rents titres àTintérêt n’existent peut-être que pour nous. —Le premier, œuvre triviale de quelque Villon du ruisseau, célèbre les joies et les ripailles du réveillon; il est farci de jambons, de tripes et d’andouilles ; on dirait les aspirations et les convoitises de quelque bohème du moyen âge en ex
tase devant « l’escorcherie de la Gloriette. » Le second est une complainte de sainte Catherine, qui se chante sur un mineur des plus lamentables; c’est un soporifique employé par les nourrices bretonnes avec un succès sans égal pour triompher de l’insomnie des marmots braillards :
Mon père était païen
Ma mère n’était pas païenne), Un soir à la prière,
Mon père me trouva...
Indignation du père : il accable Catherine d’invectives; les supplications de son épouse chrétienne exaltent encore la fureur de ce forcené : il se fait apporter une hache et frappe le coup mortel qui met au front de la jeune martyre l’éternelle auréole des élus. — Le troisième enfin noos cau
sait jadis une déception que l’on va comprendre. — L’âme
d’un juste, affranchie des misères de cette vie, arrive sur l’aile de l’ange gardien au séjour des bienheureux ; saint Pierre lui ouvre la porte azurée du Paradis, elle entre. — Trente couplets environ nous ont mené àce point du récit. — Le. noël continue :
Les anges étaient à table, Bénissez Dieu !
Ces vers, deux fois répétés, mettaient naturellement notre imagination en émoi. Qu’allaient, en effet, devenir, devant le menu d’un festin céleste, les rochers de sucre candi, les nuages de crème à la vanille, les rivières d ambroisie, et tout ce dénombrement de friandises qui nous avait tant charmé dans le Voyage à Vile des Plaisirs de, Fénelon? Mais la suite du couplet nous apportait un véritable mécompte :
Les anges étaient à ta b’e, Chantant le Gloria
A re Maria !
Ainsi finit ce noël, ou plutôt lâ s’est arrêté le barde chrétien. Pi is sans doute de vertige lorsque les yeux de sa pen
sée se sont ouverts sur les splendeurs de l’Eternei, il ne s’est plus inquiété de nous dire pourquoi les anges étaient à
phins, à quoi bon celte table? serait-ce un symbole? une allusion Λ la sainte table ? Décidément ce meuble serait-il en effet doué de quelque privilège sacré? Nous faudra-t-il regretter un jour d’avoir irrévérencieusement parlé des ta
les enfants, heureux de saisir imites les occasions d’exercer la charité, amassent durant le jour un trésor de gros sous, desliné à récompenser chez les chonteurs le zèle à défaut du talent; et l’heure venue, ils obéissent sans y prendre garde au précepte divin : Vax hominibus bonté voluntatis!
René de K. Exposition des beaux-arts.
SUISSE.
Van Müyden. — le Réfectoire des capucins à Albano. Il se place tout naturellement â côté de Leys. La peinture est moins brillante, moins vigoureuse, il y a moins de pro
fondeur de pensée, moins de poésie concentrée sous des ap
parences vulgaires ; mais M. Van Muyden appartient à la
même école par la préoccupation où il est de son sujet, par la façon très-simple dont il l’aborde.
Le Réfectoire des capucins représente une salle basse, voûtée, blanchie à la chaux. Autour, d’étroites tables a pieds vermoulus; le long des murs, devant les tables, des capu
cins de tout âge, de tout aspect; rien de grotesque, rien de très-élevé ; pas de grosse trogne de moine rebondi, pas de figures ascétiques non plus; les uns plus vieux, les autres plus jeunes, les uns plus gras, les autres plus maigres ; l un qui lit comme on lit au couvent, d’une voix monotone, l esprit ailleurs ; les autres qui écoutent ou qui n’écoulent pas ;
tous avec une physionomie disciplinée sous la diversité ; et de ci, de là, picotant, miaulant, au repos, dans l’attente,
des pies avec des chats : le seul bout par Ou ces pauvres moines soient hommes.
C’est d’une vérité saisissante ; vérité sans caricature : la vie saisie sur le l ait, voilà tout. Au premier moment on souril, dès qu’on regarde un peu on ne souri! plus, le sourire volontiers s’éteindrait dans une larme.
