguaient par l’énergie de leurs vivat. Il y a plaisir à semer les invitations comme des circulaires, lorsqu’on ré
colte tant de beautés; quelques corsages témoignaient bie n par leur coupe antique qu’on avait eu égard au droit de naissance ; mais ]e droit de conquête avait été plus particulièrement écouté.
Ce bal est un exemple trop beau peut-être pour qu’on l’imite de si tôt; du moins le seul salon d’importance autour duquel on ait fait quelque bruit à Paris, c’est le salon de ΥΓ* de Liéven, lequel vient de s’ouvrir à Bruxelles. L’ex- Egérie politique aurait retrouvé des Numas qui la consultent, et l’aimable sibylle rendrait bientôt de nouveaux ora
cles. Ses amis assurent même que la princesse diplomate n aurait qu’à secouer sa robe pour en laisser tomber la paix ; à leurs yeux, ç» ne fait pas un pli. Ainsi Egérie ne con
seille plus, elle décide : c’est un progrès. Jadis elle ne faisait que des ministres et parfois des académiciens, en allant sur les brisées de l’aimable M“ Récamier, dont c’était la spécialité.
Vous savez ou vous ne savez pas que ΓAcadémie est circonvenue par quelques dames à l’occasion du dernier siège vacant. Ces dames s’agitent beaucoup, et ce sont différents messieurs qui les mènent. Vu le nombre et les titres des
aspirants, qui sont en effet des candidats titrés, on craint que. M. Molé. ne soit bien difficile à remplacer. D’un autre côté, l’Académie semble décidée à donner le fauteuil de M. Lacretelle à un écrivain, et son embarras n’est pas moindre. L’histoire, l’érudition, la crilique, le théâtre, le ro
man, la fantaisie même et le proverbe sont pêle-mêle sur les rangs ; la grande pépinière des candidats, c’est princi
palement la Société des gens de lettres, oii tout le monde finira par entrer pour se préparer à l’Académie.
C’est lundi prochain, —ne l’oubliez pas, — que commence à la salle Drouot la vente, de quelques œuvres d’é­
lite laissées par Camille Roqueplan, le seul héritage de la veuve et de la fille du charmant et célèbre artiste. Tout en
tier à son art, qui lui a donné la renommée au prix peutêtre de la vie, Camille Roqueplan aura dédaigné de faire fortune ; mais, dans sa sollicitude paternelle, il ue voulut jamais se séparer de quelques tableaux qu’il accumulait au
tour de lui comme une épargne, et auxquels il travaillait ainsi avec un double amour. Toiles, dessins (il a dessiné jusqu’au dernier moment), albums, aquarelles, ses ébau
ches, ses plâtres, tout esl livré aux enchères, c’est-à-dire aux gens de goût, qui savent choisir, et qui probablement choisiront tout. Quant aux amateurs qui ne sont que riches, lequel d’entre eux voudra laisser échapper cette occasion unique de pouvoir se dire désormais : J’ai un Roqueplan dans ma galerie !
Puisque nous venons de saluer un mort, n’allons pas toucher aux futilités de cette semaine; certes elle n’esl pas plus dépourvue de niaiseries qu’une autre ; des ridicu
les qui ont réussi, des inventions utiles qui ne serviront à rien, un procès scandaleux, un roman qui promet de l’ê­
tre, cela forme un programme assez varié ; mais celui des théâtres l’est bien davantage, et nous allons vous conduire, au spectacle, à tous les spectacles.
La Florentine, de l’Odéon, est une nouvelle édition de l’événement tragique qui mit fin à la fortune extraordinaire de Concini el de sa femme, Léonora Galigaï. Concini appar
tenait à une famille noble de Florence, la Galigaï ou plutôt la Dori, — de son vrai nom, — était la fille d’un charpen
tier de Pistoia. C’était la sœur de lait de la reine Marie de Médicis, qui l’emmena à la cour de France et en fit sa favo
rite. Sous la régence, la Galigaï fut le conseil secret de la jeune reine-mère; les mécontents, la tenaient pour son âme damnée, et quand elle épousa Concini, —· l’amant de la reine, à ce qu’ils disaient, — leur rage éclata. Grâce à la vio
lence de ces inimitiés, ie parvenu franchit rapidement tous les degrés de la faveur; en élevant sa créature, la régente attestait son pouvoir et fortifiait sa propre position : c’est ce que la Galigaï fit comprendre à cette balourde. Ses artifices n’allaient pas plus loin. Mais Concini n’était qu’un aventu
rier impatient de. pousser à bout cette fortune; il crut avoir désarmé les grands parce qu’ils étaient à ses pieds, et en
chaîné la royauté parce qu’il était l’estaffier de la régence. Piller le trésor public, usurper le litre de connétable, c’é­ tait là des fantaisies qu’on pouvait lui passer; mais il vou


lait épouser une princesse du sang, et par conséquent ré


pudier la Galigaï, et alors la régente l’abandonna. Il est pro
bable, il est certain même que Marie de Médicis eut vent de la trame ourdie par les serviteurs du jeune roi, et elle, laissa faire; quelques jours encore, et Louis XHt entrait dans sa majorité : il sembla commode apparemment à la ré
gente de sortir de la régence comme elle y était entrée, c’est-à-dire par un assassinat. On sait comment Luynes pré
para le coup, et comment Vitry l’exécuta. Si peu digne, d’intérêt que fut Concini, sa mort mérite quelque compas
sion. Le supplice, — car c’en fut un, — eut quelque chose d’excessif, et, puisqu’il faut tout dire, la populace fit curée du cadavre, pendant que les meurtriers faisaient curée des dépouilles de la victime. Vitry lui prit son bâton de maré
chal, et Luynes sa place de favori ; le petit roi s’appropria les deux millions trouvés dans la poche du mort. Le pape lui-même se fit sa part : le maréchal d’Ancre envoyait ses économies à Rome, et le pape ne tes rendit jamais. La destiné de la Galigaï fut encore plus cruelle; un arrêt, une lâ
cheté du parlement, la condamna au feu ; ne sachant trop
quel crime lui attribuer, on les lui prêta tous, et elle fut brûlée vive en place de Grève. C’élail une femme grande par l’esprit et même par le cœur, amie dévouée, mère tendre , il ne lui manqua absolument que de s’être fait pardon
ner sa fortune. Mais pourquoi raconter cette histoire? le drame de l’Odéon n’en dit pas un mot, si ce n’est au dénoùment, où la Galigaï, — la Florentine suivant l’auteur, — est conduite au supplice en expiation de tous les crimes qu’elle a commis dans son drame. On la voit en effet trèséprise du jeune Gaston de la Force, — c’est ce petit la Force qui ligure dans une lettre de Richelieu comme ayant proposé le premier de tuer Concini. —Elle aime donc ce Gaston, et elle en est jalouse à la manière de lloxane dans Bajazet. En même temps, l’astucieuse Florentine veut faire arrêter le prince de Condé, et elle tend différents pièges à Luynes, l’ennemi mortel de sa maison ; mais le rusé cour
tisan les a éventés tous; bien plus la Galigaï, malgré son astuce, se laisse prendre elle-même dans ses propres filets. Trouvant ce M. de Luynes en grande disposition de la dé
barrasser de son mari, elle feint d’approuver un crime qui favorisera ses amours ; il est convenu qu’elle donnera ie si
gnal du meurtre, et c’est bien conlre l’assassin lui-même qu’elle se propose de le donner : ne vient-elle pas de le dé
signer aux coups de ses sbires ? L’heure approche, il ne s’a­ git que de la devancer ; une rumeur s’élève, plus de doute,