La question mère, en ce moment, est, sans contredit, celle qui intéresse l’armée de secours, et,
sur ce point, nous devons constater que l’Electeur libre,— l’enfant terrible du gouvernement de la dé
fense nationale, — a publié un article qui était loin de donner satisfaction à l’impatience légitime de l’opinion.
Cet article a produit une pénible impression. Mais sous le coup de l’émotion publique, le gou
vernement a cru devoir donner au journal du frère de M. Picard un démenti formel dans les termes suivants :
« Le gouvernement de la défense nationale s’est imposé une règle dont il ne s’écartera pas, quoi qu’il puisse survenir.
« Cette règle est de livrer au public toutes les nouvelles dès qu’elles lui arrivent. Il n’apportera jamais ni retard ni atténuation d’aucune sorte dans la publication des renseignements dont l’autbenticité sera démontrée.
« C’est ainsi qu’il a procédé aussitôt qu’il a appris la reddition de Toul et de Strasbourg. C’est ainsi qu’il procédera en toutes circonstances. »
« Une rumeur dont l’origine est inconnue s’est propagée dans une partie de la presse.
« On a donné à entendre que M. Crémieux aurait adressé de Tours un rapport détaillé sur la situation des départements.
« M. Crémieux n’a point envoyé de rapport au gouvernement, sans quoi ce document aurait été immédiatement publié dans le Journal officiel. »
Nous pensions avec l’immense majorité des citoyens que chacun ne devait pas avoir d’autre souci que l’invasion et d’autre but, actuellement,
que la délivrance du pays. Mais il paraît que le renouvellement du conseil municipal de Paris représente pour certaines feuilles radicales un inté
rêt supérieur; car elles n’ont cessé de réclamer la reconstitution delà municipalité parisienne, et le Gouvernement de la défense provisoire vient de leur promettre une solution prochaine par la publication de la note suivante au Journal officiel :
« L’intention du Gouvernement, souvent manifestée, est toujours défaire procéder, dans le plus bref délai possible, à toutes les élections, et no
tamment aux élections municipales de Paris. Dans
ce but, et afin que ces élections aient lieu dans les conditions de régularité indispensables, il importe de dresser immédiatement les listes électorales complémentaires et de préparer les cartes d’électeurs. On sait qu’un très-grand nombre de ci
toyens ont été, sous le régime déchu, omis des listes où ils avaient droit de figurer. C’est pour
quoi les articles 1er du décret du 14 septembre et 3 du décret du 18 septembre ont prescrit la formation des listes complémentaires.
« En conséquence, les citoyens sont invités à présenter leurs réclamations aux mairies.
« Les mairies de Paris et les mairies provisoires des communes rurales, dont les populations sont rentrées à Paris, recevront ces réclamations et y statueront, sauf le recours ordinaire devant le juge de paix. Des mesures sont prises pour que les justices de paix des cantons ruraux soient installées à proximité des mairies provisoires.
« Les réclamations seront reçues jusqu’au jour qui sera indiqué dans le nouveau décret de convocation des électeurs. »
Le but de ces esprits est facile à comprendre, et nous l’avons déjà mis en lumière. On veut arriver à la résurrection de l’ancienne Commune révolu
tionnaire de 1793, qui fut un gouvernement dans le gouvernement. Ne serait-ce pas là le plus grand obstacle que l’on pourrait susciter à la Républi
que du 4 septembre? A cette politique d’un autre âge, condamnée par l’expérience, combien nous préférons celle que conseille en ces termes M. Louis Blanc :
« Les conseillers du roi Guillaume ont compté
sur nos dissensions, n’en doutons pas ; ils ont fait entrer nos déchirements intérieurs dans leurs cal
culs féroces. Qu’ils n’aient pas cette joie d’avoir calculé juste. Si nous critiquons le gouvernement, que ce soit, non pour le décrier, mais pour l’a­
vertir; non pour le renverser ou le modifier, mais pour le détourner d’une faute, lui signaler un pé
ril, lui suggérer une mesure propre à alléger sa tâche ou à la féconder. Si nous allons à lui, que ce soit pour le faire vivre de la vie de l’opinion publique, pour le mettre de plus en plus en com
munion avec elle. Que nos cœurs se cherchent, que nos bras s’entrelacent; que les questions de nature à nous diviser fassent place à cette ques
tion qui les embrasse toutes : la défense nationale.
Que nos mille pensées viennent se fondre dans cette pensée suprême : le salut de la patrie, notre mère à tous ! »
A cette question est venue s’en joindre une autre que le radicalisme essaie également de résoudre par les mêmes moyens révolutionnaires. Dans une réunion publique, M. Blanqui a proposé la motion suivante :
« Les vivres de toute nature seront répartis également entre tous les citoyens de Paris, puisque l’argent manque et que les approvisionne
ments sont faits pour deux mois au moins. Il en sera fait un inventaire détaillé, et chaque jour des distributions auront lieu selon les besoins de chaque citoyen. Puisque les marchands ont pris l’habitude d’exploiter la population, ils seront rationnés comme nous tous. »
C’est, on le voit, l’intronisation du communisme pur. Après avoir échappé au despotisme politique de l’Empire, avons-nous besoin de dire que nous ne tomberons pas sous le despotisme des utopies !
Il est une autre déclaration du gouvernement qui a produit dans l’opinion une impression des plus profondes. Le second empire en était arrivé à faire de la magistrature et de la police des offi
cines de complots ! Voici la note publiée par le Journal officiel :
« Il est démontré aujourd’hui que, sous le second empire, la préfecture de police s’était trans
formée en un véritable laboratoire de complots conçus, organisés ou provoqués par MM. Lagrange et Piétri.
