et j’ai la ferme confiance que notre cause, qui est celle du droit et delà justice, finira par triompher.
C’est en ce sens que je vous invite à expliquer la situation à Monsieur le Ministre de la Cour près de laquelle vous êtes accrédité, et entre les mains duquel vous laisserez copie de ce document.
Agréez, Monsieur, l’expression de ma haute considération.
*
Le 6 septembre 1870.
Le ministre des affaires étrangères,
Jules FAVRE.
Une semaine foudroyante !
Elles ont éclaté sur la France comme des tonnerres, ces nouvelles qui nous ont donné, coup sur coup, d’un soleil à l’autre, ces quatre événe
ments qui s’inscriront dans notre histoire en lignes de feu :
Bataille et capitulation de Sedan. Chute de l’Empire.
Proclamation de la République.
Marche de l’armée prussienne sur Paris.
Quel deuil et quelle chute!... Quel réveil et quelle lutte gigantesque !
Jamais le prestige de nos armes, jusqu’à présent immaculé, n’avait reçu une pareille atteinte. Ja
mais gouvernement n’avait légué à la patrie de
telles hontes. Jamais République ne fit luire à l’horizon de plus larges perspectives. Mais jamais la France n’eut à triompher d’un plus puissant ennemi !...
Racontons simplement chacune de ces crises. Les grands drames de la destinée, comme les grands spectacles de la nature, ont par eux-mêmes leur majesté, leur éloquence et leur émotion.


Samedi 3 septembre


Les nouvelles de la guerre.
Jusqu’à vendredi soir, Paris avait encore un reste d’espérance. L’illusion qu’on avait entretenue partout, au sujet de la jonction des deux ar
mées de Bazaine et de Mac-Mahon, avait fait croire jusqu’au dernier jour au triomphe.
Mais, dos le samedi matin, les bruits les plus sinistres volent de bouche en bouche. On s’arrache
les journaux, on cherche çà et là, dans l’imbroglio des dépêches, le dernier mot de l’énigme. Et plus on interroge, plus les nouvelles s’assombrissent.
C’est le général de Palikao qui monte à la tribune, au Corps législatif, pour arracher, devant la Chambre et le pays, Je bandeau qui recouvre nos plaies saignantes, et comme si le récit de tant de malheurs était trop poignant et trop doulou
reux à faire, il n’achève qu’en deux fois, — à la séance du jour et à la séance de nuit, — le déchirant tableau de nos revers.
Je n’ai pas le courage d’énumérer encore ici ce désastre qui ne passera que trop souvent sous les
yeux du lecteur. Le cœur manque pour compter les clous de ce calvaire!... Il faut remonter à 1815, aux invasions du premier empire, pour retrouver une séance semblable à celle que nous a donnée, ce jour-là, l’invasion du second empire.
C’est en pleurant que le duc de Richelieu vint révéler à la tribune les conditions que nous faisait la Sainte-Alliance. C’est aussi en pleurant des
larmes de sang que le chef du ministère aurait dû nous révéler la capitulation d’une armée française !
Et la rue? Voyez la physionomie de Paris. Qui a vu Paris, samedi soir, ne l’oubliera jamais. On ne parle pas; on ne cause pas; on ne lit pas. Estce qu’on peut lire? On n’entend partout que des exclamations désespérées !
Quoi! Bazaine bloqué!... Mac-Mahon blessé!... Quoi! plus d’armées!... O malheur! O honte! Quoi! Cinq cent mille Prussiens!... Assez!... Assez !...
Et chacun semble répéter le mot de la vieille garde à Waterloo : — « Ils sont trop ! »
L’Empereur.
Et l’empereur? Le souverain vaincu et prisonnier aurait dû être là pour apprendre ce que le peuple disait de lui. Partout des accusations sans fin ; partout des réquisitoires accablants. Pas une parole de pitié!... Rien, rien que la répulsion et le dégoût!
Chacun des incidents qui ont fait remarquer les actes de la famille impériale sert d’aliment à la colère populaire. Le séjour du prince Napoléon à Florence, le va et vient de l’empereur à la suite de l’armée, sont i’objet des plus sanglantes raille
ries. Ah! s’ils avaient été là, ils auraient fini peutêtre par comprendre que les gouvernements sont faits pour les peuples et non les peuples pour les gouvernements !
Quant au dernier acte de l’empereur vaincu, l’envoi de son épée au roi de Prusse, l’indignation
est au comble. Rendre son épée ! Cette idée fait bondir ! De Failly, du moins, a su mourir.
Écoutez ce mot que j’ai entendu sur le seuil d’une porte, dans un groupe de blouses et de bonnets.
— Il a rendu son épée!... Mais au théâtre ça se casse toujours!
Aussi la fermentation est-elle vive et générale Du mont Aventin de Belleville au boùlevard des Italiens, la colère monte comme une marée enva
hissante. La charge faite par les sergents de ville au boulevard Bonne Nouvelle, et le coup de pis
tolet qui blesse unjeune mobile ne font qu’ajouter à l’exaspération de la foule ; et Paris se dit avec une haine croissante ; A demain!


Dimanche 4 septembre




Au Corps législatif.