Cetle existence de plomb pèse sur le cœur; on sent grandir dans famé comme lin sourd désespoir. Pas une plainte, pas une douleur extrême sur ces visages ; pas un vestige de joie non plus. — Et savez-vous ou, pour moi, s’est réfugiée toute la poésie de la scène : poésie intime, cachée, pauvre reste de jeunesse bientôt enseveli sous la mort qui monte,
monte, toujours?Là, vers ce coin de table où pend une ficelle, tout près des doigts de ce moine à la barbe noire, impassible devant son écuelle; elle descend agaçante, la ficelle, juste devant le museau d’un minet, petit calfard aux yeux d’escarboucle, qui hésite entre le respect de la règle et un coup de pattô. —Cette ficelle me jette en de plus tristes pensers qu’une élégie.
Calame. — Au-dessus du Réfectoire des capucins bleuit son Lac des quatre cantons.
Oui, il est hardiment bleu, d’un bleu d’outremer, profond entre les montagnes qui tombent à plomb jusqu’en ses derniers abîmes.
11 n’y a que cela; celte eau calme, d’un bleu déterminé; ces Alpes où flotte une vapeur insaisissable, puis sur le flanc de l’une d’elles; à gauche; une traînée lumineuse qui se
prolonge dans les flots et qu’on suit un inslant sous l’humide surface. ·— Cest si audacieux qu’à première vue on ne peut retenir une exclamation. Mais c’est du Calame, on n’ose pas. Si c’était un autre ! — On se rapproche, on con
temple, on est subjugué. C’est cela, c’est bien cette beauté sauvage, ces tons presque offensants à force d’être énergi
ques, cetle pureté qui frise le cru, cet air limpide, cetle surabondante magie des aspects qui fait crier devant la nature suisse : C est impossible !
C’est impossible et c’est vrai, et quand on a quelque temps plongé du regard dans ces deux intenses de l’IIelvétie qu’on appelle ses lacs, quand on a remonté ces âpres contre- forts, respiré cet air vif, suivi d’un œil étonné, pres
que fatigué, l’arête des glaciers, ligne étincelante dans 1 a- zur, la grandeur de telles scènes, leur idéale poésie qui d’abord avait oppressé le êœur, l’emplit d’une sorte d’extase.
Ce n’est pas du trouble, ce n’esl pas de la passion, c’est l’élargissement des facultés de jouir et d’admirer : quelque chose de. ce que doit senlir l’aigle quand il plane, immobile, les ailes ouvertes, dans l’éther du ciel.
CHILI OU PÉROU.
Laso. — J’accroche ici un Potier des Cordillères, placé à contre-jour dans l’Exposition, pendu le. long d’une mu
raille sombre, dans un coin, ce qui ne l’empêche pas d’être superbe.
Potier, si vous voulez, parce qu’il tient un pot, une zinzamia de par là-bas ; connue les moissonneurs de Léopold Robert sont moissonneurs , parce qu’ils s’appuyent contre un char de blé ; homme avant tout ; homme dans la belle, sévère, spirituelle acception du mot.
Il est debout ce potier, son vase aux mains, la tête couverte du large sombrero qui 1 fisse tomber une ombre sé
rieuse sur le haut de son visage. Ce n’est pas la teinte noire et sèche de la Méfiée; c’est un elletétonnamnient sobre, qui modère l’éclat des yeux, qui jolie la poésie du myslère sur celte figure. Grave est la bouche, digne est l’attitude. Cet homme fait des pots, et il est 1e roi de la création : celui qui sait souffrir, celui qui sait vaincre, celui qui sail dire â son cœur ; Je veux.
Où est l’empreinte de cette royauté? Partout. Dans les traits, paisibles et virils ; dans la tristesse, énergique; dans la pose, d’une simplicité qui toucherait presque à la roideur si le calme suprême, si la plénitude du sentiment de. la puissance ne dominaient pas. Il n’y a là qu’une figure, et ce n’est pas un portrait de tête couronnée ; eh bien ! il s’en
exhale une noblesse, il y règne un caractère de grandeur qui imprime le respect, d’un seul coup, sans le vouloir, sans le savoir.
Par l’Allemagne, j’entends tout ce qui n’est ni Belge, ni Anglais, ni Suisse/, ni Italien (pauvre Italie, maigrement représentée à l’Exposition, sauf un tableau, le Blessé de Nocarre, morceau plein de délicatesse, qui pèche parla faiblesse du coloris) ; j’entends donc ce. qui parle allemand, ou suédois, el dès mon premier pas je rencontre :
Kaulbach. — Parmi les trois beaux portraits qu’il nous a envoyés, tous trois portant le sceau d’une incontestable maestria, je choisis le meilleur à mon gré; celui d une dame.
