LA MISSION DE M. JULES FAVRE


Les négociations entamées parle gouvernement de la défense nationale pour arriver à une paix honorable ont été continuées, cette semaine, avec une activité des plus louables, et cette politique ne pouvait qu’être approuvée par tous les esprits sérieux, car l’alternative des deux résultats atten
dus ne pouvait que profiter au gouvernement de la République. De deux choses l’une : ou la tentative pouvait nous conduire à une paix honora
ble, et la France n’aurait eu qu’à se féliciter de
n’avoir plus qu’à guérir les plaies de cette triste campagne; ou les négociations seraient infruc
tueuses, et alors la France, n’ayant plus à prendre conseil que de son patriotisme, pourrait du moins rejeter à la face du monde civilisé la responsabi
lité du sang versé sur des envahisseurs que rien ne peut arrêter.
Cette fois, c’est directement auprès de M. de Bismark que M. Jul®s Favre est allé porter luimême les propositions de l’Hôtel-de-Ville, et voici en quels termes l Electeur libre a parlé de la possibilité d’un armistice :
« Nous avons annoncé le départ de M. Jules Favre et do son sous-chef de cabinet, M. Ring, pour le quartier-général du roi de Prusse. Le mi
nistre est parti, en effet, dimanche, à six heures du matin.
« Depuis dix jours, lord Lyons avait demandé cette entrevue. La réponse a tardé, mais elle est arrivée; elle était favorable.
« Le vice-président du Gouvernement de la défense nationale ne pouvait entreprendre une pa
reille démarche qu’avec la certitude d’un accueil digne de la France, et l’espoir bien fondé d’une bonne solution, v
« Aussi comptons-nous sur un résultat immédiat et conforme à nos vœux. Lord Lyons ne se sérail, pas entremis et M. Jules Favre n’aurait pas quitté son poste pour n’emporter qu’une déception.
« Il y a donc lieu de croire que l’armistice va être conclu, et qu’il en sortira bientôt la paix.
« Une paix honorable : la France n’en accepterait pas d’autre. »
Un armistice pour arriver à négocier la paix, voilà donc quel était le but avoué par le Gouver
nement du 4 septembre. Examinons les chances que nous pouvions avoir de les voir aboutir à une solution définitive. Nous parlions, la semaine dernière, d’après les informations les plus autorisées, de trois conditions essentiel es : l’indem
nité de guerre, le désarmement et l’intégrité du territoire soumise à l’arbitrage de l’Europe. Mais nous ne connaissions encore ni les intentions; ni les résolutions de la Prusse. Nous confes
sons que le langage préliminaire tenu par M. de Bismark était de nature ànouseulever toute illu
sion sur les espérances que l’on faisait miroiter à nos yeux.
Ecoutons, en effet, M. de Bismark envoyant un communiqué aux journaux de Reims. Cette pièce est un monument :
« Les journaux qui paraissent à Reims ont reproduit la proclamation de la République et les décrets qui émanent du nouveau pouvoir institué à Paris. La ville étant occupée par les troupes allemandes, l’attitude des feuilles publiques pour
rait faire penser qu’elles expriment une opinion inspirée ou autorisée par les gouvernements allemands.
« Gela n’est nullement le cas. En leur accordant l’autorisation de publier leurs opinions, les gou
vernements allemands ne font que respecter la liberté de 1a. presse, comme ils la respectent chez eux. Mais iis n’ont pas reconnu jusqu’à présent d autre gouvernement en France que celui de l’empereur Napoléon, et à leurs yeux, le gouver
nement impérial est le seul, jusqu’à nouvel ordre, qui soit autorisé à rentrer dans des négociations d’un caractère national.
