triche et l’écrasement de la Prusse. Il n’y avait sur ce point, en haut et en bas, qu’une même opinion.
Seul, dans notre monde diplomatique, M. de Gramont écrivait lettres sur lettres à l’Empereur pour l’éclairer sur la véritable situation des choses, et pour lui prédire la défaite de l’Autriche.
Sadowa lui donna raison, et la France va prouver qu’il ne s’est pas trompé en la croyant digne d’Iéna.
Nous le répétons : Un homme !
N’est-il pas temps de trouver des hommes ? On dirait que le pays a besoin de se relever vis-à-vis de lui-même. Snrsurn corda !
Rappelez-vous la bourse mémorable du 13 juillet. Toute la journée, c’était la guerre et la baisse, c’était la rente à 67 francs, c’était la fin du monde !
Et le soir, sur un mot de M. Ollivier, c’était la paix, c’était la hausse, c’était la spéculation éta
lant avec stupeur les 3 francs de reprise auxquels elle ne pouvait croire elle-même.
Nous la représentons, cette foule de trente mille promeneurs, curieux, spéculateurs, capitalistes, allant, venant, affairée, haletante, plus agitée que la houle des mers, et déchirant à tous les vents le Grand Livre de la dette publique.
Ces ouragans qui ont, pendant huit jours, secoué la Bourse, nous donnent un des plus curieux épisodes de cette émouvante semaine.
Quelles secousses ! bon Dieu ! Achetons ! Vendons! Vendons! Achetons! Volte-face à toute heure, à toute minute, à toute seconde ! Haussiers et baissiers étaient, en une journée, brisés comme des fétus de paille.
La Bourse ressemblait, savez-vous à quoi ? A cette course furibonde du Géant de Nadar, em
porté par la tempête dans les plaines du Hanovre. Une vraie débâcle !
Et quant aux pertes, ce sera le tremblement de terre du Pérou, l’incendie de Constantinople. Songez que si le pauvre petit spéculateur qui s’est
trouvé pris dans cet engrenage, acheteur de 3,000 fr. de rente, fin courant, va perdre 6 ou 7 mille francs, songez à quel chiffre il faut faire remonter le total des pertes que subira la place ? Comptez les millions par centaines, et vous ne serez pas au bout !
Et les pourfendeurs de la spéculation n’ont certainement pas manqué de rappeler les anathèmes traditionnels de la Bourse. Hausse à Waterloo ! Baisse à Austerlitz !
Il est temps, une bonne fois, de mettre au rancart ces récriminations stériles. La Bourse n’étant, au fond, autre chose que le prix de l’argent, il est aussi absurde de demander raison à la cote de ses variations, que de chercher querelle au thermo
mètre à cause de ses quarante degrés de chaleur. La guerre fait baisser la Bourse, comme le blocus continental faisait hausser le sucre, comme la disette fait hausser le blé.
Trêve de lamentations séniles.
Le capital fait du patriotisme à sa manière, mais ce n’est pas à la Bourse qu’il faut aller le cher
cher. N’est-ce pas du patriotisme que cette dette de quinze milliards contractée par les États-Unis pour réduire le Sud, que cette dette de vingtquatre milliards contractée par l’Angleterre pour combattre la Révolution française ? Frappez du pied, et la France aussi fera surgir les milliards !
Donc, croyez-le bien, les capitaux ne ressemblent pas tout à fait, en temps de guerre, à l’eau dans un crible. On les retrouve encore. Nous allons plus loin, et nous disons qu’aux yeux même des
pessimistes la rente fait bonne contenance devant l’ennemi.
La voilà fermement assise sur le cours de 65 fr., ce qui nous donne une cote de confiance et d’espoir. Allons ! un peu de courage, et demain, comme le sénat romain, la bourse achètera les champs où campe l’ennemi!
Une preuve que nous ne sommes pas descendus à ce degré des défaillances intéressées qu’on a stigmatisées autrefois, c’est que la paix ne fut ac
cueillie qu’avec une morne tristesse, et que, deux jours après, la guerre, cette exécration du monde, fut saluée comme le jour de délivrance, comme la bonne nouvelle !
A peine le- Constitutionnel a-t-il publié, le vendredi 15 juillet, l’article-picrate où il s’écrie : « Les soldats d’Iéna sont prêts ! » que la physionomie de Paris change subitement.