Celle dame est en pied, vêtue d’une robe de velours qui tombe à longs plis. Je la vois , cette gracieuse, cette noble figure, le type de la beauté qu’illumine l’idée, avec des traits où le charme, où la chaste séduction l’emportent encore srr la régularité. Il y a là ce quelque chose de sublime qu’on appelle l’idéal. Le dessin, la peinture, le modelé en sont parfaits ; mais on peut avoir tout cela et l’idéal man
quer. L’idéal, c’est cetle vapeur qui baigne la nature au matin d’un beau jour, qui monte avec le soleil, qui jette son harmonie à toutes les lignes, qui met l’empreinte du cé
leste aux scènes de la terre. L’idéal ne se cherche point; quand on le cherche on donne dans le maniéré. L’idéal s’exhale d.e l’âme de l’artiste, il s’exhale du modèle; c’est une révélation , c’est l’ange des secrètes beautés qui vient toucher de sa palme le front du peintre.
Je suis sûr que ce portrait de femme est vrai, je suis certain qu’il est vrai d’une vérité très-élevée ; que la personne a été saisie au moment de l’éclat intérieur, de ce rayonnement du cœur, de celle splendeur de la pensée qui transfigurent le visage. Il y a dans celte peinture un travail pro
fond, une profonde science des effets ; il n’y a pas un effort, pas un problème ; Kaulbach ne s’est pas dil une fois : «Je montrerai ceci, je prouverai celai » C’est le contraire d’un tour de force.
Muller. —- Roméo el Juliette au tombeau — D’un ordre inférieur, comme exécution, je dirais presque comme, pensée, quoiqu’elle m’aille au cœur. Décidément, ici, le su
jet est plus grand que l’artiste. On voudrait des Ions plus chauds, on voudrait un caractère moins vague, bien qu’une sorte de vague, celui de la morl aux ailes pesanles, doive planer sur la scène entière.
Roméo près d’expirer est couché devant le tombeau de Juliette. La douleur l’a vaincu ; le sourire du dernier espoir trompé entr’ouvre ses lèvres mourantes; le faix du long sommeil, volontairement appelé, par une suprême défiance de Dieu, pèse sur ses traits. L’amour erre encore sur ce pâle visage ; il erre, près de s envoler, esprit de vie le, plus invincible 1 Et comme il va s’évanouir, remonter avec le souffle, Juliette, Juliette chancelante, mal réveillée de 1 as
soupissement de plomb qui l a clouée dans le cercueil ; Ju
liette mal certaine de vivre, le regard flottant, la pensée indécise, n’ayant en elle qd’un sentiment net, brûlant: l’a mour; Juliette se traîne vers son bien-àlmé; Elle y est tout
entière attirée sans en avoir conscience. Elle n a pas compris; elle va comprendre. — Et ce qu’il y a de souveraine
ment beau dans ces deux figures, c’est cet amour, phare lumineux qui brille quand s’éteint tout le reste. L’idée, la mémoire, la cohérence, le raisonnement, tout a sombré ; l’amour seul est plus fort que la mort.
Cornelius. — Qu’en dirai-je? Ce sont des cartons, immenses, gigantesques. Cola m’a l’air très-pur, très-large, jeté, de main de maître. Cela vit, même cela se bat ou fait lout comme. Mais il y a un peu d iscompigtio ; il y a trop de lignes heurtées et tourmentées. Il faut être décidément du mélier pour s’éprendre, de cela, pour s’en échauffer. J’estime ces ébauches qui remplissent un panneau, je les
crois très-belles; tous mes instincts me portent vers des sujets plus clairs, plus sobres, où je m’éparpille moins.
Je trouve qu’en peinture, et peut-être dans le drame, et aussi dans le roman, l’intérêt est en sens inverse du nombre des personnages.
Je ne. puis pas, à la lettre, regarder longtemps une bataille, une page historique surchargée de figures. C’est une infirmité de ma nature, je m’en humilie. La toile devient alors estampe, ce n’est plus de la peinture. Quelque effort que je tente pour raccrocher ici ou là, mon âme ne se prend à rien. Il en résulte une sorte de chute sans fin, dans le vide, et un inexprimable malaise.
El puis il y a en peinture, ce me semble, comme en sculpture, des proportions dont on ne sort pas impunément.
