AVIS IMPORTANT
Par suite de l’augmentation cle nos abonnés et de notre vente sur la voie publique, nos numéros du mois de juillet s’étaient épuisés. Nous ne pou
vions plus, en conséquence, servir d’abonnement à partir de ce mois, avec lequel commence notre 56° volume. Pour donner satisfaction aux réclamations qui nous arrivent à ce sujet, nous prenons le parti de faire recomposer tous les numé
ros de juillet. Nous serons donc en mesure sous peu de répondre à toutes les demandes qui nous seront adressées.
La politique, nous l’avons dit, a deux faces : l’armée et le gouvernement. Du côté de l’armée, nous n’avons, grâce à Dieu! qu’à rendre hommage à la valeur héroïque de nos soldats. La re
traite des 15,000 compagnons de Mac-Mahon, sous le coup d’une armée victorieuse de 140,000 hom
mes, a tout le prestige d’une victoire. De son côté, le maréchal Bazaine vient de traverser une se
maine formidable. Les journées de Borny, de Doncourt, de Gravelotte, de Jaumont ont arrêté l’avalanche des deux armées du prince Fré
déric-Charles et du maréchal Steinmetz, prêtes à s’unir à l’armée du prince royal pour fondre sur Paris. Arrêter l’ennemi, c’est pour l’instant le vaincre, et l’armée du Rhin, toujours en marche et toujours en bataille, a bien mérité de la patrie.
Mais c’est toujours du côté du gouvernement que la critique trouve encore des observations à faire. Le comte de Palikao a beaucoup fait, et cha
cun rend justice à son activité comme à son bon
vouloir. Mais il faut dire et répéter aujourd’hui ce que disait Jeanne d’Arc aux conseillers de Charles YII : — « Rien n’est fait tant qu’il reste à faire. »
Après l’adoption des mesures de guerre et de finance que nous avons enregistrées la semaine
dernière, on s’est demandé si le Corps législatif continuerait à se réunir. Nous avouons que nous ne comprenons guère comment on a pu poser une telle question, tant est manifeste pour nous la nécessité de maintenir debout la représentation du pays!
Pourquoi proroger les Chambres? Est-ce que leur concours n’est pas nécessaire pour toutes les grandes mesures de salut public que la. guerre peut imposer au pays? Est-ce que leur vote a fait défaut aux projets de loi que le ministère de la défense nationale a présentés à leur sanction? Est-ce que le Corps législatif ne s’est pas montré unanime pour voter les armements que comman
dait la situation? Cela est si vrai, qu’un député, après ce vote patriotique, s’est écrié fièrement : — « Et maintenant que la Prusse nous regarde ! »
Ce n est donc pas le concours des pouvoirs publics qui fera défaut au gouvernement, et le gouvernement doit éprouver pour lui-même la néces
sité d’avoir à ses côtés l’appui, le contrôle et le stimulant de la représentation nationale. Pour
quoi interrompre une session qu’on serait obligé de reprendre demain? Pourquoi repousser un examen qui ne saurait être trop rigoureux ? N’est-ce pas l’absenôe de contrôle qui nous a précipités dans la crise horrible que nous traversons?
Écoutez les révélations qui commencent à se faire jour de toutes parts. Yoici le fait que nous trouvons reproduit dans plusieurs journaux. La scène se passe dans la commission nommée pour examiner le projet de déclaration de guerre avant de le porter à la Chambre :
M. de Kératry. — Maréchal, sommes-nous prêts?
M. Le Boeuf. — Entièrement prêts.
M. de Kératry. — Nous en donnez-vous votre
parole d’honneur? Songez-y, ce serait un crime d’engager la France dans une lutte sans avoir tout prévu, pgré àfjtout!
M. Le Boeuf.—Je vous donne ma parole d’honneur que nous sommes complément prêts. (Mouvement de satisfaction.)
M. de Cassagnac. — Encore un mot. Qu’entendez-vous bien par Ces deux mots : Être prêts y
M. Le Boeuf (avec autorité). — J’entends par là ()uo, si la guerre durait un an, nous n’aurions même pas un boulon de guêtre à acheter.
Que peut-on ajouter à de si tristes aveux? Nous ne connaissons pas de réquisitoire plus accablant. Mais c’est précisément parce que le gouvernement s’est complètement trompé une première fois, et parce que le pays a besoin d’utiliser toutes ses forces que le Corps législatif doit se trouver prêt à délibérer instantanément sur les résolutions que le pays peut avoir à prendre. Au gouvernement l’action, mais au Corps législatif de lui crier sans cesse : Sentinelle, prenez garde à vous!
L’un des actes importants du ministère, cette semaine, est celui qui a nommé, le 17 courant, le
général Trochu gouverneur de Paris. Le général Trochu jouit, depuis longtemps, d’une popularité que lui ont justement acquise son franc langage et ses talents militaires. A lui de justifier aujour
d’hui la confiance que le gouvernement et le pays ont en lui.
Le général a commencé par publier deux proclamations, l’une adressée aux habitants de Paris, et l’autre à l’armée. La proclamation que le gé
néral adresse aux habitants de Paris se termine ainsi :
« Je fais apppei à tous les hommes de tous les partis, n’appartenant moi-même, on le sait dans l’armée, à aucun autre parti qu’à celui du pays; je fais appel à leur dévouement, je leur demande do.
contenir par l’autorité morale les ardents qui ne sauraient pas se contenir eux-mêmes, et de faire justice par leurs propres mains de ces hommes qui ne sont d’aucun parti, et qui n’aperçoivent dans les malheurs publics que l’occasion de satisfaire des appétits détestables.