Paris, tout bouleversé, mais résolu, Paris s’é­ veille avec un cri : Au Corps législatif! De tous les faubourgs, de tous les boulevards, de tous les quartiers, des flots sans cesse grossissants de gardes nationaux, de mobiles, de francs tireurs,
de travailleurs, viennent se jeter sur la place de la Concorde et autour du Corps législatif.
Le palais est fortement environné de troupes.
Les Tuileries portent toujours le drapeau tricolore et sont remplies de soldats.
Le jardin des Tuileries est fermé.
Vains efforts! Précautions inutiles! Le cœur du soldat bat à l’unisson du cœur des citoyens, et la minute suprême approche !
Paris touche à Tune de ces crises où le grain de sable dont parle Pascal donne un pli à l’histoire et change la vie des nations.
La foule, houleuse, approche du Corps législatif. Le peuple, — sans armes, entendez-vous! — le peuple sans armes veut entrer. Il faut qu’il entre! Il entre, il est entré, et le voilà maître de la place !
Gomment a-t-il donc fait pour franchir la grille ? L’incident vaut la peine d’être noté.
Des officiers du bataillon de la garde nationale posté sur le pont de la Concorde, ont besoin d’en
trer au Palais. M. Steenackers qui était là vient ouvrir la grille, et les officiers passent.
Mais comment refermer une grille poussée par vingt mille poitrines d’hommes? Impossible! Le flot passe avec les officiers, et le peuple, en une minute, apparaît soudain dans toutes les salles.
Ah ! c’est ici que nous croyons devoir recommander à nos lecteurs les deux dessins qui repré
sentent la Salle des pas-perdus et l’envahissement de la Salle des séances. Ces deux dessins ont tout d’abord le mérite de représenter les faits sous leur véritable physionomie, et ils permettent en môme temps d’établir avec certitude un point de cette histoire qu’on ne manquera pas de traduire sous un faux jour.
On dira, on l’a dit déjà, que ce sont les députés de l’opposition démocratique qui ont voulu en
traîner la représentation nationale et proclamer la République.
Mensonge! C’est exactement le contraire de la vérité. Voyez l’attitude des représentants de la gauche dans la Salle des pas-perdus et dans la Salle des séances. Ils ont fait des efforts inouïs pour faire sortir lq foule et pour rendre inviolable le sanctuaire de la chambre. Écoutez Gambetta et Jules Favre! VoyezGlais-Bizoin et Pelletan. Tous s’épuisent à demander la délibération publique du projet de déchéance, qui vient de recevoir des bureaux un accueil favorable.
Éloquence impuissante! L’homme, en présence de ces foules immenses, n’est plus que le brin d’herbe devant l’Océan !
La Droite s’éclipse, le Centre suit le général Palikao, et la Gauche, au nom du peuple souverain, lit une première liste des membres qui doi
vent composer un gouvernement provisoire. Mille et mille voix répètent à la fois : — A l’Hôtel de Ville!


Aux Tuileries.


En allant à l’Hôtel-de-Ville, arrêtons-nous une minute aux Tuileries. Oh! rassurez-vous. Ce n’est pas pour y livrer bataille. L’armée, infanterie et cavalerie, fraternise avec le peuple.
L’escalade, du côté de la place de la Concorde, n’est qu’un jeu d enfant. Arrivés près du grand bassin, les assaillants aperçoivent des voltigeurs de la garde postés sur la terrasse du bord de l’eau et commandés par le général Mellinet.
Un garde mobile, M. Louis Ravenez, et M. Victorien Bardou s’avancent en parlementaires vers le général.
L’armée n’a plus là rien à défendre, puisque l’empire n’est plus qu’un souvenir. La garde na
tionale occupe les postes, l’armée se retire, et le peuple traverse les Tuileries en criant : Mort aux voleurs!
N’oubliez pas, je vous prie, l’attitude du peuple. Pas un acte, de vandalisme ! Pas une vitre brisée ! Au jardin même, les gazons n’ont pas été foulés !
. Et l’Impératrice, direz-vous? L’Impératrice ve
nait de partir. La veille, dans la soirée, elle avait reçu la visite de M. Thiers qui l’avait engagée à quitter Paris.
La Régente répondit qu’elle comprenait que tout était fini, et qu’elle partirait, le lendemain, après la déchéance.
Elle connaissait la séance qui venait d’avoir lieu, et elle venait de partir. Seule ! Toute seule ! Et pour unique compagnon de voyage, un huissier du palais !
Grandeur aux pieds d’argile !
Hôtel-de-Ville.
L’Hôtel-de-Ville était déjà occupé par le peuple. M. Étienne Arago occupait le cabinet du se
crétaire général. Les représentants arrivent de différents côtés, Gambetta avec Jules Ferry, Jules Favre avec Jules Simon, Crémieux avec Pelletan, Emmanuel Arago avec Ernest Picard.
Tout à coup une clameur immense retentit sur la place de THôtel-de-Ville. C’est le citoyen Ro
chefort qui arrive en voiture avec son ami Ulric de Fonvielle. Tous deux étaient détenus à Sainte- Pélagie. Mais pendant que le peuple pénétrait au
Corps législatif et aux Tuileries, les électeurs de M. Rochefort ne l’avaient pas oublié. La prison de Sainte - Pélagie fut bien vite en leur pou
voir, et .les prisonniers politiques prirent triom
phalement leur liberté au milieu des acclamations de la foule.
MM. Rochefort et Ulric de Fonvielle montèrent immédiatement en voiture et se rendirent à l’Hôtel-de-Ville. Ce fut M. Gambetta qui reçut Roche
fort et qui le fit asseoir à côté des membres déjà installés.
Cette installation s’était faite tranquillement, sans désordres et sans dégâts importants. Un por
trait de l’empereur, un tableau représentant la re
mise à l’Empereur, par M. Haussmann, du décret d’annexion de la banlieue de Paris, furent seuls lacérés. Un autre portrait de l’Empereur, qui se trouvait dans le cabinet du préfet, allait aussi être détruit, quand M. Gambetta le fit retourner, en disant : C’est inutile !