rés pour couvrir chaque province. Ce serait encore une fois se livrer en détail à l’ennemi. Il s’agit, après avoir constitué des corps isolés, d’en former des armées, de tenir ces armées étroitement unies, inséparables, et de marcher tous en
semble sur ce grand champ de bataille où Paris tient tête aux envahisseurs.
Là est la nécessité, là est la victoire.
Que cette pensée devienne la préoccupation de chaque Français, dans les départements ; que ce soit le mot d’ordre des provinces.
Elles n’ont pas à choisir le champ de bataille; il est ici tout préparé autour du mur d’enceinte. Qu’elles n’attendent pas davantage que l’ennemi aille les surprendre chez elles; isolées, elles seraient à leur tour enveloppées.
C’est ici que peuvent se sauver Lyon, Marseille, Bordeaux, Tours, Bourges, Poitiers, Nantes, Dijon, Orléans.
Qu’elles viennent ici occuper leur place de combat; qu’elles arrivent, non en foule, mais organisées; et l’ennemi, placé entre elles et la muraille de Paris, sera étouffé.
De son côté, voici le suprême appel que Victor Hugo fait à Paris.
AUX PARISIENS.
« Il paraît que les Prussiens ont décrété que la France serait Allemagne, et que l’Allemagne se
rait Prusse; que moi qui parle, né Lorrain, je suis Allemand ; qu’il faisait nuit en plein midi ; que l’Europe, le Nil, le Tibre et la Seine étaient des affluents de la Sprée ; que la ville qui depuis quatre siècles éclaire le globe n’avait plus de raison d’être; que Berlin suffisait; que Montaigne, Rabelais, d’Aubigné, Pascal, Corneille, Molière, Montesquieu, Diderot, Jean-Jacques, Mirabeau, Danton et la Révolution française n’ont jamais existé; qu’on n’avait plus besoin de Voltaire,
puisqu’on avait M. de Bismark; que l’univers appartient aux vaincus de Napoléon le Grand et aux vainqueurs de Napoléon le Petit; que doré
navant la pensée, la conscience, la poésie, l’art, le progrès, l’intelligence, commenceraient à Post
dam et finiraient à Spandau ; qu’il n’y aurait plus de Paris ; qu’il n’était pas démontré que le soleil fût nécessaire; que d’ailleurs nous donnions le mauvais exemple ; que nous sommes Gomorrhe et qu’ils sont, eux Prussiens, le feu du ciel ; qu’il est temps d’en finir, et que désormais le genre humain ne sera plus qu’une puissance de second ordre.
« Ce décret, Parisiens, on l’exécute sur vous. En supprimant Paris, on mutile le monde. L’attaque s’adresse urbi et orbi. Paris éteint, et la Prusse ayant, seule la fonction de briller, l’Europe sera dans les ténèbres.
« Cet avenir est-il possible ?
« Ne nous donnons pas la peine de dire non. « Répondons simplement par un sourire.
« Deux adversaires sont en présence en ce moment. D’un côté la Prusse, toute la Prusse, avec neuf cent mille soldats; de l’autre Paris, avec quatre cent mille citoyens. D’un côté une armée, de l’autre la lumière.
« C’est le vieux combat de l’archange et du dragon qui recommence.
« Il aura aujourd’hui la fin qu’il a eue autrefois.
« La Prusse sera précipitée!........
« Résistance aujourd’hui; délivrance demain : tout est là. Nous ne sommes plus de chair, mais de pierre. Je ne sais plus mon nom, je m’appelle Patrie! Face à l’ennemi ! Nous nous appelons tous France, Paris, muraille !
« Comme elle va être belle, notre cité ! Que l’Europe s’attende à un spectacle impossible; qu’elle s’attende à voir grandi ; Paris; qu’elle s’attende à voir flamboyer la ville extraordinaire. Paris, qui amusait le monde, va le terrifier. Dans ce charmeur il y a un héros. Cette ville d’esprit a du gé
nie. Quand elle tourne le dos à Tabarin, elle est digne d’Homère. On va voir comment Paris sait mourir. Sous le soleil couchant, Notre-Dame à l’agonie est d’une gaieté superbe.
