Le ministère de la maison de l’Empereur est supprimé, et les Liens meubles et immeubles de la liste civile font retour à l’Etat.
MM. Dorian, ministre des travaux publics, de Dompierre-d’Hornoy, contre-amiral, Dupuy de Lomé et Frébault, général de division, sont nommés membres dn Comité de défense de Paris.
Tous les fonctionnaires sont relevés de leurs serments.
Le serment politique est aboli.
La ville de Paris est autorisée à lever une somme de cinq millions pour faire face aux dépenses occasionnées par la guerre.
En résumé, le Journal officiel de la Rêpublique française a eu raison de dire, dans son premier
numéro :
« Ce qui caractérise la révolution du 4 septembre, c’est l’ordre absolu et l’unanime élan avec lesquels elle s’est accomplie. »
Mais ne l’oublions pas, le Gouvernement provisoire s’est appelé lui-même le Gouvernement de la défense nationale, et c’est au salut de la pa
trie que chacun de nous doit consacrer toutes ses forces.
C’est là notre unique souci, et à ce point de vue nous devons exposer au grand jour la situation vraie que nous a léguée la chute de l’Empire.
SITUATION.
Il nous est impossible de ne pas accompagner ce résumé fidèle des grands événements de cette semaine, de quelques réflexions sommaires.
Trois questions capitales s’imposent à notre esprit : la proclamation de la République, la guerre et les neutres.
Au suj et du nouveau Gouvernement de la France, l’histoire ne fera que rendre ijustice aux membres qui composent le Gouvernement de la défense na
tionale, en disant qu’ils ont fait tous leurs efforts pour résister à la proclamation de la République.
La troisième République française est née de l’explosion populaire, et l’accueil enthousiaste fait par les départements à cette résurrection, l’a sacrée aux yeux de la France et de l’Europe.
Les droits de la nation sont d’ailleurs sauvegardés, puisque le suffrage universel sera convoqué,
après la guerre, pour nommer une constituante appelée à refaire la Constitution du pays.
Le gouvernement provisoire a d’ailleurs compris toute l’étendue et toute la responsabilité de la mission qu’il s’imposait, en s’appelant lui
même : Gouvernement de la défense nationale. Cet heureux titre lui a conquis tous les suffrages, et nous ne pouvons que nous associer à ces réflexions aussi judicieuses que patriotiques, publiées par M. Louis Blanc, au sujet du concours unanime qui doit nous unir autour du gouvernement pour délivrer la France de l’invasion.
« A cette heure des grands périls et des grands devoirs, la division serait le plus redoutable péril;
et j.e devoir le plus sacré, c’est l’union, — l’union sans nuage. Quand c’est du salut même de la France qu’il s’agit, bien lâche serait le cœur dans lequel le suprême désir de la sauver tiendrait moins de place qu’un sentiment d’amour-propre, d’ambition ou de rancune. Serrons-nous donc tous autour du gouvernement qui tient l’épée de la France. Que chacun le soutienne; que chacun le serve. Que l’Europe apprenne que la République,
suivant un mot fameux de M. Thiers, est ce qui nous divise le moins. Notre force dans le monde en sera centuplée. »
Au sujet de la guerre et de la situation des neutres, à l’heure où l’ennemi frappe à nos portes, nous ne pouvons que renvoyer nos lecteurs à l’ad
mirable circulaire qui a été adressée par M. Jules Favre à tous les représentants de la France à l’é­ tranger; nous la reproduisons plus loin.
Il n’y a qu’une voix pour reconnaître que jamais la politique française n’avait fait entendre un langage plus élevé, des idées plus droites, plus no
blement pacifiques. Voilà la Prusse sommée de nous faire connaître l’hypocrisie ou la sincérité de sa déclaration, quand elle disait qu’elle ne fai
sait pas la guerre à la nation française, mais à la dynastie impériale.
L’Europe, nous en sommes convaincus, confessera, à la lecture de ce document, que la justice de notre cause ne fait plus doute pour personne. Mais cette sympathique approbation ne peut suffire.
La foi qui n’agit pas, est-ce une foi sincère?
L’Europe, intéressée comme la France à ne pas voir se dresser au centre du continent européen un empire d’Allemagne tout-puissant, peut, par une intervention efficace, dénouer d’un seul coup la crise qui la déchire. Là serait la solution la plus rapide et la plus active. Mais l’Europe, qui a con
science de ce péril, fera-t-elle quelque chose pour le conjurer ?
Aug. Marc.
L’important document qu’on va lire a été affiché mercredi matin dans Paris :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Circulaire adressée aux Agents diplomatiques de France par le vice-président du Gouvernement de la défense nationale, ministre des affaires étrangères.
Monsieur,
Les événements qui viennent de s’accomplir à Paris s’expliquent si bien par la logique inexorable
des faits qu’il est inutile d’insister longuement surleur sens et leur portée.
En cédant à un élan irrésistible, trop longtemps contenu, la population de Paris a ohéi à une nécessité supérieure, celle de son propre salut.
Elle n’a pas voulu périr avec le pouvoir criminel qui conduisait la France à sa perte.
Elle n’a pas prononcé la déchéance de Napoléon III et de sa dynastie : elle l’a enregistrée au nom du droit, de la justice et du salut public.
Et cette sentence était si bien ratifiée à l’avance par la conscience de tous, que nul, parmi les défenseurs les plus bruyants du pouvoir qui-tombait, ne s est levé pour le soutenir.