Foule dans les rues pour apprendre les nouvelles et les commenter à perte de vue;
Foule dans les cafés pour discuter les mille incidents de la journée ;
Foule aux kiosques pour s’arracher les journaux, dont les éditions multipliées ne parviennent pas à satisfaire la curiosité publique;
Foule, surtout, le soir, pouf chanter à travers les rues des chants patriotiques, et organiser contre la Prusse des manifestations belliqueuses.
Paris est debout !
Le Paris des grandes crises et des grandes journées, et la guerre qui est un fléau, la guerre qui est un épouvantement, la guerre est accueillie comme un jour de fête.
Saillies populaires partant comme des fusées, lazzis des faubourgs faisant du mot Prussien une tête de Turc, rassemblements partout, commen
taires tumultueux, et au beau milieu de toute cette fourmilière en ébullition les manifestations patriotiques défilant sur les boulevards, drapeaux en tête et chantant à pleins poumons la Marseillaise !
Et, bien entendu, nous étions là pour saisir au vol ces scènes fiévreuses, étourdissantes.
Tenez, voyez cette colonne qui passe, au coin du boulevard Montmartre. Un spectacle que je n’oublierai jamais.
Un bruit qui vous domine et vous enfièvre. Là, un kiosque où l’on s’arrache les journaux. Sur le trottoir et le long de la chaussée un mouvement perpétuel de va-et-vient.
Puis, le long du boulevard, deux mille jeunes gens, bras dessus, bras dessous, enlevant la Marseillaise à un diapason que n’a jamais connu Rouget de Lisle.
Voitures, équipages, omnibus, tout s’arrête, et du haut de tous ces véhicules on voit pencher sur la colonne chantante de longues grappes humaines.
Et comme il faut que le boulevardier se retrouve partout, j’entens dire à côté de moi :
— Ils chantent en chœur et ils en ont !
Plus loin, c’est une autre scène que vous retrouverez également dans nos gravures.
Un marin, — on trouve tout à Pans ! — un marin lève un drapeau, et soudain mille compagnons sont derrière lui.
— Mais il faut des flambeaux ! s’écrie un patriote de quinze ans.
Gomment allumer des flambeaux qu’on n’a pas ? Ah ! vous connaîtriez mal le gamin de Paris, si vous vous arrêtiez à si peu de chose.
C’est pour le gamin de Paris que le mot impossible n’est pas français. Donnez-lui un cigare pour deux, et il vous répondra : — Moi, je fumerai, et mon camarade crachera !
— Des flambeaux ? réplique une figure espiègle, en voici !
Et, en une seconde, il avise les balais de la bonne ville de Paris, qu’il allume prestement, et voilà la torche patriotique toute flambante !
Niez donc l’imagination des enfants de Paris !
Multipliez ces deux scènes par cent, et vous aurez une idée des démonstrations populaires qui ont rempli chacune des soirées de la semaine sur tous les points de Paris.
Un mot sur le double courant qui s’est produit, le second soir, et qui a mis en présence la guerre et la paix.
Paris a eu sa manifestation pacifique, comme Berlin a eu la sienne.
Une colonne imposante de plusieurs milliers de travailleurs, portant des drapeaux blancs, s’est longuement développée le long des boulevards,
en criant avec une conviction profonde : Vive la paix ! vive la paix !
Et pendant que les prosélytes de la paix faisaient entendre un suprême appel à la fraternité des peuples, d’autres colonnes plus nombreuses et tout aussi passionnées entonnaient partout le chant des Girondins.
Mais voyez ici comment s’est comporté, cette fois, le Deux ex machina de l’autorité gouvernementale.
A l’apparition des pacifiques, les tricornes des sergents de ville se sont agités furieusement. En un clin d’œil, les drapeaux blancs sont enlevés,
les rangs de la colonne sont rompus, la bande est coupée, et la légion pacifique est transformée eu un champ de bataille !
Et pendant ce temps s’échelonnaient les bataillons des patriotes, et les municipaux s’inclinaient devant ces héros chantant la Marseillaise !
N’est-ce pas que les temps sont changés ?
Quant à l’explosion des aspirations pacifiques qui se sont fait jour à Paris et à Berlin, je n’ai qu un mot à en dire.
