général Mellinet et Béhic, sénateurs, membres du Comité de défense de Paris. Encore une fois, ne nous divisons pas! Tout conflit peut être fatal à l’effort gigantesque que doit faire la France pour chasser l’ennemi.
Pendant que les journaux anglais proclament avec une joie féroce la déchéance de la France, et semblent croire que l’ogre de Prusse n’a plus qu’à ouvrir une fois la bouche pour tout avaler,
la Gazette de la Croix, l’Un des journaux influents de Berlin, commence à ne plus traiter les Fran
çais en ennemis vaincus d’avance. Après avoir vendu la peau de l’ours, on voudrait peut-être maintenant rompre le marché. Qu’on en juge!
« Il y a dans le caractère national en France un fond d’énergie et de dévouement capable des ré
solutions les plus fortes, et dont l’histoire des guerres de la République et du premier Empire nous a appris à connaître l’étendue. Encore un coup, ne nous laissons donc pas emporter, par nos premiers succès, à mépriser l’ennemi et sa puis
sance de résistance. Ceci n’est pas une guerre or
dinaire, qui puisse se terminer en quelques jours
et dans une bataille; nous sommes menacés d’une guerre populaire. C’est ce qu’indiquent déjà des symptômes incontestables dans les nouvelles des départements sur l’impression que nos victoires y ont produite. Les départements, en effet, sont loin d’être abattus. »
La Gazette cle la Croix voit donc poindre à l’horizon une guerre populaire en France, et elle a raison. Mais n’oublions pas que l’Allemagne, de son côté, se lève en masse pour soutenir la Prusse, et que la Gazette de Cologne nous menace d’une invasion de deux millions d’hommes !
C’est donc au duel de la France et de l’Allemagne que nous allons assister. En présence de cette lutte formidable, nous n’avons que deux souvenirs : 1815 et 1792!
La France, debout tout entière, se prononce pour 1792!
AUG. Marc.
Toujours la même lièvre, le même bouillonnement, la même impatience d’arriver au cinquième acte du drame, et toujours aussi, au milieu du tourbillon qui nous emporte, les mêmes oscilla
tions violentes qui font aller les imaginations d’un pôle à l’autre !
Elles sont bien là, les dépêches et les affiches, rayonnantes, héroïques et toutes chargées de gloire. Borny ? victoire ! Doncourt ? victoire !
Gravelotte? victoire! Jaumont? victoire! Et le public, enthousiasmé, bat des mains !
Mais à côté de ces cris vainqueurs, voyez.se glisser le sceptique, qui vient lire à travers les lignes de ces bulletins superbes, et vous montrer çà et là les taches qui font ombre sur tous ces so. leils.
Pourquoi l’ennemi, quatre fois brisé, tient-il encore ses lignes? Pourquoi l’invasion, repoussée, déborde-t-elle sur nos départements de l’Est?
Pourquoi Paris est-il plus menacé que dans la première quinzaine ? Pourquoi le roi Guillaume persiste-t-il à revendiquer de son côté la victoire?
Et les télégrammes du roi Prend-Tout ne sont pas sans faire hocher la tête à bien des gens.
Allons au fond des choses. En sommes-nou? donc encore à apprendre que le bulletin d’une bataille s’écrit avec des verres grossissants? Te
nez, nous parlons beaucoup de 1792, depuis un mois, et nous avons raison de montrer à nos fils cette grande histoire qu’on a justement appelée l Iliade de la France.
Eh bien ! à cette époque à jamais légendaire des héros sans souliers et sans pain, écoutez ce que le général Beurn on ville écrivait au ministre de la
guerre, le lendemain d’une victoire: — « Après trois heures d’une action terrible, et dans laquelle les ennemis ont éprouvé une perte de 10,000 hom
mes, celle des Français s’est trouvée heureusement réduite au petit doigt d’un chasseur. »
Aussitôt, tout Paris se mit à chanter sur un air connu :
Allons! citoyen Beurnonville, Le petit doigt n’a pas tout dit!
Bien mieux : quelques jours après, un loustic de l’armée écrivit au ministre de la guerre que le petit doigt du chasseur était retrouvé.
Apprenons donc à donner aux nouvelles leur véritable mesure, et jugeons les événements d’a_ près leurs résultats. Or, les résultats de cette for
midable semaine sont écrits pour nous en lettres majuscules.
C’est, pour le maréchal Bazaine, la possibilité d’une défensive victorieuse avec une armée contre deux.
C’est l’impossibilité, pour le prince Frédéric- Charles et pour le général Steinmetz, deseporter en avant pour rejoindre le prince royal.
C’est le chiffre effroyable des pertes éprouvées par l’ennemi et avouées par lui.
C’est l’appel fait par le roi Prend-Tout pour faire avancer les réserves de la landwehr, appel significatif, et qui est pour l’ennemi un signe de détre.-se.
Vienne la grande bataille, si impatiemment attendue, des deux maréchaux Bazaine et Mac-Mahon contre le prince Frédéric-Charles et le gé
néral Steinmetz, et le prince royal, «notre Fritz, » pourrait bien être condammé à une retraite plus difficile et moins glorieuse que celle de Mac- Mahon !
Telle est, à l’heure où nous écrivons, l’impression dominante.
Mais tout en causant, tout en lisant, tout en discutant, tout en cherchant dés nouvelles, que de
vient Paris? Car, plus que jamais, Pans est le cœur
et le cerveau du pays, et la France a les yeux tout à la fois sur la capitale et sur l’armée.