En sculpture,le plus petil que nature est particulièrement désagréable; la nature même est encore trop petite, il faut la surfaire, sous peine de mesquinerie. En peinture, il y a un milieu entre le trop grand et le trop petit ; milieu assez large dans le cadre duquel se Irouve, je ne dirai pas le beau, le beau se rencontre partout; mais la poésie, mais l attrait, mais une certaine facilité d’assimilation, sans quoi l’esprit peut jouir, sans quoi le cœur ne se prend point. — Or ces très-nobles Jacquemarts de Cornélius sont décidément d une espèce si différente de la mienne, que leurs querelles, leurs embrochements, leurs écrasements, leurs percements me laissent froid. C’est égoïste, mais c’esl comme cela.
MagNus. ·— Il y a loin de ces grandes coquines de figures antédiluviennes au portrait naïf de Jenny l.ind.
N’analysons pas les traits. Nous serons bien avancés, n’es(-ne pas, quand nous aurons découvert que le nez n’a pas la forme grecque, que la bouche est un peu trop grande et que nous nous sommes laissé séduire en dehors des règles ?
Ce portrait rayonne de pureté. L’ârne y passe tout entière dans ce beau regard bleu, sincère, doux avec un sai
en robe de mousseline, blanche, avec des camélias blancs dans les cheveux ; el sans m’arrêter au mérite des difficul
tés vaincues, de ce blanc, sur blanc, noyé dans le blanc; je dis que c’est là une de ces toiles qui disent des choses aimables, et il n’y en a pas beaucoup comme cela.
Roeting. —Vis-à-vis, à peu près, un admirable, portrait d’homme. Le vêtement est un peu bien noir,· presqu’un peu
ambu; j’aurais voulu quelque fourrure au ton roux, pour relever le modelé ; mais quelle lêle, quelle allilude, quel portamento !
Cet homme-là sait ce que c’est que la vie ; il s’est heurté contre le inonde, il n’a pas failli d’une ligne, il n’a pas ployé. Son front, au contraire, se relève plus fier, son regard est plus droit, sa pensée est plus nette, sa volonté plus arrê
tée ; c’est un acier trempé qui ne trompera pas. Sa loyauté, qui a rencontré la diplomatie des autres, a comme (les arê
tes plus vives; son courage, qui a vu mollir et se fondre de moindres énergies, s’est durci comme le, diamant. Il a foi
encore, il aura foi toujours dans ce qui est beau, dans ce qui est bon, el il croit qu’il y a de. tout cela parmi notre boue terrestre ; mais il sait que rien ne s’acquiert, que rien ne so maintient sans rude bataille. : il se battra.
Knauss. — Campement de bohémiens.
Voici lin maître. C’est la vérité à sa plus haute puissance, la vérité vivante, avec l’esprit, avec la poésie. Ce n’est pas de la prose, que je ne sais qu’elle ignoble école du laid se plaît à confondre avec la vérité.
Sur le devant, un gros arbre de forêt, comme il en vient, comme les bûcherons en oublient sur le bord des clairiè
mienne, le teint parcheminé, autrefois diaboliquement belle, l’œil de feu, en baillons, le gesle tragique, qui a tout vu, tout, su, tout fait, et qui démontre par a plus b, à un vieux garde -champêtre en casquette à longue visière, comme quoi il n’est qu’une bête. Ce n’est pas la lettre, c’est l’esprit. Le garde champêtre n’y voit goutle, il est embrouillé, pas sa
tisfait du tout ; il se sent entortillé, mécanisé, mis dedans, il ne saurait dire par où ni comment. Les papiers sont en règle. Ces gens, la vieille le lui prouve, sont absolument inoffensifs. Leur balte momentanée au pied du chêne n’empêchera ni la commune de faire ses foins, ni le village d’envoyer aux étoiles la fumée de ses toils qui moule en tran
quilles spirales. — Pourtant le représentant du pouvoir officiel n’est pas tranquille, lui; ni son roquet, son roquet casanier qui se hérisse devant le singe vagabond, arclïifinaud, archirôtisseurde balais, grimacier, impertinent sous son humble attitude; ni ces quatre, ou cinq lourdauds, la force armée, rangés là-bas, fourche en main, [oui prêts à voler au secours de leur fonctionnaire, ou à se, sauver.
Appuyé d’un bras contre l’arbre, une fière figure d’homme, chapeau pointu en tête, le (ils aîné de la vieille, écoute.
C’est un homme de résolution, d’action, dont la royauté sauvage réside dans les fins poignets d’acier. — La femme de celui-là allaite quelque enfant, soucieuse, brunie, belle encore ; elle ne rit plus guère; deux ou trois marmots se roulent devant elle dans l’herbe.
tase devant « l’escorcherie de la Gloriette. » Le second est une complainte de sainte Catherine, qui se chante sur un mineur des plus lamentables; c’est un soporifique employé par les nourrices bretonnes avec un succès sans égal pour triompher de l’insomnie des marmots braillards :
Mon père était païen
Ma mère n’était pas païenne), Un soir à la prière,
Mon père me trouva...