Sans doute, par delà les horizons lointains de l’avenir, la généreuse pléiade des amis de l’abbé de Saint-Pierre a pu entrevoir, pour la grande famille humaine, l’ère féconde et apaisée des peu
ples frères. Terre promise de l’humanité, chacun
vous attend et vous saluera comme le port du salut !
Mais il faut convenir que nous ‘ n’en sommes qu’au baiser Lamourette, et qu’il sufïît d’une étincelle pour mettre en feu les nationalités rivales.
Quiconque a pu assister, à Paris, au départ de nos régiments pour la frontière peut se dire que ces grands mots de patrie et de gloire n’ont rien perdu de l’empire qu’ils avaient sur les âmes.
Chaque jour nous assistons au départ des soldats, et chaque défilé représente un drame émouvant.
Les régiments disparaissent littéralement sous le flot envahissant des spectateurs.
Chants patriotiques, soldats pleins de feu, foule ardente qui les accompagne, musique jouant les airs nationaux, pendant que vingt mille hommes la chantent fiévreusement, tout cela vous empoigne, vous émeut et vous met au cœur des tressaille
ments qu’on n’avait pas éprouvés depuis Solférino.
J’ai vu, samedi dernier, passer tout le long du boulevard Sébastopol deux régiments : le 95e et le 81e. Iis venaient du fort de Montrouge pour se rendre à la gare de l’Est. Quel spectacle !
Des milliers de personnes aux fenêtres de toutes les maisons. Toute la rue remplie de jeunes gens,
de bourgeois, d’ouvriers, qui accompagnaient en chantant; la musique jouant la. Marseillaise-, des applaudissements à toutes les croisées ; des poi
gnées de main; des bouquets de fleurs; des accla
mations; les cris retentissants : A bas la Prusse ! A Berlin ! Yive la France !
L’émotion était générale, et j’ai vu essuyer plus d’une larme !
Et les départs isolés faisaient naître les mêmes démonstrations, les mêmes témoignages de sympathie et de dévouement.
Voyez ce soldat que des amis conduisent en voiture. Ne dirait-on pas qu’on le porte déjà en triomphe ?
Et à la gare de l’Est la scène était encore, si
c’est possible, plus touchante.
Seul, dans notre monde diplomatique, M. de Gramont écrivait lettres sur lettres à l’Empereur pour l’éclairer sur la véritable situation des choses, et pour lui prédire la défaite de l’Autriche.
Sadowa lui donna raison, et la France va prouver qu’il ne s’est pas trompé en la croyant digne d’Iéna.
Nous le répétons : Un homme !
N’est-il pas temps de trouver des hommes ? On dirait que le pays a besoin de se relever vis-à-vis de lui-même. Snrsurn corda !
Rappelez-vous la bourse mémorable du 13 juillet. Toute la journée, c’était la guerre et la baisse, c’était la rente à 67 francs, c’était la fin du monde !
Et le soir, sur un mot de M. Ollivier, c’était la paix, c’était la hausse, c’était la spéculation éta
lant avec stupeur les 3 francs de reprise auxquels elle ne pouvait croire elle-même.
Nous la représentons, cette foule de trente mille promeneurs, curieux, spéculateurs, capitalistes, allant, venant, affairée, haletante, plus agitée que la houle des mers, et déchirant à tous les vents le Grand Livre de la dette publique.
Ces ouragans qui ont, pendant huit jours, secoué la Bourse, nous donnent un des plus curieux épisodes de cette émouvante semaine.
Quelles secousses ! bon Dieu ! Achetons ! Vendons! Vendons! Achetons! Volte-face à toute heure, à toute minute, à toute seconde ! Haussiers et baissiers étaient, en une journée, brisés comme des fétus de paille.
La Bourse ressemblait, savez-vous à quoi ? A cette course furibonde du Géant de Nadar, em
porté par la tempête dans les plaines du Hanovre. Une vraie débâcle !
Et quant aux pertes, ce sera le tremblement de terre du Pérou, l’incendie de Constantinople. Songez que si le pauvre petit spéculateur qui s’est
trouvé pris dans cet engrenage, acheteur de 3,000 fr. de rente, fin courant, va perdre 6 ou 7 mille francs, songez à quel chiffre il faut faire remonter le total des pertes que subira la place ? Comptez les millions par centaines, et vous ne serez pas au bout !
