HISTOIRE DE LA GUERRE
En commençant le récit de la guerre qui vient d’éclater entre la Prusse et la France, il est pres
que superflu de rappeler l’origine d’un conflit, depuis longtemps prévu. On peut dire que la can
didature du prince Léopold de Hohenzollern à la couronne d’Espagne a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Chacun se rappelle la longue liste de griefs que la Prusse se plaît à accumuler depuis quatre ans, comme pour mettre à bout notre patience.
Pourrions-nous avoir oublié- : l’exploitation de la victoire de Sadowa, poussée j usqu’à la spoliation ; les souverains dépossédés ; les nationalités confisquées ; l’article 5 du traité de Prague dédaigneu
sement mis à l’écart ; les garanties d’indépendance stipulées en faveur des puissances secondaires de
l’Allemagne du Sud outrageusement violées; la forteresse de Mayence usurpée par l’armée prus
sienne ; des traités militaires négociés et imposés au mépris de tous les droits; l’envahissement pro
gressif érigé en système, l emploi de tous les moyens pour réussir jeté comme un défi à la face de l’Europe ; enfin, l’usurpation et l’arrogance sous toutes leurs formes intronisées dans la poli
tique, de manière à placer irrévocablement la France au second rang ?
- Telle est l’arrogante préface que l’histoire donnera au récit de cette guerre. Arriver, par la do
mination de. l’Allemagne, à la domination du continent européen; refaire, en un mot, contre la France et au profit de la Prusse, l’empire de la maison d’Autriche; c’est là incontestablement le but poursuivi à outrance et par tous les moyens par le gouvernement de Berlin, et c’est là une politique que nous ne pouvions laisser consolider à nos portes, sous peine de nous résigner au rôle de puissance de second ordre.
. Les guerres de la monarchie ont eu pour résultat de mettre un terme à la prépondérance de la mai
son d’Autriche. La guerre actuelle est entreprise pour mettre un terme aux visées ambitieuses de la Prusse, pour rendre l’Allemagne à ses légitimes aspirations, et pour assurer à la France la place
qu’elle a jusqu’à présent occupée en Europe. C’est donc avec raison que l’Empereur a pu dire, dans sa proclamation :
« Le glorieux drapeau que nous déployons encore une fois devant ceux qui nous provoquent est le même qui porta à travers l’Europe les idées civilisatrices de notre grande Révolution. Il re
présente les . mêmes principes; il inspirera les mêmes dévouements. »
L’opinion était si bien pénétrée chez nous de la nécessité de cette lutte, que la déclaration de guerre a été partout accueillie avec enthousiasme et avec les démonstrations du plus ardent pa
triotisme. Le pays tout entier sentait sur notre frontière la pointe du fusil à aiguille, et il lui tardait de montrer que la France n’était pas disposée à subir le joug de la Prusse. -
Paris, depuis le jour de la déclaration de guerre, a la fièvre. Les villes montrent, dans les départe


ments, le même entraînement. Partout, à la Cour,


dans les rues, au théâtre, on chante l’hymne sacré des grandsjours, la Marseillaise. Les départs de l’ar
mée, à Paris, se sont faits au milieu d’une émotion
indescriptible, et l’accueil fait à nos soldats par les départements de l’Est a prouvé combien étaient encore vivaces chez nous les souvenirs de l’invasion.
Des souscriptions patriotiques ont été ouvertes de tous côtés, et le chiffre des souscriptions té
moigne des sympathies et du dévouement des populations pour l’armée.
Les réserves de toutes armes ont été rappelées. La garde nationale mobile est appelée à un ser
vice actif, et les bureaux d’engagements ont été ouverts à Paris et dans les départements. Le chiffre des enrôlements ne dit-il pas, d’un seul mot, l’impulsion patriotique du pays? Il est, à
l’heure où nous écrivons, de 115,000 hommes! Une armée, en huit jours ! Ce mot dit tout.
A ces élans de patriotisme sont venues se joindre les préoccupations produites par les armements nouveaux. Toute discussion sur les éventualités de la guerre aboutit forcément à l’énumération des engins de guerre perfectionnés que la France et la Prusse peuvent mettre en présence.
Les services rendus par le fusil à aiguille à la Prusse sont connus de tout le monde.
On sait qu’à Kœnigsgrætz on a compté six mille morts autrichiens contre deux mille prussiens. On sait qu’à Sadowa la bataille a été, pour l’Au


