germanique se lève et que le monde roman périsse ! » Quant à la modération de l’armée prus
sienne, on en trouvera le témoignage dans les ruines qui crient vengeance en Lorraine et en Alsace !
Au sujet de la demande faite par les généraux prussiens, de faire passer leurs blessés par un pays neutre avoisinant, des bruits fâcheux avaient circulé sur le compte de la Belgique et du Luxembourg.
Voici la vérité. Le gouvernement prussien avait, en effet, fait une demande dans ce sens à la Bel
gique pour des blessés prussiens et français :
mais elle a été heureusement repoussée. Il ne faudrait pas se faire illusion sur un pareil ordre de choses, et croire que le refus de la Belgique ou l’insistance de la France puisse donner prise au moindre soupçon d’inhumanité. L’armée prus
sienne a ses routes libres derrière elle, et les voies dont elle peut disposer sont plus courtes et plus rapides que celles dont elle réclame l’usage. Il ne faut donc voir dans notre refus qu’une résolution commandée par le salut du pays.
Aug. Marc.
A Berlin ! disions-nous en terminant notre dernier Courrier; et comme pour faire nargue à nos aspirations vengeresses, un cri de l’armée prus
sienne est venu nous répondre soudain : à Paris !
Et en effet, nos lecteurs avaient en main le dernier numéro de VIllustration, vendredi dernier, quand M. Chevreau, ministre de l’intérieur, et M. Busson-Billaut, président du Conseil d’État, montaient, le premier à la tribune du Corps lé
gislatif et le second à la tribune du Sénat, pour annoncer « que Varmée du Prince royal, qui avait paru s’éloigner, avait repris sa marche sur Paris; mais que Paris était en état de défense et que le gouvernement comptait sur le patriotisme des habdants. »
Le siège de Paris !... C’est là, n’est-ce pas, un de ces événements qui font date dans l’histoire,et la parole des ministres était bien faite pour émou
voir les âmes. On en avait bien parlé. On savait bien que Paris était le rendez-vous des trois ar
mées prussiennes. Mais il faut convenir que l’événement apparaissait à chacun comme une fantas
tique menace, comme une chimère à mille lieues des réalités tangibles !
Le siège de Paris fortifié, couronné d’un bandeau de forts hérissés de canons ! Le siège de Paris, la Mecque des croyances nouvelles, l’Athè


nes de la pensée moderne !... Ah! ne nous éton


nons pas si cette idée mettait un deuil au cœur de tous les citoyens. Savez-vous ce que Byron écrivait à l’un de ses amis, le jour où il apprenait,
en 1815, l’entrée des alliés à Paris? Écoutez le cri douloureux que jetait à cette nouvelle le chantre de Childe-Harold, avec cette clairvoyance que donne le génie :
« Je ne puis, mon ami, me réjouir des bouleversements qui se succèdent. Vous allez me trai
ter de Jacobin, mais vos changements de cocardes me touchent fort peu. Pauvre grand homme ! Comme Milon, il a voulu déraciner le chêne ;
mais le chêne entr’ouvert s’est refermé sur lui, et voilà les alliés à Paris ! Ne me parlez pas de cette entrée victorieuse. Il me semble que j’entends parler de l’entrée des Barbares dans Rome ! »
Les Barbares à Rome, c’est Byron qui le dit, et les inepties de la Sainte-Alliance ont bien prouvé que Paris valait mieux que ses vainqueurs.
Mais si le premier empire vit la chute de la capitale à la suite de six coalitions, l’attitude de Paris nous prouve bien que l’invasion prussienne viendra,cette fois, se briser contre le douille rempart des fortifications et de ses défenseurs.
