bon augure; ils ont agi vile, résolûment et de sang-froid. L’énergie, du reste, est la qualité de chacun d’eux, et en passant la revue de ceux que nous connaissons, nous pouvons dire de chacun: « C’est un caractère! »
A tout seigneur tout honneur ! Le chef du cabinet était naturellement désigné : le « cabinet de la guerre » ne pouvait être dirigé que par un sol
dat; et c’est un rude soldat que M. le général comte de Palikao !
Froid et doux, raide et tenace, diplomate autant que militaire, le général porte très-vertement ses soixante-treize ans; il en paraît soixante à peine. C’est d’un pas alerte qu’il gravit l’escalier de la tribune; c’est d’une voix ferme et calme qu’il a porté la parole dans les tumultueuses séances de ces jours derniers. Depuis son entrée au ministère, les bureaux disent que jamais, au grand ja
mais, on n’avait vu les choses marcher de la sorte. Les paperasses’sont dédaignées, les « traditions »
négligées, les « précédents » absolument mis de côté. Comprenez-vous ce que ce doit être? Les précédents ! l’arche sainte de la bureaucratie ! la chose qui permet de mettre huit jours pour faire la besogne d’une heure !
[je général a du sang-froid et’ne « s’emballe » pas. Quand on a fait, vingt-quatre ans durant, la guerre des buissons en Afrique ; lorsque, général en chef et ministre plénipotentiaire, on a fait, avec 4 ou 5,000 hommes, cette merveilleuse campagne de Chine ; quand on a pris le Palais d’Été et campé dans Pékin ; quand, malgré la diplomatie anglaise, on a traité directement avec l’empereur de Chine,
et fait passer un si vilain quart d’heure au Magot des Magots, on ne saurait s’émouvoir de peu de chose. Aussi le général a « du plomb dans la cer
velle. » — Il en a aussi dans le ventre ; une balle arabe s’y est logée il y a quelque trente ans, et n’en est pas sortie. Sauf un peu de faiblesse dans la voix, il n y paraît pas.
Le général est l homme de la situation; la gauche l’acclame, et M. Gambetta lui a tressé avanthier une couronne de fleurs. D’ailleurs, sa présence rassure ; on sait, depuis Pékin, qu’il ne travaille pas pour le roi de Prusse.
Après lui, le ministre de l’intérieur porte le plus lourd fardeau. L’organisation de la garde mobile et des gardes nationales n’est pas précisé
ment une petite affaire. On dit que M. Chevreau s’en débrouille à merveille. C’est l’homme de France qui, — après M. Haussmann, toutefois, — a remué le plus de moellons et le plus de millions. Abord sympathique, figure douce, tour


nure jeune et alerte. A Lyon, les canuts commen


çaient à s’apprivoiser avec lui ; la raison en était que M. Chevreau ne paraissait pas partager l’opinion officielle de toutes les administrations, à savoir, que leurs agents sont infaillibles. — La famille de M. Chevreau, semblable à celle du Gas
con, chez qui « on se chauffait avec des bâtons de maréchal de France, » ne compte plus les préfets qu’elle a fournis.
De la poigne et du cœur. Yoilà, en deux mots, M. le baron Jérôme David; galant homme s’il en fut jamais, et homme de parole à rendre des points à feu Régulus; mais militaire jusqu’au bout des ongles, et toujours ayant l’air de se croire dans un bureau arabe, en train de « faire voltiger » des bédouins. Si quelqu’un de nos mi
nistres venait à manquer d’énergie, il n’a qu’à s’adresser à M. David, qui pourra lui en remettre beaucoup, tout en gardant plus que sa provision.
L’honorable ministre des travaux publics mériterait mieux qu’une sèche notice. Il y a un véri
table roman — inédit — dans son histoire. Il n’a nas toujours été millionnaire, et se souvient d’un
cemps où il gagnait quinze sous par jour — sans compter les coups. Mais depuis ce temps-là, où il a failli chausser les autres, il a trouvé chaussure à son pied. — Un jour que j’aurai le temps et la place je vous raconterai cette histoire-là.
Il paraît cassant et hautain. Ceux qui l’approchent le tiennent pour le plus doux et le plus bienveillant des hommes. J’en conclus qu’il est timide. J’ai connu beaucoup de ces timidités-là; d’habitude elles s’allient à lin caractère cle fer.