« Sauf les attentats d’Orsini et de Pianori et le dernier mouvement de la Villette, on retrouve la main de la police impériale dans tous les procès célèbres qui ont tant servi à la consolidation du régime déchu.
« Vers 1863, par exemple, éclate le fameux complot dit des quatre Italiens, dont le principal instigateur, nommé Grecco, paye sa complicité apparente par sa condamnation à la déportation perpétuelle. Or, ledit Grecco, agent secret et payé de M. Lagrange, était nuitamment élargi de Ma
zas par M. Lagrange, mis en liberté, et recevait les fonds nécessaires pour se rendre en Amérique,
où, pendant de longues années, le gouvernement impérial lui a assuré une pension annuelle de
6,000 fr. Grecco avait changé de nom et s’appelait Rubotti, pseudonyme sous lequel il était revenu dans ces derniers temps à Paris seconder la police de la préfecture. Grecco est aujourd’hui sous les verrous et a signé lui-même la déclaration de ses méfaits.
« Peu avant ces événements,le même Lagrange s’était rendu à Florence, accompagné de plusieurs de ses agents, parmi lesquels Alessandri, Sauret,
Labouret, Nicque, Moulins, etc.; leur mission avouée avait pour but l’enlèvement ou l’assassi
nat de Mazzini. Plusieurs des complices de cette tentative avortée sont aussi enfermés à la Conciergerie. Leurs aveux écrits feront foi devant la justice.
« En 1869, des agents de police, toujours sous les mêmes ordres, et vêtus de blouses blanches,
brisent les kiosques. L’amnistie coupa court à l’instruction, mais l’amnistie n’a pas supprimé les traces de 1a, provocation soudoyée.
« Eu 1870, en ce qui concerne les divers complots jugés récemment à Blois, il résulte des pièces et
des révélations recueillies qu’ils ont été provoqués et organisés en partie par MM. Lagrange, Piétri (préfet de police), Juiés Ballot, Guérin,
Beaury, Bernier (juge d’instruction), et plusieurs autres. Guérin était depuis longtemps un agent secret; Beaury et Ballot le devinrent quelques mois avant le complot. Ballot n’avait pas craint de demander 500,000 fr., il en avait touché déjà
20,000 qui lui avaient servi à payer ses sousagents.
« M. et Mme Ballot ont fait tous les aveux, et ont signé leurs dépositions, acquises aujourd’hui à l’enquête.
« Il résulte encore des déclarations de témoins, que ces divers complots avaient été vivement poussés sur l’ordre même de M. Piétri, pour favoriser le plébiscite.
« M. le juge d’instruction Bernier, dans les différentes affaires dont il s’est occupé, a pris une part importante à ces machinations. Il est certain notamment qu’il faisait ses instructions dans le cabinet du sieur Lagrange.
« Des arrestations nombreuses ont eu lieu déjà; des perquisitions sont faites chez diverses personnes fortement soupçonnées. La justice est saisie.
« Quant à certaines individualités dont la presse s’est occupée, sans pouvoir utilement nom
mer personne, on est en possession de documents que le préfet de police est décidé à faire connaitre au fur et à mesure de la marche de l’instruction, qui se poursuit rapidement. »
Comme résumé des nouvelles qui intéressent la politique étrangère, nous n’avons qu’à mention
ner les deux notes suivantes, publiées par le Journal officiel-,
« L’impression produite par le rapport du mm :s- tre des affaires étrangères est partout la même.
En France, enthousiasme et exaltation pour la guerre; à l’étranger, blâme absolu des prétentions prussiennes, approbation complète de notre ferme confiance que l’Europe ne permettra pas le mor
cellement de notre territoire. C’est en ce sens que les négociations se poursuivent activement; elles sont accueillies avec faveur. L’attitude de Paris cause autant d’émotion que de respect. On consi
dère la position des Prussiens comme très-aventurée. Il paraît certain qu’ils ont beaucoup souffert devant Issy, qu’ils ne s’attendaient pas à la défense de Paris et qu’ils en sont troublés.
« Les Italiens sont entrés à Rome à la suite d’une capitulation, après quelques coups de fusil. Le pape n’a pas quitté la ville.
« Le Gouvernement a appris, par une dépêche venue de Tours par estafette, qu’après un séjour de quelques heures dans cette ville, M. Thiers est reparti pour Tienne, où il n’a dû s’arrêter que vingt-quatre heures. Il dû arriver mardi à Saint- Pétersbourg. Nous croyons qu’il y trouvera l’opi
nion publique très-émue en faveur de la France. Même à la cour de l’empereur on juge avec sévé
rité l’obstination de la Prusse, et l’on se prononce de plus en plus pour le maintien absolu de l’intégrité de notre territoire, b
On se rappelle qu’il y a quelques jours, les membres du corps diplomatique, résidant à Paris, ont fait demander au roi Guillaume de vou
loir bien autoriser les courriers de cabinet à franchir les lignes prussiennes.
La réponse à cette requête collective a été apportée dimanche à Paris par le général Burnside.
M. de Bismark consent à exaucer le vœu du corps diplomatique, mais à cette condition expresse que les dépêches, expédiées une fois chaque semaine par les ambassadeurs, ne seront pas cachetées.
Le corps diplomatique, convoqué tout exprès par le nonce du pape, dans la journée d’hier, a décidé unanimement qu’il n’y avait pas lieu d’user d’une autorisation accordée sous des réserves offensantes pour la dignité des puissances neutres.
Signification de cette décision a été envoyée à M. de Bismark.
On le voit, l’insolence de la Prusse est devenue
telle, qu’elle ne craint même plus de provoquer.