ment vingt-quatre tableaux de genre et de paysage. Quelque minime que soit.cet envoi, l’attention publique s’est portée avec intérêt sur cet art extrêiiië du nord de l’Europe. Si la Suède et la Norwége sont confondues politiquement, les écoles de peinture de ces deux pays tiennent à rester distinctes. Les scènes Villageoises de M. Tidemand ont été particulièrement remarquées. Cet artiste a fait ses premières études à Copenhague; pos
térieurement il alla étudier à Dusseldorf, et il a fixé son domicile flans cette ville. Après avoir été visiter les mu
sées de Munich et ceux de l’Italie, il revint passer deux années en Norwége pour y étudier les mœurs des habitants, et il se fit bientôt une réputation dans ce genre de compo
sitions familières ; il est aujourd’hui membre des académies de Berlin, d’Amsterdam, de Copenhague, de Stockholm, etc., peintre de la cour, et décoré de plusieurs ordres, auxquels il vient d’ajouter la décoration de la Légion d’honneur. Nous reproduisons ici par la gravure un des principaux tableaux exposés par cet artiste : Funérailles dans les campagnes de ία Norwége ; costumes du siècle passé. Un parent du défunt fait le sermon funéraire. Sur le premier plan, le groupe principal est formé des différents membres de la famille. Avant de signaler les critiques qui s’adressent à l’exécution du peintre, nous louerons dans les tableaux de M. Tidemand une enlenie habile de la composition et un sentiment généralement répandu qui leur communique de la gravité et de l’intérêt. Ce caractère de vérité se retrouve dans les Adieux ; dans les llangiens (secte religieuse de Norirége), où, flans une salle éclairée par le haut, les assistants écoutent la lecture de la Bible que leur fait un paysan, monté sur un escabeau ; cette figure est particulière
ment remarquable et la lumière habilement distribuée. Un maître d’école villageois faisant l’examen religieux des enfants dans une église de Norwége, est une scène également traitée avec naïveté, où ia disgrâce morose du péda
gogue est bien opposée à la disgrâce ânormante des jeunes rustres. Mais Ce que l’on peut reprocher à toutes ces peti
tes scènés, c’est la monotonie des ligures, l’uniformité des traits, la rondeur des yeux, la lourdeur du procédé et le peu d agrément de l’exécution, il est fâcheux qu’au sentiment intime qu’il manifeste, M. Tidemand ne joigne pas une technique plus relevée. *Cët artiste a exécute ait château royal Oscars-üall, près de Christiania, dans la frisé d’une salle à manger, dix tableaux consacrés à représenter la vie d’une famille de paysans nonvégiens. Ces compositions, re
produites par la lithographie et accompagnées d’un texte en vers allemands et norwégiens, forme un recueil qui a eu beaucoup de succès et a donné lieu à plusieurs éditions. — M. Dahl, professeur aux académies dé Copenhague, Stockholm, Berlin et Dresde, et décoré de plusieurs ordres,
est né à Bergen, en 1788, il est un des premiers peintres norwégiens qui aient conçu l’art du paysage au point de vue de la nature. Ses ouvrages ne furent pas d’abord ap
préciés des académiciens de Copenhague, qui regardaient la conception idéale du paysage comme l’unique voie à sui
vre. Ce sentiment d’ailleurs était alors presque général en Europe, et ce retour à la vérité, celte bonne direction de
l’artiste mérite d’èlre signalée. M. Dahl a visité l’Allemagne et l Italie, et s’est fixé à Dresde. 11 a envoyé à l’Exposition un-Paysage norwégien; une Vue prise à Maricdalilen près de t hristiania, et une Scène d’hiver au bord de l’iilbe, où, au milieu d’un soi nu et couvert de neige, se dresse un arbre dépouillé, dont les branchages noirs et lourmentés se découpent sur un ciel brumeux. Il n’y a rien dans la facture de ces tableaux qui ait particulièrement appelé l’attention ; des œuvres plus importantes sans doute, répandues dans différents Etals de l’Europe, ont fondé la répu
tation de l’artiste. — M. Gudis est né à Christiana, en 1825.
Ce jeune artiste, élève de M. Schirmer, dé Dusseldorf, est fixe dans cette ville et professeur de l’académie. L Illustration reproduit dans ce numéro sa Vue prise dans les hau
tes montagnes de la province de l.ergen (Norwége), où se manifesté un bon sentiment de la grandeur alpeslre. Le haut glacier, dominant des plans surélagés, d’un dessin bien compris pour l’effet perspectif, resplendit à sa hauteur aérienne; mais.au-dessous de lui tout s’assombrit, s’éteint et s’efface. L’abus des tons sourds et noirs est un défaut assez fréquent dans l’école de paysagistes de Dusseldorf.
