blement aggravée. Notre ligne de défense, obligée de se replier, a permis l’occupation d’une partie de l’Alsace et de la Lorraine aux Prussiens, qu’on a pu voir successivement à Nancy, à Pont-à- Mousson, à Gommercy. Les derniers engagements ont en partie annihilé les avantages obtenus par les premiers succès de l’ennemi ; mais cet enva
hissement de notre frontière de l’Est n’en est pas moins pour le pays une calamité terrible, et nous voici, en 1870, combattant avec le second Empire
l’invasion contre laquelle l’Empire se débattait en 1815!
En présence de ce péril, chacun sent qu’il n’y a pas un jour, pas une minute à perdre, et c’est tout à.la fois pour réparer au plus vite les fautes commises par le gouvernement et pour donner à l’organisation des forces du pays une énergique impulsion que l’opposition, par l’organe de
M. Jules Favre, a proposé au Corps législatif l’institution d’un comité de défense nommé par les représentants du pays.
La mesure, il faut le reconnaître, était sans doute inspirée par un patriotisme sincère. Mais dans un moment où nous avons à déplorer des revers produits par une accumulation de fautes, la proposition de M. Jules Favre avait l’inconvé
nient de mettre en quelque sorte face à face, dans le gouvernement, deux autorités distinctes, sinon rivales : le comité de défense et le ministère, et l’on sait ce que l’on doit penser d’un pouvoir divisé contre lui-même.
Le Corps législatif a donc écarté, à une grande majorité, le projet de la gauche. Mais tout en s’efforçant de maintenir l’unité de pouvoir et l’u­ nité de commandement, la Chambre a bien com
pris que l’heure de l’approbation quand même était passée, et que son devoir lui commandait de se montrer à la hauteur des circonstances. Le Corps législatif a donc fait à l’opinion cette large concession de consentir à discuter le projet en comité secret, et le gouvernement a entendu de rudes vérités et de redoutables apostrophes.
« Il s’agit de savoir si nous avons fait notre choix entre le salut de la patrie et le salut d’une dynastie! » s’est écrié M. Gambetta; et M. Ernest Picard a traduit la même pensée par les mots suivants : « Il faut que la cour cède le pas à la nation. »
M. Guyot-Montpayroux, enfin, interpellant à ce sujet directement le ministère, a demandé au comte de Palikao s’il était le ministre de la Chambre ou le ministre des Tuileries.
Le chef du ministère, mis en demeure de répondre, s’est maintenu, comme on s’y attendait, sur le terrain de la Constitution, mais tout en
proclamant avec énergie la résolution prise par le ministère de marcher d’accord avec la Cham
bre dans tous les actes qu’il croira devoir lui proposer pour le salut du pays.
Dans la séance tenue le dimanche 14 août, M. Brame, ministre de l’instruction publique,
s’est montré, sur ce point, plus explicite encore que le chef du ministère. Il a dit :
« Notre mission principale, c’est la défense « du sol national. Nous la remplissons exclusive« ment. Nous travaillons nuit et jour. Nous avons « été nommés pour armer la France, et nous con« tinuerons notre tâche avec une énergie in« domptable! »
Ce langage a été bien accueilli de la Chambre et de l’opinion, et nous devons enregistrer les mesures déjà prises par le ministère pour délivrer la France.
Les actes que nous avons à mentionner sont relatifs à la guerre et aux finances.
Mesures militaires :
Envoi d’un renfort de 70.000 hommes à l’armée de Metz;
Formation de deux autres corps d’armée, l’un commandé par le général Trochu, l’autre par le général Vinoy.
Loi qui incorpore dans la garde nationale sédentaire toute la population valide.
Loi qui appelle dans la mobile tous les hommes valides de 25 à 35 ans.
Loi qui rappelle tous les anciens militaires des classes de 1858 à 1863.
Armement immédiat des fortifications de Paris. Mesures financières :
Loi qui proroge de 30 jours l’échéance des effets de commerce.
