Je viens de voir plusieurs bataillons revenant du tir à la cible à Vincennes.
Le défilé remplissait toute la rue de Rivoli, depuis le Louvre jusqu’à la Bastille. Et l’on chantait la Marseillaise? me direz-vous.
— Eh oui ! sans cloute; mais dans l’armée citoyenne, grattez le patriote, et vous retrouvez le Parisien. Et le Parisien chantait à pleins poumons :
Bismark, si tu continues,
De tous tes Prussiens, il n’ t’en rest’ra guère;


Bismark, si tu continues,


De tous tes Prussiens, il n’ t’en rest’ra plus!
Jeudi, 1er septembre.
La confiance grandit ; rira bien qui rira le dernier !
Mesure qui impose aux nouveaux bataillons de la garde nationale le même uniforme.
Un ordre qui appelle à Paris cent mille hommes de la garde nationale mobile.
Conseil de révision qui doit examiner, du 5 au 19, les 180,000 hommes de la classe de 1870.
Et toujours l’action, l’action ! Nous avons tenté d’esquisser cet effort immense. Mais comment arriver à peindre à la fois les mille, incidents de cette fourmilière en travail ?


Bruits de tambours, de tous côtés. Soldats qui arrivent.


Blessés qu’on transporte. Soldats qui partent. Partout la guerre. Voilà Paris !


Henri Cozic.