Indignation du père : il accable Catherine d’invectives; les supplications de son épouse chrétienne exaltent encore la fureur de ce forcené : il se fait apporter une hache et frappe le coup mortel qui met au front de la jeune martyre l’éternelle auréole des élus. — Le troisième enfin noos cau
sait jadis une déception que l’on va comprendre. — L’âme
d’un juste, affranchie des misères de cette vie, arrive sur l’aile de l’ange gardien au séjour des bienheureux ; saint Pierre lui ouvre la porte azurée du Paradis, elle entre. — Trente couplets environ nous ont mené àce point du récit. — Le. noël continue :
Les anges étaient à table, Bénissez Dieu !
Ces vers, deux fois répétés, mettaient naturellement notre imagination en émoi. Qu’allaient, en effet, devenir, devant le menu d’un festin céleste, les rochers de sucre candi, les nuages de crème à la vanille, les rivières d ambroisie, et tout ce dénombrement de friandises qui nous avait tant charmé dans le Voyage à Vile des Plaisirs de, Fénelon? Mais la suite du couplet nous apportait un véritable mécompte :
Les anges étaient à ta b’e, Chantant le Gloria
A re Maria !
Ainsi finit ce noël, ou plutôt lâ s’est arrêté le barde chrétien. Pi is sans doute de vertige lorsque les yeux de sa pen
sée se sont ouverts sur les splendeurs de l’Eternei, il ne s’est plus inquiété de nous dire pourquoi les anges étaient à
table..— Si l’encens est la nourriture céleste; si l’amour (t l’harmonie sont les sources auxquelles s’abreuvent les séra
phins, à quoi bon celte table? serait-ce un symbole? une allusion Λ la sainte table ? Décidément ce meuble serait-il en effet doué de quelque privilège sacré? Nous faudra-t-il regretter un jour d’avoir irrévérencieusement parlé des ta
bles tournantes et fatidiques? — Tels qu’ils sont enfin, ces noêls émerveillent le naïf auditoire auquel ils s’adressent;
les enfants, heureux de saisir imites les occasions d’exercer la charité, amassent durant le jour un trésor de gros sous, desliné à récompenser chez les chonteurs le zèle à défaut du talent; et l’heure venue, ils obéissent sans y prendre garde au précepte divin : Vax hominibus bonté voluntatis!
René de K. Exposition des beaux-arts.
SOUVENIRS D’UN SPIRITUALISTE.
(Suite. — Voir les numéros 666, 667, 668 et 669.;
SUISSE.
Van Müyden. — le Réfectoire des capucins à Albano. Il se place tout naturellement â côté de Leys. La peinture est moins brillante, moins vigoureuse, il y a moins de pro
fondeur de pensée, moins de poésie concentrée sous des ap
parences vulgaires ; mais M. Van Muyden appartient à la
même école par la préoccupation où il est de son sujet, par la façon très-simple dont il l’aborde.
Le Réfectoire des capucins représente une salle basse, voûtée, blanchie à la chaux. Autour, d’étroites tables a pieds vermoulus; le long des murs, devant les tables, des capu
cins de tout âge, de tout aspect; rien de grotesque, rien de très-élevé ; pas de grosse trogne de moine rebondi, pas de figures ascétiques non plus; les uns plus vieux, les autres plus jeunes, les uns plus gras, les autres plus maigres ; l un qui lit comme on lit au couvent, d’une voix monotone, l esprit ailleurs ; les autres qui écoutent ou qui n’écoulent pas ;
tous avec une physionomie disciplinée sous la diversité ; et de ci, de là, picotant, miaulant, au repos, dans l’attente,
des pies avec des chats : le seul bout par Ou ces pauvres moines soient hommes.
C’est d’une vérité saisissante ; vérité sans caricature : la vie saisie sur le l ait, voilà tout. Au premier moment on souril, dès qu’on regarde un peu on ne souri! plus, le sourire volontiers s’éteindrait dans une larme.