Loi qui établit le cours forcé des billets de Banque, avec faculté pour la Banque de porter le
chiffre de ses émissions à 1,800 millions, et de créer des billets de 25 fr.
Loi qui porte l’emprunt de 500 millions au chiffre d’un milliard.
Tous ces actes ont assurément été bien accueillis du public, et en leur donnant notre approbation sans réserve, nous ne pouvons que déplorer leur adoption tardive. Ce n’est pas quand l’ennemi lance contre notre armée du Rhin ses trois grands corps d’armée que nous devrions chercher les moyens d’opposer une digue à cette avalanche de bataillons allemands. Il y a un mois que le pays tout entier devrait être debout, et prêt à porter en Allemagne l’invasion que nous subissons aujour
d’hui. Nous le proclamons ici, parce que le cri public le proclame partout : elle sera grande et redoutable devant l’histoire et la postérité, la responsabilité des hommes qui ont, en pleine
paix, en pleine prospérité, découronné la France en lui infligeant la flétrissure d’une invasion !
Au point de vue de la politique extérieure, les faits que nous avons à signaler démontrent que la guerre reste, jusqu’à présent, un duel entre la Prusse et la France.
Au début de la lutte, le comte de Bismark poursuivait les combinaisons suivantes :
1° Eveiller contre nous les susceptibilités de l’Angleterre, sous prétexte des affaires de Belgique ;
2° Cimenter une alliance entre la Prusse et la Russie;
3° Nous brouiller avec l’Espagne à propos de l’incident de Hohenzollern ;
4° Nous aliéner l’Italie au sujet de. la question romaine.
L’ensemble de ce plan a complètement échoué. L’Angleterre, pleinement rassurée par nos dé
clarations, vient de signer avec nous un traité qui nous est aussi utile qu’à la Belgique ellemême, et qui assure notre frontière du Nord.
La Russie, non-seulement n’a pas signé de traité avec la Prusse, ainsi que M. de Bismark l’espérait, mais l’opinion publique, dans toute l’étendue de l’empire du czar, a montré une atti
tude de plus en plus défavorable à l’extension exagérée de la monarchie prussienne.
Bien loin de nous être hostile, l’Espagne ne nous a témoigné que des dispositions empreintes de la cordialité la plus parfaite.
Il en a été de même de l’Italie. D’accord avec le cabinet de Florence, nous nous sommes replacés sur le terrain de la convention du 15 sep
tembre, et la solution intervenue s’est accomplie à la satisfaction commune, sans soulever la moindre difficulté.
Ainsi donc, ni à Londres, ni à Saint-Pétersbourg, ni à Madrid, ni à Florence, M. de Bismark n’a réussi dans le programme qu’il s’était tracé.
La Prusse est seule, et dans ces conditions le résultat final ne doit pas nous inquiéter.
Aug. Marc.


HISTOIRE DE LA GUERRE


Nous avons raconté dans notre dernier numéro les deux batailles malheureuses, Forbach et Reichshoffen, qui nous ont fait perdre la ligne de la Sarre d’une part, et celle des Vosges de l’autre.
A la suite de ces batailles, les armées prussiennes s’avancèrent en Fiance par trois côtés, marchant dans cet ordre : à droite, l’armée du général St’einmetz, au centre, le prince Frédéric-Charles, à gauche, l’armée du sud, commandée par le prince royal. Ces trois armées avaient pour ob
jectif la ligne de la Moselle, de Metz à Toul, sur laquelle s’était concentrée l’armée française. Un
changement s’était opéré, comme on le voit, dans l’ordre de bataille de ces armées. Le corps du général Steinmetz, qui avait combattu à Forbach,
filant le long de la Sarre, descendait sur Metz et
la Moselle par la vallée qui se trouve entre Thionville et Saarlouis, tandis que le prince Frédéric- Charles, prenant à Saarbrück la place du général Steinmetz, se portait sur Metz par Forbach, Saint- Avold, Faulquemont et Rémilly ; enfin le prince royal, vainqueur à Reichshoffen, après être entré à Saverne, lançait dans la même direction sa cavalerie, dont les éclaireurs paraissaient successi
vement à Nancy, à Dieuze et à Pont-à-Mousson, d’un côté, et poussaient de l’autre jusqu’à Commercy, se dirigeant sur Bar-le-Duc.
