œuvre tout ce qu’on a dit sur les infortunes des susdits prix de Rome.
Ceux qui ont du talent produisent des opéras applaudis, gagnent de l’argent et deviennent cé
lèbres : ceux qui n’ont ni le talent ni la patience d’en acquérir font absolument ce qu’ils veulent :
je n’ai aucune raison, moi, contribuable, pour rien donner, fût-ce un patard, à ces estimables fruits secs : c’est déjà bien gentil que sur une simple promesse, sur la vue d’un simple embryon,
on les ait bombardés pensionnaires de l’État, et qu’on leur ait fourni quatre ans de loisirs studieux. En fait-on autant pour les poètes, les romanciers et les dramaturges ?
Cette cérémonie des prix de Rome a lieu, tous les ans, comme vous savez; d’ordinaire, cela comporte dix lignes dans les faits divers des journaux ; cette année, la chose a eu quelque reten
tissement. Sur cinq concurrents qui sollicitaient l’attention du jury, le récompensé serait, paraîtil, celui qui le mérite le moins.
A priori, j’avoue c/ue j’entre en défiance lorsque je vois des protestations de ce genre, et je
suis convaincu que si les musiciens évincés avaient obtenu le prix, les amis du vainqueur actuel eussent crié à l’injustice. Là est lé côté faible des concours de ce genre. Lorsqu’il s’agit de répon
dre sur des matières scientifiques, historiques ou grammaticales, c’est-à-dire précises, autant que la précision est de ce monde, on ne peut ni soupçonner la compétence, ni incriminer la complai
sance du jury examinateur; mais dans les matières d’appréciation, d’abstraction, on s’expose toujours à des déconvenues comme celle qui a mis le Conservatoire en émoi.
Ou le jury est composé d’êtres ineptes et ignares, oui! est composé de malhonnêtes gens: telle est la conclusion forcée des violentes réclamations soulevées par une camaraderie zelée ou par une
vanité exaltée. Le ministre des beaux-arts a eu la faiblesse de faire une concession, et une place se trouvant vacante, par suite de démission, à la villa Médicis, elle a été donnée à un deuxième laui éat. Or, il advient que ce deuxième lauréat n’é tant point le protégé de la presse, la presse continue à grincer des dents.
Ou ne saurait contenter tout le monde et son père. Pour ma part, je trouve la leçon très-correcte, très-instructive, et cela m’encouragerait à suppri
mer ou tout au moins à modifier profondément le système des concours actuels. Ainsi je n’im
poserais pas aux concurrents un sujet identique :
je laisserais quelque part à l’élan personnel, à l’individualité, à l’imagination; les rhéteurs, en mu
sique comme en autre chose, feront toujours quelque chose de propre sur un sujet donné : ce système peut, au contraire, mettre des souliers de plomb à un homme de génie, qui a besoin de s’envoler où il veut, sur les ailes enflammées de son imagination. Je ne me figure pas exactement Beethoven écrivant une cantate intitulée la Ven
detta ou le Jugement de Dieu. Je gage qu’il n’eût été ni premier, ni second, ni peut-être troisième en ce concours.
Au surplus, il y aurait des volumes à écrire sur la vanité de la gent artistique, depuis tes maîtres les plus glorieux jusqu’aux plus humbles élèves.
Dans ce maudit métier, l’irritabilité se développe jusqu’à l’extravagance; les questions de concur
rence, de rivalité, compliquent les susceptibilités de l’amour-propre. Journalistes, compositeurs, pianistes, comédiens, tout ce qu’on peut nous demander, c’est de ne pas dire de mal de nos con
frères ; quant à nous empêcher d’en penser, cela est impossible.
Nous voici également à la veille d’une autre réforme capitale, l’établissement d’une école de mé
decine libre pour les femmes, où seront conférés des diplômes, et qui rendra d’immenses services, surtout dans les campagnes, où les malades sont entre les mains soit de médecins trop occupés, soit de religieuses plus zélées qu’intelligentes.
— Voilà, disais-je à un médecin pour dames ( spécialité s. g. d. g.), une concurrence qui va diminuer votre clientèle.