« Il convient d’ajouter qu’à Paris on fait courir le bruit d’une médiation entreprise par presque
chacune des puissances étrangères. Ce bruit n’est pas fondé. Aucune puissance n’a essayé d’interve
nir jusqu’à présent, et il est peu probable qu’une médiation soit tentée, car elle n’aurait aucune chance d’aboutir, aussi longtemps que les bases d’un arrangement n’auront pas été discutées avec l’Allemagne, et qu’il n’y aura pas en France un
gouvernement reconnu par le pays et qui peut être considéré comme agissant en son nom.
« Les gouvernements allemands, dont le but n’est pas la guerre, ne repousseraient pas un dé
sir sérieux du pays de conclure la paix. Il s’agit seulement, dans ce cas, de savoir avec qui elle pourrait être conclue. Les gouvernements allemands pouvaient entrer en négociation avec l’em
pereur Napoléon, dont le gouvernement est le seul reconnu jusqu’à présent, ou avec la régence instituée par lui. Us pourraient entrer en commu
nication avec le maréchal Bazaine, qui tient son commandement de l’empereur.
« Mais il est impossible de comprendre à quel titre les gouvernements allemands pourraient traiter avec un pouvoir qui, jusqu’à présent, ne représente qu’une partie de la gauche de l’ancien Corps législa tif à Paris. »
Ainsi donc, le premier mot de M. de Bismark était pour nous renvoyer au gouvernement de l’homme qui vient d’infliger, en pleine prospàrité,
à la France, un nouveau Waterloo! Il n’y a eu qu’un cri en Europe pour condamner une si humiliante prétention. De Saint-Pétersbourg à Lisbonne, de Londres à Constantinople, on s’est de
mandé si le vertige de la victoire ne mêlait pas à l’orgueil du triomphateur un grain de folie.
Yoici la réponse du Times, que M. de Bismark h accusera pas assurément de partialité envers la France :
« Ce serait perdre son temps et sa peine, dit le Times, que de vouloir examiner sérieusement les prétendues intentions du roi de Prusse.
« Ce qui est hors de doute, c’est que Guillaume est un chaud partisan du droit divin. Mais à ce point de vue la personnalité de Napoléon s’efface. Ce n’est pas à Wilhelmshohe, mais à Frohsdorf, qu’il faudrait chercher le roi de France : seul, Henri V peut s’appuyer sur le droit d’hérédité.
Napoléon est tombé du trône comme il y était monté, par un coup d’État. Et cette chute est toute constitutionnelle. La loi fondamentale du second empire ne porte-t-elle pas que l’empereur gouverne par la volonté du peuple, qu’il n’est responsable qu’à la nation? Cette responsabilité ne serait qu’illusoire si, aujourd’hui, on prétendait infirmer le point de départ et les conséquences de la déclaration de déchéance.
» Mais, continue le Times, ne discutons pas ce qui est indiscutable. Bornons-nous à supposer que le roi Guillaume ne veuille réellement trai
ter qu’avec son prisonnier qu’il réinstallerait aux Tuileries : quel serait l’avenir de cette restaura
tion et de ce traité? La France a trop souffert dans son orgueil national de la conduite inintel
ligente des hostilités pour accepter un chef de par la volonté du roi de Prusse. Napoléon ne tien
drait pas debout vingt-quatre heures. Le monde semi-officiel de Berlin est inventif, conclut le Times, mais nous ne croirons jamais que le roi Guillaume ait eu l’intention de compromettre et les forces vives de l’Allemagne et la sagesse de sa politique. »
Quant à la France, nous n’avons pas besoin de faire entendre les imprécations de son patrio
tisme indigné. Qu’il nous suffise de consigner ici, à la nouvelle de ce dernier outrage, la protestation éloquente du plus modéré de scs jour
naux. Voici ce que le Journal des Débats a répondu à M. de Bismark, annonçant dans son rapport au roi de Prusse que l’empereur rejetait sur la France la responsabilité de la guerre.