Cetle existence de plomb pèse sur le cœur; on sent grandir dans famé comme lin sourd désespoir. Pas une plainte, pas une douleur extrême sur ces visages ; pas un vestige de joie non plus. — Et savez-vous ou, pour moi, s’est réfugiée toute la poésie de la scène : poésie intime, cachée, pauvre reste de jeunesse bientôt enseveli sous la mort qui monte,
monte, toujours?Là, vers ce coin de table où pend une ficelle, tout près des doigts de ce moine à la barbe noire, impassible devant son écuelle; elle descend agaçante, la ficelle, juste devant le museau d’un minet, petit calfard aux yeux d’escarboucle, qui hésite entre le respect de la règle et un coup de pattô. —Cette ficelle me jette en de plus tristes pensers qu’une élégie.
Calame. — Au-dessus du Réfectoire des capucins bleuit son Lac des quatre cantons.
Oui, il est hardiment bleu, d’un bleu d’outremer, profond entre les montagnes qui tombent à plomb jusqu’en ses derniers abîmes.
11 n’y a que cela; celte eau calme, d’un bleu déterminé; ces Alpes où flotte une vapeur insaisissable, puis sur le flanc de l’une d’elles; à gauche; une traînée lumineuse qui se
prolonge dans les flots et qu’on suit un inslant sous l’humide surface. ·— Cest si audacieux qu’à première vue on ne peut retenir une exclamation. Mais c’est du Calame, on n’ose pas. Si c’était un autre ! — On se rapproche, on con
temple, on est subjugué. C’est cela, c’est bien cette beauté sauvage, ces tons presque offensants à force d’être énergi
ques, cetle pureté qui frise le cru, cet air limpide, cetle surabondante magie des aspects qui fait crier devant la nature suisse : C est impossible !
C’est impossible et c’est vrai, et quand on a quelque temps plongé du regard dans ces deux intenses de l’IIelvétie qu’on appelle ses lacs, quand on a remonté ces âpres contre- forts, respiré cet air vif, suivi d’un œil étonné, pres
que fatigué, l’arête des glaciers, ligne étincelante dans 1 a- zur, la grandeur de telles scènes, leur idéale poésie qui d’abord avait oppressé le êœur, l’emplit d’une sorte d’extase.
Ce n’est pas du trouble, ce n’esl pas de la passion, c’est l’élargissement des facultés de jouir et d’admirer : quelque chose de. ce que doit senlir l’aigle quand il plane, immobile, les ailes ouvertes, dans l’éther du ciel.
CHILI OU PÉROU.
Laso. — J’accroche ici un Potier des Cordillères, placé à contre-jour dans l’Exposition, pendu le. long d’une mu
raille sombre, dans un coin, ce qui ne l’empêche pas d’être superbe.
Potier, si vous voulez, parce qu’il tient un pot, une zinzamia de par là-bas ; connue les moissonneurs de Léopold Robert sont moissonneurs , parce qu’ils s’appuyent contre un char de blé ; homme avant tout ; homme dans la belle, sévère, spirituelle acception du mot.
Il est debout ce potier, son vase aux mains, la tête couverte du large sombrero qui 1 fisse tomber une ombre sé
rieuse sur le haut de son visage. Ce n’est pas la teinte noire et sèche de la Méfiée; c’est un elletétonnamnient sobre, qui modère l’éclat des yeux, qui jolie la poésie du myslère sur celte figure. Grave est la bouche, digne est l’attitude. Cet homme fait des pots, et il est 1e roi de la création : celui qui sait souffrir, celui qui sait vaincre, celui qui sail dire â son cœur ; Je veux.
Où est l’empreinte de cette royauté? Partout. Dans les traits, paisibles et virils ; dans la tristesse, énergique; dans la pose, d’une simplicité qui toucherait presque à la roideur si le calme suprême, si la plénitude du sentiment de. la puissance ne dominaient pas. Il n’y a là qu’une figure, et ce n’est pas un portrait de tête couronnée ; eh bien ! il s’en
exhale une noblesse, il y règne un caractère de grandeur qui imprime le respect, d’un seul coup, sans le vouloir, sans le savoir.
ALLEMAGNE.
Par l’Allemagne, j’entends tout ce qui n’est ni Belge, ni Anglais, ni Suisse/, ni Italien (pauvre Italie, maigrement représentée à l’Exposition, sauf un tableau, le Blessé de Nocarre, morceau plein de délicatesse, qui pèche parla faiblesse du coloris) ; j’entends donc ce. qui parle allemand, ou suédois, el dès mon premier pas je rencontre :
Kaulbach. — Parmi les trois beaux portraits qu’il nous a envoyés, tous trois portant le sceau d’une incontestable maestria, je choisis le meilleur à mon gré; celui d une dame.