« Le Panthéon se demande comment il fera pour recevoir sous sa voûte tout ce peuple qui va avoir droit à son dôme. La garde sédentaire est vaillante; la garde mobile est intrépide : jeunes hommes par le visage, vieux soldats par l’allure.
Les enfants chantent, mêlés aux bataillons. Et dès à présent, chaque fois que la Prusse attaque, pen
dant le rugissement de la mitraille, que voit-on dans les rues? les femmes sourire. O Paris, tu as couronné de fleurs la statue de Strasbourg; l’histoire te couronnera d’étoiles! »
A l’heure qu’il est, — dix -neuvième jour du siège ! — Paris regarde du côté des départements et les départements regardent vers Paris. Regardons un peu moins autour de nous, et ne songeons qu’à faire parler la poudre. Ne renouve
lons jamais cette triste histoire des émigrés français, qui brûlant de faire triompher leur cause, écrivaient à leurs partisans de l’intérieur : «Re
muez et nous entrerons ! » Et les partisans de l’intérieur répondaient : « Entrez, et nous remuerons ! »
Et l’on finissait par ne rién remuer, ce qui aboutissait au résultat que l’on connaît.
Il n’y a pour un gouvernement qu’un moyen de faire la guerre efficace, pour une ville assiégée qu’une manière de repousser l’ennemi : c’est d’agir comme si la guerre ou le siège devaient toujours durer. On vit l’Amérique, jusqu’à la fin de la rébellion, s’organiser et s’armer comme pour un siècle d’hostilités. Lincoln, dans son dernier message, alors que le sud était à moitié défait, annonçait des mesures pour continuer indéfiniment la guerre.
Que la République française suive l’exemple de la République américaine, que les départements montrent l’énergie de Pans, et la France est sauvée !
Samedi 1er octobre.
Combat de Chevilly.
Nous commençons le mois par une victoire. Le combat de Chevilly est le plus important de tous ceux que Paris assiégé a. livrés. Yoilà notre armée qui reprend son aplomb et son élan. Artil
lerie, infanterie, mobiles, tout a marché avec un entrain et une solidité qui a fait reculer l enne
mi jusqu’à Choisy-le-Roi. Un coup d’épaule de plus et Choisy-le-Roi restait en notre pouvoir. Chacun s’est même demandé comment on avait attaqué sans être sûr d’aller jusqu’au bout.
Remarquez, en effet, l’importance du point attaqué. Choisy-le - Roi est un double trait d’union, d’un côté, entre le quartier général prus
sien de Versailles et sa ligne de communication avecl’Allemagne; de l’autre, entre l’armée de Paris et l’armée de secours.
N’oublions pas ces quatre chemins de Choisyle-Roi. Ils vont devenir le point de mire des deux armées, et nous y reviendrons.
Il y a eu des pertes sensibles des deux côtés, et naturellement, pendant l’aimistice accordé pour enterrer les morts et enlever les blessés, l’on a causé entre Prussiens et Français. Un prêtre des ambulances a raconté que les officiers prussiens se sont entretenus avec les médecins, avec les chi
rurgiens, leurs aides et les infirmiers. Je crois, dit-il, que l’impression générale de ces messieurs a été celle-ci : Comment se fait-il que nous soyons en guerre avec des hommes dont le commerce semble devoir être si facile?
Un colonel prussien faisait du reste, lui aussi, cette même réflexion.
— Croyez-vous, disait-il, que nous nous battons pour notre plaisir ? Je suis notaire dans mon pays. J’ai un château ma femme et mes enfants. J’ai
merais mieux être chez moi que de coucher sur la paille expos» au chaud etau froid. Fiai pax ! Je désire, nous désirons la paix comme vous, plus que vous !
