SOMMAIRE.
Texte : Revue politique de la semaine : Circulaire de M. Jules Favre, vice-président du gouvernement de la défense natio
nale, aux représentants de la France à l’étranger. — Courrier de Paris : La situation générale ; les incidents de la journée du 4 septembre. — Proclamation de la République : L’ennemi en marche sur Paris. — En campagne : Au champ de bataille de Sedan, par M. Jules Ciaretie. — Histoire de la guerre. — L’Empereur prisonnier. — Le desservant de Saint-Pabu, nouvelle, par M“e Élisa Frank (suite).
Gravures : La journée du 4 septembre : le peuple au Corps législatif; lecture de la liste des membres du Gouvernement pro
visoire; — Envahissement de la salle des Séances du Corps législatif; — Proclamation de la République sur la place de l’Hôtel-de-Ville; — Arrivée à l’Hôtel-de-VUle du citoyen Rochefort; — Destruction des emblèmes impériaux. — Le siège de Paris: aspect de l’avenue des Champs-Élysées, le lende main de la nouvelle de la marche des Prussiens sur Paris. — Rentrée dans Paris des habitants de la banlieue : les voitures de déménagement aux portes de l’enceinte fortifiée. Lap
provisionnement de Paris : bétail parqué au bois de Boulogne
— Décoration de la statue allégorique de Strasbourg, sur ta place de la Concorde. — Les ouvriers du génie aux fortitications : la soupe. — Paris : les étrangers à la Prélecture de police, à ta suite de l’arrêté d’expulsion. — Théâtre de la guerre : Sainte-Menehouid. — Le camp de Boulay. — Théâtre de la guerre : Vue générale de la ville de Metz. — La guerre : ülilaDs faisant une réquisition dans une ferme des Ardennes. — Rébus.
La République est proclamée.
Elle est revenue, sans secousse, sans barricades, sans combats, apportée, en quelque sorte, par le flot des événements qui se précipitent; et devant le spectacle de cette révolution pacifique, on serait tenté de dire, qu’après une éclipse de vingt ans, la République de 1870 n est que la continuation de la République de 1848.
Le second empire a donc vécu.
L’histoire dira qu’il a passé sur la France comme une expérience oppressive et funeste. Il a commencé par un coup d’État. Il a continué par une politique qui n’avait pour objectif que le maintien de la dynastie, et il finit par une invasion qui, en un mois, vient d’accumuler les dés
astres et les périls, et d’ouvrir devant la France un abîme !
L’abîme est là, béant, devant nous, et en le montrant sans détour comme sans faiblesse, nos lecteurs savent que nous n’aurons pas attendu le
jour de la déchéance pour faire le procès de la politique fatale qui a pesé vingt ans sur le pays.
A la République de guérir les plaies saignantes de la patrie, et de rendre à la France le rang qu’elle occupe en Europe !
Résumons les événements qui ont rempli cette semaine, si douloureuse du côté de la guerre, si consolante et si pleine de promesses du côté de la politique.
DERNIERS ACTES DU MINISTÈRE PALIKAO.
Après les batailles des trois journées du 30 au 31 août et du 1er septembre, l’opinion à Paris était encore indécise sur le résultat final de ces com
bats de géants. Des bruits sinistres commençaient pourtant à circuler. Hélas ! la vérité devait dépasser les prévisions les plus cruelles.
Samedi, à la fin de la séance du Corps législatif, le général Palikao, prenant la parole, faisait à la Chambre la communication suivante ;
« Messieurs les députés,
« J’ai eu l’honneur de vous promettre de vous révéler en toute circonstance la vérité, quelle qu’elle fût.
« Je remplis ce devoir.
« De graves événements viennent de se passer. Je n’ai pas de dépêches officielles ; mais les com
munications de sources diverses que je reçois doivent être vraies.
« Il résulte de ces documents que le maréchal
Bazaine, après avoir fait une sortie très-vigoureuse, a eu avec l’armée prussienne un engage
ment de 8 à 9 heures, et qu’il a été obligé de se retirer sous Metz, ce qui a empêché sa jonction avec le maréchal Mac-Mahon.
« Cependant, bien que le maréchal Bazaine ait été forcé de se replier sous Metz, il ne lui sera peut-être pas impossible de sortir de cette situation.
« Mais la jonction, dont on attendait de si grands résultats, n’a pu s’accomplir.
« D’un autre côté, une grande bataille a eu lieu entre Mézières et Sedan. Elle a été mêlée de succès et de revers.
« D’abord le maréchal Mac-Mahon a culbuté l’armée prussienne et l’a jetée dans la Meuse.
« Mais nous avons dû ensuite nous retirer, soit sur Mézières, soit sur Sedan ; et même une partie de nos soldats sur la frontière belge.
« D’ici à quelque temps, on ne peut espérer que la jonction de nos corps d’armée puisse s’effectuer.
« Il a été mis en circulation beaucoup d’autres nouvelles ; mais le gouvernement n’a pas d’infor
mations officielles, et il ne peut les répéter, car il ne veut pas être accusé d’avoir effrayé la nation.
« La situation est grave.
« Nous sommes décidés à faire un appel à toutes les forces vives de la nation.
« En prévision des événements qui viennent de se produire — et que nous avions espéré conju
rer — nous avions levé les anciens soldats. Mais cette mesure ne nous a fourni qu’un petit nombre de combattants.
« Notre pensée ensuite a été d’organiser les gardes nationales mobiles. 200,000 hommes sont appelés, et avec les forces déjà réunies à Paris, ils nous permettront de garantir la sécurité de la capitale.
« Aujourd’hui, comme je vous le disais, nous faisons un appel à toutes les forces vives de la nation.