« Et pour accomplir mon œuvre, après laquelle, je l’affirme, je rentrerai dans l’obscurité d’où je sors, j’adopte l’une des vieilles devises delà province de Bretagne où je suis né :
« Avec l’aide de Dieu, pour la patrie ! »
C’est à propos do cette proclamation que le journal le Temps a demandé au général de vou
loir bien préciser le sens que l’on devait attacher
certaines phrases de son manifeste, et le généralTrochu a répondu au Temps par une lettre qui est plus explicite encore quela proclamation qu’elle commente. Le langage qu’elle tient est nouveau parmi nous, et Paris a été agréablement surpris.
Un dépositaire de l’autorité, venant déclarer que « l’erreur de tous les gouvernements jusqu’ici a été de considérer la force comme Yultima ratio du pouvoir; que, quant à lui, il répudie cette erreur avec énergie ; que l’idée de maintenir l’ordre par la force de la baïonnette et du. sabre le remplit
d’horreur et de dégoût : » cest là, nous le répé-„ tons, un spectacle absolument inusité, et il n’est pas étonnant qu’un immense sentiment d’adhésion ait répondu à d’aussi nobles paroles.
Le général Trochu ne voit que la nation et ne veut relever que d’elle. Il fait appel à la discussion et au contrôle ; il évoque l’âme héroïque de la cité ; il provoque contre l’étranger le libre accord de tous les patriotismes : cette union intelligente des esprits et des cœurs en vue d’une tâche labo
rieuse, c’est là du patriotisme et de la démocratie dans le sens le plus large.
Nous n’ajoutons ici qu’un mot, c’est que le temps des phrases et des proclamations est passé.
Des actes ! Des actes ! Moins de paroles et plus de soldats ! Et la délivrance du pays n’en ira que plus vite !
Dans la séance du mardi 16 août, le Corps légis
latif, sur la proposition de M. Jules Ferry, a voté un projet qui a pour objet de comprendre dans la garde mobile les jeunes gens des classes de 1865 et 1866 qui, s’étant fait exonérer, n’avaient pas vingt-cinq ans accomplis au moment de la promulgation de ladite loi.
La séance- du 17 a été consacrée à l’odieux attentat de La Yillette, que l’honorable M. Gambetta a flétri, dans les termes suivants, aux applaudissements de toute l’assemblée :
« Dans les circonstances où nous sommes, quiconque en France porte l’uniforme doit être sacré. Nous considérons aujourd’hui tout fonction
naire, tout militaire, non comme un surveillant, mais comine un protecteur de l’ordre et du terri
toire. Le gouvernement n’a pas hésité à dénoncer immédiatement.une machination de l’espionnage dans l’acte de La Villette. La population y avait, elle aussi, reconnu tout de suite la main de l’étranger. S’il y a un corps qu’entourent ses sym
pathies et sa confiance, c’est ce corps de pompiers, si intrépide contre le feu. Et je salue, à cette oc
casion, l’arrivée à Paris de tous ces pompiers qui
ont été appelés de la province pour concourir à la défense nationale. Ils sentiront qu’ils sont au milieu d’une population qui ne*demande qu’à faire cause commune avec eux. »
La Chambre entière a chaleureusement applaudi à ce langage patriotique. Plus de divisions ! Haut les cœurs, et nous ne tarderons pas à prendre l’offensive !
C’est mardi, 23 courant, que le gouvernement a ouvert la souscription publique de l’emprunt national. L’emprunt est de 750 millions. Les
rentes nécessaires pour réaliser ce capital sont émises à 60 fr. 60, avec jouissance à partir du 1er juillet 1870.
Le succès de cet emprunt ne pouvait être douteux. La France donnerait jusqu’à son dernier homme et son dernier écu pour sortir victorieuse du précipice où le pouvoir personnel l’a fait tom
ber. Mais en voyant avec quel dévouement les millions accourent à la délivrance du pays, qu’il nous soit encore permis de montrer avec quelle imprévoyance nos gouvernants ont présidé à la conduite de nos affaires.
Dès le premier jour delà déclaration de guerre, il n’est pas un esprit sérieux qui ne se soit dit : L’argent va devenir un des premiers éléments du succès. La France peut, à des conditions splen
dides, obtenir en un jour un milliard. Qu’elle le réalise donc, pour ne plus avoir derrière elle,
pendant la première campagne, le moindre souci d’argent !
Le gouvernement, comme toujours, a louvoyé, et nous voici négociant à 60 fr. un emprunt que nous pouvions réaliser immédiatement à 66 fr. !
Une consolation nous reste, c’est que nous n’a vons qu’à ouvrir la main pour y trouver les mil
lions que la Prusse ne peut obtenir ni chez elle, ni en Angleterre !
Sous le coup des émotions publiques, l’opposition, par 1 organe de M. de Kératry, a proposé à
la Chambre de nommer une commission de neuf membres qui seraient adjoints au comité de dé
fense de Paris. La Chambre, consultée, a déclaré l’urgence, et les représentants se sont réunis dans les bureaux pour discuter la proposition.
En ce moment, le comte de Palikao s’est levé, et au nom du ministère tout entier il a repoussé avec vivacité le projet, sous le prétexte qu’un trop grand nombre de membres entraverait les délibérations du comité.
Pour écarter en ce moment toute crise ministérielle, la Chambre ne s’est pas montrée disposée
à voter pour le projet de M. de Kératry. Mais la discussion même de cette mesure en a fait surgir une autre, qui consisterait à nommer trois ou quatre membres de la Chambre pour faire partie du comité de défense. Cette nouvelle proposition est agréée par le gouvernement, qui, devançant la discussion et le vote de la Chambre, a nommé par un décret de l’impératrice-régente : MM. Thiers, de Talhouët et Dupuy de Lomé, députés, etMM. le