Ai-je besoin de faire le portrait de M. Brame ? Il est timide aussi, celui-là, mais d’une timidité terrible et enragée. Il tremble de tous ses mem
bres en montant à la tribune; mais ce qu’il veut dire il le dit, et jamais on n’a pu l’empêcher
d’aller jusqu’au bout. Henri IV aussi tremblait avant la bataille. M. Brame, comme le roi au pa
nache blanc, a toujours l’air de dire : « Ah ! tu as peur, misérable carcasse ! Eh bien ! je te ferai avoir peur pour quelque chose ! » Et il va au feu comme l’autre y allait.
Là franchise et la bon té même — excepté quand il s’agissait des vins de l’Hérault et de M. Pagézy, — simple et abordable en tout temps ; éner
gique à partager le prix ex æqvo avec le baron
David; spirituel et pétillant à faire envie à maint choniqueur, n’hésitant jamais devant le mot pi
quant, fût-il même un peu leste, et n’ayant ; as plus l’air ministre que vous et moi. Un brave homme et un homme brave dans toute l’acception des deux mots.
Il n’y a qu’unî chose qui l’ennuie, c’est de passer pour un grand industriel. Il n’a jamais vendu deux sous de coton, ni de fil, ni de laine, ni de sucre, ni de quoi que ce soit. C’est le voisi
nage de M. Pouyer-Quertier et leur indissoluble alliance qui l’ont compromis et l’ont fait passer pour ce qu’il n’est pas. Si je ne vous dis pas son âge, vous ne le devinerez jamais; ajoutez vingt ans à l’âge qu’il paraît, et vous ne serez pas loin de la vérité.
Je défie le plus myope des hommes de ne pas reconnaître M. Grandperret, fût-il assis à côté de M. J. Favre. Quiconque en sa vie a pu voir, ne
fût-ce qu’une fois, un procureur général — va- riété à bec de corbin, — ne peut pas hésiter et dira tout de suite : « C’est lui ! » Grand, maigre,
— tous les procureurs généraux de cette variété sont maigres ; c’est de race, comme les faucons et les éperviers, — raide, froid, sévère et majes
tueusement solennel. Il n’y a pas deux procureurs ; généraux, il n’y en a qu’un. M. Grandperret est « le procureur général. »
Si M. Grandperret n’est pas énergique, j’irai le dire à Rome. Demandez plutôt au premier jour
naliste venu, s’il doute de l’énergie d’un procureur général. C’est ce qu’on appelle « l’image de la loi. » On peut les casser, car ils sont cassants, mais quant à plier, ils ne savent pas ce que c’est.
M. l’amiral Rigault de Genouilly; il a survécu seul à trois ministères. C’est sa spécialité de res
ter quand les autres s en vont: c’est comme le fusil de maître Pierre : on a beau le bourrer, il ne part pas. — Trop connu pour qu’on le « pourtraicture » une fois de plus.
J’allais oublier M. Magne. Celui-ci, c’est « le ministre qui revient. » Personne aussi bien que lui ne connaît l’art difficile de « rentrer. » C’est pourquoi, jamais il n’a fait aucune difficulté de sortir; il sait bien qu’il rentrera. L’idole du Par
quet et le père de la Corbeille ; possède sur les pièces de cent sous et les louis d’or le même pou
voir que les charmeurs des Tuileries sur les pierrots et les ramiers ; ces oiseaux si faciles à effa
roucher, — je parle des pièces d’or, — sortent aussitôt de leurs paillasses et de leurs bas de laine dès que M. Magne montre le bout de son nez. Et puis si calme ! si doux ! si paternel ! il a du baume dans la voix, et ses cheveux blancs, si bien lissés, ont quelqqe chose de si patriarcal !
L’œil est petit ; mais quel regard clair ! et dans ce sourire si doux, si doux, que de finesse souple et forte ! Il y a comme cela des fils d’acier, minces comme des cheveux, et qui sont des limes avec lesquelles le fer est coupé comme de la paille.
M. de La Tour-d’Auvergne, — absent. Je n’en dirai rien, n’en sachant guère plus, à part ce que tout le monde sait. D’ailleurs, l’heure de la di
plomatie n’est pas encore venue, et j’espère que nous n’aurons pas besoin d’alliances.