triche, dix fois plus meurtrière que pour la Prusse,


et l’on se demande de quel côté sera, dans la guerre actuelle, la supériorité de l’armement. La science est pour la guerre, comme pour le travail, la fée du siècle, et le public cherche à bien connaître ce que cette fée a fait pour nous.
Sur ce point, l’attention est donc vivement surexcitée, et l’on peut dire que les populations ne s’entretiennent que des progrès accomplis par notre génie militaire. Question capitale; car de la réponse qu’on lui fait dépend le moral de l’année, disons mieux, le moral du pays.
Nous devons donc insister sur cette question, car si Montesquieu prend la peine de nous mon
trer l’intériorité de l’armement gaulois contre l’armement romain, c’est qu’il y a trouvé la cause de notre défaite après dix ans de lutte.
A cet égard, nous sommes heureux de pouvoir constater que notre arme principale; le chassepot, a donné, dans toutes les expériences faites, des résultats très-supérieurs au fusil à aiguille :
1° Il pèse moins ;
2U II porte plus loin; 3° 11 tire plus jusle;
4° Il donne douze coups contre huit; 5° Il s’encrasse moins.
L’avantage est donc incontestable.
Or, ce que nous venons de dire du chassepot, nous pourrions avec autant de vérité le dire de nos canons rayés, de nos .mitrailleuses, do nos vaisseaux cuirassés et de nos toiqulles. Notre ar
mement est reconnu supérieur à l’armement prussien, et cette confiance est aujourd’hui partagée par l’armée et les populations.
Là repose, ne l’oublions pas, l’espoir de la grande campagne qui commence. Napoléon Ier avait coutume de dire que la confiance du soldat entrait pour trois quarts dans la victoire.
A ce sujet, nous devons consigner ici un fait qui attirait, la semaine dernière, l’attention de la presse et du Corps législatif.
On se rappelle qu’en 1858, il a été signé à Saint- Pétersbourg une convention afin d’exclure l’usage des balles explosibles. A cette convention ont
adhéré toutes les grandes puissances, ainsi que plusieurs États secondaires. Mais le grand-duché de Bade n’avait pas suivi cet exemple. A Paris, on se préoccupait beaucoup de savoir s’il y adhérerait en vue de la guerre actuelle.
Des explications ayant été demandées à ce sujet par le cabinet des Tuileries à celui de Carlsruhe,
la réponse a été affirmative. Les balles explosibles resteront donc proscrites à la grande satisfaction de tout le monde. Un engin qui tue à tout coup devait être aboli par les lois de la guerre. Hélas ! ne nous reste-t-il pas l’emploi des mitrailleuses et des torpilles ?
Nous devons encore consigner ici deux actes qui se rattachent essentiellement aux événements qui vont se produire. Nous voulons parler du droit des neutres et des fortifications de Paris.
Le gouvernement de l’Empereur a donné des ordres pour que, dans la poursuite de la guerre,
les commandements des forces françaises de terre et de mer observent scrupuleusement, vis-à-vis des puissances qui demeureront neutres, les règles du droit international, et pour qu’ils se conforment
notamment aux principes posés dans la déclaration du congrès de Paris du 16 avril 1856, savoir ; 1° Là course est et demeure abolie.
2° Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, a l’exception de la contrebande de guerre.
3u La marchandise neutre, à l’exception de la contrebande de guerre, n’est pas saisissable sous pavillon ennemi.
4Ü Les blocus, pour être obligatoires, doivent être effectifs, c’est-à-dire maintenus par une force suffisante pour interdire réellement l’accès du littoral de l’ennemi.
Bien que l’Espagne et les États-Unis n’aient point adhéré à la déclaration de 1856, les vais
seaux français ne saisiront pas la propriété de l’ennemi chargé à bord d’un vaisseau américain
ou espagnol, à moins que cotte propriété ne soit contrebande de guerre.
Le gouvernement de l’Empereur ne compte pas non plus revendiquer le droit de confisquer la propriété des citoyens américains ou espagnols qui serait trouvée à bord des bâtiments ennemis.
Quant aux fortifications de Paris, il eût ôté imprudent de laisser sans canons un système de dé
fense qui nous a coûté si cher. Berlin est une ville ouverte, et Paris est aujourd’hui la ville la
plus fortifiée de l’Europe. Il est donc sage d’user de tous nos moyens.
Le ministre de la guerre a ordonné que l’enceinte fortifiée de Paris et les forts extérieurs fussent mis immédiatement en état de défense et armés.
Ces travaux, qu’annonce aujourd’hui le Journal officiel, semblent gigantesques au premier abord, puisqu’il s’agit d’une enceinte de vingtsept lieues d’étendue, percée de cent portes, et d’une ceinture de forts détachés dont quelquesuns, comme celui du Mont-Valérien, sont de véritable-s villes; mais toutes les éventualités ont été prévues de longue main ; des dispositions ont été prises, au commencement même des construc
tions, pour mettre l’enceinte à l’abri des escalades, pour garnir promptement d’artillerie les faces’ et les plans terrassés, pour compléter l’armement des ouvrages détachés. Il n’y a plus qu’à déblayer certaines parties des fossés, actuellement comblées,
mais construites, et à établir aux barrières où les parties remblayées se trouvent des ponts-levis, dont toutes les pièces sont en magasin.
En ce qui concerne les chemins de fer, les portions-qui franchissent les fortifications de Paris sont organisées de manière à pouvoir être transformées en ponts tournants, qui laisseront la circulation libre ou l’entraveront à volonté.
C’est le général Chabaud-Latour qui a la direction supérieure des travaux défensifs qu’a pres
crits le ministre de la guerre. C’est un des officiers les plus distingués du génie, élève de l’École polytechnique, dont il sortit le premier en 1822.
Le général Chabaud-Latour est un de ceux qui ont conçu les premiers l’idée des fortifications de Paris, qui en ont tracé le plan et en ont dirigé l’exécution.
Ces préliminaires bien établis, évaluons les forces que la France met tout d’abord en ligne.
Nous ne donnons ici, bien entendu, que l’exposé général de notre armée de terre et de mer. Avionsnous besoin d’une loi, promulguée à grand fracas, pour savoir qu’on ferait acte de mauvais ci
toyen en révélant les mouvements des différents corps de notre armée?
Nous nous conten tons de mentionner ici le commandement de la flotte, qui a été donné au viceamiral Bouët-Willaumez. Nos vaisseaux auront certainement un grand rôle à jouer dans la mer du Nord; mais chacun comprend que les événe
ments seuls pourront nous édifier sur la mission
confiée à notre amiral. Nous n’ajouterons ici qu’un mot, c’est qu’on s’attend, du côté de la Baltique, à un coup de tonnerre.
L’armée de terre est divisée en huit corps, dont