Nous voici parvenus à une crise unique dans l’histoire de France.* Il faut remonter aux san


glantes et interminables guerres du moyen âge


pour retrouver un siège de Paris. Toute la période que l’histoire appelle l’ère moderne s’est écoulée sans présenter à nos yeux cette redoutable extrémité. L’entrée des alliés à Paris, en 1815, fut l’iné
vitable conséquence de la défaite de notre armée, et d’ailleurs la capitale, à cette époque, était une ville ouverte. En ce moment, c’est Paris fortifié que nous défendons et qui nous défend, comme le boulevard de notre indépendance nationale.
Paris, plus que jamais, peut se dire le cerveau, le cœur et le bras du pays, et l’histoire du siège de Paris est aujourd’hui l’histoire de la France.
Mais il a été reconnu par les industriels euxmêmes, appelés à examiner la question, que l’exécution de ces machines exige la création d’un en
semble d’outils spéciaux, et que le temps néces
saire à cette installation, s’ajoutant à celui qu’exige la succession des opérations d’une même pièce, entraînerait des délais non en rapport avec l’urgence commandée par les circonstances.
Le ministre de la guerre a décidé, en conséquence, dans le but d’arriver à une solution plus prompte et de ne pas désorganiser les ateliers établis, que le travail serait centralisé dans ces ateliers, tout en faisant exécuter dans l’industrie privée le matériel coulant et les pièces détachées qui n’exigeront pas un outillage spécial.
Déjà plus de trente industriels ont reçu des commandes; plus de quatre mille ouvriers tra
vaillent à leur exécution, et ce chiffre augmente tous les jours.
Ajoutons ici que le Gouvernement de la défense nationale, considérant qu’une commission instituée parle ministre des travaux publics au Conservatoire des arts et métiers, et composée d’ingé
nieurs constructeurs et d’ingénieurs civils, a reconnu la supériorité d’un modèle spécial de mitrailleuse qui doit être exécuté rapidement pour être employé à la défense de Paris, a décrété l ouverture d’un crédit de 600,000 fr. au ministre des travaux publics pour la construction de mitrailleuses conformes au modèle dont nous par
lons. La mitrailleuse est considérée par tous les membres du Comité de défense, comme un des éléments les plus puissants de résistance.
LA GUERRE
Comme situation générale, il faut bien reconnaître que la politique a continué à suivre simulta
nément deux courants apposés, celui de la guerre et celui de la paix; mais en dépit de toutes les né
gociations diplomatiques, c’est toujours la guerre qui est resté l’objectif principal de nos préoccupaet de nos efforts.
Paris, nous l’avons dit, peut être considéré comme défendu par 400,000 hommes.
Armée régulière.............. 75,000 hommes. Garde nationale.................. 200,000 —
Gardes mobiles de Paris. . 25,000 — Gardes mobiles des dép.. 100,000 —
Total................. 400,000 hommes.
Dans ces conditions, i! est certain que ce ne sont pas les éléments de lutte qui feront défaut. Nos villes de l’est, assiégées depuis un mois par l’ennemi, n’ont pas de pareilles forces pour résister.
L’ennemi, de son coté, se présente avec trois armées dont l’ensemble peut s’élever au chiffre de 400,000 hommes. Il a déjà coupé les communi
cations de la capi tale, et la lutte des assiégeants et des assiégés commence à sérieusement s’engager.
Ce n’est pas tout. Le gouvernement de la défense nationale s’occupe également avec la plus grande activité de lever de nouvelles troupes et d’organiser les légions de volontaires qui s’enrôlent de tous cotés.
Les enrôlements volontaires s’élèvent, à Lyon et à Marseille, à 50,000 pour chacune de ces deux
villes. Dans tout l’ouest, c’est le même entrain et le même dévouement.
Il y a là évidemment les éléments d’une défense nationale. Le pays comprend le danger qu’il court, et il se lève tout entier pour venger son honneur,
chasser l’étranger et sauver la patrie. Mais nous l’avons dit et nous le répétons : à l’heure où nous sommes, les minutes sont des jours, et il ne faut pas laisser s’aggraver la situation.
L’organisation de toutes ces forces se fait sur les bords de la Loire et dans l’Est.
C’est le général de La Motteroilge qui commande l’armée de la Loire dont nous avons annoncé, il y a longtemps déjà, la formation.
Les régiments du Gard, de l’Aube, de l’Hérault, de la Haute-Garonne, des Pyrénées-Orientales et de plusieurs départements du centre sont destinés à former cette armée.
L’armée dite de l’Est, se réunit également. Elle puise ses ressources dans douze ou quinze départements de l’Est et du Midi. Puissent ces deux armées prendre bientôt Tonneini entre deux feux!
Un mot sur l’exécution des mitrailleuses dont l’opinion publique se préoccupe à juste titre.
Le ministre de la guerre avait donné des ordres pour que la fabrication des mitrailleuses se fît clans de larges proportions, à Paris et en pro
vince, et pour que l’industrie privée fût appelée à y concourir.
POLITIQUE INTÉRIEURE.
Le siège do Paris vient do forcer le Gouvernement provisoire à se diviser en doux parties. Le Gouvernement de la défense nationale, livré clans ce moment suprême aux travaux et aux préoccu
pations que lui impose la capitale à sauver, n’a pas voulu, dans l’isolement où il va se trouver momentanément, que sa légitime influence manquât à nos patriotiques populations des départe
ments. Pendant qu’il dirige sa grande œuvre, il a remis tous ses pouvoirs au garde des sceaux, ministre de la justice, le chargeant de veiller au gouvernement du pays quel’ennemi n’a pas foulé. Entouré des délégations de tous les ministères,