Et les pourfendeurs de la spéculation n’ont certainement pas manqué de rappeler les anathèmes traditionnels de la Bourse. Hausse à Waterloo ! Baisse à Austerlitz !
Il est temps, une bonne fois, de mettre au rancart ces récriminations stériles. La Bourse n’étant, au fond, autre chose que le prix de l’argent, il est aussi absurde de demander raison à la cote de ses variations, que de chercher querelle au thermo
mètre à cause de ses quarante degrés de chaleur. La guerre fait baisser la Bourse, comme le blocus continental faisait hausser le sucre, comme la disette fait hausser le blé.
Trêve de lamentations séniles.
Le capital fait du patriotisme à sa manière, mais ce n’est pas à la Bourse qu’il faut aller le cher
cher. N’est-ce pas du patriotisme que cette dette de quinze milliards contractée par les États-Unis pour réduire le Sud, que cette dette de vingtquatre milliards contractée par l’Angleterre pour combattre la Révolution française ? Frappez du pied, et la France aussi fera surgir les milliards !
Donc, croyez-le bien, les capitaux ne ressemblent pas tout à fait, en temps de guerre, à l’eau dans un crible. On les retrouve encore. Nous allons plus loin, et nous disons qu’aux yeux même des
pessimistes la rente fait bonne contenance devant l’ennemi.
La voilà fermement assise sur le cours de 65 fr., ce qui nous donne une cote de confiance et d’espoir. Allons ! un peu de courage, et demain, comme le sénat romain, la bourse achètera les champs où campe l’ennemi!
Une preuve que nous ne sommes pas descendus à ce degré des défaillances intéressées qu’on a stigmatisées autrefois, c’est que la paix ne fut ac
cueillie qu’avec une morne tristesse, et que, deux jours après, la guerre, cette exécration du monde, fut saluée comme le jour de délivrance, comme la bonne nouvelle !
A peine le- Constitutionnel a-t-il publié, le vendredi 15 juillet, l’article-picrate où il s’écrie : « Les soldats d’Iéna sont prêts ! » que la physionomie de Paris change subitement.
Foule dans les rues pour apprendre les nouvelles et les commenter à perte de vue;
Foule dans les cafés pour discuter les mille incidents de la journée ;
Foule aux kiosques pour s’arracher les journaux, dont les éditions multipliées ne parviennent pas à satisfaire la curiosité publique;
Foule, surtout, le soir, pouf chanter à travers les rues des chants patriotiques, et organiser contre la Prusse des manifestations belliqueuses.
Paris est debout !
Le Paris des grandes crises et des grandes journées, et la guerre qui est un fléau, la guerre qui est un épouvantement, la guerre est accueillie comme un jour de fête.
Saillies populaires partant comme des fusées, lazzis des faubourgs faisant du mot Prussien une tête de Turc, rassemblements partout, commen
taires tumultueux, et au beau milieu de toute cette fourmilière en ébullition les manifestations patriotiques défilant sur les boulevards, drapeaux en tête et chantant à pleins poumons la Marseillaise !
Et, bien entendu, nous étions là pour saisir au vol ces scènes fiévreuses, étourdissantes.
Tenez, voyez cette colonne qui passe, au coin du boulevard Montmartre. Un spectacle que je n’oublierai jamais.
Un bruit qui vous domine et vous enfièvre. Là, un kiosque où l’on s’arrache les journaux. Sur le trottoir et le long de la chaussée un mouvement perpétuel de va-et-vient.
Puis, le long du boulevard, deux mille jeunes gens, bras dessus, bras dessous, enlevant la Marseillaise à un diapason que n’a jamais connu Rouget de Lisle.
Voitures, équipages, omnibus, tout s’arrête, et du haut de tous ces véhicules on voit pencher sur la colonne chantante de longues grappes humaines.
Et comme il faut que le boulevardier se retrouve partout, j’entens dire à côté de moi :
— Ils chantent en chœur et ils en ont !
Plus loin, c’est une autre scène que vous retrouverez également dans nos gravures.
Un marin, — on trouve tout à Pans ! — un marin lève un drapeau, et soudain mille compagnons sont derrière lui.
— Mais il faut des flambeaux ! s’écrie un patriote de quinze ans.