« Une ville, disait Lycurgue, n’est jamais sans « murailles, quand elle est environnée non de « briques, mais d’hommes de cœur. »


Eh bien ! Cette semaine a montré aux Prussiens


que nous avons les murailles, les briques, et les hommes de cœur ! Triple rempart ! C’est peutêtre la plus émouvante semaine que nous ayons eue à Paris depuis le commencement des hostili
tés, et nous avons à cœur de le représenter, jour par jour, ce Paris menacé, avec sa passion, son mouvement, sa fièvre, son intrépidité, ses élans et son cœur !
Samedi 27 août.
Aléa jacta est !... Le siège paraît inévitable et imminent. Les dépêches prussiennes confirment la déclaration du ministre. De leur quartier gé
néral de Pont-à-Mousson, le roi Prend-tout et son fils, « notre Fritz » annoncent qu’ils se dirigent à marches forcées sur Paris.
Et c’est Reims qui devient tête de ligne du côté de Paris.
Paris a l’air tout chose. Est-ce peur? Allons donc! Comme Bayard, Paris dit et dira : sans peur et sans reproche. Mais c’est cet indéfinissable senti
ment qu’inspirent à la fois la conscience de sa force et la honte de subir, avec une telle puissance, une telle humiliation.
Ah! plus tard, quel règlement de compte!
On dirait que tout concourt à nous froisser et à nous irriter.
On lit et on commente la lettre du colonel Von Holstein à M. de Girardin. Elle a fait du bruit dans Landernau, cette lettre du colonel prussien,
et à l’heure qu’il est, au milieu des tonnerres lancés par un million d’hommes, ne fait pas qui veut du bruit avec une lettre.
L’arrogant officier parie vingt mille francs avec M. de Girardin qu’il passera, le 16 septembre, sous ses fenêtres, rue du Roi-de-Rome, à la tête de son régiment !...
Est-ce assez.... prussien ? Rien encore, la jactance ! Mais c’est l’acte d’accusation dressé contre nous par ce vainqueur in partibus, qui fixe surtout l’attention, et, comme ce réquisitoire lancé contre la France et contre la race latine est assez habile
ment composé d’erreur et de vérité, on s’en va disant : mais voyez donc comme il nous renvoie à notre med culpâ!
Eh bien ! oui, colonel, nous avons le malheur d’avoir un suffrage universel qui prend souvent des vessies pour des lanternes. Oui, nous avons eu le malheur de passer vingt années à regarder le ballon le Géant, en oubliant qu’il suffit d’une épingle pour crever les ballons.
Mais ce double malheur efface-t-il le nom de la France? Et vous, qui réclamez pour la Prusse un rôle de peuple-roi, croyez-vous que, peuple pour peuple, race pour race, la Prusse et la race germanique aient à revendiquer devant l’histoire les mêmes titres que la France et la race latine? Luther, dites-vous? L’orgueilleux moine, colonel, s’effacerait pour laisser passer la Révolution française !
La Prusse, un peuple-roi? Les peuples-rois ont un idéal qui les sacre tout-puissants devant le genre humain. La Judée avait son Décalogue, la Grèce avait son génie, Rome avait ce code souve
rain qui est encore la racine du droit moderne. La France a son histoire, une des plus merveil
leuses épopées que nous ait données la destinée humaine !
Mais l’idéal de la Prusse, où le trouveronsnous? Est-ce dansf Frédéric II, ce mélânge de pé
dantisme et de caserne dont Voltaire disait: C’est César et l’abbé Cottin ! Est-ce dans ce caporalisme de vos institutions guerrières, que lleine qui se vantait d’être « Prussien libéré, » jugeait ainsi.:
— « On dirait qu’ils ont avalé le bâton de caporal
avec lequel on les rossait jadis ! » Est-ce dans cet absolutisme militaire, aristocratique, religieux^
bureaucratique, qui couvre l’Allemagne comme une vaste carapace, si bien que les populations misérables n’ont d’autre recours contre cette dure oppression que l’émigration en masse aux États- Unis ?