L’aimable homme sourit et me dit finement :
— Les femmes, en général, croient moins à la médecine qu’au médecin : quand nous guérissons, c’est souvent à l’aide de ce magnétisme masculin qu’on n’a pas encore su remplacer par autre chose,
eu égard aux femmes. Ou prendra vos doctoresses pour des bobos : on nous appellera toujours pour les cas désespérés.
Mon médecin défendait son autel et son foyer; je ne sais donc jusqu à quel point il faut admettre sa théorie; je pense plutôt que la médecine fémi
nine est appelée à un énorme succès, une fois que l’opinion se sera faite à cette apparente étrangeté.
Il est certain — et j’ai toujours soutenu cette thèse —que pour le moment Bélise et Philaminte sont d’insupportables personnes. Pourquoi ? Parce que dépassant ou croyant dépasser le niveau de
l’éducation féminine actuelle, elles deviennent pédantes et absurdes. Le jour où l’on aura rendu aux femmes la liberté et la responsabilité de leurs actes, le jour où les mœurs, comme les lois, leur auront ouvert l’accès de certaines professions, où elles peuvent rendre de vrais services, les femmes dites supérieures n’existeront plus, et ne se croi
ront plus obligées d’accepter ou de subir une existence légèrement excentrique et singulière
En feuilletant dernièrement une collection de l’Univers pittoresque, j’ai trouvé quelques pages qui m’ont frappé. 11 y a deux mille ans environ que vivait, dans l’empire du Milieu, une lettrée qu’on appelait Pan-hoeï-pan. A la fois historienne et moraliste, elle occupe une grande place dans la vieille littérature chinoise; comblée d’honueurset de dignités, elle garda néanmoins toujours le charme et les vertus de son sexe, — la phrase a l’air antique et paraît démodée, mais on n’a rien trouvé de mieux encore.
Je fais bon marché des théories de Pan-lioeïpau sur la soumission absolue, profonde, sans terme, de la femme, sur son infériorité, etc., etc.
Je ne veux rechercher dans les Sept Chapitres (niukie-lsi-pien — soyons exact ! ) du bas bleu chinois que des idées toujours pratiques, utiles et sages.
« Vos deux vertus principales, ô femmes, sont: un respect sans bornes pour celui dont vous por
tez le nom, et une attention continuelle sur vousmême....
« Voùiez-vous que votre mari vous respecte? Ayez pour lui un respect sans bornes. Voulezvous qu’il vous honore de son estime et qu’il ait pour vous une affection constante? Veillez cons
tamment sur vous-même, pour ne pas lui laisser apercevoir vos défauts et pour tâcher de vous en corriger......
« Les qualités qui rendent une femme aimable se réduisent à quatre: la vertu, la parole, la figure,
les actions.... Les paroles doivent être toujours honnêtes, douces, mesurées ; elle ne doit pas être taciturne, mais elle ne doit pas être babillarde;
elle ne doit rien dire de trivial ni de bas, mais elle ne doit pas pour cela.... vouloir paraître bel esprit.... On sera pénétré d’estime pour elle si, sa
chant qu’elle est sérieuse, on ne lui entend tenir que des propos ordinaires.
« Aux agréments de la parole, elle doit joindre ceux delà figure.... Il ne dépend pas de nous d’ê
tre belle, et je demande d’une femme une qualité qu’elle puisse acquérir et des agréments qu’elle puisse so donner, si elle ne les a pas. Une femme est toujours assez belle aux yeux de son mari,
quand elle a constamment de la douceur daus le regard et dans le son de.la voix, de la propreté sur sa personne et dans ses habits, du choix et de l’arrangement dans sa parure, de la modestie dans ses discours et dans tout son maintien. »
Je m’arrête ici : ces quelques lignes suffisent pour démontrer que la sagesse humaine est la même sous toutes les latitudes, et que depuis deux
mille ans au moins notre philosophie pratique est égalée par celle des Chinois. C’est ce peuple qu’on a accusé d’un attentat horrible contre nos natio
naux et nos missionnaires. A l’heure où j’écris, on ne sait pas encore si l’on n’a pas eu affaire à un lugubre canard, parent du Tartare fantastique qui — peut-être pour les besoins de quelques spécu
lateurs, — annonça, en octobre 1854, la prise de Sébastopol ; mais quand même le massacre des
français à Pékin serait exact, je ne retirerais pas mes observations.