Gomment allumer des flambeaux qu’on n’a pas ? Ah ! vous connaîtriez mal le gamin de Paris, si vous vous arrêtiez à si peu de chose.
C’est pour le gamin de Paris que le mot impossible n’est pas français. Donnez-lui un cigare pour deux, et il vous répondra : — Moi, je fumerai, et mon camarade crachera !
— Des flambeaux ? réplique une figure espiègle, en voici !
Et, en une seconde, il avise les balais de la bonne ville de Paris, qu’il allume prestement, et voilà la torche patriotique toute flambante !
Niez donc l’imagination des enfants de Paris !
Multipliez ces deux scènes par cent, et vous aurez une idée des démonstrations populaires qui ont rempli chacune des soirées de la semaine sur tous les points de Paris.
Un mot sur le double courant qui s’est produit, le second soir, et qui a mis en présence la guerre et la paix.
Paris a eu sa manifestation pacifique, comme Berlin a eu la sienne.
Une colonne imposante de plusieurs milliers de travailleurs, portant des drapeaux blancs, s’est longuement développée le long des boulevards,
en criant avec une conviction profonde : Vive la paix ! vive la paix !
Et pendant que les prosélytes de la paix faisaient entendre un suprême appel à la fraternité des peuples, d’autres colonnes plus nombreuses et tout aussi passionnées entonnaient partout le chant des Girondins.
Mais voyez ici comment s’est comporté, cette fois, le Deux ex machina de l’autorité gouvernementale.
A l’apparition des pacifiques, les tricornes des sergents de ville se sont agités furieusement. En un clin d’œil, les drapeaux blancs sont enlevés,
les rangs de la colonne sont rompus, la bande est coupée, et la légion pacifique est transformée eu un champ de bataille !
Et pendant ce temps s’échelonnaient les bataillons des patriotes, et les municipaux s’inclinaient devant ces héros chantant la Marseillaise !
N’est-ce pas que les temps sont changés ?
Quant à l’explosion des aspirations pacifiques qui se sont fait jour à Paris et à Berlin, je n’ai qu un mot à en dire.
Sans doute, par delà les horizons lointains de l’avenir, la généreuse pléiade des amis de l’abbé de Saint-Pierre a pu entrevoir, pour la grande famille humaine, l’ère féconde et apaisée des peu
ples frères. Terre promise de l’humanité, chacun
vous attend et vous saluera comme le port du salut !
Mais il faut convenir que nous ‘ n’en sommes qu’au baiser Lamourette, et qu’il sufïît d’une étincelle pour mettre en feu les nationalités rivales.
Quiconque a pu assister, à Paris, au départ de nos régiments pour la frontière peut se dire que ces grands mots de patrie et de gloire n’ont rien perdu de l’empire qu’ils avaient sur les âmes.
Chaque jour nous assistons au départ des soldats, et chaque défilé représente un drame émouvant.
Les régiments disparaissent littéralement sous le flot envahissant des spectateurs.
Chants patriotiques, soldats pleins de feu, foule ardente qui les accompagne, musique jouant les airs nationaux, pendant que vingt mille hommes la chantent fiévreusement, tout cela vous empoigne, vous émeut et vous met au cœur des tressaille
ments qu’on n’avait pas éprouvés depuis Solférino.
J’ai vu, samedi dernier, passer tout le long du boulevard Sébastopol deux régiments : le 95e et le 81e. Iis venaient du fort de Montrouge pour se rendre à la gare de l’Est. Quel spectacle !
Des milliers de personnes aux fenêtres de toutes les maisons. Toute la rue remplie de jeunes gens,
de bourgeois, d’ouvriers, qui accompagnaient en chantant; la musique jouant la. Marseillaise-, des applaudissements à toutes les croisées ; des poi
gnées de main; des bouquets de fleurs; des accla
mations; les cris retentissants : A bas la Prusse ! A Berlin ! Yive la France !
L’émotion était générale, et j’ai vu essuyer plus d’une larme !
Et les départs isolés faisaient naître les mêmes démonstrations, les mêmes témoignages de sympathie et de dévouement.
Voyez ce soldat que des amis conduisent en voiture. Ne dirait-on pas qu’on le porte déjà en triomphe ?
Et à la gare de l’Est la scène était encore, si
c’est possible, plus touchante.