Celle dame est en pied, vêtue d’une robe de velours qui tombe à longs plis. Je la vois , cette gracieuse, cette noble figure, le type de la beauté qu’illumine l’idée, avec des traits où le charme, où la chaste séduction l’emportent encore srr la régularité. Il y a là ce quelque chose de sublime qu’on appelle l’idéal. Le dessin, la peinture, le modelé en sont parfaits ; mais on peut avoir tout cela et l’idéal man
quer. L’idéal, c’est cetle vapeur qui baigne la nature au matin d’un beau jour, qui monte avec le soleil, qui jette son harmonie à toutes les lignes, qui met l’empreinte du cé
leste aux scènes de la terre. L’idéal ne se cherche point; quand on le cherche on donne dans le maniéré. L’idéal s’exhale d.e l’âme de l’artiste, il s’exhale du modèle; c’est une révélation , c’est l’ange des secrètes beautés qui vient toucher de sa palme le front du peintre.
Je suis sûr que ce portrait de femme est vrai, je suis certain qu’il est vrai d’une vérité très-élevée ; que la personne a été saisie au moment de l’éclat intérieur, de ce rayonnement du cœur, de celle splendeur de la pensée qui transfigurent le visage. Il y a dans celte peinture un travail pro
fond, une profonde science des effets ; il n’y a pas un effort, pas un problème ; Kaulbach ne s’est pas dil une fois : «Je montrerai ceci, je prouverai celai » C’est le contraire d’un tour de force.
Muller. —- Roméo el Juliette au tombeau — D’un ordre inférieur, comme exécution, je dirais presque comme, pensée, quoiqu’elle m’aille au cœur. Décidément, ici, le su
jet est plus grand que l’artiste. On voudrait des Ions plus chauds, on voudrait un caractère moins vague, bien qu’une sorte de vague, celui de la morl aux ailes pesanles, doive planer sur la scène entière.
Roméo près d’expirer est couché devant le tombeau de Juliette. La douleur l’a vaincu ; le sourire du dernier espoir trompé entr’ouvre ses lèvres mourantes; le faix du long sommeil, volontairement appelé, par une suprême défiance de Dieu, pèse sur ses traits. L’amour erre encore sur ce pâle visage ; il erre, près de s envoler, esprit de vie le, plus invincible 1 Et comme il va s’évanouir, remonter avec le souffle, Juliette, Juliette chancelante, mal réveillée de 1 as
soupissement de plomb qui l a clouée dans le cercueil ; Ju
liette mal certaine de vivre, le regard flottant, la pensée indécise, n’ayant en elle qd’un sentiment net, brûlant: l’a mour; Juliette se traîne vers son bien-àlmé; Elle y est tout
entière attirée sans en avoir conscience. Elle n a pas compris; elle va comprendre. — Et ce qu’il y a de souveraine
ment beau dans ces deux figures, c’est cet amour, phare lumineux qui brille quand s’éteint tout le reste. L’idée, la mémoire, la cohérence, le raisonnement, tout a sombré ; l’amour seul est plus fort que la mort.
Cornelius. — Qu’en dirai-je? Ce sont des cartons, immenses, gigantesques. Cola m’a l’air très-pur, très-large, jeté, de main de maître. Cela vit, même cela se bat ou fait lout comme. Mais il y a un peu d iscompigtio ; il y a trop de lignes heurtées et tourmentées. Il faut être décidément du mélier pour s’éprendre, de cela, pour s’en échauffer. J’estime ces ébauches qui remplissent un panneau, je les
crois très-belles; tous mes instincts me portent vers des sujets plus clairs, plus sobres, où je m’éparpille moins.
Je trouve qu’en peinture, et peut-être dans le drame, et aussi dans le roman, l’intérêt est en sens inverse du nombre des personnages.
Je ne. puis pas, à la lettre, regarder longtemps une bataille, une page historique surchargée de figures. C’est une infirmité de ma nature, je m’en humilie. La toile devient alors estampe, ce n’est plus de la peinture. Quelque effort que je tente pour raccrocher ici ou là, mon âme ne se prend à rien. Il en résulte une sorte de chute sans fin, dans le vide, et un inexprimable malaise.
El puis il y a en peinture, ce me semble, comme en sculpture, des proportions dont on ne sort pas impunément.