M. Busson-Billaut. C’est lui qui a pris un portefeuille « comme on prend un fusil. » Homme d’affaires avec des instincts libéraux et des sou
venirs qui ne le sont pas. Pourrait faire un bon
procureur-général s’il était plus maigre ; connaît le budget sur le bout du doigt; actif et remuant;
si l’on avait, par hasard, besoin du conseil d’État’ il le ferait marcher assez vite.
Je ne sais plus qui disait dernièrement que le pouvoir était fatal aux journalistes ; Limayrac est mort dans sa préfecture et Prévost-Paradol de son ambassade ; Weiss a failli sombrer avec les Beaux-Arts. Je réponds queM. Duvernois n’a pas l’air de vouloir en mourir. Gras et fleuri, tout hérissée d’un buisson de barbe ardente, il possède la mine d’un vigoureux compère qui, même dans les positions les plus gênantes, ne doit pas être gêné. La gêne ! il ignore ce que c’est, et partout il se trouve chez lui. N’a que deux manières d’oc
cuper ses mains à la tribune : ou bien il les fourre dans sa poche, ou bien il meurtrit à coups de
poing le bois officiel. De l’énergie, ah ! oui ; et de l’aplomb, oh ! oui. Ce n’est pas lui qui prendra peur et qui proposera de traiter. Il a la foi ; c’est peut-être aussi qu’il a l’espérance. Et, — je l’en félicite, — pas « ministre » du tout; moins encore que M. Brame, ce qui n’est pas beaucoup dire.
Voilà le cabinet « de la défense nationale. » Si nos opinions ne sont pas tout-à fait avec lui, du moins avec lui sont nos vœux et notre dévoue
ment au pays. Bonne chance et prompt succès,
voilà ce que nous lui souhaitons du plus profond de notre cœur. Jean du Vistre.


REICHSHOFFEN


L’armée d’invasion du prince royal de Prusse venait de révéler brutalement sa présence par le bombardement de Wissembourg. Accourus de Strasbourg en toute hâte sur le théâtre de la guerre, Lallemand et moi, nous n’avions pas quitté la contrée depuis cette glorieuse affaire dans laquelle la division encore incomplète du
général Douay résista héroïquement, pendant plusieurs heures, à des forces décuples. Une ac
tion importante allait évidemment s’engager, et nous voulions être le plus près possible du champ de bataille.
La journée du 5 et une partie de la nuit furent employées par les deux armées à masser leurs
troupes et à prendre leurs positions. Nous nous étions levés de bonne heure, le 6 au matin, et nous sortions de Haguenau par la porte de Wissembourg, quand tout à coup nous nous arrêtâ
mes, comme cloués sur place par une profonde émotion. Nous venions d’enteiidre le premier coup de feu !...
Le signal était donné... D’autres détonations partirent aussitôt dans la direction de Gœrsdorf, apportant distinctement jusqu’à nous le bruit du canon et de la fusillade. Des hauteurs de Gunstett, les alliés commençaient l’attaque de la troisième division du corps de Mac-Mahon, sur un contre-fort qui se détache de Frœschwiller.
Nous voulions nous enfoncer dans la forêt de Haguenau et marcher au canon, avides, inquiets de voir et d’entendre; mais les routes ôtaient soi
gneusement gardées par nos soldats, dont les rangs s’ouvraient seulement pour livrer passage aux charrettes chargées de provisions, de meu
bles, de linge, d’objets de literie, que poussaient devant eux des paysans harassés de fatigue.
Quand nous revînmes sur nos pas, des détachements d’infanterie, blottis dans un fossé, derrière des houblonnières, surveillaient la lisière du bois,
tandis que de nombreux cavaliers en éclairaient les profondeurs. L’entrée de la ville était défendue par quelques centaines de soldats, noncha
lamment étendus autour de leurs fusils rangés en faisceau. Toute la population de Haguenau,— hommes, femmes et enfants, — était aux fenêtres, devant les maisons, dans les rues, sur les places publiques.
La canonnade continuait, toujours plus sinistre et plus intense, üh! les mortelles heures d’angoisses ! et comme elles résonnaient douloureu
sement en nos âmes, les voix formidables de ces milliers de bouches d’airain ! Le ciel était sombre, voilé d’épais nuages noirs, et le tonnerre mêlait ses gronderaents lointains au lourd roule*