HISTOIRE DE LA GUERRE


On sait quels terribles combats se sont livrés, du 14 au 18 août, autour de Metz; nous les avons ra
contés. Le nombre des blessés de ces sanglantes journées (ne parlons pas des morts) a été ef
frayant. Les Prussiens en étaient encombrés et ne savaient qu’en faire, car ils gênaient leurs mouvements. Dans cette situation, ils demandèrent à la Belgique et au Luxembourg la permis
sion de les faire passer sur leur territoire, appuyant cette demande de considérations d’huma
nité qui déguisaient mal leur véritable but. Ces deux États déclarèrent d’abord qu’ils n’y voyaient pas d’inconvénients, sous la réserve, toutefois, de
la réciprocité pour les blessés français, s’il y avait lieu, et du consentement de la France. La France n’a pas consenti, et cela devait être. La demande de la Prusse n’aurait pu être accueillie, et encore à la condition du désarmement des soldats blessés et de leur internement pendant la durée de la guerre, que dans le cas où toutes les routes eus
sent été fermées aux Prussiens, sauf celles des États sur le territoire desquels ils réclamaient le passage. En étaient-ils là? Non-seulement ils sont maîtres des routes qui vont du nord-est de la France en Allemagne, mais encore ces voies sont plus courtes que les voies belges et luxembourgeoises, partant préférables pour les blessés. Si donc la Prusse voulait faire passer ses blessés par les pays neutres, ce n’était point par humanité,
comme elle le prétendait. C’était tout simplement pour laisser complètement libres à ses renforts, à ses approvisionnements de toutes sortes les chemins dont elle dispose. La France ne l’a pas permis, et la France a bien fait.
Cependant, que s’est-il passé sur le théâtre de la guerre durant la semaine qui vient de s’écouler?
Du 18 au 25, aucune nouvelle ne nous était parvenue. Le 24, le comte de Palikao avait déclaré à la commission chargée d’examiner la proposition Kératry que le maréchal Bazaine lui avait dit dans sa dépêche : « Je donne deux jours de repos
à nos soldats pour les soins matériels; ils n’ont besoin que de cela. » Il n’y avait donc rien d’é- tonnant à ce qu’aucun fait de guerre ne se fût
produit de son côté. Un mauvais bruit circulaif bien, qui expliquait cette inaction. On disait le maréchal enfermé dans Metz, et ce bruit puisait quelque consistance dans une dépêche prussienne
du 25, arrivée à Paris par la voie anglaise, et disant : « La nouvelle que le maréchal Bazaine s’est échappé de Metz est entièrement non fondée. Au contraire, il est resté dans cette ville, entouré par les troupes prussiennes, et on attend qu’il capi
tule, attendu qu’il est à court de provisions. » Ba
zaine, enfermé dans Metz avec quatre-vingt-dix à cent mille hommes! C’était par trop invraisem
blable ! Et en y réfléchissant, il était clair comme le jour qu’il n’en pouvait rien être. Mais tout le monde ne réfléchit pas, loin de là, et c’est ainsi que les nouvelles les plus absurdes se répandent. Loin que Bazaine fût enfermé dans Metz, il apparais
sait, au contraire, en suivant la logique des faits, que, après la victoire de Jaumont, il avait continué son mouvement, lentement peut-être, péni
blement, je le veux bien, car il avait sur les bras des forces ennemies d’une supériorité numérique très-grande, mais enfin qu’il avait poursuivi, qu’il poursuivait sa marche malgré tous les obstacles.
Pendant ce temps, que devenait le prince royal? Depuis quelques jours, on avait cessé d’entendre parler de lui, et il y avait lieu de croire qu’il s’é­
tait arrêté, inquiet des mouvements de l’armée du maréchal de Mac-Mahon. Il approchaitcependant,
mais d’un pas indécis en apparence. Mac-Mahon était au camp de Chàlons. A l’approche du prince, il quitte le camp qu’il livre aux flammes, et se re
tire sur Reims; de Reims il prend la direction de Rethel, dans l’intention évidente d’aller au devant du maréchal Bazaine, qui venait à lui, en
passant entre Montmédy et Verdun. C’est donc tr.^-vraisemblablement dans l’Argonne, au-des
sous de Sedan, entre cette dernière ville, Vouziers, Mézières et Rethel que les deux maréchaux ten
daient à se donner la main. Le prince royal, qui s’avançait, s’arrête alors de nouveau ;. puis tout à coup il semble prendre un grand parti, qui, le 26, provoque une communication du gouvernement au Corps législatif.
« Messieurs, dit le ministre de l’intérieur, l’armée du prince royal de Prusse avait paru s’ar
rêter avant-hier. Hier, elle a repiis sa marche. Le devoir du gouvernement est d’en prévenir la Chambre, le pays et la population de Paris.
Je n’ai pas besoin d’ajouter que le Comité de défense prend toutes ses mesures pour l’éven
tualité d’un siège, que tout le monde peut compter sur l’énergie et sur la prévoyance du ministre de la guerre et du gouverneur de Paris, comme de notre côté nous comptons sur la vaillancq et sur la résolution des habitants de la capitale. »
En même temps arrivait une dépêche officielle prussienne, ainsi conçue :
« Le quartier général du roi s’est transporté de Pont-à-Mousson à Bar-le-Duc. Les corps de la première et de la deuxième armée continuent à faire face à l’armée du maréchal Bazaine. Le restant des forces allemandes a résolûment commencé sa marche sur Paris. »
Plusieurs journaux allaient même jusqu’à raconter, à ce sujet, sur la foi d’un journal an
glais, qu’un conseil de guerre composé de tous les chefs d’armée avait été tenu au quartier gé
néral, sous la présidence du roi Guillaume ; que les généraux avaient été d’avis de rester sur la Moselle et de maintenir sévèrement la ligne de retraite, mais que le roi seul avait voulu et décidé la marche sur Paris, se flattant de voir, à bref délai, à ses pieds ces fanfarons de Parisiens.
Inutile de faire remarquer ce que ce racontar a de peu sérieux. Il est certain a priori que rien de ce qui s’est dit dans ce conseil de guerre n’.a transpiré au dehors ; et, a posteriori, il est non moins certain que le roi de Prusse, qui n’est qu’un drapeau, n’a pas, de son autorité privée, contrai
rement à l’avis de généraux éprouvés, ayant donné leur mesure, décidé un mouvement qui, au dire de ces mêmes généraux, eût compromis la sûreté
de ses armes. Et maintenant, que le roi, ou plutôt que le prince royal et le prince Frédéric-Charles aient eu un seul instant l’intention de s’avancer sur Paris, en l’état actuel des choses, j’en doute, je l’avoue; et j’ajoute que personne, à moins de supposer chez nos ennemis une incapacité dont
jusqu’ici ils n’ont pas fait preuve, n’a pu le croire bien sérieusement. J’ai manqué dire n’a pu l’espérer.
En effet, assiéger Paris, c’est facile à dire, mais moins facile à faire. Et d’abord, il faut pour cela de puissants moyens de siège. Quels sont ceux
des Prussiens ? Ensuite, courir sus à Paris, c’est permettre aux maréchaux Bazaine et Mac-Mahon,
réunis, d’écraser tout à leur aise l’armée qui est opposée au premier, et ensuite de couper aux assiégeants, c’est-à-dire à l’armée du prince royal, arrêtée devant des fortifications formidables, for
midablement défendues, dans un pays ravagé,
sans éléments d’approvisionnements, ses lignes de communications et de retraite. On pouvait donc raisonnablement l affirmer d’avance, les généraux prussiens n’étaient pas hommes, ils l’ont prouvé, à se jeter tête baissée dans un pareil traquenard.
Non, les Prussiens ne marcheront pas sur Paris, en laissant derrière eux Bazaine et Mac-Ma
hon; et si nous les voyons un jour sous les murs de la capitale, c’est qu’ils auront vaincu ces deux hommes de guerre et dispersé leurs armées. Jus
que-là, ils ne viendront pas. Leur marche sur Paris n’a été et ne pouvait être qu’une feinte. Ce qu’ils voulaient, c’était attirer le maréchal de Mac-Mahon à leur suite, empêcher ainsi sa jonc
tion avec le maréchal Bazaine, jonction devenue imminente, et, assure-t-on accomplie à cette heure, le prendre entre l’armée du prince Frédéric-Charles et celle du prince royal et lui livrer bataille dans ces conditions. Effectivement, déçus dans leurs espérances et voyant le maréchal de Mac-Mahon poursuivre sa route dans la direction du nord, ils se sont de nouveau arrêtés Le fait n’est pas douteux. Il résulte de communications officielles recueillies au ministère de l’intérieur. « Les troupes prussiennes, lisons-nous dans la communication 129, qui sous les ordres du prince royal avaient occupé Châlons, semblent se diriger sur Suippes (direction du Nord);» et dans la communication 130, il est dit que les troupes enne
mies continuent leur mouvement sur Rethel et Vouziers (même direction).
Donc, trompé dans son attente, non-seulement le prince royal a cessé de s’avancer sur Paris
mais encore il se met à la poursuite du maréchal de Mac-Mahon, dont le mouvement paraît être très-compromettant pour les troupes prussiennes. En effet, tout donne à penser que, gagnant le
temps que perdait le prince royal en cherchant à l’attirer sur ses pas, il pourra, de concert avec le maréchal Bazaine, frapper, avec des forces supé


