droits de la dynastie et en établissant, en fait, la dictature de M. Gousin-Montauban.
M. Jules Favre demande la priorité pour la proposition de déchéance, qu’il a déposée dans la séance de nuit.
M. Thiers émet une troisième proposition, qui institue un comité de gouvernement élu par la Chambre, et qui dispose qu’une assemblée constituante sera convoquée, aussitôt que les circonstances le permettront.
Sur la demande de M. Gambetta, l’urgence est votée pour ces trois propositions, et la Chambre se retire dans ses bureaux pour nommer une
commission chargée d’examiner les trois projets et de présenter un rapport.
Pendant ce temps, l’animation du dehors s’était accrue. Les gardes nationaux, accourus de tous les points de la ville, les gardes mobiles, les ci
toyens emplissaient la place de la Concorde; le cri : Vive la République ! devenait unanime. Les soldats eux-mêmes le faisaient entendre.
Bientôt la foule pénètre de tous côtés dans le Corps législatif. Quelques députés sortent alors des bureaux et rentrent en séance. M. de Palikao est dans la salle. Des tribunes envahies partent
les cris ardents de : Vive la République ! M. Gambetta exhorte les tribunes au calme. Mais les cla
meurs du dehors arrivent à chaque instant plus retentissantes dans la Chambre. M. de Palikao et les quelques membres de la majorité présents dans la salle se retirent. L’hémicycle se remplit de gardes nationaux, de gardes mobiles, de ci
toyens; les bancs des députés, l’estrade où siège
le bureau, sont envahis par la foule. Les députés de la gauche partent pour l’Hôtel-de-Ville; la Révolution est accomplie.
Un dernier mot sur le Corps législatif et le Sénat. Certes, on ne manquera pas de faire remar
quer combien ont été irrégulières les dernières discussions de la Chambre. Le vote de la déchéance était sans doute considéré comme cer
tain; mais enfin nous devons reconnaître que le vote n’a pas eu lieu en séance publique.
De plus, la Chambre n’a pas non plus proclamé la République. Ce vote ne peut appartenir qu’à une assemblée constituante. Mais on peut dire que la population parisienne tout entière l’a, d’une voix unanime, acclamée.
Notons enfin, pour rester fidèles à l’histoire, les deux réunions de députés qui ont eu lieu, après l’envahissement du Corps législatif, dans l’hôtel de la présidence.
La première a eu lieu dans l’après-midi. Elle a été présidée par M. Alfred Le Roux, M. Schnei
der ayant été assez gravement contusionné en tra
versant le petit jardin qui conduit de la salle des séances à l’hôtel de la présidence.
Dans cette réunion, composée de 234 députés, on s’est entendu sur l’adoption de la proposition de M. Thiers.
Cette rédaction fut portée à l’Hôtel-de-Ville par MM. Alfred Le Roux, Garnier-Pagès, Martel, Grévy, Tachard, Johnston, Barthélemy Saint-Hilaire. Le gouvernement provisoire y était installé.
On répondit aux députés qu’il était trop tard, que la République était proclamée. On convint que les députés se réuniraient de nouveau le soir à huit heures, et que les membres du gouvernement provisoire s’y rendraient.
M. Thiers présida cette réunion, composée de 183 députés, qui eut lieu à huit heures. M. Jules Favre porta la parole comme membre du gou
vernement. Il protesta de son désir d’obtenir le concours des députés, ajoutant qu’il croyait que ce concours serait plus utile dans les départements.
De son côté, le Sénat s’était assemblée dans la journée, sans pouvoir s’entendre suî la perma
nence ou l’ajournement de ses réunions. Après une discussion confuse et qui ne montrait que trop les tergiversations individuelles, la Chambre haute décide enfin qu’elle se réunira le lendemain, lundi, à deux heures.
Vote inutile ! Cette courte réunion était pour le Sénat, comme pour le Corps législatif, la
dernière des deux Chambres du second Empire. L’Empire avait vécu !
PROCLAMATION DE LA RÉPUBLIQUE.
Les membres de l’opposition démocratique, réunis à l’Hôtel-de-Ville, et formant un gouver
nement provisoire, ont immédiatement répondu au cri de la population parisienne, en proclamant la République.
Après tous les désastres de l’Empire, la République vient de prendre un héritage écrasant. La France à tirer de l’abîme, l’invasion triomphante à repousser, voilà quelle est sa.double tâche.
Le gouvernement provisoire a pris le seul titre qu’il pût, qu’il dût prendre, un. titre qui résume à la fois la gravité de sa mission et la grandeur de nos périls, la profondeur de l’abîme où la France est tombée par l’empire. Il s’appelle le « Gouvernement de la défense nationale. »
Voyons par quels actes le gouvernement provisoire a inauguré l’œuvre immense qu’il doit accomplir pour le salut du pays.
Commençons par ses proclamations, et nous mentionnerons ensuite ses actes.
La proclamation qui annonça à Paris, à la France la Révolution pacifique du 4 septembre est ainsi conçue :
Citoyens de Paris,
La République est proclamée.