Assez. Le casque à pointe et le fusil à aiguille, qui font seuls votre valeur d’un jour, ne repré
sentent que le passé, et la Révolution française ouvre à l’avenir d’autres horizons !
Paris, d’ailleurs, s’apprête à faire au colonel Von Holstein une autre réponse, qui sera, celle-là, argumcntum ad hominem.
Depuis la déclaration faite aux Chambres, on sent partout plus d’empressement, plus d’entrain. Le comité de défense se réunit deux fois par jour. Les préparatifs vont plus vite. Chaque citoyen
comprend son devoir. Les Parisiens ressemblent à ces habitants de Jérusalem qui, menacés par les
Samaritains, vivaient l’outil dans une main et l’arme dans l’autre!
Le fond du tableau, c’est l’armée et la garde nationale; et les enrôlements se font par masses. Mais sur ce fond que de créations pittoresques!
Les compagnies du génie civil, commandées par M. Alphand, les francs -tireurs de Paris, la compagnie des tireurs Bombonnel, le roi des chas
seurs, le bataillon des éclaireurs, la compagnie des ambulances. Chacun choisit son poste, qui pour
le combat, qui pour le travail, qui pour les bessés. - _ ✓
Et, par ci par là, que de scènes touchantes. Samedi, une ambulance traverse Paris au milieu d’une émotion toute sympathique. C’est l’ambu
lance anglo-américaine. Tout le monde se découvre devant ce généreux cortège. Trois femmes marchent en tête avec les trois drapeaux de l’An
gleterre, de l’Amérique et de la France. Ces trois drapeaux, n’en déplaise au colonel Von Holstein, représentent la civilisation du monde!
Et puis, voici les arrestations des bouches inutiles. L’arrêté du général Trochu n’y va pas de main
morte. Tous les gens sans profession, sans moyens d’existence sont impitoyablement ramassés, et les râlles des sergents de ville se succèdent sans interruption.
La préfecture de police est bourrée de plusieurs milliers de captures, et dans cette tourbe, aussi mal embouchée que mal famée, les cocottes comp
tent, bien entendu, pour un grand nombre. A la bonne heure! Paris, sur ce point, n’est pas plus coupable que les autres capitales, et Londres lui rendrait certainement des points. Mais à la veille de combattre il est bon de débarrasser Paris de cette fange.
L’heure des mâles pensées et des résolutions viriles arrive, et Paris doit se montrer à la hau
teur de Strasbourg, de Metz, de Phalsbourg, de Toul et de Verdun !
Dimanche, 28 août.
Toujours l’idée du siège ! La ville de Reims attend l’ennemi.
Aussi hâte-t-on les derniers travaux des fortifications.
Nous représentons les travailleurs de cette œuvre capitale. U est juste de les mettre à l’ordre du jour de la grande armée parisienne. Ils ont bien mérité de Paris et de la France.
Toutefois, nous pourrions émettre ici un tout petit distinguo. Cet immense chantier de travail
leurs qui enlace Paris compte des ouvriers de
bonne volonté et des manœuvres qui sont tant soit peu ficelles. Les premiers n’ont jamais donné lieu à la moindre observation. Mais les autres ont besoin de l’œil du maître, et savez-vous comment s’y prend l’administration pour en obtenir une besogne utile? En arrivant, le payeur leur avance la moitié de leur journée, ce qui naturellement les attire; mais le complément n’est payé qu’à la fin du travail.
Elle a du flair, l’administration.
Demain, les ponts-levis seront placés, la grande ville aura son corset de pierre et de bronze, et après-demain, les sentinelles s’enverront le quivive des temps de guerre : — Sentinelle, prenez garde à vous !
G’est dimanche, c’est jour de repos; mais quel travail de Titan pendant ce dimanche et ce jour de repos !
Remue-ménage universel, et dans ce remue, ménage, un double courant très-caractérisé : le courant des Parisiens qui abandonnent Paris la veille de la bataille, le courant des habitants de