Dans un autre tableau, M. Gu.le a peint les hauts sommets d’MM Paysage norwégien. Lès nuages occupent le creux des vallées et se déchirent aux forêts de sapins; les pics aigus, les neiges qui les avoisinent réfléchissent les premiers rayons du soleil. L’arliste, on le voit, ne craint pas de tenter des ascensions fatigantes pour découvrir quelques as
pects inusités et grandioses. Mais.toute cette bonne volonté avorte sous la froideur de l’exécution. Une Noce de village sur un tac norwégien (figures par M. Tidemand) est une scène coquette dans un ton clair, qui rappelle trop les vues coloriées de h Suisse. — M. Bodüm, ne en 1829, élève de M, Gudé, a exposé une Vue de soleil couchant dans les bois, assez bien composée, mais qui manque aussi de natu
rel. — M. Mdli.er, né en 1828, éléve de l’Académie de Dusseldorf, a peint une Vue prise clans les environs de Christiania, dans cette manièr e sourde et éteinte que nous reprochions tout â l’Heure â un tableau de M. Gude.
Les paysagistes de l’école de Dusseldorf abusent souvent des tons noirs ou sourds; c’est pour eux un rnoven obligé d’opposition pour mettre en relief quelque accident lumi
neux. Si leur voyage à Paris leur a fait comprendre la né
cessité de se dénoircir, il ne sera pas perdu pour eux. Ils ont, du reste d’autres profits â tirer d’une exposition de ia nature de celle qui vient d’avoir lieu, ils doivent y com
prendre aussi que, s’ils sont en possession d’une certaine ha
bileté pratique, ils s’immobilisent dans une uniformité de conception et de procédés qui dénonce des habitudes d’ate
lier, bien plus que le sentiment de la nature. Les peintres de Dusseldorf nous semblent être aujourd’hui pour le paysage ce qu était, il y a quelques années, en France, pour le
genre, l’école de Lyon. On dirait qu’ils travaillent tous dans un même atelier, qu’ils se passent la même palette. Ils n’ont pas d’individualité. S’ils veulent la conquérir, ils doivent, une bonne fois, dans leurs courses à travers les Alpes, jeter tout leur bagage scientifique au fond de quelque ravin, oublier les liens d’école; et se mettre à adorer le divin modèle avec la simplicité du cœur et la sincérité d’une première admiration.
A. J. DU PAYS.
Comment finissent les poëtes.
(Suite. — Voir les numéros 665 et 606.)
Cependant les leçons ne venaient pas et les écus s’en al
laient, sautant les uns après les autres comme les moutons de Panurge. — Mon ami essayait vainement dé les retenir, et suivait leur départ d’un œil mélancolique, en rimant quel
ques vers. On peut croire que le droit, qui n’a rien de bien poétique, était fort oublié au milieu de toutes des préoccu
pations. Il comprit donc la nécessité de frapper un grand coup, etde sortir au plus tôt de cette impasse. Un soir il alla copier dans un cabinet de lecture tes titres et les adresses de toutes les Revues, et èn rentrant il me fit part de ses pro
jets. Je n’osai lui dire qu’il s’égarait dans toutes sortes de châteaux en Espagne; 1 illusion était si rare chez lui, que je me gardai bien de lui enlever Celle-là. « D’abord, disait-il, je vais m’adresser au Journal des Demoiselles, en m’ap
puyant sur la protection de M. Barnabe Charbonneau, qui est un des rédacteurs les plus influents; j’ai conservé sa let
tre .· puisqu’il a trouvé, il y a deux ans, que j’étais un des jeunes poêles qui donnaient le plus d’espérance à la patrie, — ce sont ses propres expressions, — il ne pourra se dis
penser de parler pour moi. » U rêvait aussi de collaborer activement au Phare des I étirés, revue hebdomadaire qui comptait environ trente abonnés, en y comprenant lés en
vois gratuits, èt qui ne cachait pas la noble prétention de régénérer les arts et la littérature. — Seulement il n’avait pas d’habit pour se mettre en Campagne; il réunit donc le reste de son argent, non sans jeter un regard inquiet sur l’a­
venir ; je l’aidai de quelque monnaie qu’il devait me rendre lors du payement de son premier article, et me chargeai d’aller emprunter pour lui les gants Jouviu et les souliers vernis d’Alexandre Cotin, qui était un fashionable, et qui, ayant la prétention d’être un Adonis, dépensait en parfums et en parures la majeure partie de ses revends. Quatre jours après, le commis du Prince Eugène lui apportait un bel habit noir qui lui allait à merveille. U est vrai qu’il aurait pu sè borner à écrire aux rédacteurs, « mais, disait-il, une lettre se met de côté et s oublie, tandis que dans une visite on conclut tout de suite pendant qu’on est là. » Je n’avais rien à répondre à celte observation.