Un gouvernement a été nommé d’acclamation. Il se compose des citoyens :
Emmanuel Arago, Glais-Bizoin, Crémieux, Pelletan, Jules Favre, Picard,
Jules Ferry, Rochefort,
Gambetta, Jules Simon, Garnier-Pagès,
Représentants de Paris.
Le général Trooiiu est chargé des pleins pouvoirs militaires pour la défense nationale.
Il est appelé à la présidence du gouvernement. Le gouvernement invite les citoyens au calme; le peuple n’oubliera pas qu’il est en face de l’ennemi.
Le gouvernement est, avant tout, un gouvernement de défense nationale.
Le gouvernement de la défense nationale,
Arago, Crémieux, Jules Favre, Ferry, Gambetta, Glais-Bizoin, Garnier-Pagès, Pelletan, Pi
card, Rochefort, Jules Simon, général Trochu.
Le gouvernement de la défense nationale a composé le ministère comme il suit :
Ministre des affaires étrangères. Jules Favre. Ministre de l intérieur........... Gambetta.
Ministre de la guerre.............. Général Le F’lo. Ministre de la marine..............Amiral Fourichon. Ministre de la justice..............Crémieux.
Ministre des finances...............Ernest Picard. Ministre de l’instruction publia
que et des cultes....................Jules Simon. Ministre des travaux publics . . Dorian. Ministre de l agriculture et du
commerce............................Magnin.
Le ministère de la présidence du conseil d’État est supprimé.
M. Étienne Arago est nommé maire de Paris, M. de Kératry est nommé préfet de police.
M. Steenackers est nommé dn’ecteur des télégraphes.
La proclamation à la France est courte et significative. Elle constate que les membres du gouvernement sont, non au pouvoir, mais au péril.
Français !
Le peuple a devancé la Chambre qui hésitait. Pour sauver la patrie en danger, il a demandé la République.
Il a mis ses représentants, non au pouvoir, mais au péril.
La République a vaincu l’invasion en 1792; la République est proclamée.
La Révolution est faite au nom du droit, du salut public.
Citoyens, veillez sur la cité qui vous est confiée* demain, vous serez avec l’armée les vengeurs de la patrie !
La proclamation à la garde nationale et à l’armée déclarent, la première, que la victoire du peuple n’a pas coûté une goutte de sang, la se
conde, que l’héroïsme de l’armée a été tel que les vaincus de cette première campagne font, plus que les vainqueurs, l’étonnement du monde. C’est à ces deux forces, désormais unies dans un même élan, que le gouvernement de la défense nationale fait appel pour chasser l’étranger.
Notons encore deux proclamations, celle de M. de Kératry et celle d’Étienne Arago, maire de Paris.
Le nouveau préfet de police déclare « qu’investi par le gouvernement de pouvoirs dont on a tant abusé sous les régimes antérieurs, il invite la po
pulation parisienne à exercer les droits politiques qu’elle vient de reconquérir dans toute leur plé
nitude, avec une sagesse et une modération qui soient de nature à montrer à la France et au monde qu’elle est vraiment digne de la liberté.
« Notre devoir à tous, dit-il, dans les circonstances où noùs sommes, est surtout de nous rappeler que la Patrie est en danger. »
Le maire de Paris dit :
« En attendant que vous soyez convoqués pour élire votre municipalité, je prends, au nom de la République, possession de cet Hôtel-de-Ville d’où sont toujours partis les grands signaux patriotiques en 1792, en 1830, en 1848.
« Comme nos pères ont crié en 1792, je vous crie : Citoyens, la patrie est en çanger ! Serrezvous autour de cette municipalité parisienne, où siège aujourd’hui un vieux soldat de la République. »
Passons aux actes.
Nous nous contenterons de les mentionner, en accompagnant de quelques réflexions sommaires ceux qui auront donné lieu aux commentaires de la presse èt de l’opinion.
Un des premiers décrets du gouvernement provisoire a dissous le Sénat et le Corps législatif.
Par un autre décret, amnistie pleine et entière est accordée à tous les condamnés pour crimes et délits politiques et pour délits de presse depuis le 3 décembre 1852 jusqu’au 3 septembre 1870.
Tous les condamnés encore détenus, que les jugements aient été rendus soit parles tribunaux correctionnels, soit par les cours d’assises, soit par les conseils de guerre, seront mis immédiatement en liberté.
Deux arrêtés du ministre de l’intérieur ont fixé au mardi 6, les élections des commandants et des officiers de la garde nationale, et nommé les citoyens qui, jusqu’au jour des élections munici
pales, rempliront les fonctions de maires dans les vingt arrondissements de Paris.
Une autre circulaire de M. Gambetta a fait connaître aux préfets des départements les événements qui ont eu lieu à Paris.
. Les départements ont répondu en acclamant, comme Paris, le gouvernement né des périls de la situation, et en jurant de faire, comme Paris, un effort surhumain pour chasser les armées prussiennes.
Voici les décrets publiés les jours suivants :
L’industrie de la fabrication des armes est déclarée libre.
L’impôt du timbre sur les journaux ou autres publications est aboli.
La justice est rendue au nom du peuple français, et les arrêts, les jugements, actes notariés
seront libellés dans la forme suivante : République française, au nom du peuple français, etc...