Qu’on établisse des voies commerciales, des échanges entre la Chine, le Japon et l’Europe, rien de plus raisonnable, déplus utile. Où ledanger commence, c’est lorsqu’on veut toucher aux mœurs, à la foi, aux doctrines de-ces prétendus barbarés. Parmi les causes complexes de la terrible insurrection de l’Indoustàn, une des princi
pales fut, dit-on, la graisse de porc employée à la fabrication des cartouches que les cipayes de
vaient déchirer avec leurs dents, et qui les forçait à violer les prescriptions musulmanes. Nos mis
sionnaires, si admirables qu’ils soient, n ont-ils pas à se reprocher des imprudences semblables, dans leur prosélytisme courageux? Avides du mar
tyre, calculent-ils bien toujours les moyens par lesquels il leur serait possible de déraciner des superstitions séculaires. Le bonze auquel ils en
lèvent des ouailles est tout aussi convaincu de la vérité de ses doctrines que le missionnaire l’est de l’excellence des siennes. Gomment nos curés de village accuéilleraient-ils l’étranger qui viendrait dire aux paysans de France :
« Vous adorez sous le nom de Jésus-Christ, une idole absurde et impuissante : par delà les mers, un peuple immense croit à d’autres dieux, infini
ment supérieurs au vôtre, plus poétiques, plus puissants, plus généreux. Le vôtre est le fils d un
charpentier, le nôtre est lils du ciel immaculé et de la terre féconde... »
Je ne dis pas que ce missionnaire imprudent serait massacré, mais à coup sûr, dans les villages où s’est conservée la foi, il recevrait une terrible volée de coups de pierres. L’essence des convictions, c’est l’intolérance.
Mais revenons aux femmes affranchies. Maintenant que le premier pas est fait, sans qu’on y pense, c’est le cas de le dire, car toutes les cito
yennes braillardes qui ont dégoisé dans les clubs et dans toutes les conférences en l’honneur du sexe dont elles font jusqu’à un certain point partie, ne s’étaient jamais avisées d’un résultat pratique et utile, comme cette école de médecine fémi
nine; maintenant, dis-je, que nous avons rompu avec la routine, pourquoi n’ouvrirait-on pas aux femmes la carrière de la diplomatie qui, en France notamment, ne compte que des sujets assez médiocres?
Il est même assez curieux de rappeler que l’infériorité française, en matière diplomatique, est depuis longtemps notoire.
« Les Français n’entendent rien aux affaires d’Iîtat,» disait brutalement Machiavel au cardinal d’Amboise, et sous Louis XIV, en séance publique de l’Académie française, riiistoriôgra plie Racine avouait que la France « passait pour être infortunée dans les accommodements. »
Ceci dit pour consoler MM. Benedetti et Mercier de Lostende, ne pensez-vous pas que la finesse particulière aux femmes, l’âpreté, avec laquelle elles se mettent sur une piste pour satisfaire une rancune, pour prévenir ou pour vain
cre une rivale, les ressources don t elles usen t pour obtenir ce qu’elles veulent, la discrétion dange
reuse avec laquelle elles attendent le dernier mo
ment avant de démasquer leurs batteries, seraient, ce me semble, de précieuses -ressources dans les difficultés pendantes a tous les bouts, de l’Europe.
Je connais un vieux sceptique qui a un moyen plus radical encore d’assurer la paix de l’Europe. Son raisonnement, bien qu’absurde, ne manque pas d’un certain piquant.
Il y a, dit-il, deux objectifs sur lesquels portent tous les troubles, tous les dangers : le Rhin et Constantinople, la question franco-allemande el la question d’Orient. Vous avez beau vous bat
tre, être vainqueurs et chanter des Te Deum, dans dix ans la position redevient irritante et in
quiétante. Que faire ? Détourner le cours du Rhin en innombrables canaux d’irrigation et combler le lit de ce fleuve vénérable, Quant à Constantinople, on la démolira de fond en comble. Les voyageurs perdront là deux buts intéressants de promenade, mais l’Europe pourra respirer en paix.