Le lendemain, dès ! aube, mon ami Grandjean s habilla. Quand j entrai chez lui, i! se contemplait dans ia glace, occu
pation délicate qu’il entrecoupait de soubresauts nerveux et d’exclamations délirantes. Ceux qui ont lu 1 épître de Se
maine à son habit ne s’en étonneront pas. Â vrai dire, il avait belle mine sous les armes, et la toilette faisait admirable
ment saillir des avantages physiques que je ne lui avais pas connus jusque-là. Il retrouva, dans celte grave circon
stance, les instincts de coquetterie cachés au fond de son cœur; il passa une heure à nettoyer ses ongles, à frotter ses
dents, à parer de ses cheveux l’élégant édifice, à peigner sa barbe naissante, objet de ses plus tendres soins. Il étudia ses entrées, ses poses, ses saluts, la manière de s’asseoir et de se lever, celle de se moucher avec grâce et de cracher avec aisance dans son mouchoir. Enfin, jetant un coup d’œil satisfait sur tous les détails de son ajustement : « Il y a bien, dit-il, le chapeau, qui n’est plus très-neuf et qui jure un peu, mais je sais le moyen de le dissimuler adroite
ment,— comme cela, tiens. » Et, en effet, il s’assit, et le plaça si bien entre ses genoux que l’honneur était sauf. Il avait décidément étudié la question sous toutes ses.faces.
il partit donc radieux et tremblant à la fois. Je m’aperçus qu’il ruminait ses phrases d’un air préoccupé, et qu’il roulait même entre ses doigts on petit papier, où il avait sans doute écrit, comme c’était assez son usage, les principaux points sur lesquels ii devait insister, et les traits ingénieux qu’il devait improviser avec à-propos dans la conversation. Aussi ne l’uccompagnai-je pas, de peur de le troubler et de rompre le fil de ses idées.
A la nuit tombante, il rentra, brisé de fatigue. — « Eh bien? » lui criai-je.
— « Eh bien, quoi? » me répondit-il, avec une impatience de mauvais augure.
— « Est-ce que tu n’as pas réussi? »
— « Je ne suis même pas entré. Toute réflexion faite, je crois qu’il vaut mieux écrire. — «Cependant, hier...
— « Hier, c’est possible; aujourd’hui, c’est différent. On peut bien changer d’avis : il n y a que l’expérience pour éclairer les gens.
— « Comment, dans toute ta journée, lu n’as vu personne?
— « J’ai vu un concierge qui m’a répondu que le direc
teur était absent. Et il me regardait des pieds à la tête, ce concierge; il regardait mon chapeau surtout avec une cu
riosité si sardonique et si obstinée, que son regard m’ef
frayait. Et puis il avait 1 air de se moquer de moi, avec ces Iriots sacramentels, prononcés d’une façon toute particu
lière : « Si c’est quelque chose qu’on puisse lui dire! » Je devinais bien ce qu il ajoutait tout bas : « Qu’est-ce que C’est encore? un homme de lettres, bien sûr; un de ces fai
néants de poêles râpés, des mendiants, quoi ! a — Vois-tu, moi, j’ai peur des portiers.
— « Je le crois parbleu bien ; et moi aussi.
— « Cela m’a fait réfléchir, » continua Grandjean. J’ai
voulu éviter les questions, les cancans, les commérages. Les directeurs, du reste, sont toujours absents. Mais supposons que je monte aux bureaux, et que je finisse par trouver mon homme, figure-toi donc les sourires des garçons, les chu
chotements des rédacteurs, qui vous lancent des regards vitreux, parce qu’ils sentent bien, vois-tu, que vous n’êtes pas un abonné, et que vous venez pour rogner leur proie. »
Evidemment, si mon ami Grandjean avait passé toute la journée de la veille a rechercher les raisons de remplacer les lettres par des visites, il avait dû passer la journée du lendemain tout entiè-e à accumuler les raisons de rempla
cer les visites par des lettres. Quoi qu’il en soit, je ne pus m’empêcher d’admirer la richesse et la vivacité de son imagination. Il continua :
« Quant au directeur, il vous reçoit d’un air de protection, — et tu sais si je lès aime, les airs de protection, — au milieu des bureaux, devant tout le monde, il a l’air de vous dire : « Explique-toi respectueusement, mon petit
homme, et surtout soit bref et catégorique. —Moi, ça me glace. Est-ce que ça ne te glacerait pas, toi ?
« Si fait, lui dis-je, pour le faire bien aise ; ça me glacerait. »
Je jouais avec mon ami le rôle du chœur dans les tragé
dies grecques, et je finissais toujours par conclure comme lui.
« Tu vois donc bien , dit-il, que tu es de mon avis : il vaut mieux écrire.
«C’est vrai : il vaut mieux écrire. Je n’y avais pas réfléchi.