Il s’est effondré de lui-même, sous le poids de ses fautes, aux acclamations d’un peuple im
mense, sans qu’une goutte de sang ait été versée, sans qu’une personne ait été privée de sa liberté
Et l’on a pu voir, chose inouïe dans l’histoire, les citoyens auxquels le cri du peuple conférait le
mandat périlleux de combattre et de vaincre, ne pas songer un instant aux adversaires qui, la veille, les menaçaient d’exécutions militaires.
C’est en leur refusant l’honneur d’une répression quelconque qu’ils ont constaté leur aveuglement et leur impuissance.
L’ordre n’a pas été troublé un-seul moment; notre confiance dans la sagesse et le patriotisme de la garde nationale et de la population tout entière nous permet d’affirmer qu’il ne le sera pas.
Délivré de la honte et du péril d’un gouvernement traître à tous ses devoirs, chacun comprend que le premier acte de cette souveraineté natio
nale, enfin reconquise, est de se commander à soi-même et de chercher sa force dans le respect du droit.
D’ailleurs, le temps presse : l’ennemi est à nos portes; nous n’avons qu’une pensée, le repousser de notre territoire.
Mais cette obligation que nous acceptons résolument, ce n’est pas nous qui l’avons imposée à la France, elle ne la subirait pas si notre voix avait été écoutée.
Nous avons défendu énergiquement, au prix même de notre popularité, la politique de la paix. Nous y persévérons avec une conviction de plus en plus profonde.
Notre cœur se brise au spectacle de ces massacres humains dans lesquels disparaît la fleur des deux nations, qu’avec un peu de bon sens et beaucoup de liberté on aurait préservées de ces effroyables catastrophes.
Nous n’avons pas d’expression qui puisse peindre notre admiration pour notre héroïque armée
sacrifiée par l’impéritie du commandement suprême, et cependant plus grande par ses défaites que par les plus brillantes victoires.
Car, malgré la connaissance des fautes qui la compromettaient, elle s’est immolée, sublime, de
vant une mort certaine, et rachetant l’honneur de la France des souillures de son gouvernement.
Honneur a elle ! La Nation lui ouvre ses bras ! Le pouvoir impérial a voulu les diviser, les malheurs et le devoir les confondent dans une solennelle étreinte. Scellée par le patriotisme et la liberté, cette alliance nous fait invincibles.
Prêts à tout, nous envisageons avec calme la si tuation qui nous est faite.
Cette situation, je la précise en quelques mots ; je la soumets au jugement de mon pays et de l’Europe.
Nous avons hautement condamné la guerre, et, protestant de notre respect pour le droit des peu
ples, nous avons demandé qu’on laissât l’Allemagne maîtresse de ses destinées.
Nous voulions que la liberté fût à la fois notre lien commun et notre commun bouclier; nous étions convaincus que ces forces morales assuraient à jamais le maintien de la paix. Mais, comme sanction, nous réclamions une arme pour chaque citoyen, une organisation civique, des chefs élus, alors nous demeurions inexpugnables sur notre sol.
Le gouvernement impérial, qui avait depuis longtemps séparé ses intérêts de ceux du pays, a repoussé cette politique. Nous la reprenons avec l’espoir qu’instruite par l’expérience, la France aura la sagesse de la pratiquer.
De son côté, le roi de Prusse a déclaré qu’il faisait la guerre non à la France, mais à la dynastie impériale.
La dynastie est à terre. La France libre se lève. Le roi de Prusse veut-il continuer une lutte impie qui lui sera au moins aussi fatale qu’à nous ?
Yeut-il donner au monde du dix-neuvième siècle ce cruel spectacle de deux nations qui s’en
tre-détruisent, et qui, oublieuses de l’humanité, de la raison, de la science, accumulent les ruines et les cadavres?
Libre à lui, qu’il assume cette responsabilité devant le monde et devant l’histoire !
Si c’est un défi, nous l’acceptons.
Nous ne céderons ni un pouce de notre territoire ni une pierre de nos forteresses.
Une paix honteuse serait une guerre d’extermination à courte échéance.
Nous ne traiterons que pour une paix durable. Ici notre intérêt est celui de l’Europe entière,
et nous avons lieu d’espérer que, dégagée de toute préoccupation dynastique, la question se posera ainsi dans les chancelleries.
Mais, fussions-nous seuls, nous ne faiblirons pas.
Nous avons une armée résolue, des forts bien pourvus, une enceinte bien établie, mais surtout les poitrines de trois cent mille combattants décidés à tenir jusqu’au dernier.
Quand ils vont pieusement déposer des couronnes aux pieds de la statue de Strasbourg, ils n’obéissent pas seulement à un sentiment d’ad
miration enthousiaste, ils prennent leur héroïque mot d’ordre, ils jurent d’être dignes de leurs frères d’Alsace et de mourir comme eux.
Après les forts, les remparts ; après les remparts, les barricades. Paris peut tenir trois mois et vaincre ; s’il succombait, la France, debout à son appel, le vengerait; elle continuerait la lutte, et l’agresseur y périrait.
Yoilà, Monsieur, ce que l’Europe doit savoir. Nous n’avons pas accepté le pouvoir dans un au
tre but. Nous ne le conserverions pas une minute, si nous ne trouvions pas la population de Paris et la France entière décidée à partager nos résolutions.
Je les résume d’un mot devant Dieu qui nous entend, devant la postérité qui nous jugera : nous ne voulons que la paix. Mais, si on continue contre nous une guerre funeste que nous avons condamnée, nous ferons notre devoir jusqu’au bout,