C’est précisémen t pour ce motif que l’Illustration, qui a déjà, en quelque sorte, photographié tant de crises de notre histoire, voudrait esquisser avec exactitude,- sans parti pris, la physionomie vraie de Paris. Essayons.
Et d’abord, comme aspect, comme mouvement, dans les rues, dans les jardins, sur les places,
sur les promenades, au bois, diminution sensible de la population. Gomment en serait-il autrement? L’armée a fait un peu partout de larges brèches,
les étrangers ont cessé de considérer Pans comme le jardin Mabille de l’Europe, et enfin,
plus que la villégiature, plus que les vacances, la guerre éloigne de Paris les familles opulentes et les millionnaires. La grande famille parisienne a donc diminué.
En revanche, quelle agitation pour le Paris qui reste ! Un mouvement perpétuel ! Et quelles pa
roles ardentes ! Quel va-et-vient tourmenté ! Que de groupes au coin d« s rues ! Que de points d’interrogation partout !
Impossible de rester chez soi. L’intérêt privé
est au second plan. Plus d’affaires ! Chacun sort,. chacun prend un journal. On parcourt en un clin
d’œil l’article Dernières nouvelles, et l’on se dirige rapidement vers le boulevard, qui est devenu notre forum, pour y chercher clans la foule la nouvelle, je veux dire la victoire qu’on attend comme la délivrance de la patrie !
La Prusse, les Prussiens, l’invasion, tout est là! Si l’idée fixe est la folie, Paris a la folie du patrio
tisme, comme les chrétiens avaient la folie de la croix ! Stultitiam crucis ! ne parlez plus d’autre chose, on ne vous répondrait pas.
En voulez-vous une preuve, deux preuves bien étonnantes? Allez dans les groupes, et vous n’en
tendez parler ni de l’Empereur,, ni de l’Impéra
trice, ni du Prince impérial, ni de la dynastie. A l’autre bout de la politique, essayez de crier
comme à la Yillette : Vive la République ! Et le peuple vous répondra : A bas la Prusse ! Les ex
trêmes ont disparu pour ne laisser vivant, dans
la pensée de tous, que le sanglant cauchemar de l’invasion !
Parcourons un peu le centre et les faubourgs, et allons où va la foule. Foule aux mairies.
Dans tous les quartiers, les mairies sont trèsbruyantes, le tableau des dépêches, l’inscription des gardes nationnaux, l’enrôlement des volontaires font des monuments municipaux des centres très-entourés.
Les murailles sont ornementées de petits carrés de papier contenant des avis écrits à la main. Vous approchez et vous lisez : « Un ancien militaire demande à remplacer. »
Il y a beaucoup d’inscriptions et de demandes. Mais si la hausse a disparu de la Bourse, nous la retrouvons à la cote du remplacement.
La semaine dernière, la demande montait à dix, douze et quinze mille francs ; mais ce n’est pas encore là, paraît-il, le maximum, et nous avons entendu, à la mairie du quatrième arrondissement, ce petit dialogue :
— Voulez-vous remplacer? — Oui.
— Combien demandez-vous ? — Vingt mille francs ! Qu’on se le dise !
Foule à la Banque.
— Et pourquoi? direz-vous. N’avons-nous pas le cours forcé ?
— Oui, sans doute. Mais le cours forcé n’est pas, pour les affaires, le parfait bonheur.
Le cours forcé, en faisant de l’or et de l’argent une marchandise primée, rend la vie des affaires très-laborieuse. L’argent se fait rare. Et alors comment donner au boulanger, au boucher, la mon
naie sans laquelle ces deux commerces sont presque impossibles ? Gomment faire la paie des ouvriers à la fin de chaque semaine? Difficultés insurmontables.
C’est pour obvier à ces inconvénients que les chefs d’ateliers et les commerçants sont autorisés,
avec une attestation du commissaire de police de leur quartier, à so présenter au guichet de la Banque de France pour échanger leurs billets.
Et dès le matin la foule assiège les portes.
La Banque a vu ainsi, depuis quinze jours, baisser son encaisse de cent vingt millions.
Mais, sur ce point, je suis heureux d’être une fois prophète en mon pays, et je n’hésite pas à prédire que la situation va s’améliorer; c’est l’emprunt qui aura produit ce miracie.
Marquez de blanc, à Ta manière antique, la journée du 23 août 1870. C’est la journée de l’em
prunt national, de l’emprunt contre la Prusse ! C’est la victoire du franc contre le tlialer !
A minuit, le bon public économe des faubourgs venait prendre rang à la porte du ministère des financés. Un interminable défilé.
Dans la matinée, chacune des mairies était assiégée par une foule également argen tée.


A midi, Paris disait que l’emprunt était souscrit.


A une heure, la Bourse le cotait avec un franc de prime.
A cinq heures, tous les journaux partaient pour annoncer à la Prusse que l’argent qu’elle ne peut trouver ni en Allemagne, ni en Angleterre, nous l’avions surabondamment chez nous, et qu’il nous suffisait de dire un mot pour l’obtenir.
Ah ! quelle teire bénie que cette terre de France ! On lui demande des soldats ? En voilà ! On lui demande des volontaires? En voilà! On lui demande des millions? En voilà !......
A vous, gouvernants, de faire votre devoir; les gouvernés on t fait le leur !
Foule à la préfecture de police.