Les trois armées prussiennes évoluaient donc de façon à cerner notre armée de Metz, où se trouvait le quartier général du maréchal Bazaine,
et à faire leur jonction autour de ce point. C’est ce projet que la bataille, heureuse pour nous, de Longeville vient de faire échouer.
Devant le mouvement clairement indiqué des trois armées prussiennes, le maréchal, par suite d’un plan concerté entre lui et le comte de Pali
kao, plan qui réparera, n’en doutons point, les malheurs de la première partie de la campagne, avait résolu de passer sur la rive gauche de la Moselle. Une moitié de notre armée, les corps Ladmirault et Decaen, avait, en effet, effectué ce passage vers la pointe de l’île Sain t-Symphorien,
lorsqu’elle se vit tout à coup attaquée par plusieurs corps de l’armée ennemie, qui avaient également passé la rivière au-dessus de Pont-à-Mousson, et qui finalement furent victorieusement repoussés.
Le succès de la journée est dû, paraît-il, à une habile manœuvre du maréchal Bazaine qui, fei
gnant de reculer tout en combattant, avait pu faire croire aux Prussiens qu ils étaient vain
queurs. C’est ce qui explique la première dépêche du roi de Prusse annonçant à la reine qu’il venait de battre une quatrième fois les Français. Il s’était trop pressé. En effet, ceux-ci, en reculant, avaient attiré l’ennemi jusque sous le feu du fort Saint- Julien, que les Prussiens ne croyaient pas ar
mé, mais qui l’avait été rapidement quelques jours auparavant; de plus, le maréchal avait fait mettre en ligne 25 mitrailleuses masquées par un ou deux bataillons. Lorsque les Prussiens furent à bonne portée, les bataillons s’écartèrent et les
80 canons du fort et les 25 mitrailleuses, tonnant à la fois, jonchèrent en un instant le sol de ca
davres. Il y eut taut de morts en cet endroit que
les Prussiens demandèrent, pour les enterrer, un armistice de quinze heures qui leur fut refusé, car ils pouvaient le mettre à profit pour appeler du renfort. Ils furent donc obligés de reculer, et le maréchal Bazaine put librement exécuter le mouvement qu’il avait projeté, ce qui est pour nous un succès réel et de grande importance. Le combat-de Longeville est du 14. Deux nouveaux engagements on t encore eu lieu dans la journée du 15, et de nouveau les Prussiens ont été repoussés.
Ces engagements se sont produits sur la route de Metz à Verdun, sur laquelle le maréchal Ba
zaine opérait stratégiquement après le combat de Longeville. Enfin, des dépêches arrivées hier soir nous annoncent une nouvelle affaire qui a com
mencé à Gravelotte, point précis où la route de Metz à Verdun bifurque, et s’est terminée à notre avantage, mais avec de grandes pertes, entre Doncourt-Iès-Conllans, village de 530 habitants,
situé sur la branche droite de la fourche, et Vionville, autre village placé sur sa branche gauche.
Le maréchal Bazaine manœuvre donc maintenant entre la Moselle, la Meuse et la Marne, pa
raissant devoir s’appuyer sur le camp de Ghâlons,
où des forces considérables ont été rassemblées; et c’est très-vraisemblablement dans les plaines de la Champagne que se livrera la grande bataille qui nous délivrera des envahisseurs.
Espérance! espérance! Ce mot vole aujourd’hui de bouche en bouche. La seconde partie de lacampagne a bien commencé, et c’est de bon augure pour la manière dont elle finira.
Louis Clodion.