La Sarre, séparant la France de la Prusse.
PANORAMA DE LA LIGNE DE LA SARRE. - Vue puse à Sarreguemmes, du haut de la caserne de gendarmerie.
Jo ne sais ce que valent ces lignes, écrites à la hâte, entre deux fusillades, deux alertes, deux
méchantes nouvelles ou deux larmes, mais jo vous les envoie sans les relire, car elles doivent avoir un accent de réalité poignante. Voilà ce que j’ai vu et ce que j’ai ressenti.
Sarreguèmhies, 0 aoûl, Minuit.
Je n’oublierai jamais cette journée du 6, palpitante, inquiète, sinistre, passée dans cette petite
ville morne, ce matin pleine de troupes, ce soir vide, sombre, silencieuse. Ils passaient joyeux,
au petit jour, sous mes fenêtres, les soldats qui venaient pour combattre. Maintenant ils sont en
ligne sur les hauteurs, attendant le premier rayon de soleil pour faire quelque mouvement. J’apercevais, ce soir, leurs longues lignes noires se dé
tachant comme un ourlet au haut des collines. Tout le jour le canon a tonné, tout le jour sur les visages cette expression anxieuse et triste des gens dont le sort se joue. Entendre au lom le canon, et se savoir impuissant, cloué à cette fata
lité de l inaction qui irrite les nerfs, fait* battre fiévreusement les tempes ! C’est là une souffrance qu’il faut avoir éprouvée pour comprendre combien durement elle vous .tord le cœur.
Du matin au soir on s’est battu là-bas, derrière les coteaux que je voyais hier, verts, gais et pai
sibles. On a détaché, sur le point du combat, les troupes qui, ce matin, campaient ici. Je les ai vus passer, les uns sombres, l’œil à terre, traînant les pieds, les autres le front haut, la flamme aux yeux, sûrs de vaincre. En tète de la compagnie de chasseurs à pied marchait un capitaine à qui, ce matin, aux avant-postes, j’avais serré la main et souhaité bonne chance. Il était superbe, grand, le visage franc, bronzé, l’œil clair, tunique ou
verte, son ceinturon bouclé sur sa ceinture de laine bleue, et tordant une badine entre ses doigts
nerveux ; je l’ai salué, il a levé son képi, souri et disparu. Les caissons, les canons, les mitrailleuses, venaient après.
Toute cette troupe montant la grande rue avec ce mouvement ondulant qui fait se balancer un régiment entier comme un être humain, dispa
raissait au tournant de la route. Aux derniers rangs, les baïonnettes et les canons des fusils rougis par le soleil couchant, ressemblaient à des baguettes en fusion. En route, un lieutenantcolonel est tombé de cheval et s’est cassé la jambe. On l’a porté chez un pharmacien. « Allons, ma campagne est finie ! »
Les troupes parties, je suis allé jusqu’à la Sarre, à travers les rues assombries, où les enfants, sur le pas des portes, les petites filles, sou
riaient en faisant de la charpie. Sur un ciel hoir d’orage, le drapeau blanc de l’ambulance flottait avec des plis de suaire taché de sang. — Au bord de la Sarre la paix, le calme, le merveilleux spec
tacle d’un soir d été qui finit, mais, au loin, làbas vers le couchant, de sourdes, continues, éternelles détonations. Coups de canon, feux de pe
lotons, canonnades et fusillades, de loin tout cela venait jusqu’à moi, retentissant douloureuse
ment en ma poitrine et m’amenant aux yeux je ne sais quelles larmes nerveuses. On se tuait, on se mitraillait, on se massacrait là-bas,
et ici, dans la rivière paisible, les peupliers de la rive allongeaient leurs ombres immobiles, des troupeaux de bœufs passaient, les bandes rouges sulfureuses de ce ciel un peu orageux se reflétaient dans le courant, où, çà et là, joyeux, sau
tillaient les poissons. Et dans un essaim rapide,
des moucherons tourbillonnaient, pleins de leur . vie rapide, joyeuse, au-dessus de l’eau silencieuse. Rien, rien que la paix du soir, le repos, le calme, et là-bas, à quelques heures si près de nous, le foudroiement incessant de l’artillerie et la perpétuelle tuerie. Et qui triomphait? Quelle incerti
tude ! Quelles douleurs! Quelle alternative d’amer découragement et d’espérance, d’abattement et de certitude !
A demain. Il faut attendre à demain. Ce soir,la ville morne est éteinte et se-tait. Des patrouilles veillent. Une lune sinistre éclaire des plaines, —
Territoire bavarois.
Champ de manœuvres de Saarbruck.
LA GUERRE. — Aspect de Saverne pendant la retraite du maréchal Mc-Mahon. — Croquis d’après nature par M. Gaildrau, correspondant spécial de l’Illustration.