En sculpture,le plus petil que nature est particulièrement désagréable; la nature même est encore trop petite, il faut la surfaire, sous peine de mesquinerie. En peinture, il y a un milieu entre le trop grand et le trop petit ; milieu assez large dans le cadre duquel se Irouve, je ne dirai pas le beau, le beau se rencontre partout; mais la poésie, mais l attrait, mais une certaine facilité d’assimilation, sans quoi l’esprit peut jouir, sans quoi le cœur ne se prend point. — Or ces très-nobles Jacquemarts de Cornélius sont décidément d une espèce si différente de la mienne, que leurs querelles, leurs embrochements, leurs écrasements, leurs percements me laissent froid. C’est égoïste, mais c’esl comme cela.
MagNus. ·— Il y a loin de ces grandes coquines de figures antédiluviennes au portrait naïf de Jenny l.ind.
N’analysons pas les traits. Nous serons bien avancés, n’es(-ne pas, quand nous aurons découvert que le nez n’a pas la forme grecque, que la bouche est un peu trop grande et que nous nous sommes laissé séduire en dehors des règles ?
Ce portrait rayonne de pureté. L’ârne y passe tout entière dans ce beau regard bleu, sincère, doux avec un sai
sissant caractère de loyauté, — C’est une femme blonde,
en robe de mousseline, blanche, avec des camélias blancs dans les cheveux ; el sans m’arrêter au mérite des difficul
tés vaincues, de ce blanc, sur blanc, noyé dans le blanc; je dis que c’est là une de ces toiles qui disent des choses aimables, et il n’y en a pas beaucoup comme cela.
Roeting. —Vis-à-vis, à peu près, un admirable, portrait d’homme. Le vêtement est un peu bien noir,· presqu’un peu
ambu; j’aurais voulu quelque fourrure au ton roux, pour relever le modelé ; mais quelle lêle, quelle allilude, quel portamento !
Cet homme-là sait ce que c’est que la vie ; il s’est heurté contre le inonde, il n’a pas failli d’une ligne, il n’a pas ployé. Son front, au contraire, se relève plus fier, son regard est plus droit, sa pensée est plus nette, sa volonté plus arrê
tée ; c’est un acier trempé qui ne trompera pas. Sa loyauté, qui a rencontré la diplomatie des autres, a comme (les arê
tes plus vives; son courage, qui a vu mollir et se fondre de moindres énergies, s’est durci comme le, diamant. Il a foi
encore, il aura foi toujours dans ce qui est beau, dans ce qui est bon, el il croit qu’il y a de. tout cela parmi notre boue terrestre ; mais il sait que rien ne s’acquiert, que rien ne so maintient sans rude bataille. : il se battra.
Knauss. — Campement de bohémiens.
Voici lin maître. C’est la vérité à sa plus haute puissance, la vérité vivante, avec l’esprit, avec la poésie. Ce n’est pas de la prose, que je ne sais qu’elle ignoble école du laid se plaît à confondre avec la vérité.
Sur le devant, un gros arbre de forêt, comme il en vient, comme les bûcherons en oublient sur le bord des clairiè
res. Sous cet arbre, un peu à droite, une vieille bohé
mienne, le teint parcheminé, autrefois diaboliquement belle, l’œil de feu, en baillons, le gesle tragique, qui a tout vu, tout, su, tout fait, et qui démontre par a plus b, à un vieux garde -champêtre en casquette à longue visière, comme quoi il n’est qu’une bête. Ce n’est pas la lettre, c’est l’esprit. Le garde champêtre n’y voit goutle, il est embrouillé, pas sa
tisfait du tout ; il se sent entortillé, mécanisé, mis dedans, il ne saurait dire par où ni comment. Les papiers sont en règle. Ces gens, la vieille le lui prouve, sont absolument inoffensifs. Leur balte momentanée au pied du chêne n’empêchera ni la commune de faire ses foins, ni le village d’envoyer aux étoiles la fumée de ses toils qui moule en tran
quilles spirales. — Pourtant le représentant du pouvoir officiel n’est pas tranquille, lui; ni son roquet, son roquet casanier qui se hérisse devant le singe vagabond, arclïifinaud, archirôtisseurde balais, grimacier, impertinent sous son humble attitude; ni ces quatre, ou cinq lourdauds, la force armée, rangés là-bas, fourche en main, [oui prêts à voler au secours de leur fonctionnaire, ou à se, sauver.
Appuyé d’un bras contre l’arbre, une fière figure d’homme, chapeau pointu en tête, le (ils aîné de la vieille, écoute.
C’est un homme de résolution, d’action, dont la royauté sauvage réside dans les fins poignets d’acier. — La femme de celui-là allaite quelque enfant, soucieuse, brunie, belle encore ; elle ne rit plus guère; deux ou trois marmots se roulent devant elle dans l’herbe.