— Eh bien! lui répondit-on, faites la paix! Vous retournerez dans votre maison et vous nous ferez grand plaisir.
— Le roi Guillaume ne veut pas la paix, lui; tant qu’il n’aura pas Paris, il n’y aura pas de paix possible. Ouvrez-nous vos portes !
Ah! voilà bien le dernier mot de tout, dans cette guerre. La France a fait la guerre à la Prusse parce que l’ex-empereur la voulait, et la Prusse fait la guerre à la France parce que le roi Guillaume la veut !
Quand viendra donc le jour où les gouvernements seront faits pour les peuples et non les peuples pour les gouvernements!
Les inscriptions
Le gouvernement continue à faire sa toilette républicaine. Le nom de la République apparaît sur les contrats, sur les monnaies, sur les monu
ments. A la place de la statue équestre de l’exempereur, on lit : République démocratique, une et indivisible.
Ce vieux mot ; Une et indivisible! est aujourd’hui saisissant et vous prend au cœur. C’est de
vant la patrie envahie, saisie à la gorge et coupée en morceaux, qu’il faut jurer l’indivisibilité du sol et l’indivisibilité des âmes !
Dimanche 2 octobre.


Strasbourg et Toul.


Indivisibilité !... Et voilà la Prusse qui nous envoie deux messages de deuil, comme pour donner un démenti à nos formules et à nos serments. Strasbourg et Toul ont succombé.
Strasbourg,, avec 7,000 hommes et 12,000 gardes nationaux, Toul avec 2,000 hommes.
Plus de pain, plus de munitions!... Et chacun ajoute ceci : Qu’est devenu le général Uhrich?
Le gouvernement de la République décrète que la statue de Strasbourg sur la place de la Concorde sera coulée en bronze.
Suivant son mot, Bismark tient la clef de sa maison. A nous de la reprendre !
C’est aujourd’hui, plus que jamais, que la France doit répéter :
« Ni un pouce de notre territoire,
« Ni une pierre de nos forteresses ! »
Les eompLis ut! la police.
Les crieurs publics vendent maintenant les Papiers et Correspondances publiés par la commission des Tuileries avec une variante : — Demandez, demandez les papiers de la famille infernale!
Infernale, en effet! Voyez ce que devenait entre - ses mains la magistrature : un laboratoire de ma
chinations ténébreuses, et le jour où la lumière se fait, MM. Devienne, Zangiacomi, Bernier dis
paraissent, Delesvaux meurt subitement, Piétri est en fuite, et les artisans de ces honteuses manœuvres s’en vont comme des oiseaux de nuit.
La magistrature, courbée sous la main de fer du coup d’Etat, nous a fourni, sous le second em
pire, une triste histoire. Quel abaissement des caractères! Les plus renommés étaient les plus humbles. Un mois après le coup d’Etat, on vient apporter à M. Dupin le décret, sur les biens de la famille d’CMéans, et l’ancien président de nos chambres législatives le flétrit en s’écriant • « C’est le premier vol de l’aigle ! » Et plus tard, M. Dupin sollicitait la haute fonction de procureur général à la Cour de cassation !
Que d’anecdotes nous pourrions citer! En voici une qui montre, comme le trait de M. Dupin, que la servilité était d’autant plus honteuse, que les magistrats méprisaient au fond le pouvoir qu’ils adulaient en le servant.
La faveur dont jouissait M. Troplong sous le régime déchu avait eu pour point de départ son mariage avec une Corse, plus ou moins cousine de quelque serviteur de la maison Bonaparte.
Une boutade de M. Troplong faillit compromettre ses destinées, peu de temps avant le mariage de Napoléon III avec Mlle de Montijo.
On n’a pas oublié que l’ex-empereur fit part de
ce projet de mésalliance par une proclamation au