Village prussien de Auersmacher.
PANORAMA DE LA LIGNE DE LA SARRE. - Vue puse à Sarreguemmes, du haut de la caserne de gendarmerie.
EN CAMPAGNE
Jo ne sais ce que valent ces lignes, écrites à la hâte, entre deux fusillades, deux alertes, deux
méchantes nouvelles ou deux larmes, mais jo vous les envoie sans les relire, car elles doivent avoir un accent de réalité poignante. Voilà ce que j’ai vu et ce que j’ai ressenti.
Sarreguèmhies, 0 aoûl, Minuit.
Je n’oublierai jamais cette journée du 6, palpitante, inquiète, sinistre, passée dans cette petite
ville morne, ce matin pleine de troupes, ce soir vide, sombre, silencieuse. Ils passaient joyeux,
au petit jour, sous mes fenêtres, les soldats qui venaient pour combattre. Maintenant ils sont en
ligne sur les hauteurs, attendant le premier rayon de soleil pour faire quelque mouvement. J’apercevais, ce soir, leurs longues lignes noires se dé
tachant comme un ourlet au haut des collines. Tout le jour le canon a tonné, tout le jour sur les visages cette expression anxieuse et triste des gens dont le sort se joue. Entendre au lom le canon, et se savoir impuissant, cloué à cette fata
lité de l inaction qui irrite les nerfs, fait* battre fiévreusement les tempes ! C’est là une souffrance qu’il faut avoir éprouvée pour comprendre combien durement elle vous .tord le cœur.
Du matin au soir on s’est battu là-bas, derrière les coteaux que je voyais hier, verts, gais et pai
sibles. On a détaché, sur le point du combat, les troupes qui, ce matin, campaient ici. Je les ai vus passer, les uns sombres, l’œil à terre, traînant les pieds, les autres le front haut, la flamme aux yeux, sûrs de vaincre. En tète de la compagnie de chasseurs à pied marchait un capitaine à qui, ce matin, aux avant-postes, j’avais serré la main et souhaité bonne chance. Il était superbe, grand, le visage franc, bronzé, l’œil clair, tunique ou
verte, son ceinturon bouclé sur sa ceinture de laine bleue, et tordant une badine entre ses doigts
nerveux ; je l’ai salué, il a levé son képi, souri et disparu. Les caissons, les canons, les mitrailleuses, venaient après.
Toute cette troupe montant la grande rue avec ce mouvement ondulant qui fait se balancer un régiment entier comme un être humain, dispa
raissait au tournant de la route. Aux derniers rangs, les baïonnettes et les canons des fusils rougis par le soleil couchant, ressemblaient à des baguettes en fusion. En route, un lieutenantcolonel est tombé de cheval et s’est cassé la jambe. On l’a porté chez un pharmacien. « Allons, ma campagne est finie ! »
Les troupes parties, je suis allé jusqu’à la Sarre, à travers les rues assombries, où les enfants, sur le pas des portes, les petites filles, sou
riaient en faisant de la charpie. Sur un ciel hoir d’orage, le drapeau blanc de l’ambulance flottait avec des plis de suaire taché de sang. — Au bord de la Sarre la paix, le calme, le merveilleux spec
tacle d’un soir d été qui finit, mais, au loin, làbas vers le couchant, de sourdes, continues, éternelles détonations. Coups de canon, feux de pe
lotons, canonnades et fusillades, de loin tout cela venait jusqu’à moi, retentissant douloureuse
ment en ma poitrine et m’amenant aux yeux je ne sais quelles larmes nerveuses. On se tuait, on se mitraillait, on se massacrait là-bas,
et ici, dans la rivière paisible, les peupliers de la rive allongeaient leurs ombres immobiles, des troupeaux de bœufs passaient, les bandes rouges sulfureuses de ce ciel un peu orageux se reflétaient dans le courant, où, çà et là, joyeux, sau
tillaient les poissons. Et dans un essaim rapide,
des moucherons tourbillonnaient, pleins de leur . vie rapide, joyeuse, au-dessus de l’eau silencieuse. Rien, rien que la paix du soir, le repos, le calme, et là-bas, à quelques heures si près de nous, le foudroiement incessant de l’artillerie et la perpétuelle tuerie. Et qui triomphait? Quelle incerti
tude ! Quelles douleurs! Quelle alternative d’amer découragement et d’espérance, d’abattement et de certitude !
A demain. Il faut attendre à demain. Ce soir,la ville morne est éteinte et se-tait. Des patrouilles veillent. Une lune sinistre éclaire des plaines, —
Territoire bavarois.
Champ de manœuvres de Saarbruck.
LA GUERRE. — Aspect de Saverne pendant la retraite du maréchal Mc-Mahon. — Croquis d’après nature par M. Gaildrau, correspondant spécial de l’Illustration.