« Je ne regrette qu’uile chose, ajouta mon ami Grandjean avec mélancolie : c’est de m’être fait faire un habit, et d’a- voir passé une heure té matin à ma toilette. Je ne le. pardonnerai de ilia vie aux directeurs de journaux. »
Ce. fut toul pour ce jour-là. Mais il me raconta depuis qu’il avait été jusqu’à la porte, de tous les bureaux, sans en excepter un seul. Presque toujours, arrivé devant la mai
son fa talc, il commençait, par se promener un quart d’heure dans la rue pour rassembler ses idées et ses phrasés, tout en se mordant les doigts, et en déracinant un à un les poils follets de sa barbe. Le ijüàrt d’heure écoulé, ordinairement il s’en allait. Quelquefois il se décidait à monter jusque sur le palier, niellai! la main sur le bouton de la porte, s’ar
rêtait alors soiis prétexte de reprendre haleine, et, comme il était très-ingénieux, ne manquait jamais, à ce momentlà, de trouver d’excellentes raisons pour ne pas entrer.
Pauvre garçon! lui, qui, au premier défi, se fût élancé sans hésitation jusqu’au centre des bureaux, pour deman
der, à haute et intelligible voix, si l’on était libre de payer l’abonnement en nature, ou pour solliciter obstinément un rabais de vingt-cinq centimes !
Pourtant il avait fait deux visites dont il ne put se résoudre, que beaucoup plus tard, à me révéler les détails, frag
ments par fragments, — tant il en était peu satisfait. Se trouvant dans la rue dü Cherche-Midi, où trônait, au qua
trième étage, le bureau du Précurseur, il se rappela toul à coup que Mll,c Athénaïs Godard, l’auteur des Cris de l’âme, et M. Jehan Rossignol (d’Epinal, Vosges), demeu
raient tous deux aux environs. Il prit la résolution , je ne sais comment, — peut-être pour ne pas perdre tout à fait les frais de son habit neuf, et parce qu’il se croyait sûr cette fois d’être reçu à bras ouverts, comme un ancien ami,
— de leur faire une visite en passant, sous prétexte de les remercier de leurs aimables réponses à ses lettres, mais,
en réalité, pouf se ménager leur puissante protection dans sa grande entreprise.
il se présenta d’abord chez M. Jehan Rossignol, et pénétra dans une vaste maison meublée, par un long couloir fort étroit et fort obscur, — ce qui l’étonna quelque peu. Mais ce fut bien pis, lorsque, sur sa demande, le portier, sans daigner détourner la tête, lui indiqua le cinquième au-des
sus de l’entresol, par le petit escalier. Il y monta, se disant que les poêles sont tous ainsi, excentriques et bohèmes, aimant à se nicher dans les airs, tout près des nuages.
M. Rossignol, bonhomme ragot et trapu, reniflant, gri
sonnant, et offrant déjà quelques uns des symptômes de la caducité, vint lui ouvrir en personne d’un air de mauvaise humeur. Mon ami embrassa du premier coup d’œil une chambre, prêsqu Une mansarde, garnie dans ce style uni
forme et ëlémenlairé, qui est le luxe des maisons meublées.
Il s’assit sur un fauteuil jaune, et entama assez résolument la conversation. Le petit homme se souvint parfaitement de. sa lettre et de ses vers ; mais Grandjean, qui s’attendait à de nouveaux encouragements, fut bien déçu dans son at
tente : il trouva un poète froissé, qui se mit à déclamer contre les tendances littéraires du siècle, en lui citant son pro
pre exemple comme une preuve convaincante de l’ineptie du public et de la jalousie des gens de lettres, qui avaient organisé contre lui la conspiration du silence. Puis, il lui paria de Gilbert et d’IIégesippe Moreau, qui étaient morts à l’hôpital; de Chatterton, qui s’était empoisonné; d’Elisa Mercœur, qui n’avait pas de bois pour réchauffer son grenier, et lui répéta cinq ou six fois le fameux vers ;
La faim mit au tombeau Malfilâtre ignoré.
« — Avez-vous lu Stella? » dit-il à Grandjean.
« — Non, monsieur, » répondit mon ami, tout décontenancé.
« —Lisez-le, hâtez-vous de le lire, » reprit-il en se levant.
« — J’ai lu vos Vers, monsieur, » fit Grandjean qui donna à sa voix une intonation délicate et flatteuse.
« — C’est égal : il faut lire Stella. Il y a des fautes de goût, mais il vous apprendra comment finissent les poètes. C’est le seul bon livre de toute, la clique romantique. »
Ce disant, ii ouvrit la porte en recommandant à mon ami, jusque sur le palier, de ne jamais entrer dans l’affreuse carrière des lettres, et de se faire plutôt écrivain public ou commis-voyageur : « En un mot, conclut M. Rossi