Francis Magnard.
Ceux qui ont du talent produisent des opéras applaudis, gagnent de l’argent et deviennent cé
lèbres : ceux qui n’ont ni le talent ni la patience d’en acquérir font absolument ce qu’ils veulent :
je n’ai aucune raison, moi, contribuable, pour rien donner, fût-ce un patard, à ces estimables fruits secs : c’est déjà bien gentil que sur une simple promesse, sur la vue d’un simple embryon,
on les ait bombardés pensionnaires de l’État, et qu’on leur ait fourni quatre ans de loisirs studieux. En fait-on autant pour les poètes, les romanciers et les dramaturges ?
Cette cérémonie des prix de Rome a lieu, tous les ans, comme vous savez; d’ordinaire, cela comporte dix lignes dans les faits divers des journaux ; cette année, la chose a eu quelque reten
tissement. Sur cinq concurrents qui sollicitaient l’attention du jury, le récompensé serait, paraîtil, celui qui le mérite le moins.
A priori, j’avoue c/ue j’entre en défiance lorsque je vois des protestations de ce genre, et je
suis convaincu que si les musiciens évincés avaient obtenu le prix, les amis du vainqueur actuel eussent crié à l’injustice. Là est lé côté faible des concours de ce genre. Lorsqu’il s’agit de répon
dre sur des matières scientifiques, historiques ou grammaticales, c’est-à-dire précises, autant que la précision est de ce monde, on ne peut ni soupçonner la compétence, ni incriminer la complai
sance du jury examinateur; mais dans les matières d’appréciation, d’abstraction, on s’expose toujours à des déconvenues comme celle qui a mis le Conservatoire en émoi.
Ou le jury est composé d’êtres ineptes et ignares, oui! est composé de malhonnêtes gens: telle est la conclusion forcée des violentes réclamations soulevées par une camaraderie zelée ou par une
vanité exaltée. Le ministre des beaux-arts a eu la faiblesse de faire une concession, et une place se trouvant vacante, par suite de démission, à la villa Médicis, elle a été donnée à un deuxième laui éat. Or, il advient que ce deuxième lauréat n’é tant point le protégé de la presse, la presse continue à grincer des dents.
Ou ne saurait contenter tout le monde et son père. Pour ma part, je trouve la leçon très-correcte, très-instructive, et cela m’encouragerait à suppri
mer ou tout au moins à modifier profondément le système des concours actuels. Ainsi je n’im
poserais pas aux concurrents un sujet identique :
je laisserais quelque part à l’élan personnel, à l’individualité, à l’imagination; les rhéteurs, en mu
sique comme en autre chose, feront toujours quelque chose de propre sur un sujet donné : ce système peut, au contraire, mettre des souliers de plomb à un homme de génie, qui a besoin de s’envoler où il veut, sur les ailes enflammées de son imagination. Je ne me figure pas exactement Beethoven écrivant une cantate intitulée la Ven
detta ou le Jugement de Dieu. Je gage qu’il n’eût été ni premier, ni second, ni peut-être troisième en ce concours.
Au surplus, il y aurait des volumes à écrire sur la vanité de la gent artistique, depuis tes maîtres les plus glorieux jusqu’aux plus humbles élèves.
Dans ce maudit métier, l’irritabilité se développe jusqu’à l’extravagance; les questions de concur
rence, de rivalité, compliquent les susceptibilités de l’amour-propre. Journalistes, compositeurs, pianistes, comédiens, tout ce qu’on peut nous demander, c’est de ne pas dire de mal de nos con
frères ; quant à nous empêcher d’en penser, cela est impossible.
Nous voici également à la veille d’une autre réforme capitale, l’établissement d’une école de mé
decine libre pour les femmes, où seront conférés des diplômes, et qui rendra d’immenses services, surtout dans les campagnes, où les malades sont entre les mains soit de médecins trop occupés, soit de religieuses plus zélées qu’intelligentes.
— Voilà, disais-je à un médecin pour dames ( spécialité s. g. d. g.), une concurrence qui va diminuer votre clientèle.
