SITUATION GÉNÉRALE.
Depuis le commencement du siège de Paris, nous poumons dire depuis le commencement de la guerre, l’esprit politique n’a jamais présenté plus de calme,.plus d’union, plus de patrio* tisme. Si M. Gambetta, dans ses dernières dépêches, a pu dire que l’ordre le plus admirable rè
gne partout, et que le Gouvernement de la défense nationale est partout respecté et obéi, les réponses du gouvernement de Paris ont pu lui apprendre que jamais Paris n’avait montré contre l’ennemi plus de discipline, plus de concorde, plus d’éner
gie. Paris ne songe qu’au salut. Plus de menées révolutionnaires! plus d’agitation à Belleville! plus de parti de la Commune ! Nous n’avons, en réalité, sous les yeux aujourd’hui que le suprême effort de la grande capitale, résolue à mettre en jeu toutes ses forces pour la délivrance de la patrie.
Cette unanimité de sentiments, cette unité d’action est de nature à frapper tous les esprits, et c’est en présence de cette attitude si digne et si imposante qu’un journal disait, ces jours der
niers : « Je ne crois pas qu’à aucune époque de notre histoire Paris, la ville par excellence des
tumultes, des agitations, des enthousiasmes, des folles résolutions, ait montré plus de calme et d’esprit politique ! »
Le gouvernement trouve Paris docile à ses décrets, les chefs trouvent l’armée docile à leurs or
dres, la capitale n’a qu’une âme et qu’un cri : la délivrance! Puisse-t-elle être la récompense de tant de généreux efforts !
Un seul décret nous a fait entendre une fausse note, dans ce concert de vœux et de volontés patriotiquement unis. Un décret, en date du 24 dé
cembre, a suspendu la Patrie pour trois jours. A ce sujet, nous croyons devoir blâmer tout à la fois le journal la Patrie et le Gouvernement de la défense nationale.
Pour le journal suspendu, comme pour tous les autres, avons-nous donc besoin de rappeler qu’à l’heure suprême où nous sommes arrivés, le patriotisme, plus encore que tous les décrets pro
mulgués, devrait nous commander à tous une réserve, une discrétion absolues? Quant à la Patrie,
elle nous permettra de lui faire observer que les commentaires de sa partie militaire ne paraissent pas toujours obéir à la même inspiration. Autant les exposés qu’elle nous présente an sujet des armées de la province respirent la confiance, l’es
poir et le patriotisme, autant les critiques qu’elle adresse à l’armée de Paris sont amères, blessantes et souvent injustes. Des deux côtés, l’œuvre et le but à atteindre sont les mêmes, et des deux côtés aussi la Patrie doit reconnaître qu’on les poursuit avec la même fermeté et le même désir de réussite. Pourquoi donc cette divergence dans les appréciations?
Quant au décret de suspension, nous comprenons les regrets qu’il a pu inspirer à tous les journaux sincèrement attachés au premier prin
cipe qui sert de base à nos institutions : la liberté. Le respect que le Gouvernement de la défense nationale a jusqu’à présent montré pour ce prin
cipe n’est-il pas de nature à lui prouver que la liberté trouve réellement dans l’opinion son équi
libre et son redressement? Les preuves sont là,
flagrantes, sous nos yeux. La Patrie en danger a, pendant plus de deux mois, lancé ses flèches les plus aiguës, les plus empoisonnées contre le Gouvernement de la défense nationale et princi
palement contre le général Trochu. Qu’en est-il résulté ? Pas le moindre péril, et la Patrie en dan
ger vient de disparaître au milieu de l’indifférence générale. Les clubs se livrent également à de telles exagérations que les journaux ont cru devoir renoncer à combattre les folies qui s’y pro
duisent au grand jour. Faut-il sévir et, devant ces aberrations, renoncer au droit de réunion? Pas le moins du monde; et le bon sens public, en faisant
justice de toutes ces erreurs, nous permet de maintenir debout un droit précieux pour la pro
pagande des idées justes et des grandes causes nationales.
Au sujet de la campagne qui s’est ouverte le 30 novembre et le 2 décembre, pour se continuer le 21 courant, nous n’avons ici qu’une simple observation à faire. Si l’opinion se montre souvent dé
sappointée au sujet des retards qu’éprouvent nos opérations et des minces résultats qu’elles pro
duisent, c’est qu’elle ne se rend pas un compte
exact de la situation qui nous est faite. L’offensive que nous prenons n’a pas et ne peut pas avoir pour but de livrer une grande bataille qui nous délivre des Prussiens. Les lignes d’investissement de l’ennemi sont aujourd’hui tellement fortifiées dans chacune des localités qu’elles occupent, que chacun de ces points représente en quelque sorte un siège à faire et une place à conquérir. En un mot, c’est nous, assiégés, qui nous faisons les assiégeants des places occupées par l’ennemi, et ce rôle renversé, après les travaux exécutés depuis trois mo^kjar l’ennemi, dit assez que notre armée ne peut accomplir une telle tâche que par une série d’efforts couronnés de succès. Habituonsnous donc à regarder en face et à bien comprendre l’œuvre que nous avons entreprise, et mon
trons, en attendant le salut si impatiemment attendu, un peu du courage et de la patience dont nous avons fait preuve pour préparer l’offensive.
Après cent deux jours d’attente, les Prussiens viennent enfin de tenter le bombardement du plateau d’Avron et des forts de Rosny, de Noisy et de Nogent. Quatre-vingts pièces de longue portée ont été démasquées pour lancer des obus contre les positions que nous venons d’indiquer. Les rapports que nous publions plus loin prou
vent que cette violente canonnade n’a pas donné des résultats bien sérieux. Mais ce bombarde
ment partiel, après une si longue attente, n’est-il pas un indice significatif des impatiences et des maux de toutes sortes qui font du siège de Paris un supplice pour l’armée prussienne ?