rieures, un premier coup sur l’armée de Stein


metz, renforcée des divisions détachées de l’armée du prince Frédéric-Charles, et livrer ensuite, si
non dans les mêmes conditions, au moins dans des conditions très-favorables encore, au prince royal une seconde bataille, dont en cas de succès l’action décisive aurait pour résultat l’expulsion inévitable et rapide des Prussiens du territoire français.
A l’heure où nous écrivons, la première de ces batailles doit être imminente, si elle ne se livre pas dans ce moment, ou si elle n’est pas déjà livrée. Le prince royal sera-t-il arrivé ou arrivera-t-il à temps pour y prendre part ? Là est la question. Mais, en ce cas même, rien ne prouve
que le résultat attendu ne serait pas également heureux, sinon décisif.
Seulement l’ordre de bataille serait très-probablement changé.
Mac-Mahon, se retournant pour faire face au prince royal, aurait à le combattre seul, tandis que Bazaine, également seul, aurait à lutter con
tre l’armée de Steinmetz, renforcée, comme nous l’avons dit.
Je ne vois dans cette éventualité rien de bien effrayant.
Je vais plus loin : si, par malheur, Bazaine et Mac-Mahon étaient vaincus, eh bien ! ce serait encore loin d’être fini, nous le prouverons, s’il le
faut; mais, en attendant, nous aimons à espérer qu’il n’y aura pas lieu de faire cette preuve.
Louis Glodion.