L’aimable homme sourit et me dit finement :
— Les femmes, en général, croient moins à la médecine qu’au médecin : quand nous guérissons, c’est souvent à l’aide de ce magnétisme masculin qu’on n’a pas encore su remplacer par autre chose,
eu égard aux femmes. Ou prendra vos doctoresses pour des bobos : on nous appellera toujours pour les cas désespérés.
Mon médecin défendait son autel et son foyer; je ne sais donc jusqu à quel point il faut admettre sa théorie; je pense plutôt que la médecine fémi
nine est appelée à un énorme succès, une fois que l’opinion se sera faite à cette apparente étrangeté.
Il est certain — et j’ai toujours soutenu cette thèse —que pour le moment Bélise et Philaminte sont d’insupportables personnes. Pourquoi ? Parce que dépassant ou croyant dépasser le niveau de
l’éducation féminine actuelle, elles deviennent pédantes et absurdes. Le jour où l’on aura rendu aux femmes la liberté et la responsabilité de leurs actes, le jour où les mœurs, comme les lois, leur auront ouvert l’accès de certaines professions, où elles peuvent rendre de vrais services, les femmes dites supérieures n’existeront plus, et ne se croi
ront plus obligées d’accepter ou de subir une existence légèrement excentrique et singulière
En feuilletant dernièrement une collection de l’Univers pittoresque, j’ai trouvé quelques pages qui m’ont frappé. 11 y a deux mille ans environ que vivait, dans l’empire du Milieu, une lettrée qu’on appelait Pan-hoeï-pan. A la fois historienne et moraliste, elle occupe une grande place dans la vieille littérature chinoise; comblée d’honueurset de dignités, elle garda néanmoins toujours le charme et les vertus de son sexe, — la phrase a l’air antique et paraît démodée, mais on n’a rien trouvé de mieux encore.
Je fais bon marché des théories de Pan-lioeïpau sur la soumission absolue, profonde, sans terme, de la femme, sur son infériorité, etc., etc.
Je ne veux rechercher dans les Sept Chapitres (niukie-lsi-pien — soyons exact ! ) du bas bleu chinois que des idées toujours pratiques, utiles et sages.
« Vos deux vertus principales, ô femmes, sont: un respect sans bornes pour celui dont vous por
tez le nom, et une attention continuelle sur vousmême....
« Voùiez-vous que votre mari vous respecte? Ayez pour lui un respect sans bornes. Voulezvous qu’il vous honore de son estime et qu’il ait pour vous une affection constante? Veillez cons
tamment sur vous-même, pour ne pas lui laisser apercevoir vos défauts et pour tâcher de vous en corriger......
« Les qualités qui rendent une femme aimable se réduisent à quatre: la vertu, la parole, la figure,
les actions.... Les paroles doivent être toujours honnêtes, douces, mesurées ; elle ne doit pas être taciturne, mais elle ne doit pas être babillarde;
elle ne doit rien dire de trivial ni de bas, mais elle ne doit pas pour cela.... vouloir paraître bel esprit.... On sera pénétré d’estime pour elle si, sa
chant qu’elle est sérieuse, on ne lui entend tenir que des propos ordinaires.
« Aux agréments de la parole, elle doit joindre ceux delà figure.... Il ne dépend pas de nous d’ê
tre belle, et je demande d’une femme une qualité qu’elle puisse acquérir et des agréments qu’elle puisse so donner, si elle ne les a pas. Une femme est toujours assez belle aux yeux de son mari,
quand elle a constamment de la douceur daus le regard et dans le son de.la voix, de la propreté sur sa personne et dans ses habits, du choix et de l’arrangement dans sa parure, de la modestie dans ses discours et dans tout son maintien. »
Je m’arrête ici : ces quelques lignes suffisent pour démontrer que la sagesse humaine est la même sous toutes les latitudes, et que depuis deux
mille ans au moins notre philosophie pratique est égalée par celle des Chinois. C’est ce peuple qu’on a accusé d’un attentat horrible contre nos natio
naux et nos missionnaires. A l’heure où j’écris, on ne sait pas encore si l’on n’a pas eu affaire à un lugubre canard, parent du Tartare fantastique qui — peut-être pour les besoins de quelques spécu
lateurs, — annonça, en octobre 1854, la prise de Sébastopol ; mais quand même le massacre des
français à Pékin serait exact, je ne retirerais pas mes observations.