C’est là le jugement généralement porté sur cette attaque inattendue de l’artillerie prussienne, et cette appréciation est pour notre patriotisme un encouragement à persévérer dans l’attitude éner
gique que nous avons montrée jusqu’à présent. La double résistance de Paris et des départements doit, par la ténacité, user les forces de l’invasion.
Aug. Marc.
De bonne neure, le général Chanzy a eu des commandements supérieurs aux grades effectifs qu’il avait dans l’armée. C’est dans le gouverne
ment des cercles militaires d’Algérie, qui exigent des qualités font diverses et fort multiples, qu’il a pu s’exercer au maniement des grandes masses, et, presque au début de sa carrière, faire pres
sentir à des yeux perspicaces toute sa valeur.
C’est par Pélisser que Chanzy fut remarqué tout d’abord; et, en faisant des recherches au ministère
de la guerre, on retrouverait les notes brillantes que le général donnait au jeune lieutenant et au jeune capitaine : et jamais l’homme n’en fut plus avare.
C’est pourquoi l’avancement était rapide. Les grades arrivaient successivement, Les mérites et les services étaient tels que les récompenses hono
rifiques ne pouvaient aller du même pas. Chanzy était général de brigade que sur sa poitrine ne brillait encore que la croix d’efficier de la Légion d’honneur. Dans tout le cadre des officiers géné
raux, cette distinction ne s’attachait qu’à lui et à deux ou trois de ses camarades. Pour quiconque connaît l’armée, il n’y a pas de preuve plus écla
tante de la valeur exceptionnelle d’un homme de guerre.
Maintenant, on désirerait peut-être nous voir citer quelques-uns des épisodes saillants de la vie
militaire du général Chanzy. A quoi bon ? Que sont les exploits sur les frontières du Maroc et de la Tunisie, les luttes contre les tribus algériennes, à côté du drame formidable qui se joue au cœur même de la France? Nous avons dit les qualités de l’homme, nous avons scrupuleusement dépeint sa physionomie physique et morale : cela doit suf
fire pour le moment. Réservons des récits de triomphe pour des temps moins sombres. Ils approchent à grands pas, et notre confiance aug
mente d’autant plus que nous voyons arriver sur les premiers plans de la scène toute une généra
tion nouvelle de jeunes généraux pleins de sève, de vigueur et d’originalité.
N’ajoutons qu’un dernier trait. Avant de recevoir les étoiles du généralat, Chanzy commandait le 48e de ligne, un des plus glorieux régiments de notre vieille armée. Avant lui, parmi les colonels du 48e, nous trouvons ce brave Renault de Varrière-gardfi, qui a eu la plus belle de toutes les morts pour un soldat, la mort sur le champ de bataille en défendant la patrie.
Il y aura bientôt dix ans, sur la jetée de Mers-el- Kébir, un officier supérieur me donnaune dernière poignée de main et me dit : Au revoir! à bientôt! pendant que chauffait le navire qui devait me ramener en France. Cette poignée de main, ces pa
roles, je ne les ai jamais oubliées. Et maintenant c’est moi qui dis : A bientôt! au revoir! au générai Chanzy. Georges Bell.
Cent jours!... Nous franchissons cette grande étape de la centième journée du siège. C est une date solennelle, et pendant que l’armée fait ses derniers préparatifs pour nous faire entendre le canon de la délivrance, je voudrais distraire un peu, si c’est possible, l’attention du bruit du tam
bour et du canon, et saisir sur le vif une esquisse de la vie parisienne pendant le quatrième mois du siège. Essayons.


La journée de l’assiégé.


Il est huit heures!... Le tambour et les clairons des bataillons qui vont au rempart, la clochette du voiturier qui appelle pour les balayures, le cri des marchands de journaux, et le jour sans soleil des journées de décembre vous appellent à continuer, tout éveillé, les agitations de votre sommeil.
Pendant la nuit, le canon vous a fait rêver aux Prussiens, au roi Guillaume, à Bismark, et pen
dant le jour, vous allez, bon gré, malgré, causer de Bismark, de Guillaume et des Prussiens; et
LE GÉNÉRAL CHANZY
Le général Chanzy (Antoine-Eugène-Alfred) a longtemps servi, dans l’armée d’Afrique, sous Pélissier, Bosquet, Deligny, Beaufort-d’Hautpoul,
qui le remarquèrent et présagèrent son brillant avenir.
Le général Chanzy est de haute taille; sa physionomie est ouverte, avenante, et, à première vue,
inspire une sympathie profonde, qui augmente de jour en jour quand les rapports deviennent plus fréquents. Son regard a une singulière vivacité et un éclat extraordinaire qui brille dans les grandes circonstances.
La bouche est fine, ombragée d’une longue et soyeuse moustache blonde, comme les cheveux et
les cils. L’ordre qu’elle donne, dans les temps régu. liers, n’a rien d’impérieux et de violent. Mais on sent néanmoins qu’il faut obéir sans réplique à un je ne sais quoi qui ressort de l’intelligence et du discernement avec lesquels les ordres sont donnés,
surtout quand, à cela, s’ajoute un renom d’énergie indomptable. Pour lui, comme pour quiconque a été placé sous son commandement, le général Chanzy n’a jamais eu qu’une devise, et il se l’était donnée sur les bancs de l’école : « Bien servir. »
Aussi ses camarades la connaissent bien, et par eux elle a rapidement fait ie tour de l’armée. Dans les hautes sphères des chefs et dans les régions plus humbles où vivent les soldats, partout on connaissait l’idéal de cet officier distingué entre tous,