« Et nous.n’arrêterons pas un seul instant nos efforts jusqu’au jour où nous aurons expulsé les Prussiens de notre sol. »
C’était déjà navrant, et pourtant, conformément aux pratiques déplorables de la politique impé
riale, le chef du ministère ne disait encore qu’une partie de la vérité.
Le Corps législatif se sépare, après avoir décidé qu’il y aurait une séance à minuit.
La séance annoncée pour minuit ne commence qu’à une heure. Les députés gagnent leurs places au milieu d’un silence glacial. Les députés con
naissent la vérité tout entière et mesurent dans leur accablement la profondeur du goufre que la politique du second empire vient d’ouvrir sous nos pieds.
Le général Palikao prend la parole et fait à la Chambre une nouvelle communication qui constate des revers écrasants.
Le maréchal Bazaine est cerné avec son armée dans la ville de Metz.
L’armée de Mac-Mahon, encore maîtresse de ses mouvements le 31, a été obligée, le 1er septem
bre, de se replier, en partie sur Mézières, en partie sur Sedan.
Le maréchal Mac-Mahon, grièvement blessé, a été obligé de céder le commandement au général Wimpffen.
Le général Wimpffen, n’ayant pas de canons sur les remparts - et manquant de vivres, a été obligé de capituler.
Par suite de la capitulation, les Prussiens ont fait prisonniers 40,000 soldats français.
L’empereur a été fait prisonnier et a rendu son épée au roi de Prusse, qui l’a interné dans la ville de Mayence.
Jamais, il faut le dire, pareil désastre n’avait atteint les armes françaises. Une capitulation avec une armée de 40,000 hommes.! Voilà à quelle hu
miliation nous a condamnés le dernier jour de la dynastie impériale. On sait aujourd’hui que le maréchal Mac-Mahon voulait, en quittant le camp
de Châlons, ramener son armée sous les murs de Paris. Mais les représentations du souverain eurent encore assez d’influence pour entraîner vers l’Est, du côté du maréchal Bazaine, l’armée de Mac-Mahon, qui était insuffisante pour lutter contre des forces trois fois supérieures. Mac- Mahon a renouvelé le prodige de Reichshoffen ;
avec 100,000 hommes, il a tenu tête, pendant trois jours, à 400,000 hommes. Mais le résultat final de
vait être ce qu’il a été, l’écrasement de l’héroïsme par le nombre !
En présence d’une telle catastrophe, M. Jules Favre monte à la tribune et fait une proposition qui contient les trois actes suivants :
1 La déchéance de Louis-Napoléon Bonaparte et de sa dynastie;
2° La nomination d’une commission exécutive investie de tous les pouvoirs nécessaires pour repousser l’invasion et chasser l’étranger;
3° Le maintien du général Trochu comme gouverneur de Paris, chargé exclusivement de la défense de la capitale.
Ces résolutions sont écoutées au milieu d’un profond silence, et la Chambre, en raison de la
gravité des circonstances, remet la discussion de cette proposition à midi, dimanche; par consé
quent, dans la même journée, puisque la séance est levée à une heure et demie du matin.
Dans la matinée du dimanche, la population lit sur les murs de Paris une proclamation signée de tous les ministres et adressée au peuple fran
çais. Cette proclamation, après avoir constaté les revers que nous avons mentionnés plus haut, annonce que le gouvernement lève une nouvelle ar
mée qui sera dans quelques jours sous les murs de Paris, et qu’une autre, armée se lève sur les rive de la Loire. C’est le dernier acte, du dernier ministère du dernier souverain de la dynastie napoléonienne !
La population lit ce document au milieu d’une agitation extrême. Il est clair que la longanimité du peuple est à bout, et la physionomie de Paris annonce de graves et décisives résolutions.
Cette dernière séance du Corps législatif a présenté ce caractère particulier d’une assemblée qui cherche une transition pour arriver à un autre gouvernement, tandis qu’un peuple immense as
semblé autour du palais, proclame par cent mille voix le gouvernement que la Chambre doit reconnaître.
A une heure un quart le Corps législatif est entré en séance. M. de Palikao avait fait défendre tous les abords du Corps législatif par des déta
chements de la gendarmerie départementale à cheval et par de nombreuses escouades de ser
gents de ville. Un bataillon de la garde nationale stationnait sur le pont de la Conconde. Des gardes nationaux en armes, conduits par leurs offi
ciers, d’autres sans armes, des citoyens apparte
nant à toutes les classes se massaient peu à peu sur la place de la Concorde, et les cris : Vive la République ! se mêlaient aux cris : Vive la France ! La déchéance !...
Telle était la situation à l’extérieur, au moment où M. Schneider ouvrait la séance du Corps légis
latif. M. deKératryprend immédiatement la parole pour accuser M. le ministre de la guerre d’avoir manqué à son devoir en faisant garder le Corps législatif, contrairement aux ordres de M. le gé


néral Trochu, par des troupes de ligne et des ser


gents de ville et non par la garde nationale. Le ministre répond que lui seul dispose des forces à l’intérieur de Paris, et il se sert de cette expres
sion singulière en la circonstance : « De quoi « vous plaignez-vous, messieurs, que je vous ai « fait la mariée trop belle ? »
Après cette étrange explication, M. de Palikao donne lecture d’une proposition consistant à faire élire par le Corps législatif un conseil de gouver
nement, composé de cinq membres. Ce conseil
contresignerait les nominations des ministres ; M. de Palikao serait nommé lieutenant-général.
Cette proposition tendait à mettre le gouvernement aux mains de la majorité, en réservant les