Qu’on établisse des voies commerciales, des échanges entre la Chine, le Japon et l’Europe, rien de plus raisonnable, déplus utile. Où ledanger commence, c’est lorsqu’on veut toucher aux mœurs, à la foi, aux doctrines de-ces prétendus barbarés. Parmi les causes complexes de la terrible insurrection de l’Indoustàn, une des princi
pales fut, dit-on, la graisse de porc employée à la fabrication des cartouches que les cipayes de
vaient déchirer avec leurs dents, et qui les forçait à violer les prescriptions musulmanes. Nos mis
sionnaires, si admirables qu’ils soient, n ont-ils pas à se reprocher des imprudences semblables, dans leur prosélytisme courageux? Avides du mar
tyre, calculent-ils bien toujours les moyens par lesquels il leur serait possible de déraciner des superstitions séculaires. Le bonze auquel ils en
lèvent des ouailles est tout aussi convaincu de la vérité de ses doctrines que le missionnaire l’est de l’excellence des siennes. Gomment nos curés de village accuéilleraient-ils l’étranger qui viendrait dire aux paysans de France :
« Vous adorez sous le nom de Jésus-Christ, une idole absurde et impuissante : par delà les mers, un peuple immense croit à d’autres dieux, infini
ment supérieurs au vôtre, plus poétiques, plus puissants, plus généreux. Le vôtre est le fils d un
charpentier, le nôtre est lils du ciel immaculé et de la terre féconde... »
Je ne dis pas que ce missionnaire imprudent serait massacré, mais à coup sûr, dans les villages où s’est conservée la foi, il recevrait une terrible volée de coups de pierres. L’essence des convictions, c’est l’intolérance.
Mais revenons aux femmes affranchies. Maintenant que le premier pas est fait, sans qu’on y pense, c’est le cas de le dire, car toutes les cito
yennes braillardes qui ont dégoisé dans les clubs et dans toutes les conférences en l’honneur du sexe dont elles font jusqu’à un certain point partie, ne s’étaient jamais avisées d’un résultat pratique et utile, comme cette école de médecine fémi
nine; maintenant, dis-je, que nous avons rompu avec la routine, pourquoi n’ouvrirait-on pas aux femmes la carrière de la diplomatie qui, en France notamment, ne compte que des sujets assez médiocres?
Il est même assez curieux de rappeler que l’infériorité française, en matière diplomatique, est depuis longtemps notoire.
« Les Français n’entendent rien aux affaires d’Iîtat,» disait brutalement Machiavel au cardinal d’Amboise, et sous Louis XIV, en séance publique de l’Académie française, riiistoriôgra plie Racine avouait que la France « passait pour être infortunée dans les accommodements. »
Ceci dit pour consoler MM. Benedetti et Mercier de Lostende, ne pensez-vous pas que la finesse particulière aux femmes, l’âpreté, avec laquelle elles se mettent sur une piste pour satisfaire une rancune, pour prévenir ou pour vain
cre une rivale, les ressources don t elles usen t pour obtenir ce qu’elles veulent, la discrétion dange
reuse avec laquelle elles attendent le dernier mo
ment avant de démasquer leurs batteries, seraient, ce me semble, de précieuses -ressources dans les difficultés pendantes a tous les bouts, de l’Europe.
Je connais un vieux sceptique qui a un moyen plus radical encore d’assurer la paix de l’Europe. Son raisonnement, bien qu’absurde, ne manque pas d’un certain piquant.
Il y a, dit-il, deux objectifs sur lesquels portent tous les troubles, tous les dangers : le Rhin et Constantinople, la question franco-allemande el la question d’Orient. Vous avez beau vous bat
tre, être vainqueurs et chanter des Te Deum, dans dix ans la position redevient irritante et in
quiétante. Que faire ? Détourner le cours du Rhin en innombrables canaux d’irrigation et combler le lit de ce fleuve vénérable, Quant à Constantinople, on la démolira de fond en comble. Les voyageurs perdront là deux buts intéressants de promenade, mais l’Europe pourra respirer en paix.
Francis Magnard.