M. Grémieux, à la dale du 13 septembre, a adressé aux départements une allocution chaleureuse -.
« Souvenons-nous, dit-il, de 92, et, dignes fils des soldats de la Révolution, renouvelons, avec leur courage qu’ils nous ont transmis, leurs magnifiques victoires; comme eux, refoulons l’ennemi et chassons-le du sol cle notre République.»
M. Glais-Bizoin et M. le vice-amiral Fourichon, qui a pris possession du ministère cle la marine, ont accompagné M. Crémieux à Tours, pour y représenter le Gouvernement provisoire. La Répu
blique, ainsi représentée, peut à la fois mener de front les travaux du siège de Paris et l’armement des populations.
Deux grandes mesures prises par le Gouvernement ont vivement attiré l’attention. Nous vou
lons parler du rapprochement cle la date qui fixe
au 2 octobre l’élection des représentants à la Constituante, et du décret qui fixe au 25 courant la nouvelle élection des conseils municipaux.
Un mot sur ces deux résolutions.
Lorsque la date des élections de la Constituante avait été fixée au 16 octobre, on s’était entendu pour admettre que le Gouvernement voulait dou
bler sa puissance en se faisant légitimer par le pays. Mais aujourd’hui, l’on se demandera jusqu’à quel point on peut sérieusement consulter le suf
frage universel, alors que le quart de la France est occupé par l’ennemi, et que Paris n’a plus aucune communication avec la province.
La première convocation n’avait été généralement considérée que comme un témoignage de la confiance du Gouvernement dans la délivrance pro
chaine du territoire. C’était le champ d’Annibal mis aux enchères par le Sénat romain. Aujour
d’hui, il est évident que, dans la pensée des auteurs du nouveau décret, il s’agit d’autre chose. L’article spécial que nous consacrons plus loin à la paix et la guerre, et la nouvelle circulaire de M. Jules Favre nous donnent la raison de ces élections précipitées. L’urgence est de toute évi
dence pour tout le monde; mais en présence de la situation actuelle du pays, on est forcé de se demander quelle sera la valeur d’une élection à laquelle le quart du pays ne pourra prendre part. Le résultat de l’entrevue de Ferrières iera probablement rapporter ce décret. *
Passons à l’élection des conseils municipaux .
Les observations générales, provoquées par l’é­ lection delà Constituante, s’appliquent également aux élections municipales. Toutefois, comme il n’y a pas à ce sujet de question politique en jeu,
il faut reconnaître que le gouvernement n’a eu en vue que de vivifier le pays en le retrempant dans les eaux vives du suffrage universel, débarrassé de toute influence gouvernementale.
« Nous voulons, dit M. Gambetta, dans la circulaire aux préfets, jeter les bases d’une véritable et complète réorganisation des forces de la France : il nous faut des hommes pénétrés comme nous de cet intérêt supérieur; nous voulons assurer,
dans la mesuré conciliable avec la constitution même de la nation, l’mdépendance des corps municipaux, afin que l’activité, la vie arrivent à cir
culer dans toutes les parties du corps social; n’y a-t-il pas nécessité d’appeler à siéger dans les con
seils des communes des hommes qui, ne relevant plus exclusivement de l’autorité abusive des pré
fets, soient prêts à accepter la juste responsabilité qui revient aux membres de conseils élus dans la plénitude de l’autorité du suffrage universel. »
Nous n’ajoutons qu’un mot, c’est que le Gouvernement provisoire ne fait aucune exception pour Paris, qui va également faire élection de ses quatre-vingts nouveaux conseillers municipaux.
Le pays tout entier est donc appelé, par un grand acte de virilité civile et politique, à montrer qu’il sait comprendre et pratiquer le gouvernement du pays par le pays.
En dehors de ces deux résolutions capitales, nous n’avons â constater dans notre situation in
térieure que l’élan unanime avec lequel les chefslieux des départements s’unissent aux efforts que fait Paris pour triompher de l’invasion.
Qu’on en juge par le tableau suivant des subventions votées par les départements et les communes pour concourir à la défense nationale.


Départements :


Ille-et-Vilaine................... 1.500.000 fr. Loire-Inférieure............. 500.000 Sarthe.................................. 2.500.000


Communes :


Angers................................ 200.000 fr. Angoulême....................... 100.000 Besançon........................... 100.000 Bordeaux........................... 1.500.000 Clermont-Ferrand......... 100.000
Cognac............................... 200.000 Lille...................................... 1.500.000 Lyon...................................... 60.000 Marseille............................. 500.000 Nantes.................................. 500.000 Niort..................................... 250.000 Saint-Nazaire................... 50.000
Toulouse.......................... 1.500.000
11.060.000 fr.
Ce réveil n’est-i! pas de nature à ranimer nos espérances? Rappelons-nous qu’en 1792 la France ne possédait qu’une population de vingt-cinq millions d’hommes, qu’elle était déchirée par la guerre civile, qu’elle n’avait absolument que des conscrits, pendant que l’armée anglaise occupait Toulon et que l’armée prussienne envahissait l’Est. N’avons-nous pas plus de ressources, et, par conséquent, le pays n’est-il pas en droit d’exiger davantage de notre patriotisme?