« Cette dernière parole est un dernier outrage qui met le comble à la mesure. Ces mots tien
dront leur place dans l’histoire, et ils provoquent irrésistiblement des réminiscences classiques. Adsum qui feci, in me converlile ferrum; c’est ce
qu’on dit quand on veut mourir pour sauver les autres, surtout pour sauver ceux qu’on a trahis et perdus. Mais voilà un souverain dans les mains duquel une nation effarée a remis aveu
glément une puissance sans bornes, et qui vient dire à l’ennemi aux pieds duquel il a remis son épée : « Ce n’est pas moi, c’est la Franco. » Et voilà l’élu répété de huit ou dix millions de votes populaires! Voilà dans quelles mains nous étions!
« Nous n’aimons pas les injures. Si la chute avait été honorable, nous l’aurions respectée. Mais que celui qui nous a plongés, par un cri
minel caprice et un monstrueux égoïsme, dans l’abîme où nous nous débattons, vienne nous en rendre responsables et en rejeter sur nous nonseulement le châtiment, mais la faute, c’est la plus terrible expiation que Némésis puisse in
fliger à notre trop longue patience et à notre coupable complicité.
« Nous ne dirons rien de plus. Que la France lise et qu’elle juge. Mais si jamais on venait à nous parler du retour de pareilles cendres, nous sommes sans inquiétude. »
La nouvelle circulaire de M. Jules Favre, que nous publions plus haut, a fait d’ailleurs justice, en termes aussi dignes que mesurés, et des pa
roles de l’empereur et des fantastiques rêveries de M. de Bismark. La République a été acclamée; elle a établi un gouvernement provisoire qui s’est justement appelé le gouvernement de la défense nationale. Ce gouvernement vient de con
voquer pour le 2 octobre une Constituante. M. de Bismark avait donc devant lui un gouvernement plus légitime que celui du coup d’État et de la capitulation de Sedan, et les négociations pour
raient sérieusement s’engager. Mais sur quelles bases?
L’entrevue de Ferrières vient de nous révéler enfin les prétentions que chacun pressentait dans l’esprit d’un ennemi qui s’est toujours montré in
satiable. M. de Bismark a exprimé à M. Jules Favre le regret de se voir dans la nécessité d’exiger de la France une cession de territoire.
« La guerre actuelle, aurait-il ajouté, nous a coûté de si gros sacrifices en hommes et en ar
gent, que jamais l’Allemagne ne me pardonnerait de signer la paix sans avoir obtenu de sérieuses garanties pour la paix à venir. J’ai à lutter contre un parti puissant, et je dois compter sur lui. »
En face de telles prétentions, il ne restait plus au gouvernement provisoire qu’à relever plus fièrement le programme posé dans le premier manifeste de la République : Ai un pouce de notre territoire, ni une pierre de nos forteresses. C’est ce qu’il vient de faire, et désormais nous n’avons plus qu’à crier à la France entière : Aux armes !
Aug. Marc.
Éternelle inconsistance de l’esprit français ! On a beau dire : Union ! On a beau crier : Concorde !
L’éclio vous renvoie toujours je ne sais quels bruits mal sonnants qui nous font entendre plus d’une fausse note dans notre orchestre.
— Allons ! décidément, s’écrie le patriote, l’Hôtel-de-Ville est mou, et ce ne sont pas les demimesures du gouvernement de la défense nationale qui sauveront Paris et la France. Du nerf ! Du nerf !
—Allons! riposte en maugréan t un garde national de la cité d’An tin, on a dit, on a publié par affi
ches que les radicaux ajournaient toute question politique jusqu’au jour où les Prussiens seraient chassés de France, et voilà que des Comités im
périeux, dominateurs, se forment de tous côtés pour imposer leurs volontés au Gouvernement provisoire. Nous allons donc avoir à Paris, comme à Lyon, deux gouvernements? Triste ! triste!
Ainsi, voilà l’armée de la République qui commence à voir se lancer en avant son avant-garde. En présence de ces dissentiments, qui menacent